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« Élection = prison des peuples »

Quelqu’un 😇 a tiré quelques mots de mon der­nier entre­tien chez Éric Morillot (Les Incor­rec­tibles, 23 juin 2024) pour en faire une gen­tille (mais pro­fonde 🙂) chan­son­nette 🎼 Il a noté les paroles qu’il a choi­sies dans la des­crip­tion de sa vidéo : Sur plan poli­tique je suis un peu déses­pé­ré parce que je trouve que nos dis­cus­sions sont oiseuses elles ne servent à rien et je trouve qu’on n’a­vance pas. En fait, nous sommes, nous…

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« Amérique Latine : attention danger ! » – Conférence à Marseille le 28 juin 2024 par Maurice Lemoine, Romain Migus et Charles Hoareau

« Amérique Latine : attention danger ! » – Conférence à Marseille le 28 juin 2024 par Maurice Lemoine, Romain Migus et Charles Hoareau

Il se passe des tas de choses impor­tantes (en bien et en mal) et mécon­nues en Amé­rique latine, notam­ment sur le plan consti­tuant. L’A­mé­rique du sud est le lieu d’ex­pé­riences démo­cra­tiques pas­sion­nantes et nous devrions les étu­dier soi­gneu­se­ment pour pro­gres­ser sur nos propres pro­jets démo­cra­tiques. Le site les2​rives​.info est une mine inson­dable sur tout ce qui concerne l’A­mé­rique latine. C’est une chance de pou­voir écou­ter et ques­tion­ner ces vrais connais­seurs sur les sujets institutionnels…

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SOUVERAINETÉ, populaire ou nationale, ok mais, bon sang, QUI VA L’ÉCRIRE ?!? Conférence d’Étienne Chouard à Marseille, 28 mai 2024

La vidéo de notre ren­contre à Mar­seille fin mai, que je vous ai annon­cée ici, a été pré­pa­rée et publiée par RSI (mille mer­cis à eux), et je la repu­blie sur ma propre chaîne pour essayer de lui don­ner un peu plus de visi­bi­li­té, si c’est pos­sible : https://​www​.you​tube​.com/​w​a​t​c​h​?​v​=​K​l​t​5​j​0​4​r​Yks Au plai­sir de lire vos com­men­taires, ici (sur le blog), sous la vidéo You­Tube, sous le tweet ou sous un des billets Face­book ou Tele­gram 🙂 Ami­tiés à tous. Étienne.…

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For­mat grille – For­mat articles complets

Rendez-vous à Longuyon (54) le 7 mars 2020 : quelle démocratie pour demain ? Représentative ? Directe ? Quelle place pour le RIC dans notre constitution ?

La pers­pec­tive d’un débat loyal avec un élu m’en­chante. Je me sou­viens d’une soi­rée pas­sion­nante sur ce for­mat, pen­dant une tour­née en Bre­tagne l’an passé :
[IMPORTANT]Soirée mémo­rable, le 8 février 2019, avec Paul Molac (dépu­té LREM) et Cédric André, et plein de gilets jaunes bre­tons : « LA BRETAGNE VEUT LE RIC »

Je ne doute pas que ce pro­chain échange avec Xavier Palusz­kie­wicz sera à nou­veau très éclai­rant pour tout le monde.

Au plai­sir de vous y retrouver.

Étienne.

Annonce et réser­va­tion sur Facebook :
www​.face​book​.com/​e​v​e​n​t​s​/​3​5​2​2​9​6​1​0​3​4​4​4​3​798

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet : 

https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​7​9​5​4​0​9​1​6​6​7​317

« Presque toutes les guerres sont le résultat de mensonges médiatiques. » Julian Assange, martyr du journalisme pour avoir créé WIKILEAKS, UN OUTIL POPULAIRE CONTRE LES GUERRES

« Presque toutes les guerres sont le résul­tat de men­songes média­tiques. » Julian Assange

Écou­tez Julian parler :

Ils ont men­ti sur le Vietnam,
Ils ont men­ti sur l’Afghanistan,
Ils ont men­ti sur l’I­rak (2 fois),
Ils ont men­ti sur la Libye,
Ils ont men­ti sur la Syrie,
Ils ont men­ti sur le Yémen,
etc. !

Ils mentent tout le temps.
Impu­né­ment.

ASSANGE A CRÉÉ UNE SOLUTION PUISSANTE ET SOLIDE !
C’est LA cause de sa tor­ture depuis 10 ans, tor­ture à mort menée en notre nom (!) par les cri­mi­nels qu’il dénonce !!!

#FreeAs­sange

Étienne.

[Projet d’expérimentation démocratique] Élaborer ensemble le RÈGLEMENT INTÉRIEUR de nos prochaines assemblées démocratiques, avec Maxime Péroud (suite)

Chers amis,

Je vous recom­mande  de vous inté­res­ser à au pro­jet pré­sen­té par Maxime Péroud dans une longue vidéo qu’il a réa­li­sée et qui est acces­sible sur le site www​.exp​-demo​.jim​do​.com  .


https://​exp​-demo​.jim​do​.com/

Et de vous inté­res­ser à son invi­ta­tion à le ren­con­trer pour par­ler du pro­jet avec lui et voir, à la fin de cette réunion, si vous pour­riez être un coéqui­pier / une coéqui­pière de qua­li­té (il cherche 5 à 10 coéqui­piers sup­plé­men­taires sur ce pro­jet en cours).

Adresse de son invi­ta­tion sur Face­book : https://​www​.face​book​.com/​e​v​e​n​t​s​/​1​3​8​5​2​5​7​5​1​1​6​3​4​7​03/

J’ai ren­con­tré Maxime et nous avons eu éga­le­ment plu­sieurs longues conver­sa­tions télé­pho­niques. Il est l’initiateur de ce grand pro­jet, très orga­ni­sé, cohé­rent avec nos tra­vaux sur la Consti­tu­tion. Ce pro­jet consiste à simu­ler (dans plus d’un an, quand tout sera prêt), avec au maxi­mum 30 à 40 par­ti­ci­pants, une assem­blée démo­cra­tique déli­bé­rante comme il en sera pré­vu cer­tai­ne­ment dans la future Consti­tu­tion. Au cours de ces tra­vaux par­le­men­taires simu­lés, l’équipe de ce pro­jet éla­bo­re­ra le règle­ment inté­rieur de cette assem­blée tout en res­pec­tant ce règle­ment dans sa ver­sion en cours d’élaboration.

Le règle­ment inté­rieur pour­ra ser­vir à des assem­blées dites « auto­nomes » (pour l’instant sans rela­tion avec d’autres ins­tances de pou­voir) et sans com­mis­sion (pour sim­pli­fier dans un pre­mier temps). Un pro­jet ulté­rieur abou­ti­ra à un règle­ment pré­voyant des commissions.

Pour le moment, l’équipe actuelle en est à la phase de pré­pa­ra­tion. Ils ont fort à faire et ils ont besoin de ren­fort.

Voi­ci ce que Maxime m’a écrit pour me pré­sen­ter la rai­son d’être de son projet :

1. Nous vou­lons qu’un jour – appe­­lons-le le jour J – notre pays devienne une démo­cra­tie pour la pre­mière fois de son his­toire. Les pou­voirs seront orga­ni­sés de manière à ser­vir dura­ble­ment l’intérêt géné­ral et, pour ce faire, seront entre les mains du peuple ou sous son contrôle effectif.

Cela signi­fie que, le jour J, ces pou­voirs auront été orga­ni­sés sous forme pro­vi­soire par une Pré-Consti­­tu­­tion rédi­gée néces­sai­re­ment avant le jour J par des citoyens volon­taires. Cette Pré-Consti­­tu­­tion pré­voi­ra cer­tai­ne­ment une Assem­blée Consti­tuante qui, après le jour J, repar­ti­ra de cette Pré-Consti­­tu­­tion pro­vi­soire pour éta­blir la 1ère Consti­tu­tion (réel­le­ment) démocratique.

2. Pour pou­voir ser­vir, cette Pré-Consti­­tu­­tion devra obli­ga­toi­re­ment être consi­dé­rée comme légi­time par la majeure par­tie des forces démo­crates du moment. Or, il existe déjà de nom­breuses variantes de pro­jets de Consti­tu­tion et, chaque année, il en émerge de nou­velles. Aucune d’entre elles ne peut cor­res­pondre à la future Pré-Consti­­tu­­tion car elle pro­vient d’un petit groupe et sera contes­tée par les autres groupes.

La seule solu­tion pour éla­bo­rer une Pré-Consti­­tu­­tion suf­fi­sam­ment légi­time pour pou­voir orga­ni­ser pro­vi­soi­re­ment les pou­voirs le jour J est de l’élaborer en Assem­blée Pré-Consti­­tuante, une assem­blée cer­tai­ne­ment com­po­sée de plu­sieurs cen­taines de citoyens volon­taires issus des dif­fé­rents mou­ve­ments (asso­cia­tions, par­tis, groupes, …) se reven­di­quant ou pas « démocrates ».

3. La pre­mière ques­tion que se pose­ra cette Assem­blée Consti­tuante sera la sui­vante : « com­ment allons-nous tra­vailler, selon quelles règles du jeu : règles pour les débats, les vota­tions, règles de com­por­te­ments, etc. ? »

Ces règles feront l’objet d’un docu­ment essen­tiel : le règle­ment inté­rieur de cette Assem­blée Pré-Consti­­tuante. Sans ce règle­ment, pas de tra­vaux possibles !

4. Nous devons dès main­te­nant réflé­chir à ces règles de fonc­tion­ne­ment d’une grande assem­blée démo­cra­tique de manière à pou­voir livrer à la Pré-Consti­­tuante une ver­sion avan­cée d’un règle­ment inté­rieur. La Pré-Consti­­tuante n’aura plus qu’à le fina­li­ser pen­dant les pre­mières semaines de son exis­tence, après quoi elle sera « opérationnelle ».

Lui livrer ce règle­ment inté­rieur lui fera gagner un temps consi­dé­rable car l’élaboration de ce règle­ment n’est pas simple et va prendre beau­coup de temps : il n’aura rien à voir avec le « petit pro­to­cole de socio­cra­tie déli­bé­ra­tive » uti­li­sé actuel­le­ment dans les ate­liers consti­tuants. Ce pro­to­cole ne peut ser­vir qu’à des petits groupes de tra­vail. Il est tota­le­ment inadap­té à des assem­blées déli­bé­rantes de plu­sieurs cen­taines de citoyens ! Il suf­fit d’imaginer à quel point ces assem­blées seraient inef­fi­caces si les débats y avaient lieu en levant la main pour par­ta­ger une idée spontanée.

Une assem­blée déli­bé­rante de plu­sieurs cen­taines de citoyens ne pour­ra éla­bo­rer effi­ca­ce­ment des textes com­plexes que si les débats portent sur des pro­po­si­tions et des amen­de­ments rédi­gés et mis à la dis­po­si­tion de tous les par­le­men­taires. Un peu à la manière de notre Assem­blée Natio­nale actuelle, à ceci près (et la nuance est de taille !) que le règle­ment inté­rieur garan­ti­ra la stricte éga­li­té poli­tique des par­le­men­taires et les obli­ge­ra à des débats ration­nels ser­vant l’intérêt géné­ral. Le règle­ment inté­rieur à éla­bo­rer sera donc lui-même un texte complexe.

5. Le pro­jet en cours et dont nous cher­chons à ren­for­cer l’équipe actuel­le­ment vise à éta­blir une ver­sion sim­pli­fiée d’un tel règle­ment inté­rieur mais aus­si de l’expérimenter pour en garan­tir la per­ti­nence. L’idée est de conduire ces tra­vaux en simu­lant, à effec­tif réduit, les tra­vaux d’une telle assem­blée qui met­trait au point son propre règle­ment inté­rieur, tra­vaux qui seront eux-mêmes régis par le règle­ment inté­rieur en cours d’élaboration.

Nous en sommes pour le moment à la phase de pré­pa­ra­tion et, du fait du départ d’un nombre impor­tant des membres de l’équipe (prin­ci­pa­le­ment des départs volon­taires et des exclu­sions du fait de l’absence de contri­bu­tions), nous sou­hai­tons ren­for­cer l’équipe de 5 à 10 membres. Par la suite, un peu avant le début des simu­la­tions, nous ferons à nou­veau appel à des volon­taires car nous aurons besoin d’être plus nombreux.

Ce pro­jet est tota­le­ment indé­pen­dant de l’écriture de la Consti­tu­tion mais, en même temps, il lui est com­plé­men­taire. Il s’annonce comme une véri­table aven­ture poli­tique pas­sion­nante mais aus­si exigeante.

Pour bien le com­prendre, il faut prendre le temps de se docu­men­ter à son sujet.
Une vidéo très didac­tique en 10 par­ties explique le dérou­le­ment et les atten­dus du pro­jet à l’aide de nom­breux sché­mas. Elle se trouve dans la page vidéo du site dédié au pro­jet : www​.exp​-demo​.jim​do​.com

Pour ceux que le pro­jet inté­resse ou inter­pelle, des Mumble d’information (réunions d’information) auront lieu régu­liè­re­ment dans les semaines à venir pour leur per­mettre de poser leurs ques­tions et pré­sen­ter leurs com­men­taires et objec­tions qui leur seront venus à l’esprit pen­dant le vision­nage de cette vidéo. Maxime Péroud ani­me­ra ces réunions et répon­dra à chaque fois aus­si clai­re­ment que pos­sible à ces ques­tions et objections.

Les Mumble seront annon­cés en tant qu’événement sur Face­book pos­tés sur la page FB de Maxime.

L’avenir ne se construit pas seule­ment dans les ate­liers consti­tuants et assez peu en dis­cu­tant de l’actualité. Nous devons aus­si éla­bo­rer les textes de demain et nous orga­ni­ser pour être capables de le faire en grand nombre, en com­plé­ment de nos actions dites « de terrain ».

Maxime Per­oud.

 
Je cau­tionne autant que je le peux ce pro­jet qui m’apparaît comme abso­lu­ment néces­saire pour pré­pa­rer la démo­cra­tie de demain.

Je vous encou­rage à vous y inté­res­ser et, pour com­men­cer, à regar­der cette vidéo puis à par­ti­ci­per à l’un des pro­chains Mumble d’information.


https://​exp​-demo​.jim​do​.com/

Étienne.

PS : je vous ai déjà par­lé, en 2017, du tra­vail démo­cra­tique impres­sion­nant de Maxime Péroud : https://​www​.chouard​.org/​2​0​1​7​/​0​9​/​0​9​/​p​r​o​j​e​t​–​d​e​x​p​e​r​i​m​e​n​t​a​t​i​o​n​–​d​e​m​o​c​r​a​t​i​q​u​e​–​e​l​a​b​o​r​e​r​–​e​n​s​e​m​b​l​e​–​l​e​–​r​e​g​l​e​m​e​n​t​–​i​n​t​e​r​i​e​u​r​–​d​e​–​n​o​s​–​p​r​o​c​h​a​i​n​e​s​–​a​s​s​e​m​b​l​e​e​s​–​d​e​m​o​c​r​a​t​i​q​u​e​s​–​a​v​e​c​–​m​a​x​i​m​e​–​p​e​r​oud

 

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :

https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​7​9​4​7​8​8​3​0​8​7​317

La juge Emma Arbuthnot refuse de se récuser dans le simulacre de procès de Julian Assange ! La séparation des pouvoirs ne suffit pas pour garantir les Droits de l’Homme ! il faut instituer UN POUVOIR POPULAIRE au-dessus de TOUS les pouvoirs.

La juge Emma Arbuthnot refuse de se récuser dans le simulacre de procès de Julian Assange

Par Thomas Scripps
12 juillet 2019

La juge Emma Arbuth­not a refu­sé de se récu­ser des audiences d’extradition de Julian Assange, le fon­da­teur de Wiki­Leaks. Voi­là à quoi res­semble la « jus­tice de classe ».

Arbuth­not, magis­trat en chef et juge de dis­trict supé­rieur pour l’Angleterre et le Pays de Galles, bafoue les prin­cipes juri­diques fon­da­men­taux pour s’assurer qu’elle pré­side un simu­lacre de pro­cès contre Assange. Le pro­cès doit reprendre au Tri­bu­nal de pre­mière ins­tance à West­mins­ter le 24 février pro­chain. En cas d’extradition, Assange fait face à des accu­sa­tions en ver­tu de la Loi sur l’espionnage aux États-Unis et encourt une peine d’emprisonnement de 175 ans. D’autres accu­sa­tions sont en ins­tance, qui pour­raient inclure la peine de mort.

La juge Emma Arbuthnot, magistrat en chef et juge de district supérieur pour l’Angleterre et le Pays de Galles.

La juge Emma Arbuth­not, magis­trat en chef et juge de dis­trict supé­rieur pour l’Angleterre et le Pays de Galles.

Le « Guide sur la conduite des juges » (« Guide to Judi­cial Conduct) en Angle­terre et au Pays de Galles, publié en 2018, sti­pule que « l’indépendance judi­ciaire est une pierre angu­laire de notre sys­tème de gou­ver­ne­ment dans une socié­té démo­cra­tique et une pro­tec­tion de la liber­té et des droits du citoyen dans le cadre de l’État de droit. La magis­tra­ture doit être per­çue comme indé­pen­dante des organes légis­la­tif et exé­cu­tif du gou­ver­ne­ment, tant à titre indi­vi­duel que dans son ensemble ».

Arbuth­not aurait dû se récu­ser d’office sur cette base.

Son mari, James Nor­wich Arbuth­not, est un membre conser­va­teur de la Chambre des Lords. Il est inti­me­ment lié aux forces armées et aux ser­vices de sécu­ri­té bri­tan­niques, dont les opé­ra­tions cri­mi­nelles ont été expo­sées par WikiLeaks.

En tant que dépu­té conser­va­teur, Lord Arbuth­not a pré­si­dé, entre 2005 et 2014, le Comi­té spé­cial de la défense, l’organe qui super­vise le minis­tère de la Défense et les forces armées bri­tan­niques. Il était en poste lors des opé­ra­tions mili­taires en cours en Afgha­nis­tan et en Irak, ain­si que des guerres pour le chan­ge­ment de régime en Libye et en Syrie.

Il est actuel­le­ment copré­sident du conseil consul­ta­tif du fabri­cant bri­tan­nique de maté­riel de défense Thales et membre du conseil consul­ta­tif de l’Institut royal des ser­vices unis pour les études de défense et de sécu­ri­té (RUSI). Lord Arbuth­not est éga­le­ment un ancien direc­teur d’une socié­té de conseil en sécu­ri­té et en ren­sei­gne­ment, SC Stra­te­gy, où il a tra­vaillé pen­dant deux ans aux côtés des codi­rec­teurs Lord Car­lile et Sir John Scarlett.

Car­lile est un émi­nent défen­seur du MI5 qui a sou­te­nu la Loi sur les pou­voirs d’enquête de 2016 (sur­nom­mée la « Charte des foui­neurs ») qui per­met à l’État bri­tan­nique d’accéder aux dos­siers de connexion Inter­net sans man­dat. Il a fait valoir que les révé­la­tions d’Edward Snow­den sur la sur­veillance de masse per­pé­trée illé­ga­le­ment par l’État « équi­va­laient à un acte cri­mi­nel ». Il a super­vi­sé la mise en œuvre de la légis­la­tion anti­ter­ro­riste et exa­mi­né les pro­cé­dures de sécu­ri­té natio­nale en Irlande du Nord.

Scar­lett est l’ancien direc­teur du MI6 et l’ancien pré­sident du Comi­té mixte du ren­sei­gne­ment (JIC) du gou­ver­ne­ment. Il a super­vi­sé la pro­duc­tion d’un rap­port qui plaide en faveur du droit des ser­vices secrets à « col­lec­ter des don­nées de com­mu­ni­ca­tion en masse ». Enfin, il a eu la res­pon­sa­bi­li­té de com­pi­ler le « dos­sier dou­teux » sur les armes de des­truc­tion mas­sive en Irak.

Les acti­vi­tés de Lord Arbuth­not et de ses col­lègues ont fait l’objet de mil­liers de révé­la­tions de Wiki­Leaks. La base de don­nées de Wiki­Leaks contient près de 2.000 réfé­rences à Thales et près de 450 à RUSI. Lord Arbuth­not lui-même peut être trou­vé dans plus de 50 entrées.

Comme l’ont fait valoir l’équipe juri­dique d’Assange et le rap­por­teur de l’ONU sur la tor­ture, Nils Mel­zer, ce « conflit d’intérêts grave » oblige Lady Arbuth­not à se reti­rer de l’affaire Assange. Son mari a consa­cré toute sa vie poli­tique à écra­ser la trans­pa­rence et la res­pon­sa­bi­li­té pré­co­ni­sées par WikiLeaks.

Le « Guide sur la conduite des juges » sti­pule expli­ci­te­ment que « Lorsqu’un proche membre de la famille d’un juge est poli­ti­que­ment actif, le juge doit gar­der à l’esprit la pos­si­bi­li­té que, dans cer­taines pro­cé­dures, cette acti­vi­té poli­tique puisse sou­le­ver des pré­oc­cu­pa­tions quant à l’impartialité du juge et son déta­che­ment du pro­ces­sus poli­tique et doit agir en conséquence ».

De plus, « une ani­mo­si­té per­son­nelle à l’égard d’un par­ti est aus­si une rai­son impé­rieuse de disqualification ».

L’animosité d’Arbuthnot envers Assange a été ren­due publique.

Aucun argu­ment juri­dique ne convain­cra Arbuth­not de se récu­ser. Ses liens fami­liaux avec les ser­vices de sécu­ri­té sont la rai­son pour laquelle elle a été choi­sie pour super­vi­ser cette affaire. La classe diri­geante bri­tan­nique exige qu’un fonc­tion­naire approuve le trans­fert d’Assange aux États-Unis, ce qui équi­vaut à une res­ti­tu­tion extraordinaire.

Deux pré­cé­dents cas de juges qui se sont récu­sés d’affaires judi­ciaires anglaises offrent un contraste frap­pant avec l’affaire du fon­da­teur de WikiLeaks.

La pre­mière concerne Arbuth­not elle-même. En août 2018, elle a été contrainte de se reti­rer d’un pro­cès contre Uber après que l’Observateur eut révé­lé que son mari avait un inté­rêt com­mer­cial dans la socié­té de trans­port via SC Stra­te­gy et son client, la Qatar Invest­ment Autho­ri­ty. Un porte-parole judi­ciaire a décla­ré : « Dès que ce lien lui a été signa­lé, elle a confié l’affaire à un autre juge. C’est essen­tiel que les juges soient non seule­ment abso­lu­ment impar­tiaux, mais qu’ils soient per­çus comme tels. »

Ces pré­oc­cu­pa­tions ne semblent pas exis­ter dans le cas d’Assange. Aucun article dans les médias grand public n’a fait état de la contra­dic­tion fla­grante entre les actions d’Arbuthnot en 2018 et celles d’aujourd’hui.

Le deuxième cas est celui d’un juge qui ne s’est pas récu­sé en 1998. Il s’agissait de la ten­ta­tive d’extradition de l’ancien dic­ta­teur, tor­tion­naire et bour­reau chi­lien Augus­to Pino­chet pour faire face à des accu­sa­tions pénales en Espagne.

Lord Hoff­mann a été sévè­re­ment atta­qué pour ne pas avoir éta­bli clai­re­ment ses liens avec le groupe de défense des droits humains Amnes­ty Inter­na­tio­nal, qui était une par­tie dans l’affaire. Il a été pré­sident du ser­vice de col­lecte de fonds de l’organisme de bien­fai­sance à titre béné­vole. Hoff­mann avait été l’un des trois juges sur cinq (Lords juristes) à voter en faveur de l’annulation d’une déci­sion de la Haute Cour qui confir­mait l’immunité de Pino­chet contre les pour­suites judi­ciaires en rai­son de son sta­tut de chef d’État au moment de ses crimes. Dans un geste sans pré­cé­dent, le ver­dict de la Chambre des Lords contre Pino­chet (impli­quant Hoff­mann) a été annu­lé par cinq juges et n’a été recon­fir­mé qu’un an plus tard, la plu­part des accu­sa­tions por­tées contre Pino­chet ayant été inva­li­dées par d’importantes réserves.

Les Lords juristes, diri­gés par Lord Browne-Wil­­kin­­son, ont déve­lop­pé des argu­ments qui exi­ge­raient abso­lu­ment qu’Arbuthnot se récuse dans l’affaire Assange. Aupa­ra­vant, pour qu’un juge soit auto­ma­ti­que­ment dis­qua­li­fié d’une affaire, il fal­lait qu’il ait un inté­rêt finan­cier dans son issue. La déci­sion de Lord Browne-Wil­­kin­­son a éten­du le prin­cipe de la dis­qua­li­fi­ca­tion auto­ma­tique aux caté­go­ries beau­coup plus larges d’«intérêts » non finan­ciers ou de sou­tien à des « causes ».

Le ver­dict d’annulation a accep­té l’affirmation de Pino­chet selon laquelle le droit à un pro­cès équi­table lui avait été refu­sé en ver­tu de l’article 6 de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme, qui sti­pule que « tout juge pour lequel il y aurait rai­son légi­time de craindre un manque d’impartialité doit se retirer ».

Les dénon­cia­tions d’Hoffmann ont été bru­tales. Le Guar­dian a rap­por­té le 16 jan­vier 1999 que cinq Lords juristes avaient « cri­ti­qué Lord Hoff­mann pour avoir bafoué le prin­cipe fon­da­men­tal selon lequel “la jus­tice ne doit pas seule­ment être ren­due, mais doit être vue comme telle”. Cette cri­tique dévas­ta­trice a jeté le doute sur l’avenir de Lord Hoff­mann en tant que Lord juriste ».

Le Guar­dian pour­suit : « Les juges accusent Lord Hoff­mann d’avoir igno­ré un prin­cipe judi­ciaire de base appris par chaque étu­diant en pre­mière année de droit. La règle est si bien connue, a décla­ré Lord Hope, qu’aucun tri­bu­nal civil du Royaume-Uni n’a vu son juge­ment annu­lé pour une vio­la­tion de cette règle au cours de ce siècle… “Les juges sont bien conscients qu’ils ne devraient pas sié­ger dans une affaire dans laquelle ils ont le moindre inté­rêt per­son­nel, que ce soit comme défen­deur ou comme pro­cu­reur”, a décla­ré Lord Hope. »

« Lord Hut­ton a dit que la confiance du public dans l’intégrité de l’administration de la jus­tice serait ébran­lée si le vote déci­sif de Lord Hoff­mann selon lequel le géné­ral Pino­chet pour­rait être pour­sui­vi était maintenu. »

En jan­vier 2000, le ministre de l’Intérieur du gou­ver­ne­ment tra­vailliste de Blair, Jack Straw, est inter­ve­nu pour pro­té­ger le meur­trier de masse, en annu­lant la déci­sion de la Chambre des Lords et insis­tant pour que les pro­cé­dures d’extradition soient sus­pen­dues en rai­son de la mau­vaise san­té pré­su­mée de Pino­chet. Pino­chet est reve­nu au Chi­li le 3 mars, atter­ris­sant à l’aéroport de San­tia­go où il s’est levé de son fau­teuil rou­lant aux accla­ma­tions de ses par­ti­sans fascisants.

De toute évi­dence, « l’impartialité judi­ciaire » signi­fie une chose lorsqu’il s’agit de défendre un dic­ta­teur bru­tal et allié de longue date de l’impérialisme amé­ri­cain et bri­tan­nique. C’en est une autre quand il s’agit de per­sé­cu­ter un jour­na­liste de renom­mée mon­diale qui a dénon­cé les crimes de la classe dirigeante.

Du point vue de l’impérialisme, le scalp d’Assange est abso­lu­ment néces­saire pour pour­suivre ses guerres de conquête de style colo­nial et la guerre mon­diale contre les droits sociaux et démo­cra­tiques de la classe ouvrière. Pour le faire taire à jamais, non seule­ment le pou­voir judi­ciaire, mais aus­si l’appareil d’État tout entier et ses défen­seurs dans les médias se débar­rassent de toute pré­ten­tion démo­cra­tique et libérale.

Le Par­ti de l’é­ga­li­té socia­liste sou­tient les reven­di­ca­tions des par­ti­sans d’As­sange qui demandent à Arbuth­not de se récu­ser. Mais nous lan­çons l’avertissement que la seule force capable de libé­rer Assange est la classe ouvrière inter­na­tio­nale mobi­li­sée dans une lutte poli­tique col­lec­tive contre la classe diri­geante et son appa­reil judiciaire.

(Article paru en anglais le 11 juillet 2019)

Source : WSWS juillet 2019

https://​www​.wsws​.org/​f​r​/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​2​0​1​9​/​0​7​/​1​2​/​a​r​b​u​–​j​1​2​.​h​tml

Mon com­men­taire :

Cette enquête sur les gra­vis­simes conflits d’in­té­rêts des juges en train de mar­ty­ri­ser Assange en toute impu­ni­té est consternante.

1) Wiki­leaks ou RSF ou WSWS ne pour­­raient-ils pas enquê­ter et publier le cv com­plet (avec pho­to et adresse) de la juge Vanes­sa Barait­ser, pour faire connaître aux citoyens les conflits d’in­té­rêts et rai­sons per­son­nelles d’être aus­si par­tiale et injuste de ce « juge » stalinien ?

2) Cette totale impu­ni­té d’une injus­tice criante pousse à réflé­chir en amont aux ins­ti­tu­tions mêmes de la justice.

Nous n’a­vons pas de constitution.

À l’é­vi­dence, la sépa­ra­tion des pou­voirs ne suf­fit pas pour garan­tir les Droits de l’Homme ! il faut ins­ti­tuer UN POUVOIR POPULAIRE au-des­­sus de TOUS les pouvoirs.

Ce pou­voir popu­laire s’exer­ce­rait à tra­vers des Chambres de contrôle, tirées au sort et for­mées pour bien jouer leur rôle, dédiées à chaque pou­voir : Chambre de contrôle des juges, Chambre de contrôle des forces armées, Chambre de contrôle des élus, Chambre de contrôle des banques, Chambre de contrôle de l’in­for­ma­tion (médias, ins­ti­tuts de son­dages et de sta­tis­tiques, infor­ma­tion sur le pro­ces­sus élec­to­ral), etc.

La for­ma­tion des magis­trats et leur indé­pen­dance doit abso­lu­ment être recon­si­dé­rée par leurs vic­times, les citoyens qui les paient pour rendre la Justice.

SEULS les citoyens eux-mêmes (direc­te­ment) sont LÉGITIMES (et APTES) à écrire puis défendre une vraie consti­tu­tion (digne de ce nom).

Voi­là un beau sujet pour vos pro­chains ate­liers consti­tuants per­son­nels : le pou­voir judi­ciaire, nomi­na­tion et contrôle des magistrats.

#FreeAs­sange
#Grè­ve­Gé­né­ra­le­Cons­ti­tuante

Étienne.

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :
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[Procès stalinien de Moscou à Londres, suite] Compte-rendu du Procès Assange, 3eme jour (26 fév 2020), par Craig Murray

[Pro­cès sta­li­nien de Mos­cou à Londres, suite]
Compte-ren­­du du Pro­cès Assange, 3eme jour
Craig MURRAY

Julian Assange Prison de Belmarsh 24 février 2020
pho­to : illus­tra­tion par la rédac­tion du Grand Soir (source indéterminée)

Lors de la pro­cé­dure d’hier au tri­bu­nal, l’accusation a adop­té des argu­ments si caté­go­riques et appa­rem­ment dérai­son­nables que je me suis deman­dé com­ment les rédi­ger d’une manière qui ne semble pas être une cari­ca­ture ou une exa­gé­ra­tion injuste de ma part. Ce à quoi on assiste dans ce tri­bu­nal a depuis long­temps dépas­sé le stade de la cari­ca­ture. Tout ce que je peux faire, c’est vous don­ner l’assurance per­son­nelle que ce que je raconte est conforme à la réalité.

Comme d’habitude, je trai­te­rai d’abord des ques­tions de pro­cé­dure et du trai­te­ment réser­vé à Julian, avant d’exposer clai­re­ment les argu­ments juri­diques avancés.

Vanes­sa Barait­ser a pour ins­truc­tion claire de faire sem­blant d’être inquiète en deman­dant, vers la fin de chaque séance, juste avant la pause de toute façon, si Julian se sent bien et s’il sou­haite une pause. Elle ignore alors sys­té­ma­ti­que­ment sa réponse. Hier, il a répon­du assez lon­gue­ment qu’il n’entendait pas bien dans sa boîte de verre et qu’il ne pou­vait pas com­mu­ni­quer avec ses avo­cats (à un cer­tain moment hier, ils avaient com­men­cé à l’empêcher de pas­ser des notes à son avo­cat, ce qui, j’apprends, a été le contexte de la pré­ven­tion agres­sive de sa poi­gnée de main d’adieu à Garzon).

Barait­ser a insis­té sur le fait qu’il ne pou­vait être enten­du que par ses avo­cats, ce qui, étant don­né qu’on l’avait empê­ché de leur don­ner des ins­truc­tions, était plu­tôt osé de sa part. Ceci dit, nous avons eu un ajour­ne­ment de dix minutes pen­dant que Julian et son avo­cat étaient auto­ri­sés à par­ler dans les cel­lules – pro­ba­ble­ment là où ils pour­raient être à nou­veau mis sur écoute de façon plus pratique.

Au retour, Edward Fitz­ge­rald a fait une demande for­melle pour que Julian soit auto­ri­sé à s’asseoir à côté de ses avo­cats dans la cour. Julian était « un homme doux et intel­lec­tuel » et non un ter­ro­riste. Barait­ser répon­dit que la libé­ra­tion d’Assange du banc des accu­sés dans le corps du tri­bu­nal signi­fie­rait qu’il était libre. Pour y par­ve­nir, il fau­drait deman­der une mise en liber­té sous caution.

Une fois de plus, l’avocat de l’accusation James Lewis est inter­ve­nu du côté de la défense pour ten­ter de rendre le trai­te­ment de Julian moins extrême. Il n’était pas, a‑t‑il sug­gé­ré avec réti­cence, tout à fait cer­tain qu’il était exact de devoir deman­der une libé­ra­tion sous cau­tion pour que Julian puisse s’asseoir dans la salle du tri­bu­nal, ou que le fait d’être dans la salle du tri­bu­nal et enca­dré d’agents de sécu­ri­té signi­fiait qu’un pri­son­nier n’était plus en déten­tion. Les pri­son­niers, même les plus dan­ge­reux des ter­ro­ristes, ont témoi­gné depuis la barre des témoins dans la salle du tri­bu­nal aux avo­cats et aux magis­trats. Au sein de la Haute Cour, les pri­son­niers s’asseyaient fré­quem­ment avec leurs avo­cats lors des audiences d’extradition, dans les cas extrêmes de cri­mi­nels vio­lents menot­tés à un agent de sécurité.

Barait­ser a répon­du qu’Assange pou­vait repré­sen­ter un dan­ger pour le public. Il s’agit d’une ques­tion de san­té et de sécu­ri­té. Com­ment Fitz­ge­rald et Lewis pen­­saient-ils qu’elle avait la capa­ci­té d’effectuer l’évaluation des risques néces­saire ? Il fau­drait que le groupe 4 décide si cela est possible.

Oui, elle a vrai­ment dit cela. Le groupe 4 devrait décider.

Barait­ser s’est mis à balan­cer du jar­gon comme un Dalek deve­nu incon­trô­lable. L’« éva­lua­tion des risques » et la « san­té et la sécu­ri­té » ont beau­coup fait par­ler d’eux. Elle a com­men­cé à res­sem­bler à quelque chose de pire qu’un Dalek, un fonc­tion­naire local par­ti­cu­liè­re­ment stu­pide et de très mau­vaise qua­li­té. « Pas de juri­dic­tion » – « Jusqu’au groupe 4 ». Se res­sai­sis­sant un peu, elle a affir­mé fer­me­ment que la remise en déten­tion ne peut signi­fier que la remise au banc des accu­sés, nulle part ailleurs dans la salle. Si la défense vou­lait qu’il soit dans la salle d’audience où il pour­rait mieux entendre la pro­cé­dure, elle ne pour­rait que deman­der la mise en liber­té sous cau­tion et sa libé­ra­tion de déten­tion en géné­ral. Elle a alors regar­dé les deux avo­cats dans l’espoir que cela les aurait fait s’asseoir, mais tous deux sont res­tés debout.

Dans sa manière réser­vée (qui, je l’avoue, com­mence à me taper sur le sys­tème), Lewis a décla­ré : « l’accusation est neutre sur cette demande, bien sûr, mais, euh, je ne pense vrai­ment pas que ce soit juste ». Il la regar­dait comme un oncle bien­veillant dont la nièce pré­fé­rée vient de com­men­cer à boire de la tequi­la à la bou­teille lors d’une fête de famille.

Barait­ser a conclu l’affaire en décla­rant que la défense devrait sou­mettre des argu­ments écrits sur ce point avant 10 heures demain matin, et qu’elle tien­drait alors une audience sépa­rée sur la ques­tion de la posi­tion de Julian au tribunal.

La jour­née avait com­men­cé avec un Magis­trat Barait­ser très en colère s’adressant à la gale­rie publique. Hier, a‑t‑elle dit, une pho­to avait été prise à l’intérieur de la salle d’audience. Prendre ou ten­ter de prendre des pho­tos à l’intérieur de la salle d’audience est un délit. Vanes­sa Barait­ser parais­sait à ce moment avoir très envie d’incarcérer quelqu’un. Elle sem­blait éga­le­ment, dans sa colère, faire l’hypothèse non fon­dée que celui qui avait pris la pho­to depuis la gale­rie publique mar­di était encore pré­sent mer­cre­di ; je pense que non. Être en colère contre le public au hasard doit être très stres­sant pour elle. Je soup­çonne qu’elle crie beau­coup dans les trains.

Mme Barait­ser n’aime pas les pho­tos – elle semble être la seule per­son­na­li­té publique en Europe occi­den­tale à ne pas avoir de pho­to d’elle sur Inter­net. En effet, n’importe quel pékin a lais­sé plus de preuves de son exis­tence et de son his­toire sur inter­net que Vanes­sa Barait­ser. Ce qui n’est pas un crime de sa part, mais je soup­çonne qu’un tel effa­ce­ment ne se fait pas sans un effort consi­dé­rable. [Ndt – Cela demande effec­ti­ve­ment soit un tra­vail consi­dé­rable soit une atten­tion de tous les ins­tants et de longue date] Quelqu’un m’a sug­gé­ré qu’elle pour­rait être un holo­gramme, mais je ne pense pas. Les holo­grammes ont plus d’empathie qu’elle.

J’ai été amu­sé par l’infraction pénale consis­tant à ten­ter de prendre des pho­tos dans la salle d’audience. Dans quelle mesure fau­­drait-il être incom­pé­tent pour ten­ter de prendre une pho­to et ne pas le faire ? Et si aucune pho­to n’a été prise, com­ment prou­ver que vous avez ten­té d’en prendre une, plu­tôt que d’envoyer un SMS à votre mère ? Je sup­pose que « ten­ter de prendre une pho­to » est un crime qui pour­rait attra­per quelqu’un arri­vant avec un grand appa­reil pho­to reflex, un tré­pied et plu­sieurs lampes d’éclairage, mais aucun ne semble avoir réus­si à se glis­ser dans la gale­rie publique.

Barait­ser n’a pas pré­ci­sé si la publi­ca­tion d’une pho­to­gra­phie prise dans une salle d’audience (ou même la ten­ta­tive de publier une pho­to­gra­phie prise dans une salle d’audience) consti­tuait un délit. Je pense que c’est le cas. Quoi qu’il en soit, Le Grand Soir a publié une tra­duc­tion de mon rap­port hier, et vous pou­vez y voir une pho­to de Julian dans sa cage anti­ter­ro­riste en verre pare-balles. Et je m’empresse d’ajouter qu’elle n’a pas été prise par moi. [et la Rédac­tion du Grand Soir s’empresse d’ajouter que cette pho­to ne nous a pas été four­nie par M. Mur­ray ni par les ser­vices de ren­sei­gne­ments russes et qu’elle cir­cule par-ci par-là sur l’internet]

Nous en arri­vons main­te­nant à l’examen des argu­ments juri­diques d’hier concer­nant la demande d’extradition elle-même. Heu­reu­se­ment, ils sont assez simples à résu­mer, car bien que nous ayons eu cinq heures de dis­cus­sions, elles ont consis­té en grande par­tie à ce que les deux par­ties s’affrontent en citant des dizaines d’« auto­ri­tés », par exemple des juges morts, pour faire valoir leur point de vue, et en répé­tant ain­si conti­nuel­le­ment les mêmes points sans grande valeur d’exégèse des innom­brables citations.

Comme l’a pré­fi­gu­ré hier le magis­trat Barait­ser, le minis­tère public sou­tient que l’article 4.1 du trai­té d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis n’a pas force de loi.

Les gou­ver­ne­ments bri­tan­nique et amé­ri­cain affirment que la Cour applique le droit natio­nal, et non le droit inter­na­tio­nal, et que le trai­té n’a donc aucune valeur. Cet argu­ment a été pré­sen­té à la Cour sous forme d’un écrit auquel je n’ai pas accès. Mais d’après les dis­cus­sions au tri­bu­nal, il est clair que le minis­tère public sou­tient que la loi sur l’extradition de 2003, en ver­tu de laquelle le tri­bu­nal fonc­tionne, ne fait pas d’exception pour les infrac­tions poli­tiques. Toutes les lois d’extradition pré­cé­dentes avaient exclu l’extradition pour des délits poli­tiques, il doit donc être dans l’intention du par­le­ment sou­ve­rain que les délin­quants poli­tiques puissent désor­mais être extradés.

En ouvrant son argu­men­ta­tion, Edward Fitz­ge­rald a fait valoir que la loi sur l’extradition de 2003 ne suf­fit pas à elle seule pour pro­cé­der à une véri­table extra­di­tion. L’extradition néces­site la mise en place de deux élé­ments : la loi géné­rale sur l’extradition et le trai­té d’extradition avec le ou les pays concer­nés. « Pas de trai­té, pas d’extradition » était une règle invio­lable. Le trai­té était la base même de la demande. Dire que l’extradition n’était pas régie par les termes du trai­té même en ver­tu duquel elle a été faite, c’était créer une absur­di­té juri­dique et donc un abus de pro­cé­dure. Il a cité des exemples de juge­ments ren­dus par la Chambre des Lords et le Pri­vy Coun­cil où les droits issus du trai­té ont été jugés exé­cu­toires mal­gré leur absence dans la légis­la­tion natio­nale, notam­ment pour empê­cher que des per­sonnes soient extra­dées vers une exé­cu­tion poten­tielle dans les colo­nies britanniques.

Fitz­ge­rald a sou­li­gné que si la loi sur l’extradition de 2003 ne contient pas d’interdiction d’extradition pour des délits poli­tiques, elle ne pré­cise pas qu’une telle inter­dic­tion ne peut pas figu­rer dans les trai­tés d’extradition. Et le trai­té d’extradition de 2007 a été rati­fié après la loi d’extradition de 2003.

A ce stade, Barait­ser l’a inter­rom­pu pour dire qu’il était clair que l’intention du Par­le­ment était qu’il puisse y avoir une extra­di­tion pour des délits poli­tiques. Sinon, il n’aurait pas sup­pri­mé l’obstacle dans la légis­la­tion pré­cé­dente. Fitz­ge­rald a refu­sé de céder, affir­mant que la loi ne disait pas que l’extradition pour des délits poli­tiques ne pou­vait pas être inter­dite par le trai­té auto­ri­sant l’extradition.

Fitz­ge­rald a pour­sui­vi en disant que la juris­pru­dence inter­na­tio­nale avait accep­té pen­dant un siècle ou plus que l’on n’extrade pas les délin­quants poli­tiques. C’est pré­ci­sé dans La Conven­tion euro­péenne d’extradition, le modèle de trai­té d’extradition des Nations unies et la Conven­tion d’Interpol sur l’extradition. C’est pré­ci­sé dans cha­cun des trai­tés d’extradition conclus par les États-Unis avec d’autres pays, et ce depuis plus d’un siècle, sur l’insistance des États-Unis. Le fait que les gou­ver­ne­ments bri­tan­nique et amé­ri­cain disent qu’il ne s’applique pas est éton­nant et crée­rait un ter­rible pré­cé­dent qui met­trait en dan­ger les dis­si­dents et les pri­son­niers poli­tiques poten­tiels de Chine, de Rus­sie et de régimes du monde entier qui se sont échap­pés vers des pays tiers.

Fitz­ge­rald a décla­ré que toutes les grandes auto­ri­tés étaient d’accord sur le fait qu’il y avait deux types de délits poli­tiques. Le délit poli­tique pur et le délit poli­tique rela­tif. Un délit poli­tique « pur » a été défi­ni comme la tra­hi­son, l’espionnage ou la sédi­tion. Un délit poli­tique « rela­tif » est un acte nor­ma­le­ment cri­mi­nel, comme l’agression ou le van­da­lisme, com­mis avec un motif poli­tique. Cha­cune des accu­sa­tions por­tées contre Assange était un délit poli­tique « pur ». Toutes sauf une étaient des accu­sa­tions d’espionnage, et l’accusation de pira­tage infor­ma­tique avait été com­pa­rée par l’accusation à la vio­la­tion de la loi sur les secrets offi­ciels pour répondre au cri­tère de double incri­mi­na­tion. L’accusation pri­mor­diale selon laquelle Assange cher­chait à nuire aux inté­rêts poli­tiques et mili­taires des États-Unis est la défi­ni­tion même d’un délit poli­tique selon toutes les autorités.

En réponse, Lewis décla­ra qu’un trai­té ne pou­vait pas être contrai­gnant en droit anglais à moins d’être spé­ci­fi­que­ment incor­po­ré dans le droit anglais par le Par­le­ment. Il s’agissait là d’une défense démo­cra­tique néces­saire. Les trai­tés étaient conclus par l’exécutif qui ne pou­vait pas faire la loi. Cela rele­vait de la sou­ve­rai­ne­té du Par­le­ment. Lewis a cité de nom­breux juge­ments décla­rant que les trai­tés inter­na­tio­naux signés et rati­fiés par le Royaume-Uni ne pou­vaient pas être appli­qués par les tri­bu­naux bri­tan­niques. « Les autres pays pour­raient être sur­pris que leurs trai­tés avec le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique n’aient aucune force juri­dique », a‑t‑il plaisanté.

Lewis a décla­ré qu’il n’y avait pas d’abus de pro­cé­dure ici et qu’aucun droit n’était donc invo­qué au titre de la Conven­tion euro­péenne. C’était le fonc­tion­ne­ment nor­mal de la loi que la dis­po­si­tion du trai­té sur la non extra­di­tion pour des délits poli­tiques n’avait pas de valeur juridique.

Selon M. Lewis, le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain conteste que les infrac­tions com­mises par Assange soient poli­tiques. Au Royaume-Uni, en Aus­tra­lie et aux États-Unis, la défi­ni­tion du délit poli­tique est dif­fé­rente de celle du reste du monde. Nous avons consi­dé­ré que les infrac­tions poli­tiques « pures » que sont la tra­hi­son, l’espionnage et la sédi­tion n’étaient pas des infrac­tions poli­tiques. Seules les infrac­tions poli­tiques « rela­tives » – des crimes ordi­naires com­mis avec un motif poli­tique – étaient consi­dé­rées comme des infrac­tions poli­tiques dans notre tra­di­tion. Dans cette tra­di­tion, la défi­ni­tion du terme « poli­tique » se limi­tait éga­le­ment au sou­tien d’un par­ti poli­tique concur­rent dans un État. Lewis pour­sui­vra demain avec cet argument.

Voi­là qui conclut mon compte ren­du de la pro­cé­dure. J’ai un com­men­taire impor­tant à faire à ce sujet et j’essaierai de faire un autre article plus tard dans la jour­née. Je me pré­ci­pite main­te­nant au tribunal.

Avec mes remer­cie­ments à ceux qui ont fait des dons ou qui se sont abon­nés pour rendre ce repor­tage possible.

Cet article est entiè­re­ment libre de repro­duc­tion et de publi­ca­tion, y com­pris en tra­duc­tion, et j’espère vive­ment que les gens le feront acti­ve­ment. La véri­té nous ren­dra libres.

Craig Mur­ray

Tra­duc­tion « quoi ma pho­to ? qu’est-ce qu’elle a ma pho­to ? » par VD pour le Grand Soir avec pro­ba­ble­ment toutes les fautes et coquilles habituelles

Source : Vik­tor Dedaj, Le Grand Soir,
https://​www​.legrand​soir​.info/​c​o​m​p​t​e​–​r​e​n​d​u​–​d​u​–​p​r​o​c​e​s​–​a​s​s​a​n​g​e​–​3​e​m​e​–​j​o​u​r​.​h​tml

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[Pire que les procès de Moscou : les procès de Londres et de Washington] Compte-rendu du Procès Assange, 2eme jour

Compte-rendu du Procès Assange, 2eme jour

Par Craig MURRAY

Cet après-midi, l’avocat espa­gnol de Julian, Bal­ta­sar Gar­zon, a quit­té le tri­bu­nal pour retour­ner à Madrid. En sor­tant, il s’est natu­rel­le­ment arrê­té pour ser­rer la main de son client, en fai­sant pas­ser ses doigts par l’étroite fente de la cage de verre pare-balles. Assange, à moi­tié debout, a pris la main de son avo­cat. Les deux gardes de sécu­ri­té dans la cage avec Assange se sont immé­dia­te­ment levés, met­tant la main sur Julian et le for­çant à s’asseoir, empê­chant la poi­gnée de main.

Ce n’était pas le pire aujourd’hui, loin de là, mais c’est une image frap­pante de la force brute insen­sée uti­li­sée conti­nuel­le­ment contre un homme accu­sé de publier des docu­ments. Le fait qu’un homme ne puisse même pas ser­rer la main de son avo­cat est contraire à l’esprit dans lequel les membres du sys­tème juri­dique aiment à faire sem­blant de pra­ti­quer le droit. Je vous offre ce moment éton­nant comme un résu­mé des évé­ne­ments d’hier au tribunal.

Le deuxième jour, la pro­cé­dure avait com­men­cé par une décla­ra­tion d’Edward Fitz­ge­rald, avo­cat d’Assange, qui nous a bru­ta­le­ment secoué. Il a décla­ré qu’hier, le pre­mier jour du pro­cès, Julian avait été désha­billé et fouillé à deux reprises, menot­té à onze reprises et enfer­mé cinq fois dans dif­fé­rentes cel­lules de déten­tion. De plus, tous les docu­ments judi­ciaires lui ont été reti­rés par les auto­ri­tés de la pri­son, y com­pris les com­mu­ni­ca­tions pri­vi­lé­giées entre ses avo­cats et lui-même, et il n’a pas pu se pré­pa­rer à par­ti­ci­per au pro­cès d’aujourd’hui.

La magis­trate Barait­ser a regar­dé Fitz­ge­rald et a décla­ré, d’une voix empreinte de dédain, qu’il avait déjà sou­le­vé de telles ques­tions aupa­ra­vant et qu’elle lui avait tou­jours répon­du qu’elle n’avait aucune com­pé­tence sur le domaine de la pri­son. Il devrait en par­ler avec les auto­ri­tés de la pri­son. Fitz­ge­rald res­ta sur ses posi­tions, ce qui lui valut un air très ren­fro­gné de la part de Barait­ser, et lui répon­dit qu’il allait bien sûr recom­men­cer, mais que ce com­por­te­ment répé­té des auto­ri­tés péni­ten­tiaires mena­çait la capa­ci­té de la défense à se pré­pa­rer. Il a ajou­té que, quelle que soit la juri­dic­tion, il était d’usage, selon son expé­rience, que les magis­trats et les juges trans­mettent leurs com­men­taires et leurs demandes à l’administration péni­ten­tiaire lorsque le dérou­le­ment du pro­cès en était affec­té, et que nor­ma­le­ment les pri­sons prê­taient une oreille sympathique.

Barait­ser a nié caté­go­ri­que­ment toute connais­sance d’une telle pra­tique et a décla­ré que Fitz­ge­rald devrait lui pré­sen­ter des argu­ments écrits expo­sant la juris­pru­dence en matière de com­pé­tence sur les condi­tions de déten­tion. C’en était trop même pour l’avocat de l’accusation James Lewis, qui s’est levé pour dire que l’accusation vou­drait aus­si qu’Assange ait une audience équi­table, et qu’il pou­vait confir­mer que ce que la défense sug­gé­rait était une pra­tique nor­male. Même alors, Barait­ser refu­sait tou­jours d’intervenir auprès de la pri­son. Elle a décla­ré que si les condi­tions car­cé­rales étaient si mau­vaises qu’elles ren­daient impos­sible un pro­cès équi­table, la défense devrait pré­sen­ter une motion de rejet des accu­sa­tions pour ce motif. Dans le cas contraire, elle devrait lais­ser tomber.

L’accusation et la défense ont toutes deux sem­blé sur­prises par l’affirmation de Barait­ser selon laquelle elle n’avait pas enten­du par­ler de ce qu’elles qua­li­fiaient toutes deux de pra­tique cou­rante. Lewis a peut-être été sin­cè­re­ment pré­oc­cu­pé par la des­crip­tion cho­quante du trai­te­ment de la pri­son d’Assange hier ; ou il a peut-être juste eu des alarmes qui se sont déclen­chées dans sa tête en criant « annu­la­tion du pro­cès ». Mais le résul­tat net est que Barait­ser ne fera rien pour empê­cher les abus phy­siques et men­taux de Julian en pri­son, ni pour essayer de lui don­ner la pos­si­bi­li­té de par­ti­ci­per à sa défense. La seule expli­ca­tion réa­liste qui me vienne à l’esprit est que Barait­ser a été pré­ve­nue, car ce mau­vais trai­te­ment conti­nu et la confis­ca­tion de docu­ments relèvent de la haute auto­ri­té du gouvernement.

Un der­nier petit inci­dent à rela­ter : après avoir fait la queue à nou­veau dès les pre­mières heures, j’étais dans la der­nière file d’attente avant l’entrée de la gale­rie publique, lorsque le nom de Kris­tin Hrnaf­sson, rédac­teur en chef de Wiki­leaks, avec qui j’étais en train de par­ler, a été pro­non­cé. Kris­tin s’est iden­ti­fié, et le fonc­tion­naire du tri­bu­nal lui a dit qu’il lui était inter­dit d’entrer dans la gale­rie publique.

J’étais avec Kris­tin pen­dant toute la pro­cé­dure la veille, et il n’avait rien fait de mal – c’est un homme plu­tôt calme. Lorsqu’il a été appe­lé, c’était par son nom et par son titre pro­fes­sion­nel – ils inter­di­saient spé­ci­fi­que­ment le rédac­teur en chef de Wiki­leaks de par­ti­ci­per au pro­cès. Kris­tin a deman­dé pour­quoi et on lui a répon­du que c’était une déci­sion de la Cour.
À ce stade, John Ship­ton, le père de Julian, a annon­cé que dans ce cas, les membres de la famille allaient tous par­tir aus­si, et ils l’ont fait, en sor­tant du bâti­ment. Ils ont alors com­men­cé, avec d’autres, à twee­ter la nou­velle du départ de la famille. Cela a sem­blé cau­ser une cer­taine conster­na­tion par­mi les fonc­tion­naires du tri­bu­nal, et quinze minutes plus tard, Kris­tin a été réad­mise. Nous ne savons tou­jours pas ce qui se cache der­rière tout cela. Plus tard dans la jour­née, les jour­na­listes ont été infor­més par les fonc­tion­naires que c’était sim­ple­ment pour avoir res­quillé, mais cela semble impro­bable car il a été ren­voyé par le per­son­nel qui l’a appe­lé par son nom et son titre, plu­tôt que de l’avoir repé­ré comme un resquilleur.

Aucune de ces infor­ma­tions ne concerne l’affaire offi­cielle. Tout ce qui pré­cède vous en dit plus sur la nature dra­co­nienne du simu­lacre de pro­cès poli­tique qui se déroule que sur la mas­ca­rade qui se déroule dans la salle du tri­bu­nal. Il y a eu des moments aujourd’hui où j’ai été hap­pé par l’argumentaire judi­ciaire et où sus­pen­du aux levres comme on peut l’etre au théâtre, et où j’ai com­men­cé à pen­ser « Wow, cette affaire se passe bien pour Assange ». Puis un évé­ne­ment tel que ceux rela­tés ci-des­­sus se pro­duit, une froi­deur s’empare de votre cœur, et vous vous sou­ve­nez qu’il n’y a pas de jury a convaincre. Je crois que rien de ce qui sera dit ou prou­vé dans la salle d’audience aura un impact sur le ver­dict final de ce tribunal.

Pas­sons donc à la pro­cé­dure pro­pre­ment dite.

Pour la défense, Mark Sum­mers a décla­ré que les accu­sa­tions des États-Unis dépen­daient entiè­re­ment de trois accu­sa­tions fac­tuelles de com­por­te­ment d’Assange :

1) Assange a aidé Man­ning à déco­der une clé de cryp­tage pour accé­der à du maté­riel classifié.

Sum­mers a décla­ré qu’il s’agissait d’une allé­ga­tion fausse prou­vée lors de la cour mar­tiale de Manning.

2) Assange a sol­li­ci­té le maté­riel auprès de Manning

M. Sum­mers a décla­ré que les infor­ma­tions publiques prou­vaient que cela était faux

3) Assis­ter a sciem­ment mis des vies en danger

M. Sum­mers a décla­ré qu’il était prou­vé que cela était faux, tant à par­tir d’informations acces­sibles au public qu’en rai­son de l’implication spé­ci­fique du gou­ver­ne­ment américain.

En résu­mé, M. Sum­mers a décla­ré que le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain savait que les allé­ga­tions for­mu­lées étaient fausses quant aux faits et qu’il était prou­vé qu’elles avaient été for­mu­lées de mau­vaise foi. Il s’agit donc d’un abus de pro­cé­dure qui devrait conduire au rejet de la demande d’extradition. Il a décrit les trois chefs d’accusation ci-des­­sus comme « de la fou­taise, de la fou­taise et de la foutaise ».

Sum­mers a ensuite pas­sé en revue les faits. Il a décla­ré que les accu­sa­tions des États-Unis divisent en trois caté­go­ries les docu­ments divul­gués par Man­ning à Wiki­leaks qui sont :

a) Câbles diplo­ma­tiques
b) Les notes d’évaluation des déte­nus de Guan­ta­na­mo
c) Règles d’engagement pour la guerre en Irak
d) Jour­naux de guerre afghans et irakiens

Les Sum­mers ont ensuite métho­di­que­ment pas­sé en revue les points a), b), c) et d) en les reliant cha­cun à leur tour aux com­por­te­ments allé­gués 1), 2) et 3), en douze expli­ca­tions et démons­tra­tions en tout. Ce compte ren­du exhaus­tif a pris envi­ron quatre heures et je ne ten­te­rai pas de le repro­duire ici. Je vais plu­tôt en don­ner les grandes lignes, mais je me réfé­re­rai occa­sion­nel­le­ment au numé­ro du com­por­te­ment allé­gué et/ou à la lettre de l’allégation. J’espère que vous sui­vrez cette méthode – il m’a fal­lu un cer­tain temps pour le faire !

Pour 1) Sum­mers a démon­tré de façon concluante que Man­ning avait accès à chaque maté­riel a) b) c) d) four­ni à Wiki­leaks sans avoir besoin d’un code d’Assange, et qu’il avait cet accès avant même de contac­ter Assange. Man­ning n’avait pas non plus besoin d’un code pour dis­si­mu­ler son iden­ti­té comme l’alléguait l’accusation – la base de don­nées des ana­lystes du ren­sei­gne­ment à laquelle Man­ning pou­vait accé­der – comme des mil­liers d’autres – ne néces­si­tait pas de nom d’utilisateur ou de mot de passe pour y accé­der à par­tir d’un ordi­na­teur mili­taire pro­fes­sion­nel. Sum­mers a cité le témoi­gnage de plu­sieurs offi­ciers de la cour mar­tiale de Man­ning pour le confir­mer. Le fait de cas­ser le code d’administration du sys­tème ne don­ne­rait pas non plus à Man­ning l’accès à d’autres bases de don­nées clas­si­fiées. Sum­mers a cité le témoi­gnage de la cour mar­tiale de Man­ning, où cela avait été accep­té, selon lequel la rai­son pour laquelle Man­ning vou­lait accé­der à l’administration des sys­tèmes était de per­mettre aux sol­dats de mettre leurs jeux vidéo et leurs films sur les ordi­na­teurs por­tables du gou­ver­ne­ment, ce qui en fait se pro­dui­sait fréquemment.

Le magis­trat Barait­ser a pro­cé­dé à deux reprises à des inter­rup­tions impor­tantes. Elle a fait remar­quer que si Chel­sea Man­ning ne savait pas qu’elle ne pou­vait pas être tra­cée comme l’utilisateur qui avait télé­char­gé les bases de don­nées, elle aurait pu par igno­rance deman­der l’aide d’Assange pour cra­cker un code afin de dis­si­mu­ler son iden­ti­té ; même si elle n’avait pas besoin de le faire, l’aide d’Assange consti­tue­rait une infraction.

Sum­mers a sou­li­gné que Mme Man­ning savait qu’elle n’avait pas besoin de nom d’utilisateur et de mot de passe, car elle avait en fait accé­dé à tous les docu­ments sans en avoir. Barait­ser a répon­du que cela ne consti­tuait pas une preuve qu’elle savait qu’elle ne pou­vait pas être pis­tée. Sum­mers a décla­ré qu’il n’était pas logique de sou­te­nir qu’elle cher­chait un code pour dis­si­mu­ler son nom d’utilisateur et son mot de passe, alors qu’il n’y avait pas de nom d’utilisateur et de mot de passe. Barait­ser a répon­du à nou­veau qu’il ne pou­vait pas le prou­ver. C’est à ce moment que Sum­mers est deve­nu quelque peu irri­table avec Barait­ser, et a énu­mé­ré de nou­veau les preuves pré­sen­tées à la cour martiale.

Barait­ser a éga­le­ment fait remar­quer que même si Assange aidait Man­ning à cra­quer un code d’administrateur, même si cela ne lui per­met­tait pas d’accéder à d’autres bases de don­nées, il s’agissait tou­jours d’une uti­li­sa­tion non auto­ri­sée et cela consti­tue­rait le crime de com­pli­ci­té d’utilisation abu­sive d’un ordi­na­teur, même si dans un but innocent.

Après une brève pause, Barait­ser est reve­nue avec quelques bien bonnes. Elle a dit à Sum­mers qu’il avait pré­sen­té les conclu­sions de la cour mar­tiale amé­ri­caine de Chel­sea Man­ning comme des faits. Mais elle n’était pas d’accord avec le fait que son tri­bu­nal devait consi­dé­rer les preuves pré­sen­tées devant une cour mar­tiale amé­ri­caine, même les preuves agréées ou non contes­tées ou les preuves de l’accusation, comme des faits. Sum­mers a répon­du que les preuves conve­nues ou les preuves à charge devant la cour mar­tiale amé­ri­caine étaient clai­re­ment consi­dé­rées comme des faits par le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain, et que la ques­tion était de savoir si le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain lan­cait de fausses accu­sa­tions en toute connais­sance de cause. Barait­ser a décla­ré qu’elle revien­drait sur ce point une fois les témoins entendus.

Barait­ser ne cher­chait pas à dis­si­mu­ler son hos­ti­li­té envers l’argument de la défense, et sem­blait irri­tée qu’ils aient eu la témé­ri­té de le for­mu­ler. Cela paru évident lors de la dis­cus­sion sur le point c), les règles d’engagement de la guerre en Irak. Sum­mers a fait valoir que celles-ci n’avaient pas été sol­li­ci­tées auprès de Man­ning, mais qu’elles avaient plu­tôt été four­nies par Man­ning dans un dos­sier d’accompagnement avec la vidéo Col­la­te­ral Mur­der qui mon­trait le meurtre d’enfants et de jour­na­listes de Reu­ters. L’objectif de Man­ning, comme elle l’a décla­ré lors de sa cour mar­tiale, était de mon­trer que les actions visibles dans Col­la­te­ral Mur­der vio­laient les règles d’engagement, même si le minis­tère de la défense affir­mait le contraire. Sum­mers a décla­ré qu’en n’incluant pas ce contexte, la demande d’extradition amé­ri­caine ten­tait déli­bé­ré­ment de trom­per car elle ne men­tion­nait même pas du tout la vidéo Col­la­te­ral Murder.

À ce stade, Barait­ser ne pou­vait pas dis­si­mu­ler son mépris. (…) Ceci une cita­tion littérale :

« Sug­­gé­­rez-vous, M. Sum­mers, que les auto­ri­tés, le gou­ver­ne­ment, devraient four­nir le contexte de leurs accusations ? »

Un Sum­mers infa­ti­gable a répon­du par l’affirmative et a ensuite mon­tré où la Cour suprême l’avait dit dans d’autres affaires d’extradition. Barait­ser sem­blait tota­le­ment per­due devant l’idée qu’on pou­vait pré­tendre faire une dis­tinc­tion entre le gou­ver­ne­ment et Dieu.

L’essentiel de l’argumentation de Sum­mers consis­tait à réfu­ter le com­por­te­ment 3), la mise en dan­ger de vies. Cela n’a été reven­di­qué qu’en rela­tion avec les élé­ments a) et d). Sum­mers a lon­gue­ment décrit les efforts déployés par Wiki­leaks avec ses par­te­naires média­tiques pen­dant plus d’un an pour mettre en place une cam­pagne de rédac­tion mas­sive sur les câbles. Il a expli­qué que les câbles non expur­gés n’ont été dis­po­nibles qu’après que Luke Har­ding et David Leigh du Guar­dian aient publié le mot de passe de l’archive en tête du cha­pitre XI de leur livre sur Wiki­leaks, publié en février 2011.

Per­sonne n’avait n’avait fait le rap­pro­che­ment avec le mot de passe jusqu’à ce que la publi­ca­tion alle­mande Die Frei­tag le fasse et annonce en aout 2011 qu’elle avait toutes les câbles non expur­gés. Sum­mers a ensuite pré­sen­té les argu­ments les plus per­cu­tants de la journée.

Le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain avait par­ti­ci­pé acti­ve­ment à l’exercice de rédac­tion des câbles. Ils savaient donc que les allé­ga­tions de publi­ca­tion impru­dente étaient fausses.

Une fois que Die Frei­tag a annon­cé qu’ils avaient les docu­ments non expur­gés, Julian Assange et Sara Har­ri­son ont immé­dia­te­ment télé­pho­né à la Mai­son Blanche, au Dépar­te­ment d’Etat et à l’Ambassade des Etats-Unis pour les aver­tir que les sources nom­mées pou­vaient être mises en dan­ger. Sum­mers a lu les trans­crip­tions des conver­sa­tions télé­pho­niques alors qu’Assange et Har­ri­son ten­taient de convaincre les res­pon­sables amé­ri­cains de l’urgence d’activer les pro­cé­dures de pro­tec­tion des sources – et ont expri­mé leur per­plexi­té face à l’obstruction des res­pon­sables. Ces preuves ont com­plè­te­ment miné le dos­sier du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain et ont prou­vé la mau­vaise foi en omet­tant des faits extrê­me­ment per­ti­nents. Ce fut un moment très frappant.

En ce qui concerne le même com­por­te­ment 3) sur les docu­ments d), Sum­mers a mon­tré que la cour mar­tiale de Man­ning avait admis que ces docu­ments ne contiennent pas de noms de sources en dan­ger, mais a mon­tré que Wiki­leaks avait de toute façon acti­vé un exer­cice de rédac­tion pour une approche « cein­ture et bre­telles ». La défense a dit bien plus.

Pour l’accusation, James Lewis a indi­qué qu’il répon­drait de manière appro­fon­die plus tard dans la pro­cé­dure, mais a sou­hai­té décla­rer que l’accusation n’accepte pas les preuves de la cour mar­tiale comme des faits, et en par­ti­cu­lier n’accepte aucun des témoi­gnages « égoïstes » de Chel­sea Man­ning, qu’il a dépeint comme un cri­mi­nel condam­né se pré­va­lant à tort de nobles motifs. L’accusation a géné­ra­le­ment reje­té toute idée selon laquelle cette cour devrait exa­mi­ner la véri­té ou les faits car ceux-ci ne pou­vaient être déci­dés que lors d’un pro­cès aux États-Unis.

Ensuite, pour conclure la pro­cé­dure, Barait­ser a lan­cé une bombe. Elle a décla­ré que bien que l’article 4.1 du trai­té d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni inter­dise les extra­di­tions poli­tiques, cela ne figure que dans le trai­té. Cette exemp­tion n’apparaît pas dans la loi bri­tan­nique sur l’extradition. À pre­mière vue, l’extradition poli­tique n’est donc pas illé­gale au Royaume-Uni, car le trai­té n’a pas de force juri­dique devant la Cour. Elle a invi­té la défense à abor­der cet argu­ment dans la mati­née.
Il est main­te­nant 6h35 et je suis en retard pour com­men­cer à faire la queue…

Avec nos remer­cie­ments à ceux qui ont fait des dons ou qui se sont ins­crits pour rendre ce repor­tage possible.

Cet article est entiè­re­ment libre de repro­duc­tion et de publi­ca­tion, y com­pris en tra­duc­tion, et j’espère vive­ment que les gens le feront acti­ve­ment. La véri­té nous ren­dra libres.

Craig Mur­ray

tra­duc­tion « avec une envie de ger­ber » par VD pour le Grand Soir avec pro­ba­ble­ment toutes les fautes et coquilles habituelles

Source : Le Grand Soir, Vik­tor Dedaj,
https://​www​.legrand​soir​.info/​c​o​m​p​t​e​–​r​e​n​d​u​–​d​u​–​p​r​o​c​e​s​–​a​s​s​a​n​g​e​–​2​e​m​e​–​j​o​u​r​.​h​tml

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10157944718602317&id=600922316

[IMPORTANT et révoltant. Naufrage de la justice anglaise. Procès truqué du journalisme] Compte-rendu du Procès Assange à Londres, 1er jour (lundi 24 fév 2020), par Craig MURRAY

JulianAssange Belmarsh 24 fevrier 2020Source : Vik­tor Dedaj, Le Grand Soir, https://​www​.legrand​soir​.info/​c​o​m​p​t​e​–​r​e​n​d​u​–​d​u​–​p​r​o​c​e​s​–​a​s​s​a​n​g​e​–​1​e​r​–​j​o​u​r​.​h​tml

Wool­wich Crown Court est conçu pour impo­ser le pou­voir de l’État. Les tri­bu­naux nor­maux de ce pays sont des bâti­ments publics, déli­bé­ré­ment pla­cés par nos ancêtres en plein centre-villes, presque tou­jours à proxi­mi­té d’une rue prin­ci­pale. Le but prin­ci­pal de leur posi­tion­ne­ment et de leur archi­tec­ture était de faci­li­ter l’accès au public, avec la convic­tion qu’il est vital que la jus­tice soit visible par le public.

Wool­wich Crown Court, qui accueille le Bel­marsh Magis­trates Court, est construit sur un prin­cipe tota­le­ment oppo­sé. Il n’a pas d’autre but que d’exclure le public. Rat­ta­ché à une pri­son située dans un marais balayé par les vents, loin de tout centre social nor­mal, une île acces­sible uni­que­ment en navi­guant dans un laby­rinthe de routes à double voie, tout l’emplacement et l’architecture du bâti­ment sont pen­sés pour décou­ra­ger l’accès au public. Il est entou­ré par la même bar­rière de palis­sage en acier extrê­me­ment résis­tant qui cein­ture la pri­son. C’est une chose extra­or­di­naire, un palais de jus­tice qui fait par­tie du sys­tème car­cé­ral lui-même, un lieu où l’on est déjà consi­dé­ré comme cou­pable et incar­cé­ré dès son arri­vée. Le Wool­wich Crown Court n’est rien d’autre que la néga­tion phy­sique de la pré­somp­tion d’innocence, l’incarnation même de l’injustice cou­lée dans du béton, de l’acier, et des vitres blin­dées. Il a pré­ci­sé­ment la même rela­tion à la jus­tice que Guan­ta­na­mo Bay ou la Lubyan­ka. Il n’est en réa­li­té que l’aile de condam­na­tions de la pri­son de Belmarsh.

Lorsqu’il s’est ren­sei­gné sur les pos­si­bi­li­tés de par­ti­ci­pa­tion du public à l’audience, un mili­tant d’Assange s’est fait dire par un membre du per­son­nel du tri­bu­nal que nous devrions nous rendre compte que Wool­wich est un « tri­bu­nal anti­ter­ro­riste ». C’est vrai de fac­to, mais en réa­li­té, un « tri­bu­nal anti­ter­ro­riste » est une ins­ti­tu­tion incon­nue de la consti­tu­tion bri­tan­nique. En effet, il suf­fit de pas­ser une seule jour­née pas­sée au tri­bu­nal de la Cou­ronne de Wool­wich pour se rendre à l’évidence que la démo­cra­tie libé­rale est désor­mais un mensonge.

Les audiences d’extradition ne se tiennent pas à la Magis­trates Court de Bel­marsh, au sein de la Wool­wich Crown Court. Elles ont tou­jours lieu à la Magis­trates Court de West­mins­ter, car la demande est répu­tée avoir été remise au gou­ver­ne­ment à West­mins­ter. A vous de tirer les conclu­sions. Cette audience se tient à la West­mins­ter Magis­trates Court. Elle est tenue par les magis­trats de West­mins­ter et le per­son­nel de la cour de West­mins­ter, mais elle se déroule à la Magis­trates Court de Bel­marsh, à l’intérieur de la Crown Court de Wool­wich. Cette étrange convo­lu­tion a pré­ci­sé­ment pour but de leur per­mettre d’utiliser la « cour anti­ter­ro­riste » pour limi­ter l’accès au public et impo­ser la peur du pou­voir de l’État.

L’une des consé­quences est que, dans la salle d’audience elle-même, Julian Assange est confi­né au fond du tri­bu­nal der­rière un écran de verre pare-balles. Il a fait remar­quer à plu­sieurs reprises au cours de la pro­cé­dure qu’il lui était ain­si très dif­fi­cile de voir et d’entendre les débats. La magis­trate, Vanes­sa Barait­ser, a choi­si d’interpréter cela, avec une mal­hon­nê­te­té étu­diée, comme un pro­blème dû au très faible bruit des mani­fes­tants à l’extérieur (160 gilets jaunes venus de France dans la nuit], par oppo­si­tion à un pro­blème cau­sé par le fait qu’Assange est enfer­mé à l’écart dans une énorme boîte de verre pare-balles.

Or, il n’y a aucune rai­son pour qu’Assange se trouve dans cette boîte, conçue pour conte­nir des ter­ro­ristes extrê­me­ment vio­lents phy­si­que­ment. Il pour­rait sié­ger, comme le ferait nor­ma­le­ment un accu­sé à une audience, au sein du tri­bu­nal à côté de ses avo­cats. Mais la lâche et vicieuse Barait­ser a refu­sé les demandes répé­tées et per­sis­tantes de la défense pour qu’Assange soit auto­ri­sé à s’asseoir avec ses avo­cats. Barait­ser n’est bien sûr qu’une marion­nette, étant super­vi­sée par la magis­trate en chef Lady Arbuth­not, une femme tel­le­ment imbri­quée dans l’establishment des ser­vices de défense et de sécu­ri­té que son impli­ca­tion dans cette affaire ne pour­rait être plus corrompue.

Peu importe à Barait­ser ou Arbuth­not s’il est vrai­ment néces­saire d’incarcérer Assange dans une cage pare-balles, ou si cela l’empêche de suivre la pro­cé­dure judi­ciaire. L’intention de Barait­ser est d’humilier Assange, et de nous ins­pi­rer de l’horreur face à l’énorme pou­voir d’écrasement de l’État. La force inexo­rable de l’aile des condam­na­tions de la cau­che­mar­desque pri­son de Bel­marsh doit être affir­mée. Si vous êtes ici, c’est que vous êtes coupable.

C’est la Lubyan­ka. Vous ne pou­vez être qu’un pri­son­nier en déten­tion pré­ven­tive. Il ne peut s’agir que d’une audience, pas d’un pro­cès. Vous pou­vez n’avoir aucun anté­cé­dent de vio­lence et ne pas être accu­sé de vio­lence. Vous pou­vez avoir trois des plus émi­nents psy­chiatres du pays qui sou­mettent des rap­ports sur vos anté­cé­dents de dépres­sion cli­nique sévère et qui aver­tissent d’un risque de sui­cide. Mais moi, Vanes­sa Barait­ser, je vais quand même vous enfer­mer dans une boîte conçue pour le plus violent des ter­ro­ristes. Pour mon­trer ce que nous pou­vons faire aux dis­si­dents. Et si vous ne pou­vez pas suivre les pro­cé­dures judi­ciaires, tant mieux.

Vous accep­te­rez peut-être mieux ce que je dis de la Cour si je vous dis que, pour une audience sui­vie dans le monde entier, ils ont déci­dé de la tenir dans une salle d’audience qui a un nombre total de seize sièges dis­po­nibles pour les membres du public. 16. Pour être sûr d’avoir l’une de ces seize places et de pou­voir être votre témoin, je me suis pré­sen­té à l’extérieur de cette grande clô­ture de fer cade­nas­sée, à faire la queue dans le froid, l’humidité et le vent dès 6 heures du matin. À 8 heures, la porte a été déver­rouillée et j’ai pu entrer dans la clô­ture pour faire une autre queue devant la salle d’audience, où, mal­gré le fait que des avis indiquent clai­re­ment que la cour est ouverte au public à 8 heures, j’ai dû faire la queue à l’extérieur du bâti­ment pen­dant encore une heure et qua­rante minutes. Ensuite, j’ai dû pas­ser par des sas blin­dés, une sécu­ri­té de type aéro­port, et faire de nou­veau la queue der­rière deux autres portes ver­rouillées, avant d’arriver enfin à mon siège au moment où le tri­bu­nal com­men­çait à 10 heures. À ce stade, nous aurions dû être com­plè­te­ment inti­mi­dés, sans par­ler du fait d’être trem­pés et de ris­quer l’hypothermie.

Il y avait une entrée sépa­rée pour les médias et une salle de presse avec retrans­mis­sion en direct des débats dans la salle d’audience, et il y avait tel­le­ment de médias que j’ai pen­sé pou­voir me détendre et ne pas m’inquiéter car les faits le plus élé­men­taire allaient être lar­ge­ment dif­fu­sés. Gros­sière erreur. J’ai sui­vi les argu­ments très atten­ti­ve­ment à chaque minute de la jour­née, et pas un seul des faits et argu­ments les plus impor­tants aujourd’hui n’a été rap­por­té dans les médias grand public. C’est une affir­ma­tion auda­cieuse, mais je crains qu’elle ne soit par­fai­te­ment vraie. J’ai donc beau­coup de tra­vail à faire pour que le monde sache ce qui s’est réel­le­ment pas­sé. Le simple fait d’être un témoin hon­nête est sou­dain extrê­me­ment impor­tant, alors que l’ensemble des médias ont aban­don­né ce rôle.

James Lewis a fait la décla­ra­tion d’ouverture pour l’accusation. Elle était com­po­sée de deux par­ties, aus­si extra­or­di­naires l’une que l’autre. La pre­mière par­tie, la plus longue, était vrai­ment remar­quable car elle ne conte­nait aucun argu­ment juri­dique et s’adressait non pas au magis­trat mais aux médias. Il n’était pas seule­ment évident que c’était à eux que ses remarques étaient des­ti­nées, il a en fait décla­ré à deux reprises au cours de sa décla­ra­tion d’ouverture qu’il s’adressait aux médias, une fois en répé­tant une phrase et en disant spé­ci­fi­que­ment qu’il la répé­tait à nou­veau parce qu’il était impor­tant que les médias comprennent.

Je suis fran­che­ment éton­né que Barait­ser ait per­mis cela. Il est tout à fait inad­mis­sible qu’un avo­cat adresse des remarques non pas à la cour mais aux médias, et il ne pour­rait y avoir de preuve plus claire qu’il s’agit d’un pro­cès poli­tique à grand spec­tacle et que Barait­ser en est com­plice. Je n’ai pas le moindre doute que la défense aurait été arrê­tée très rapi­de­ment si elle avait com­men­cé à adres­ser des remarques aux médias. Barait­ser ne pré­tend nul­le­ment être autre chose qu’une marion­nette de la Cou­ronne, et par exten­sion du gou­ver­ne­ment américain.

Les points que Lewis sou­hai­tait faire connaître aux médias étaient les sui­vants : il n’est pas vrai que les grands médias comme le Guar­dian et le New York Times sont éga­le­ment mena­cés par les accu­sa­tions por­tées contre Assange, car ce der­nier n’était pas accu­sé d’avoir publié les câbles, mais seule­ment d’avoir publié les noms des infor­ma­teurs, et d’avoir encou­ra­gé Man­ning et de l’avoir aidée à ten­ter de pira­ter les ordi­na­teurs. Seul Assange avait fait ces choses, et non les grands médias.

Lewis a ensuite lu une série d’articles des grands médias atta­quant Assange, comme preuve que les médias et Assange n’étaient pas dans le même bateau. Pen­dant toute une heure, l’accusation s’est adres­sée aux médias pour ten­ter de creu­ser un fos­sé entre les médias et Wiki­leaks et ain­si réduire leur sou­tien à Assange. Il s’agissait d’un dis­cours poli­tique, et non d’une simple sou­mis­sion juri­dique. En même temps, l’accusation avait pré­pa­ré des copies de cette par­tie de l’intervention de Lewis, qui ont été dis­tri­buées aux médias et trans­mises élec­tro­ni­que­ment pour qu’ils puissent les copier-coller.

Après un ajour­ne­ment, la magis­trate Barait­ser a inter­ro­gé l’accusation sur la véra­ci­té de cer­taines de ces affir­ma­tions. En par­ti­cu­lier, l’affirmation selon laquelle les jour­naux ne se trou­vaient pas dans la même situa­tion parce qu’Assange était accu­sé non pas de publier, mais d’avoir « aidé et encou­ra­gé » Chel­sea Man­ning à obte­nir le maté­riel, ne sem­blait pas cohé­rente avec la lec­ture que fai­sait Lewis de la loi de 1989 sur les secrets offi­ciels, selon laquelle le simple fait d’obtenir et de publier un secret gou­ver­ne­men­tal consti­tue une infrac­tion. Cela signi­fiait cer­tai­ne­ment, selon Barait­ser, que les jour­naux qui se contentent de publier les fuites de Man­ning seraient aus­si cou­pables d’un délit.

Lewis a paru com­plè­te­ment pris au dépour­vu. La der­nière chose à laquelle il s’attendait, c’était la pers­pi­ca­ci­té de Barait­ser, dont le tra­vail consis­tait sim­ple­ment à faire ce qu’il disait [dont la mis­sion conve­nue était seule­ment de lui obéir. ÉC]. Lewis a grom­me­lé, bafouillé, enle­vé et remis ses lunettes plu­sieurs fois, ajus­té son micro­phone à plu­sieurs reprises et a ramas­sé une suc­ces­sion de mor­ceaux de papier dans son dos­sier, cha­cun sem­blant le sur­prendre par son conte­nu, alors qu’il les agi­tait en l’air d’un air mal­heu­reux et disait qu’il aurait vrai­ment dû citer l’affaire Shay­ler mais qu’il ne la trou­vait pas. C’était comme regar­der un épi­sode (du feuille­ton) Colum­bo mais sans le charme et sans la ques­tion qui tue à la fin.

Sou­dain, Lewis a sem­blé prendre une déci­sion. Oui, a‑t‑il dit d’une voix beau­coup plus ferme. La loi de 1989 sur les secrets offi­ciels avait été intro­duite par le gou­ver­ne­ment That­cher après l’affaire Pon­ting, pré­ci­sé­ment pour éli­mi­ner la défense d’intérêt public et faire de la pos­ses­sion non auto­ri­sée d’un secret offi­ciel un crime de res­pon­sa­bi­li­té stricte – ce qui signi­fie que peu importe com­ment vous l’avez obte­nu, le fait de le publier et même de le pos­sé­der vous ren­dait cou­pable. Par consé­quent, en ver­tu du prin­cipe de la double incri­mi­na­tion, Assange était pas­sible d’extradition, qu’il ait ou non aidé et encou­ra­gé Man­ning. Lewis a ensuite ajou­té que tout jour­na­liste et toute publi­ca­tion qui publie­rait le secret offi­ciel com­met­trait donc éga­le­ment une infrac­tion, quelle que soit la manière dont il l’aurait obte­nu, qu’il ait ou non nom­mé des informateurs.

Lewis venait ain­si de contre­dire car­ré­ment toute sa décla­ra­tion d’ouverture aux médias en décla­rant qu’ils n’avaient pas à s’inquiéter puisque les accu­sa­tions d’Assange ne pou­vaient jamais leur être appli­quées. Et il l’a fait immé­dia­te­ment après l’ajournement, juste après que son équipe ait dis­tri­bué des copies de l’argumentation qu’il venait de contre­dire. Je ne peux pas croire qu’il soit sou­vent arri­vé au tri­bu­nal qu’un avo­cat che­vron­né se révèle de façon si évi­dente et si vite être un men­teur invé­té­ré et peu moti­vé. Ce fut sans aucun doute le moment le plus épous­tou­flant de l’audience d’aujourd’hui.

Pour­tant, il est remar­quable que je ne trouve nulle part dans les médias grand public la moindre men­tion de ce qui s’est pas­sé. Ce que je peux trou­ver, par­tout, c’est que les médias grand public rap­portent, par le biais du copier-col­­ler, la pre­mière par­tie de la décla­ra­tion de Lewis sur les rai­sons pour les­quelles l’accusation d’Assange ne consti­tue pas une menace pour la liber­té de la presse ; mais per­sonne ne semble avoir rap­por­té qu’il a tota­le­ment aban­don­né son propre argu­ment cinq minutes plus tard. Les jour­na­listes étaient-ils trop stu­pides pour com­prendre les échanges ?

L’explication est très simple. La cla­ri­fi­ca­tion pro­ve­nant d’une ques­tion que Barait­ser a posée à Lewis, il n’y a pas d’enregistrement impri­mé ou élec­tro­nique de la réponse de Lewis. Sa décla­ra­tion ori­gi­nale a été four­nie aux médias sous forme de copier-col­­ler. Sa contra­dic­tion exi­ge­rait qu’un jour­na­liste écoute ce qui a été dit au tri­bu­nal, le com­prenne et l’écrive. De nos jours, aucun pour­cen­tage signi­fi­ca­tif de jour­na­listes des médias grand public ne maî­trise cette capa­ci­té élé­men­taire. Le « jour­na­lisme » consiste à cou­per et col­ler uni­que­ment des sources approu­vées. Lewis aurait pu poi­gnar­der Assange à mort dans la salle d’audience, et cela n’aurait pas été rap­por­té à moins de figu­rer dans un com­mu­ni­qué de presse du gouvernement.

Je n’étais pas sûr de l’objectif de Barait­ser dans cette affaire. Il est clair qu’elle a très mal trai­té Lewis sur ce point, et sem­blait plu­tôt appré­cier de le faire. D’un autre côté, le point qu’elle a sou­le­vé n’est pas néces­sai­re­ment utile à la défense. Ce qu’elle a dit, c’est essen­tiel­le­ment que Julian pou­vait être extra­dé en ver­tu de la double incri­mi­na­tion, du point de vue bri­tan­nique, uni­que­ment pour avoir publié, qu’il ait ou non conspi­ré avec Chel­sea Man­ning, et que tous les jour­na­listes qui ont publié pou­vaient être incul­pés éga­le­ment. Mais ce point est cer­tai­ne­ment si extrême qu’il serait for­cé­ment inva­lide en ver­tu de la loi sur les droits de l’homme. A‑t‑elle pous­sé Lewis à for­mu­ler une posi­tion si extrême qu’elle serait inte­nable – en lui don­nant assez de corde pour se pendre – ou a‑t‑elle ali­men­té l’idée de non seule­ment extra­der Assange, mais aus­si de pour­suivre en masse les journalistes ?

La réac­tion d’un cer­tain groupe a été très inté­res­sante. Les quatre avo­cats du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain assis juste der­rière Lewis ont eu la grâce de paraître très mal à l’aise, car Lewis a décla­ré sans ambages que tout jour­na­liste et tout jour­nal ou média qui publiait ou même pos­sé­dait un secret gou­ver­ne­men­tal com­met­tait un délit grave. Toute leur stra­té­gie avait consis­té à faire sem­blant de dire le contraire.

Lewis est ensuite pas­sé à la conclu­sion des argu­ments de l’accusation. Le tri­bu­nal n’avait aucune déci­sion à prendre, a‑t‑il décla­ré. Assange doit être extra­dé. L’infraction répon­dait au cri­tère de la double incri­mi­na­tion puisqu’il s’agissait d’un délit à la fois aux États-Unis et au Royaume-Uni. La loi bri­tan­nique sur l’extradition inter­dit expres­sé­ment au tri­bu­nal de véri­fier s’il existe des preuves à l’appui des accu­sa­tions. S’il y avait eu, comme l’a fait valoir la défense, un abus de pro­cé­dure, le tri­bu­nal devait quand même pro­cé­der à l’extradition et exa­mi­ner l’abus de pro­cé­dure comme une affaire dis­tincte. (Cet argu­ment est par­ti­cu­liè­re­ment spé­cieux car il n’est pas pos­sible pour le tri­bu­nal d’engager une action contre le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain en rai­son de l’immunité sou­ve­raine, comme Lewis le sait bien). Enfin, Lewis a décla­ré que la loi sur les droits de l’homme et la liber­té d’expression n’étaient abso­lu­ment pas per­ti­nentes dans les pro­cé­dures d’extradition.

Edward Fitz­ge­rald s’est ensuite levé pour faire la décla­ra­tion d’ouverture pour la défense. Il a com­men­cé par décla­rer que le motif de l’accusation était entiè­re­ment poli­tique, et que les infrac­tions poli­tiques étaient spé­ci­fi­que­ment exclues en ver­tu de l’article 4.1 du trai­té d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Il a sou­li­gné qu’au moment du pro­cès de Chel­sea Man­ning et de nou­veau en 2013, l’administration Oba­ma avait pris des déci­sions spé­ci­fiques de ne pas pour­suivre Assange pour les fuites de Man­ning. Cette déci­sion a été annu­lée par l’administration Trump pour des rai­sons entiè­re­ment politiques.

Concer­nant l’abus de pro­cé­dure, M. Fitz­ge­rald a fait réfé­rence aux preuves pré­sen­tées devant les tri­bu­naux pénaux espa­gnols selon les­quelles la CIA avait char­gé une socié­té de sécu­ri­té espa­gnole d’espionner Julian Assange à l’ambassade, et que cet espion­nage com­pre­nait spé­ci­fi­que­ment la sur­veillance des réunions pri­vi­lé­giées d’Assange avec ses avo­cats pour dis­cu­ter de son extra­di­tion. Que l’État qui demande l’extradition espionne les consul­ta­tions client-avo­­cat de l’accusé est en soi un motif de rejet de l’affaire. (Ce point est sans aucun doute vrai. Tout juge digne de ce nom rejet­te­rait som­mai­re­ment l’affaire pour cause d’espionnage scan­da­leux des avo­cats de la défense).

Fitz­ge­rald a pour­sui­vi en disant que la défense pré­sen­te­rait des preuves que la CIA a non seule­ment espion­né Assange et ses avo­cats, mais qu’elle a acti­ve­ment envi­sa­gé de l’enlever ou de l’empoisonner, et que cela mon­trait qu’il n’y avait aucun enga­ge­ment en faveur d’un véri­table État de droit dans cette affaire.

Fitz­ge­rald a décla­ré que l’accusation avait déli­bé­ré­ment défor­mé les faits, ce qui consti­tuait éga­le­ment un abus de pro­cé­dure. Il n’est pas vrai qu’il existe des preuves de pré­ju­dice cau­sé aux infor­ma­teurs, et le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain l’a confir­mé à d’autres occa­sions, par exemple lors du pro­cès de Chel­sea Man­ning. Il n’y a pas eu de com­plot pour pira­ter des ordi­na­teurs et Chel­sea Man­ning a été acquit­tée de cette accu­sa­tion devant la cour mar­tiale. Enfin, il est faux que Wiki­leaks soit à l’origine de la publi­ca­tion de noms d’informateurs, car d’autres orga­ni­sa­tions de médias l’avaient déjà fait avant.

Encore une fois, pour autant que je sache, si l’allégation amé­ri­caine de pré­ju­dice aux infor­ma­teurs a été lar­ge­ment dif­fu­sée, la réfu­ta­tion totale de la défense sur les faits et l’affirmation selon laquelle la fabri­ca­tion de faits équi­vaut à un abus de pro­cé­dure n’ont pas du tout été rapportées.

Fitz­ge­rald a enfin évo­qué les condi­tions de déten­tion aux États-Unis, l’impossibilité d’un pro­cès équi­table aux États-Unis et le fait que l’administration Trump a décla­ré que les res­sor­tis­sants étran­gers ne béné­fi­cie­ront pas des pro­tec­tions du pre­mier amen­de­ment, comme autant de rai­sons pour les­quelles l’extradition doit être refu­sée. Vous pou­vez lire toute la décla­ra­tion de la défense ci-des­­sous, mais à mon avis, le pas­sage le plus fort a por­té sur les rai­sons pour les­quelles il s’agit d’un pro­cès poli­tique, ce qui inter­dit l’extradition.

Aux fins de l’article 81(a), je dois ensuite abor­der la ques­tion de savoir com­ment cette pour­suite à moti­va­tion poli­tique satis­fait au cri­tère d’être diri­gée contre Julian Assange à cause de ses opi­nions poli­tiques. L’essence de ses opi­nions poli­tiques qui ont pro­vo­qué ces pour­suites sont résu­mées dans les rap­ports du pro­fes­seur Feld­stein [pièce 18], du pro­fes­seur Rogers [pièce 40], du pro­fes­seur Noam Chom­sky [pièce 39] et le pro­fes­seur Kopelman :

i. Il est l’un des prin­ci­paux par­ti­sans d’une socié­té ouverte et de la liber­té d’expression.

ii. Il est anti-guerre et anti-impérialiste.

iii. Il est un cham­pion de renom­mée mon­diale de la trans­pa­rence poli­tique et du droit du public à l’information sur des ques­tions impor­tantes – des ques­tions telles que la cor­rup­tion poli­tique, les crimes de guerre, la tor­ture et les mau­vais trai­te­ments des déte­nus à Guantanamo.

5.4 Ces croyances et ces actions le mettent inévi­ta­ble­ment en conflit avec des États puis­sants, y com­pris l’actuelle admi­nis­tra­tion amé­ri­caine, pour des rai­sons poli­tiques. Ce qui explique pour­quoi il a été dénon­cé comme ter­ro­riste et pour­quoi le pré­sident Trump a, par le pas­sé, récla­mé la peine de mort.

5.5 Mais je dois ajou­ter que ses révé­la­tions sont loin de se limi­ter aux méfaits des États-Unis. Il a dénon­cé la sur­veillance exer­cée par la Rus­sie et a publié des articles sur M. Assad en Syrie ; et on dit que les révé­la­tions de Wiki­Leaks sur la cor­rup­tion en Tuni­sie et la tor­ture en Égypte ont été le cata­ly­seur du prin­temps arabe lui-même.

5.6 Les États-Unis affirment qu’il n’est pas jour­na­liste. Mais vous trou­ve­rez un compte-ren­­du com­plet de son tra­vail dans le dos­sier M. Il est membre du syn­di­cat des jour­na­listes aus­tra­liens depuis 2009, il est membre de la NUJ et de la Fédé­ra­tion euro­péenne de jour­na­listes. Il a rem­por­té de nom­breux prix dans le domaine des médias, notam­ment la plus haute dis­tinc­tion pour les jour­na­listes aus­tra­liens. Son tra­vail a été recon­nu par The Éco­no­miste, Amnes­ty Inter­na­tio­nal et le Conseil de l’Europe. Il est le lau­réat du prix Mar­tha Gel­horn et a été nomi­né à plu­sieurs reprises pour le prix Nobel Prix de la paix, y com­pris l’année der­nière et cette année. Vous pou­vez voir qu’il a écrit des livres, des articles et des docu­men­taires. Il a eu des articles publiés dans le Guar­dian, le New York Times, le Washing­ton Post et le New Sta­tes­man, pour n’en citer que quelques-uns. Cer­taines des publi­ca­tions pour les­quelles l’extradition est deman­dée ont été évo­quées et invo­quées dans les tri­bu­naux du monde entier, y com­pris la Cour Suprême du Royaume-Uni et la Cour euro­péenne des droits de l’homme. En bref, il a défen­du la cause de la trans­pa­rence et la liber­té d’information dans le monde entier.

5.7. Le pro­fes­seur Noam Chom­sky s’exprime ain­si : – « en sou­te­nant cou­ra­geu­se­ment des opi­nions poli­tiques que la plu­part des per­sonnes déclarent par­ta­ger, il a ren­du un énorme ser­vice à tous ceux qui, dans le monde, ché­rissent les valeurs de la liber­té et la démo­cra­tie et qui réclament donc le droit de savoir ce que font leurs repré­sen­tants élus » [voir onglet 39, para­graphe 14].

L’impact posi­tif de Julian Assange sur le monde est donc indé­niable. L’hostilité qu’il a pro­vo­qué de la part de l’administration Trump est tout aus­si indéniable.

Le test juri­dique pour les « opi­nions politiques »

5.8. Je suis sûr que vous connais­sez les stan­dards en la matière, à savoir si une demande est faite en rai­son des opi­nions poli­tiques de l’accusé. Une approche large doit être adop­tée lors de l’application du test. Pour ce faire, nous nous appuyons sur l’affaire Re Asli­turk [2002] EWHC 2326 (auto­ri­tés char­gées des abus, onglet 11, para­graphes 25 – 26) qui éta­blit clai­re­ment qu’une approche aus­si large devrait être appli­quée au concept d’opinions poli­tiques. Et cela cou­vri­ra clai­re­ment les posi­tions idéo­lo­giques d’Assange. En outre, nous nous appuyons éga­le­ment sur des cas tels que Emi­lia Gomez contre SSHD [2000] INLR 549, onglet 43 du dos­sier infrac­tion poli­tique des auto­ri­tés. Celles-ci montrent que la notion d’« opi­nions poli­tiques » s’étend aux opi­nions poli­tiques impu­tées au citoyen par l’État qui le pour­suit. C’est pour­quoi la carac­té­ri­sa­tion de Julian Assange et Wiki­Leaks en tant qu’« agence de ren­sei­gne­ment hos­tile non éta­tique » par M. Pom­peo éta­blit clai­re­ment qu’il a été ciblé pour ses opi­nions poli­tiques. Tous les les experts dont vous avez les rap­ports montrent que Julian Assange a été pris pour cible en rai­son de la posi­tion poli­tique qui lui a été attri­buée par l’administration Trump – comme un enne­mi de l’Amérique qui doit tomber.

Demain, la défense pour­sui­vra. Je ne sais vrai­ment pas ce qui va se pas­ser car je me sens pour l’instant bien trop épui­sé pour être pré­sent dès 6 heures du matin et faire la queue pour entrer. Mais j’espère que d’une manière ou d’une autre, j’arriverai à rédi­ger un autre rap­port demain soir.

Je remer­cie vive­ment ceux qui ont fait des dons ou qui se sont ins­crits pour rendre ce rap­port possible.

Cet article est entiè­re­ment libre de repro­duc­tion et de publi­ca­tion, y com­pris en tra­duc­tion, et j’espère vive­ment que les gens le feront acti­ve­ment. La véri­té nous ren­dra libres.

Craig Mur­ray

Tra­duc­tion « avec plai­sir, M. Mur­ray » par VD pour le Grand Soir avec pro­ba­ble­ment toutes les fautes et coquilles habituelles

»» https://​www​.craig​mur​ray​.org​.uk/​a​r​c​h​i​v​e​s​/​2​0​2​0​/​0​2​/​y​o​u​r​–​m​a​n​–​i​n​–​t​h​e​–​p​u​b​lic…

Source : Vik­tor Dedaj, Le Grand Soir,
https://​www​.legrand​soir​.info/​c​o​m​p​t​e​–​r​e​n​d​u​–​d​u​–​p​r​o​c​e​s​–​a​s​s​a​n​g​e​–​1​e​r​–​j​o​u​r​.​h​tml

« Chapeau !» : le père de Julian Assange remercie ses soutiens français. On y retourne ce soir 😇

https://​fran​cais​.rt​.com/​f​r​a​n​c​e​/​7​1​4​9​7​–​l​e​–​p​e​r​e​–​d​e​–​j​u​l​i​a​n​–​a​s​s​a​n​g​e​–​r​e​m​e​r​c​i​e​–​s​e​s​–​s​o​u​t​i​e​n​s​–​f​r​a​n​c​a​i​s​/​a​m​p​?​_​_​t​w​i​t​t​e​r​_​i​m​p​r​e​s​s​i​o​n​=​t​r​u​e​t​rue

« Je pense qu’en France vous dites : « Cha­peau ! »», c’est par ces mots que le père de Julian Assange a tenu à remer­cier les Fran­çais, dont nombre de Gilets jaunes qui étaient venus mani­fes­ter sous les fenêtres de sa pri­son de Bel­marsh en janvier.

Inter­ro­gé à Paris le 20 février par le jour­na­liste de RT France Tho­mas Bon­net sur cette ques­tion, le père du lan­ceur d’a­lerte a expli­qué que son fils avait enten­du les cris des manifestants.

« L’autre jour, quand il y avait des Fran­çais devant la pri­son […] Julian m’a dit qu’il pou­vait entendre les mani­fes­tants depuis sa cel­lule. C’est très encou­ra­geant. La pri­son vous enlève votre indé­pen­dance et votre huma­ni­té. Cette huma­ni­té vous revient quand vous vous ren­dez compte que les gens à l’ex­té­rieur de la pri­son vous aime et vous sou­tiennent », a‑t‑il déclaré.

Et à John Ship­ton d’a­dres­ser un « Cha­peau !», en fran­çais aux Gilets jaunes ayant fait le dépla­ce­ment jus­qu’en Angle­terre pour sou­te­nir son fils.

Le père du lan­ceur d’a­lerte qui risque jus­qu’à 175 ans de pri­son aux Etats-Unis, était pré­sent en France avec d’autres défen­seurs de son fils pour faire un point sur sur sa situa­tion. Ses nou­veaux avo­cats fran­çais Eric Dupond-Moret­­ti et Antoine Vey, ont annon­cé sou­hai­ter ren­con­trer Emma­nuel Macron afin d’ob­te­nir l’a­sile poli­tique en France de Julian Assange.

Ce der­nier, âgé de 48 ans, est déte­nu dans la pri­son de haute-sécu­­ri­­té de Bel­marsh, au sud de Londres, depuis son arres­ta­tion en avril 2019 à l’am­bas­sade d’E­qua­teur où il était res­té cloî­tré pen­dant sept années. Outre-Manche, les sou­tiens de Julian Assange sont mobi­li­sés pour pous­ser le Pre­mier ministre bri­tan­nique à ne pas pro­cé­der à son extra­di­tion. Une grande mani­fes­ta­tion le same­di 22 février à cet effet a réuni plu­sieurs per­son­na­li­tés comme l’an­cien ministre grec des Finances Yanis Varou­fa­kis, l’ex-membre des Pink Floyd Roger Waters, le pro­duc­teur et musi­cien Brian Eno ou encore la créa­trice de mode Vivienne Westwood.

Source : RT, https://​fran​cais​.rt​.com/​f​r​a​n​c​e​/​7​1​4​9​7​–​l​e​–​p​e​r​e​–​d​e​–​j​u​l​i​a​n​–​a​s​s​a​n​g​e​–​r​e​m​e​r​c​i​e​–​s​e​s​–​s​o​u​t​i​e​n​s​–​f​r​a​n​c​a​i​s​/​a​m​p​?​_​_​t​w​i​t​t​e​r​_​i​m​p​r​e​s​s​i​o​n​=​t​rue

« Chapeau !» : le père de Julian Assange remercie ses soutiens français. On y retourne ce soir 😇


https://​fran​cais​.rt​.com/​f​r​a​n​c​e​/​7​1​4​9​7​–​l​e​–​p​e​r​e​–​d​e​–​j​u​l​i​a​n​–​a​s​s​a​n​g​e​–​r​e​m​e​r​c​i​e​–​s​e​s​–​s​o​u​t​i​e​n​s​–​f​r​a​n​c​a​i​s​/​a​m​p​?​_​_​t​w​i​t​t​e​r​_​i​m​p​r​e​s​s​i​o​n​=​t​r​u​e​t​rue
« Je pense qu’en France vous dites : « Cha­peau ! »», c’est par ces mots que le père de Julian Assange a tenu à remer­cier les Fran­çais, dont nombre de Gilets jaunes qui étaient venus mani­fes­ter sous les fenêtres de sa pri­son de Bel­marsh en janvier.
Inter­ro­gé à Paris le 20 février par le jour­na­liste de RT France Tho­mas Bon­net sur cette ques­tion, le père du lan­ceur d’a­lerte a expli­qué que son fils avait enten­du les cris des manifestants.

« L’autre jour, quand il y avait des Fran­çais devant la pri­son […] Julian m’a dit qu’il pou­vait entendre les mani­fes­tants depuis sa cel­lule. C’est très encou­ra­geant. La pri­son vous enlève votre indé­pen­dance et votre huma­ni­té. Cette huma­ni­té vous revient quand vous vous ren­dez compte que les gens à l’ex­té­rieur de la pri­son vous aime et vous sou­tiennent », a‑t‑il déclaré.
Et à John Ship­ton d’a­dres­ser un « Cha­peau !», en fran­çais aux Gilets jaunes ayant fait le dépla­ce­ment jus­qu’en Angle­terre pour sou­te­nir son fils.
Le père du lan­ceur d’a­lerte qui risque jus­qu’à 175 ans de pri­son aux Etats-Unis, était pré­sent en France avec d’autres défen­seurs de son fils pour faire un point sur sur sa situa­tion. Ses nou­veaux avo­cats fran­çais Eric Dupond-Moret­­ti et Antoine Vey, ont annon­cé sou­hai­ter ren­con­trer Emma­nuel Macron afin d’ob­te­nir l’a­sile poli­tique en France de Julian Assange.
Ce der­nier, âgé de 48 ans, est déte­nu dans la pri­son de haute-sécu­­ri­­té de Bel­marsh, au sud de Londres, depuis son arres­ta­tion en avril 2019 à l’am­bas­sade d’E­qua­teur où il était res­té cloî­tré pen­dant sept années. Outre-Manche, les sou­tiens de Julian Assange sont mobi­li­sés pour pous­ser le Pre­mier ministre bri­tan­nique à ne pas pro­cé­der à son extra­di­tion. Une grande mani­fes­ta­tion le same­di 22 février à cet effet a réuni plu­sieurs per­son­na­li­tés comme l’an­cien ministre grec des Finances Yanis Varou­fa­kis, l’ex-membre des Pink Floyd Roger Waters, le pro­duc­teur et musi­cien Brian Eno ou encore la créa­trice de mode Vivienne Westwood.
Source : RT, https://​fran​cais​.rt​.com/​f​r​a​n​c​e​/​7​1​4​9​7​–​l​e​–​p​e​r​e​–​d​e​–​j​u​l​i​a​n​–​a​s​s​a​n​g​e​–​r​e​m​e​r​c​i​e​–​s​e​s​–​s​o​u​t​i​e​n​s​–​f​r​a​n​c​a​i​s​/​a​m​p​?​_​_​t​w​i​t​t​e​r​_​i​m​p​r​e​s​s​i​o​n​=​t​rue

[RIC LOCAL NATIONAL] Des Gilets jaunes vont organiser un référendum national sur le projet de réforme des retraites

https://​fran​cais​.rt​.com/​f​r​a​n​c​e​/​7​1​4​7​3​–​g​i​l​e​t​s​–​j​a​u​n​e​s​–​v​o​n​t​–​o​r​g​a​n​i​s​e​r​–​r​e​f​e​r​e​n​d​u​m​–​n​a​t​i​o​n​a​l​–​p​r​o​j​e​t​–​r​e​f​o​r​m​e​–​r​e​t​r​a​i​tes

[Pas de démocratie politique sans DÉMOCRATIE ÉCONOMIQUE] Formidable Alain Supiot : Figures juridiques de la démocratie 19 : Essor et reflux de la démocratie économique

Chers amis,

Je me per­mets d’in­sis­ter : Alain Supiot est un pen­seur impor­tant, il va vous bou­le­ver­ser, il va ali­men­ter votre pen­sée, il va vous mon­trer des racines impor­tantes de notre huma­ni­té. Selon moi, un citoyen vigi­lant ne devrait pas rater Supiot.

Pour ma part, j’é­coute ces confé­rences en vélo, en grim­pant les petits che­mins des col­lines autour de ma mai­son, m’ar­rê­tant sans arrêt pour prendre fébri­le­ment des notes importantes 🙂

Je vous ai déjà (un peu) par­lé de son tra­vail sur la (redou­table) gou­ver­nance par les nombres (dépo­li­ti­sa­tion cri­mi­nelle de l’ac­tion publique, vou­lue à la fois par les scien­tistes sovié­tiques, hit­lé­riens et unio­neu­ro­péens), et sur l’al­lé­geance qui vient (sur le modèle féo­dal). Ces deux séries de pas­sion­nantes confé­rences sont reprises dans un livre impor­tant : « Du gou­ver­ne­ment par les lois à la gou­ver­nance par les nombres ».

Que je sache, il n’y a pas encore de livre publié pour retrans­crire la troi­sième série de confé­rences que je vou­drais ici vous signa­ler cha­leu­reu­se­ment ; elle s’ap­pelle « Figures juri­diques de la démo­cra­tie » (tou­jours sur France Culture, qu’il faut remer­cier pour son tra­vail de veille) : https://​www​.fran​ce​cul​ture​.fr/​e​m​i​s​s​i​o​n​s​/​s​e​r​i​e​s​/​f​i​g​u​r​e​s​–​j​u​r​i​d​i​q​u​e​s​–​d​e​–​l​a​–​d​e​m​o​c​r​a​tie

Je vous pro­pose d’en étu­dier un (ou deux) épi­sode à la fois, pour bien digé­rer – et com­men­ter ensemble – ce tra­vail impor­tant. Je repro­dui­rai ici, chaque fois, la syn­thèse, tou­jours très claire, pro­po­sée par Mer­ryl Mone­ghet­ti sur France Culture. 

En plus, je vais essayer de retrans­crire moi-même en com­men­taires (et je vous invite à m’ai­der) les pas­sages essen­tiels, à ne sur­tout pas rater.

Étienne.


Com­men­çons par le commencement :

19 Essor et reflux de la démocratie économique

Intro­duc­tion, par Mer­ryl Moneghetti :

Quels sont les liens étroits et anciens entre la face poli­tique et la face éco­no­mique de la démo­cra­tie ? s’in­ter­roge Alain Supiot. Com­ment la démo­cra­tie pose-t-elle la règle de la répar­ti­tion des richesses ? Com­ment le droit social peut-il être ancré dans une repré­sen­ta­tion par­ta­gée de la justice ?

William Gropper's "Construction of a Dam" (1939), is characteristic of much of the art of the 1930s, with workers seen in heroic poses, laboring in unison to complete a great public project.
William Grop­per’s « Construc­tion of a Dam » (1939), is cha­rac­te­ris­tic of much of the art of the 1930s, with wor­kers seen in heroic poses, labo­ring in uni­son to com­plete a great public pro­ject. Cré­dits : Wikicommons

Com­ment « le tra­vail indé­pen­dant pour tous », s’avère-t-il la base d’un régime démo­cra­tique, « que cha­cun puisse vivre, dans l’indépendance, du fruit de son tra­vail » ? demande encore le juriste Alain Supiot. Quels sont les dis­po­si­tifs en France, en Alle­magne et aux Etats-Unis qui ont pu expri­mer l’idée de démo­cra­tie éco­no­mique à l’âge indus­triel ? Com­ment cette démo­cra­tie éco­no­mique a‑t‑elle reflué sous l’effet du tour­nant néolibéral ?

La Grande Bre­tagne du Brexit, l’Italie et son étrange coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale, la France des gilets jaunes, mais aus­si la Suède et l’Allemagne, aux der­nières élec­tions de 2018, montrent tour à tour au fil des crises poli­tiques et éco­no­miques qui les touchent, com­bien nos vieilles démo­cra­ties sont bous­cu­lées par le doute, la colère sociale et l’angoisse.

À par­tir de l’analyse juri­dique, Alain Supiot, titu­laire de la chaire État social et mon­dia­li­sa­tion : ana­lyse juri­dique des soli­da­ri­tés,  observe de manière pri­vi­lé­giée les grandes muta­tions qui nous touchent.

Le juriste s’est notam­ment atta­ché dans les séries de cours que nous avons dif­fu­sés en 2017 et en 2018 aux effets du recul du gou­ver­ne­ment par les lois, consé­quence de la glo­ba­li­sa­tion et de la gou­ver­nance par les nombres, dans un monde contem­po­rain où tout est sou­mis, désor­mais ou presque, au « cal­cul d’utilité ». Nous avions vu que l’ordre juri­dique se trou­vait inféo­dé à l’ordre éco­no­mique et que de nou­veaux liens, des « nou­velles figures de l’allégeance » émer­geaient alors que l’Etat social s’effaçait…

Alain Supiot, membre de la Com­mis­sion mon­diale sur l’a­ve­nir du tra­vail, a débu­té en 2016 et sur deux ans, une grande réflexion autour des « Figures juri­diques de la démo­cra­tie éco­no­mique », que nous vous pro­po­sons en ce début d’an­née. Le juriste pré­cise en ouver­ture de sa nou­velle série :

« La démo­cra­tie éco­no­mique est enten­due (c’est une pre­mière défi­ni­tion !) comme l’ancrage du droit social dans une repré­sen­ta­tion par­ta­gée de la jus­tice. Si l’on admet  — dans le pro­lon­ge­ment des ana­lyses de Karl Pola­nyi — que les mar­chés sont « un élé­ment utile mais secon­daire dans une socié­té libre », le pro­blème qui se pose aujourd’hui est de « ré-encas­­trer » les mar­chés dans la socié­té et de ces­ser de réduire la vie humaine à la vie éco­no­mique, et la vie éco­no­mique à l’économie de mar­ché. Ceci sup­pose des dis­po­si­tifs juri­diques qui obligent à prendre en consi­dé­ra­tion l’expérience concrète de ceux qui travaillent. »

Face aux consé­quences désas­treuses de la crise de 1929, Fran­çois Mau­riac avait fait part à son frère dans une lettre de ses grandes inquié­tudes et de sa tris­tesse face à la jeu­nesse acca­blée par les maux de l’époque, en 1932 :

« Nous aurons été bien gâtés en com­pa­rai­son de nos enfants. […] Ce que nous obser­vons de tout près, dans notre famille, c’est l’anéantissement de la classe moyenne […]. Nos enfants seront des beso­gneux s’ils ne sont pas armés. Il faut apprendre à être à la fois heu­reux et pauvres. »

Cette angoisse du grand bour­geois, pro­prié­taire ter­rien a nour­ri la révolte de l’écrivain Mau­riac contre la poli­tique fis­cale du début des années trente et le poids des charges et fait naître le jour­na­liste enga­gé contre les injus­tices et la mon­tée des fascismes.

Comme le rap­pelle Alain Supiot, dans la grande série qui s’ouvre aujourd’hui,

« la pro­cla­ma­tion des droits éco­no­miques et sociaux a résul­té au XXème siècle de l’expérience his­to­rique des deux guerres mon­diales. La réfé­rence à cette expé­rience est expli­cite dans la Décla­ra­tion de Phi­la­del­phie de 1944 :

L’ex­pé­rience a plei­ne­ment démon­tré le bien-fon­­dé de la décla­ra­tion conte­nue dans la Consti­tu­tion de l’Or­ga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale du Tra­vail, et d’a­près laquelle une paix durable ne peut être éta­blie que sur la base de la jus­tice sociale »

Dans une pre­mière par­tie, Alain Supiot ana­lyse la « prise du pou­voir éco­no­mique par les mana­gers », qui « ont pri­vi­lé­gié l’investissement et la poli­tique sala­riale sur les inté­rêts des action­naires », pour favo­ri­ser la crois­sance des entre­prises, du New deal au tour­nant des années That­­cher-Rea­­gan, puis dans une deuxième par­tie, il revient sur les effets des­truc­teurs de ce qu’on appelle la Cor­po­rate gou­ver­nance, qui a condam­né les entre­prises au court-ter­­misme.

Et nous gagnons l’amphithéâtre du Col­lège de France, le 28 octobre 2016, pour le cours d’Alain Supiot, « Figures juri­diques de la démo­cra­tie éco­no­mique  » :


Bonus : Pré­sen­ta­tion de l’Ins­ti­tut d’é­tudes avan­cées Nantes dont Alain Supiot est le fon­da­teur en 2008 ; il en pré­side aujourd’­hui le comi­té stratégique.

Source : France Culture, https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/figures-juridiques-de-la-democratie-19-essor-et-reflux-de-la-democratie-economique‑0

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :

https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​7​9​3​3​2​4​2​9​7​7​317

[Ateliers constituants] HIDEUX MENSONGES DES ÉLUS SUR LES RETRAITES : proposition d’un POUVOIR POPULAIRE pour ÉVALUER LE RESPECT DES ENGAGEMENTS ET SANCTIONNER LES MENTEURS

Dans une consti­tu­tion digne de ce nom (écrite et défen­due par les citoyens eux-mêmes) serait ins­ti­tué UN POUVOIR POPULAIRE (en plus des pou­voirs légis­la­tif, exé­cu­tif, judi­ciaire, média­tique et moné­taire), incar­né par exemple dans des Chambres de contrôle des élus, tirées au sort, pour ÉVALUER LE RESPECT DES ENGAGEMENTS ET SANCTIONNER LES MENTEURS.

Un bon sujet de tra­vaux pra­tiques, bien d’ac­tua­li­té, pour vos pro­chains #Ate­liers­Cons­ti­tuants­Po­pu­laires 🙂

Faites-nous connaître ci-des­­sous vos pro­po­si­tions d’articles !

Étienne.


Macron Le Félon

Quel est le rôle législatif légitime des citoyens ? Audition du constitutionnaliste Dominique Rousseau à l’Assemblée sur l’art. 6 de la DDHC 1789

Mon com­men­taire :

Inté­res­sante for­mu­la­tion — quoique très timide à mon goût, du fait d’une sainte hor­reur (par­ta­gée par la plu­part des consti­tu­tion­na­listes, d’ailleurs) de « la démo­cra­tie directe », vue comme « LA catas­trophe » (sic) alors que « la démo­cra­tie directe », c’est sim­ple­ment… la démo­cra­tie 🙂 évi­dem­ment — de Domi­nique Rousseau,

MAIS, quoi qu’il en soit, 

N’OUBLIEZ PAS SURTOUT que ce qui compte essen­tiel­le­ment, ce n’est PAS QUI VOTE la consti­tu­tion, mais QUI L’ÉCRIT : jamais les élus n’ins­cri­ront eux-mêmes dans la consti­tu­tion le pou­voir réel d’un légis­la­teur concur­rent de leur propre pou­voir, jamais ; à cause du conflit d’in­té­rêts, dans lequel ils sont plon­gés jus­qu’au cou dans tout pro­ces­sus consti­tuant, for­cé­ment, méca­ni­que­ment, par défi­ni­tion. Ils ont tous un inté­rêt per­son­nel (puis­sant) à ne pas ins­ti­tuer la démocratie.

#CeNEst­Pa­sAux­Hom­me­sAu­Pou­voir­DÉ­cri­re­Les­Rè­gles­Du­Pou­voir

Ce qu’ou­blie de pen­ser Domi­nique Rous­seau, à mon avis, c’est la qua­li­té du pro­ces­sus consti­tuant, et donc la fai­sa­bi­li­té des prin­cipes dont il sou­haite sin­cè­re­ment l’ins­ti­tu­tion : Qui est légi­time et apte à écrire une consti­tu­tion digne de ce nom ? Les repré­sen­tants ou les repré­sen­tés ? Tout est là. L’ins­ti­tu­tion de la démo­cra­tie se joue là, précisément.

Aucune ins­ti­tu­tion réel­le­ment démo­cra­tique (le RIC en toutes matières, notam­ment) ne sera JAMAIS ins­ti­tuée par une assem­blée consti­tuante ÉLUE-par­­mi-des-can­­di­­dats. Jamais.

IL FAUT que nous deve­nions #Citoyens­Cons­ti­tuants.

Étienne.

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :
https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​7​9​2​1​6​9​9​2​5​2​317

John PILGER : Julian Assange doit être libéré, pas trahi

Julian Assange doit être libéré, pas trahi (Consortium News)

John PILGER

Le 24 février, lorsque Julian Assange entre­ra au tri­bu­nal de la Cou­ronne de Wool­wich, le véri­table jour­na­lisme sera le seul crime jugé.

Ce same­di, il y aura une marche de l’Australia House à Londres vers Par­lia­ment Square, le centre de la démo­cra­tie bri­tan­nique. Les gens por­te­ront des por­traits de l’éditeur et jour­na­liste aus­tra­lien Julian Assange qui, le 24 février, sera confron­té à un tri­bu­nal qui déci­de­ra s’il doit ou non être extra­dé vers les États-Unis où il sera comme un mort vivant.

Je connais bien l’Australia House. Étant moi-même Aus­tra­lien, j’y allais à mes débuts à Londres pour lire les jour­naux du pays. Ouverte par le roi George V il y a plus d’un siècle, son immen­si­té de marbre et de pierre, ses lustres et ses por­traits solen­nels, impor­tés d’Australie au moment où les sol­dats aus­tra­liens mou­raient dans le mas­sacre de la Pre­mière Guerre mon­diale, ont fait de cette mai­son un monu­ment de ser­vi­li­té impériale.

En tant que l’une des plus anciennes « mis­sions diplo­ma­tiques » du Royaume-Uni, cette relique de l’empire offre une siné­cure agréable aux hommes poli­tiques des Anti­podes : un « com­pa­gnon » récom­pen­sé ou un fau­teur de troubles exilé.

Connu sous le nom de Haut Com­mis­saire, l’équivalent d’un ambas­sa­deur, le béné­fi­ciaire actuel est George Bran­dis, qui, en tant que pro­cu­reur géné­ral, a ten­té d’édulcorer la loi aus­tra­lienne sur la dis­cri­mi­na­tion raciale et a approu­vé des raids contre des lan­ceurs d’alerte qui avaient révé­lé la véri­té sur l’espionnage illé­gal de l’Australie au Timor orien­tal lors des négo­cia­tions pour le par­tage du pétrole et du gaz de ce pays appauvri.

Cela a conduit à la pour­suite des lan­ceurs d’alerte Ber­nard Col­lae­ry et « Wit­ness K », sous de fausses accu­sa­tions. Comme Julian Assange, ils doivent être réduits au silence dans un pro­cès kaf­kaïen et mis en prison.

L’Australia House est le point de départ idéal pour la marche de samedi.

Au ser­vice du grand jeu

« J’avoue », écri­vait Lord Cur­zon, vice-roi de l’Inde, en 1898, « que les pays sont des pièces sur un échi­quier sur lequel se joue un grand jeu pour la domi­na­tion du monde ».

Nous, Aus­tra­liens, sommes au ser­vice du Grand Jeu depuis très long­temps. Ayant dévas­té notre peuple indi­gène lors d’une inva­sion et d’une guerre d’usure qui se pour­suit encore aujourd’hui, nous avons ver­sé le sang de nos maîtres impé­riaux en Chine, en Afrique, en Rus­sie, au Moyen-Orient, en Europe et en Asie. Aucune aven­ture impé­riale contre ceux avec qui nous n’avons pas de que­relle n’a échap­pé à notre dévouement.

Le men­songe a été un trait carac­té­ris­tique. Lorsque le Pre­mier ministre Robert Men­zies a envoyé des sol­dats aus­tra­liens au Viet­nam dans les années 1960, il les a décrits comme une équipe d’entraînement, envoyée à la demande du gou­ver­ne­ment assié­gé à Sai­gon. C’était un men­songe. Un haut fonc­tion­naire du minis­tère des affaires étran­gères a écrit secrè­te­ment que « bien que nous ayons sou­li­gné publi­que­ment le fait que notre aide a été don­née en réponse à une invi­ta­tion du gou­ver­ne­ment du Sud-Viet­­nam », l’ordre venait de Washington.

Deux ver­sions. Le men­songe pour nous, la véri­té pour eux. Jusqu’à quatre mil­lions de per­sonnes sont mortes dans la guerre du Vietnam.

Lorsque l’Indonésie a enva­hi le Timor orien­tal en 1975, l’ambassadeur aus­tra­lien, Richard Wool­cott, a secrè­te­ment exhor­té le gou­ver­ne­ment de Can­ber­ra à « agir de manière à mini­mi­ser l’impact public en Aus­tra­lie et à faire preuve de com­pré­hen­sion pri­vée envers l’Indonésie ». En d’autres termes, de men­tir. Il a fait allu­sion aux réserves de pétrole et de gaz de la mer de Timor qui, selon le ministre des affaires étran­gères Gareth Evans, valaient des « milliards ».

Dans le géno­cide qui a sui­vi, au moins 200 000 Timo­rais de l’Est sont morts. L’Australie a recon­nu, presque seule, la légi­ti­mi­té de l’occupation.

Lorsque le Pre­mier ministre John Howard a envoyé des forces spé­ciales aus­tra­liennes pour enva­hir l’Irak avec l’Amérique et la Grande-Bre­­tagne en 2003, il a – comme George W. Bush et Tony Blair – men­ti en disant que Sad­dam Hus­sein pos­sé­dait des armes de des­truc­tion mas­sive. Plus d’un mil­lion de per­sonnes sont mortes en Irak.

Wiki­Leaks n’a pas été le pre­mier à dénon­cer le modèle de men­songe cri­mi­nel dans les démo­cra­ties qui res­tent aus­si rapaces qu’au temps de Lord Cur­zon. La remar­quable orga­ni­sa­tion d’édition fon­dée par Julian Assange a réus­si à en appor­ter la preuve.

Les vrais men­songes exposés

Wiki­Leaks nous a infor­més sur la façon dont les guerres illé­gales sont fabri­quées, sur la façon dont les gou­ver­ne­ments sont ren­ver­sés et la vio­lence est uti­li­sée en notre nom, sur la façon dont nous sommes espion­nés via nos télé­phones et nos écrans. Les véri­tables men­songes des pré­si­dents, des ambas­sa­deurs, des can­di­dats poli­tiques, des géné­raux, des man­da­taires, des frau­deurs poli­tiques ont été révé­lés au grand jour. Un par un, ces aspi­rants empe­reurs ont réa­li­sé qu’ils étaient nus.

Il s’agit d’un ser­vice public sans pré­cé­dent ; c’est avant tout un jour­na­lisme authen­tique, dont la valeur peut être jugée par le degré d’apoplexie des cor­rom­pus et de leurs apologistes.

Par exemple, en 2016, Wiki­Leaks a publié les cour­riels divul­gués du direc­teur de cam­pagne d’Hillary Clin­ton, John Podes­ta, qui ont révé­lé un lien direct entre Clin­ton, la fon­da­tion qu’elle par­tage avec son mari et le finan­ce­ment du dji­ha­disme orga­ni­sé au Moyen-Orient – le terrorisme.

Un cour­riel a révé­lé que l’État isla­mique (ISIS) était finan­cé par les gou­ver­ne­ments d’Arabie Saou­dite et du Qatar, dont Clin­ton a accep­té d’énormes « dons ». De plus, en tant que secré­taire d’État amé­ri­caine, elle a approu­vé la plus grande vente d’armes au monde à ses bien­fai­teurs saou­diens, d’une valeur de plus de 80 mil­liards de dol­lars. Grâce à elle, les ventes d’armes amé­ri­caines au monde entier – des­ti­nées à des pays sinis­trés comme le Yémen – ont doublé.

Révé­lés par Wiki­Leaks et publiés dans le New York Times, les e‑mails de Podes­ta ont déclen­ché une cam­pagne viru­lente contre le rédac­teur en chef Julian Assange, sans preuves. Il était un « agent de la Rus­sie tra­vaillant à l’élection de Trump » ; le « Rus­sia­gate » absurde a sui­vi. Le fait que Wiki­Leaks ait éga­le­ment publié plus de 800 000 docu­ments sou­vent acca­blants en pro­ve­nance de Rus­sie a été ignoré.

En 2017, dans une émis­sion de l’Australian Broad­cas­ting Cor­po­ra­tion, Four Cor­ners, Clin­ton a été inter­viewée par Sarah Fer­gu­son, qui a com­men­cé : « Per­sonne ne pou­vait man­quer d’être ému par la dou­leur sur votre visage [au moment de l’investiture de Donald Trump] … Vous sou­­ve­­nez-vous de la dou­leur vis­cé­rale que vous avez ressentie ? »

Ayant éta­bli la souf­france vis­cé­rale de Clin­ton, le faus­saire Fer­gu­son a décrit « le rôle de la Rus­sie » et le « dom­mage que vous avez per­son­nel­le­ment subi » par Julian Assange.

Clin­ton a répon­du : « Il [Assange] est très clai­re­ment un outil des ser­vices de ren­sei­gne­ment russes. Et il a fait ce qu’ils lui demandaient ».

Fer­gu­son a décla­ré à Clin­ton : « Beau­coup de gens, y com­pris en Aus­tra­lie, pensent qu’Assange est un mar­tyr de la liber­té d’expression et de la liber­té d’information. Com­ment le décririez-vous ? »

Une fois de plus, Clin­ton a été auto­ri­sée à dif­fa­mer Assange – un « nihi­liste » au ser­vice des « dic­ta­teurs » – tan­dis que Fer­gu­son a assu­ré à son inter­lo­cu­teur qu’elle était « l’icône de votre génération ».

Il n’a pas été fait men­tion d’un docu­ment divul­gué par Wiki­Leaks, appe­lé Libya Tick Tock, pré­pa­ré pour Hil­la­ry Clin­ton, qui la décri­vait comme la figure cen­trale de la des­truc­tion de l’État libyen en 2011. Cela a pro­vo­qué 40 000 morts, l’arrivée de DAECH en Afrique du Nord et la crise des réfu­giés et des migrants européens.

Le seul crime jugé

Pour moi, cet épi­sode de l’interview de Clin­ton – et il y en a beau­coup d’autres – illustre de façon frap­pante la divi­sion entre le faux et le véri­table jour­na­lisme. Le 24 février, lorsque Julian Assange entre­ra au tri­bu­nal de la Cou­ronne de Wool­wich, le véri­table jour­na­lisme sera le seul crime jugé.

On me demande par­fois pour­quoi je me suis fait le cham­pion d’Assange. D’abord, je l’aime et je l’admire. C’est un ami au cou­rage éton­nant ; et il a un sens de l’humour fine­ment aigui­sé et noir. Il est le contraire du per­son­nage inven­té puis assas­si­né par ses ennemis.

En tant que repor­ter dans des lieux de bou­le­ver­se­ments par­tout dans le monde, j’ai appris à com­pa­rer les preuves dont j’ai été témoin avec les paroles et les actions de ceux qui détiennent le pou­voir. De cette façon, il est pos­sible de se faire une idée de la façon dont notre monde est contrô­lé, divi­sé et mani­pu­lé, de la façon dont le lan­gage et les débats sont défor­més pour pro­duire la pro­pa­gande de la fausse conscience.

Lorsque nous par­lons de dic­ta­tures, nous appe­lons cela un lavage de cer­veau : la conquête des esprits. C’est une véri­té que nous appli­quons rare­ment à nos propres socié­tés, quelle que soit la traî­née de sang qui remonte jusqu’à nous et qui ne sèche jamais.

Wiki­Leaks a mis cela en évi­dence. C’est pour­quoi Assange se trouve dans une pri­son de haute sécu­ri­té à Londres et fait face à des accu­sa­tions poli­tiques concoc­tées en Amé­rique, et c’est pour­quoi il a fait honte à tant de ceux qui ont payé pour que les choses soient claires. Regar­dez ces jour­na­listes qui cherchent main­te­nant une cou­ver­ture alors qu’ils se rendent compte que les fas­cistes amé­ri­cains qui sont venus pour Assange pour­raient venir pour eux, notam­ment ceux du Guar­dian qui ont col­la­bo­ré avec Wiki­Leaks et ont gagné des prix et obte­nu des contrats lucra­tifs pour des livres et des films hol­ly­woo­diens basés sur son tra­vail, avant de se retour­ner contre lui.

En 2011, David Leigh, le « rédac­teur en chef des enquêtes » du Guar­dian, a décla­ré aux étu­diants en jour­na­lisme de la City Uni­ver­si­ty de Londres qu’Assange était « assez déran­gé ». Lorsqu’un étu­diant per­plexe lui a deman­dé pour­quoi, Leigh a répon­du : « Parce qu’il ne com­prend pas les para­mètres du jour­na­lisme conventionnel ».

Mais c’est pré­ci­sé­ment parce qu’il a com­pris que les « para­mètres » des médias pro­té­geaient sou­vent des inté­rêts poli­tiques et acquis et n’avaient rien à voir avec la trans­pa­rence que l’idée de Wiki­Leaks était si attrayante pour de nom­breuses per­sonnes, en par­ti­cu­lier les jeunes, cyniques à juste titre à l’égard de ce qu’on appelle le « cou­rant dominant ».

Leigh se moquait de l’idée même qu’une fois extra­dé, Assange fini­rait par « por­ter une com­bi­nai­son orange ». Ce sont des choses, a‑t‑il dit, « que lui et son avo­cat disent pour nour­rir sa paranoïa ».

Les accu­sa­tions amé­ri­caines actuelles contre Assange se concentrent sur les jour­naux afghans et ira­kiens, que le Guar­dian a publiés et sur les­quels Leigh a tra­vaillé, ain­si que sur la vidéo du meurtre col­la­té­ral mon­trant un équi­page d’hélicoptère amé­ri­cain abat­tant des civils et célé­brant le crime. Pour ce jour­na­lisme, Assange fait face à 17 chefs d’accusation d’« espion­nage » qui entraînent des peines de pri­son tota­li­sant 175 ans.

Que son uni­forme de pri­son­nier soit ou non une « com­bi­nai­son orange », les dos­siers des tri­bu­naux amé­ri­cains vus par les avo­cats d’Assange révèlent qu’une fois extra­dé, Assange sera sou­mis à des mesures admi­nis­tra­tives spé­ciales, connues sous le nom de MAS. Un rap­port de 2017 de la facul­té de droit de l’université de Yale et du Centre pour les droits consti­tu­tion­nels décrit les MAS comme « le coin le plus sombre du sys­tème car­cé­ral fédé­ral amé­ri­cain », com­bi­nant « la bru­ta­li­té et l’isolement des uni­tés de sécu­ri­té maxi­male avec des res­tric­tions sup­plé­men­taires qui privent les indi­vi­dus de presque tout lien avec le monde humain … L’effet est de pro­té­ger cette forme de tor­ture de tout véri­table exa­men public ».

Le fait qu’Assange avait rai­son depuis le début, et que le faire venir en Suède était une fraude pour cou­vrir un plan amé­ri­cain visant à le « rendre », devient enfin clair pour beau­coup qui ont ava­lé les inces­santes cam­pagnes de calom­nies. « Je parle cou­ram­ment le sué­dois et j’ai pu lire tous les docu­ments ori­gi­naux », a décla­ré récem­ment Nils Mel­zer, le rap­por­teur des Nations unies sur la tor­ture, « j’en croyais à peine mes yeux. Selon le témoi­gnage de la femme en ques­tion, un viol n’avait jamais eu lieu. Et ce n’est pas tout : le témoi­gnage de la femme a ensuite été modi­fié par la police de Stock­holm sans qu’elle soit au cou­rant afin de faire croire à un éven­tuel viol. J’ai tous les docu­ments en ma pos­ses­sion, les e‑mails, les SMS ».

Keir Star­mer est actuel­le­ment can­di­dat à la direc­tion du par­ti tra­vailliste en Grande-Bre­­tagne. Entre 2008 et 2013, il a été direc­teur des pour­suites publiques et res­pon­sable du Crown Pro­se­cu­tion Ser­vice. Selon les recherches effec­tuées par la jour­na­liste ita­lienne Ste­fa­nia Mau­ri­zi dans le cadre de la liber­té d’information, la Suède a ten­té d’abandonner l’affaire Assange en 2011, mais un fonc­tion­naire du CPS à Londres a dit au pro­cu­reur sué­dois de ne pas la trai­ter comme « une extra­di­tion de plus ».

En 2012, elle a reçu un cour­riel du CPS : « Ne vous dégon­flez pas !!! D’autres cour­riels du CPS ont été soit sup­pri­més, soit expur­gés. Pour­quoi ? Keir Star­mer doit dire pourquoi.

Au pre­mier rang de la marche de same­di se trou­ve­ra John Ship­ton, le père de Julian, dont le sou­tien infa­ti­gable à son fils est l’antithèse de la col­lu­sion et de la cruau­té des gou­ver­ne­ments d’Australie, notre pays.

L’appel à la honte com­mence avec Julia Gil­lard, la pre­mière ministre tra­vailliste aus­tra­lienne qui, en 2010, a vou­lu cri­mi­na­li­ser Wiki­Leaks, arrê­ter Assange et annu­ler son pas­se­port – jusqu’à ce que la police fédé­rale aus­tra­lienne fasse remar­quer qu’aucune loi ne le per­met­tait et qu’Assange n’avait com­mis aucun crime.

Alors qu’elle pré­ten­dait à tort lui four­nir une assis­tance consu­laire à Londres, c’est l’abandon cho­quant de son citoyen par le gou­ver­ne­ment Gil­lard qui a conduit l’Équateur à accor­der l’asile poli­tique à Assange dans son ambas­sade de Londres.

Dans un dis­cours ulté­rieur devant le Congrès amé­ri­cain, Gil­lard, une des favo­rites de l’ambassade amé­ri­caine à Can­ber­ra, a bat­tu des records de fla­gor­ne­rie (selon le site inter­net Honest His­to­ry) en décla­rant, encore et encore, la fidé­li­té des « potes d’en bas » de l’Amérique.

Aujourd’hui, pen­dant qu’Assange attend dans sa cel­lule, Gil­lard par­court le monde, se pré­sen­tant comme une fémi­niste sou­cieuse des « droits de l’homme », sou­vent en tan­dem avec cette autre fémi­niste de droite, Hil­la­ry Clinton.

« Notre monde est contrô­lé, divi­sé et mani­pu­lé, … le lan­gage et les débats sont défor­més pour pro­duire la pro­pa­gande de la fausse conscience. »

La véri­té est que l’Australie aurait pu sau­ver Julian Assange et peut encore le faire.

En 2010, je me suis arran­gé pour ren­con­trer un émi­nent dépu­té libé­ral (conser­va­teur), Mal­colm Turn­bull. Jeune avo­cat dans les années 1980, Turn­bull avait com­bat­tu avec suc­cès les ten­ta­tives du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique pour empê­cher la publi­ca­tion du livre Spy­cat­cher, dont l’auteur, Peter Wright, un espion, avait expo­sé « l’état pro­fond » de la Grande-Bretagne.

Nous avons par­lé de sa célèbre vic­toire pour la liber­té d’expression et de publi­ca­tion et j’ai décrit l’erreur judi­ciaire qui atten­dait Assange – la fraude de son arres­ta­tion en Suède et son lien avec un acte d’accusation amé­ri­cain qui pié­tine la Consti­tu­tion des États-Unis et l’État de droit international.

Turn­bull a sem­blé mon­trer un réel inté­rêt et un assis­tant a pris des notes détaillées. Je lui ai deman­dé de remettre au gou­ver­ne­ment aus­tra­lien une lettre de Gareth Peirce, la célèbre avo­cate bri­tan­nique des droits de l’homme qui repré­sente Assange.

Dans cette lettre, Peirce écrit ,

« Étant don­né l’ampleur du débat public, sou­vent sur la base d’hypothèses tota­le­ment fausses, il est très dif­fi­cile de ten­ter de pré­ser­ver la pré­somp­tion d’innocence de [Julian Assange]. M. Assange a main­te­nant sur lui non pas une mais deux épées de Damo­clès, d’une éven­tuelle extra­di­tion vers deux juri­dic­tions dif­fé­rentes pour deux crimes pré­su­més dif­fé­rents, dont aucun n’est un crime dans son propre pays, et que sa sécu­ri­té per­son­nelle est deve­nue en dan­ger dans des cir­cons­tances qui sont hau­te­ment politisées ».

Turn­bull a pro­mis de livrer la lettre, de la faire suivre et de m’en infor­mer. Je lui ai ensuite écrit plu­sieurs fois, j’ai atten­du et je n’en ai plus enten­du parler.

En 2018, John Ship­ton a écrit une lettre très émou­vante au pre­mier ministre aus­tra­lien de l’époque, lui deman­dant d’exercer le pou­voir diplo­ma­tique dont dis­pose son gou­ver­ne­ment et de rame­ner Julian chez lui. Il écri­vait qu’il crai­gnait que si Julian n’était pas secou­ru, il y aurait une tra­gé­die et que son fils mour­rait en pri­son. Il n’a pas reçu de réponse. Le pre­mier ministre était Mal­colm Turnbull.

L’année der­nière, quand on a inter­ro­gé l’actuel Pre­mier ministre, Scott Mor­ri­son, un ancien homme de rela­tions publiques, sur Assange, il a répon­du comme à son habi­tude : « Il devra faire face à son destin ! »

Lorsque la marche de same­di attein­dra les Chambres du Par­le­ment, dite « la Mère des Par­le­ments », Mor­ri­son et Gil­lard et Turn­bull et tous ceux qui ont tra­hi Julian Assange devraient être inter­pel­lés ; l’histoire et la décence ne les oublie­ront pas, ni ceux qui se taisent aujourd’hui.

Et s’il reste un peu de sens de la jus­tice dans le pays de la Grande Charte, la paro­die qu’est le pro­cès contre cet héroïque Aus­tra­lien doit être reje­tée. Sinon, gare à nous, gare à nous tous.

John Pil­ger

La marche du same­di 22 février com­mence à l’Australia House à Aldwych, Londres WC2B 4LA, à 12h30 : ras­sem­ble­ment à 11h30.

Tra­duc­tion « tel­le­ment à dire, à dénon­cer, à com­battre, et si peu de temps » par VD pour le Grand Soir avec pro­ba­ble­ment toutes les fautes et coquilles habituelles

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Source : Le Grand Soir, 
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Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet : 

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Mettre fin à la complicité des médecins qui permettent la torture de Julian Assange

Mettre fin à la torture et à la négligence médicale de Julian Assange (The Lancet)

Doc­tors for Assange : Le 22 novembre 2019, nous, un groupe de plus de 60 méde­cins, avons écrit au ministre de l’intérieur bri­tan­nique pour lui faire part de nos graves inquié­tudes concer­nant la san­té phy­sique et men­tale de Julian Assange.

Dans notre lettre, nous avons docu­men­té un pas­sé de refus d’accès aux soins de san­té et de tor­ture psy­cho­lo­gique pro­lon­gée. Elle deman­dait qu’Assange soit trans­fé­ré de la pri­son de Bel­marsh à un CHU pour y être éxa­mi­né et rece­voir des soins. Face aux preuves de tor­ture, non trai­tée et conti­nue, nous avons éga­le­ment sou­le­vé la ques­tion de l’aptitude d’Assange à par­ti­ci­per à la pro­cé­dure d’extradition américaine.

N’ayant reçu aucune réponse sub­stan­tielle du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique, ni à notre pre­mière lettre ni à notre lettre de sui­vi, nous avons écrit au gou­ver­ne­ment aus­tra­lien, lui deman­dant d’intervenir pour pro­té­ger la san­té de son citoyen.

À ce jour, aucune réponse n’a mal­heu­reu­se­ment été reçue. Entre-temps, de nom­breux autres méde­cins du monde entier se sont joints à notre appel. Notre groupe compte actuel­le­ment 117 méde­cins, repré­sen­tant 18 pays.

Le cas d’Assange, le fon­da­teur de Wiki­leaks, pré­sente de mul­tiples facettes. Il concerne le droit, la liber­té d’expression, la liber­té de la presse, le jour­na­lisme, l’édition et la poli­tique. Mais il est aus­si clai­re­ment lié à la méde­cine et à la san­té publique. L’affaire met en lumière plu­sieurs aspects pré­oc­cu­pants qui méritent une atten­tion par­ti­cu­lière et une action concer­tée de la part de la pro­fes­sion médicale.

Nous avons été ame­nés à agir suite aux témoi­gnages poi­gnants de l’ancien diplo­mate bri­tan­nique Craig Mur­ray et du jour­na­liste d’investigation John Pil­ger, qui ont décrit la dété­rio­ra­tion de l’état d’Assange lors d’une audience de ges­tion du dos­sier le 21 octobre 2019.

Assange était appa­ru à l’audience pâle, en sous-poids, âgé et boi­teux, et il avait visi­ble­ment eu du mal à se rap­pe­ler les infor­ma­tions de base, à se concen­trer et à arti­cu­ler ses mots. À la fin de l’audience, il a « dit à la juge de dis­trict Vanes­sa Barait­ser qu’il n’avait pas com­pris ce qui s’était pas­sé au tribunal ».

Nous avons rédi­gé une lettre au ministre de l’intérieur du Royaume-Uni, qui a rapi­de­ment recueilli plus de 60 signa­tures de méde­cins d’Australie, d’Autriche, d’Allemagne, d’Italie, de Nor­vège, de Pologne, du Sri Lan­ka, de Suède, du Royaume-Uni et des États-Unis, pour conclure : « Nous sommes d’avis que M. Assange a besoin de toute urgence d’une éva­lua­tion médi­cale experte de son état de san­té phy­sique et psy­cho­lo­gique. Tout trai­te­ment médi­cal indi­qué doit être admi­nis­tré dans un hôpi­tal uni­ver­si­taire (soins ter­tiaires) cor­rec­te­ment équi­pé et doté d’un per­son­nel spé­cia­li­sé. Si cette éva­lua­tion et ce trai­te­ment urgents n’avaient pas lieu, nous crai­gnons vrai­ment, au vu des élé­ments actuel­le­ment dis­po­nibles, que M. Assange ne meure en pri­son. La situa­tion médi­cale est donc urgente. Il n’y a pas de temps à perdre ».

Le 31 mai 2019, le rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la tor­ture, Nils Mel­zer, a ren­du compte de sa visite à Assange, à Bel­marsh, le 9 mai 2019, accom­pa­gné de deux experts médi­caux : « M. Assange a pré­sen­té tous les symp­tômes typiques d’une expo­si­tion pro­lon­gée à la tor­ture psy­cho­lo­gique, y com­pris un stress extrême, une anxié­té chro­nique et un trau­ma­tisme psy­cho­lo­gique intense ».

Le 1er novembre 2019, Mel­zer a aver­ti que « l’exposition conti­nue de M. Assange à l’arbitraire et aux abus pour­rait bien­tôt lui coû­ter la vie ».

Des exemples de com­mu­ni­ca­tions man­da­tées par le rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la tor­ture à l’intention des gou­ver­ne­ments sont four­nis en annexe.

Ces aver­tis­se­ments et la pré­sen­ta­tion de M. Assange lors de l’audition d’octobre n’auraient peut-être pas dû sur­prendre. Après tout, avant sa déten­tion dans la pri­son de Bel­marsh dans des condi­tions équi­va­lant à l’isolement, Assange avait pas­sé près de 7 ans confi­né dans quelques pièces de l’ambassade équa­to­rienne à Londres. Là, il a été pri­vé d’air frais, de lumière du soleil, de la pos­si­bi­li­té de se dépla­cer et de faire de l’exercice libre­ment, et de l’accès à des soins médi­caux appro­priés. En effet, le groupe de tra­vail des Nations unies sur la déten­tion arbi­traire avait qua­li­fié cet enfer­me­ment de « déten­tion arbitraire ».

Le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique a refu­sé d’accorder à Assange un pas­sage sûr vers un hôpi­tal, mal­gré les demandes des méde­cins qui avaient pu lui rendre visite à l’ambassade.

Un cli­mat de peur régnait éga­le­ment autour de la four­ni­ture de soins de san­té à l’ambassade. Un méde­cin qui a ren­du visite à Assange à l’ambassade a docu­men­té ce qu’un col­lègue d’Assange a rap­por­té : « Il a été très dif­fi­cile de trou­ver des méde­cins qui étaient prêts à exa­mi­ner M. Assange à l’ambassade. Les rai­sons invo­quées étaient l’incertitude quant à savoir si l’assurance médi­cale cou­vri­rait l’ambassade équa­to­rienne (une juri­dic­tion étran­gère), si l’association avec M. Assange pou­vait nuire à leur gagne-pain ou atti­rer une atten­tion non dési­rée sur eux et leur famille, et le malaise au fait d’être asso­cié à Assange en entrant dans l’ambassade. Un méde­cin a expri­mé son inquié­tude à l’une des per­sonnes inter­ro­gées après que la police ait pris des notes sur son nom et sur le fait qu’il ren­dait visite à M. Assange. Un méde­cin a écrit qu’il avait accep­té de pro­duire un rap­port médi­cal à la seule condi­tion que son nom ne soit pas ren­du public, par crainte de répercussions ».

Il est inquié­tant de consta­ter que ce cli­mat d’insécurité et d’intimidation, qui com­pro­met encore plus les soins médi­caux offerts à Assange, était inten­tion­nel. Assange a fait l’objet d’une opé­ra­tion de sur­veillance secrète 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à l’intérieur de l’ambassade, comme l’a mon­tré l’apparition d’enregistrements vidéo et audio secrets.

Il a été sur­veillé en pri­vé et avec des visi­teurs, notam­ment des membres de sa famille, des amis, des jour­na­listes, des avo­cats et des méde­cins. Non seule­ment ses droits à la vie pri­vée, à la vie per­son­nelle, au pri­vi­lège juri­dique et à la liber­té d’expression ont été vio­lés, mais son droit à la confi­den­tia­li­té entre méde­cin et patient l’a éga­le­ment été.

Nous condam­nons la tor­ture d’Assange. Nous condam­nons le déni de son droit fon­da­men­tal à des soins de san­té appro­priés. Nous condam­nons le cli­mat de peur qui entoure la four­ni­ture de soins de san­té à Assange. Nous condam­nons les vio­la­tions de son droit au secret médi­cal. La poli­tique ne peut être auto­ri­sée à inter­fé­rer avec le droit à la san­té et l’exercice de la méde­cine. Selon l’expérience du rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la tor­ture, l’ampleur de l’ingérence de l’État est sans pré­cé­dent : « En 20 ans de tra­vail avec les vic­times de la guerre, de la vio­lence et de la per­sé­cu­tion poli­tique, je n’ai jamais vu un groupe d’États démo­cra­tiques se ras­sem­bler pour iso­ler, dia­bo­li­ser et abu­ser déli­bé­ré­ment un seul indi­vi­du pen­dant si long­temps et avec si peu de consi­dé­ra­tion pour la digni­té humaine et l’État de droit ».

Nous invi­tons nos col­lègues méde­cins à se joindre à nous en tant que signa­taires de nos lettres afin d’ajouter des voix sup­plé­men­taire à nos appels. Depuis que les méde­cins ont com­men­cé à éva­luer Assange à l’ambassade équa­to­rienne en 2015, les avis d’experts et les recom­man­da­tions urgentes des méde­cins ont été sys­té­ma­ti­que­ment igno­rés. Alors même que les auto­ri­tés dési­gnées du monde entier en matière de déten­tion arbi­traire, de tor­ture et de droits de l’homme ont ajou­té leurs appels aux aver­tis­se­ments des méde­cins, les gou­ver­ne­ments ont n’ont fait aucun cas de l’autorité médi­cale, l’éthique médi­cale et le droit à la san­té. Cette poli­ti­sa­tion des prin­cipes médi­caux fon­da­men­taux nous pré­oc­cupe beau­coup, car elle a des impli­ca­tions qui vont au-delà du cas d’Assange. L’abus par négli­gence médi­cale à moti­va­tion poli­tique crée un dan­ge­reux pré­cé­dent, par lequel la pro­fes­sion médi­cale peut être mani­pu­lée comme un outil poli­tique, ce qui, en fin de compte, mine l’impartialité de notre pro­fes­sion, son enga­ge­ment envers la san­té pour tous et son obli­ga­tion de ne pas nuire.

Si Assange devait mou­rir dans une pri­son bri­tan­nique, comme l’a aver­ti le rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la tor­ture, il aurait été effec­ti­ve­ment tor­tu­ré à mort. La plu­part de ces tor­tures auront eu lieu dans le ser­vice médi­cal de la pri­son, sous la sur­veillance de méde­cins. La pro­fes­sion médi­cale ne peut pas se per­mettre de res­ter silen­cieuse, du mau­vais côté de la tor­ture et du mau­vais côté de l’histoire, pen­dant qu’une telle mas­ca­rade se déroule.

Dans le but de défendre l’éthique médi­cale, l’autorité médi­cale et le droit humain à la san­té, et de prendre posi­tion contre la tor­ture, nous pou­vons ensemble contes­ter les abus décrits dans nos lettres et les faire connaître.

Nos appels sont simples : nous deman­dons aux gou­ver­ne­ments de mettre fin à la tor­ture d’Assange et de lui garan­tir l’accès aux meilleurs soins de san­té dis­po­nibles avant qu’il ne soit trop tard. Notre demande aux autres est la sui­vante : rejoignez-nous.

Nous sommes membres de Doc­tors for Assange (Méde­cins pour Assange). Nous décla­rons qu’il n’y a pas de conflits d’intérêts. Les signa­taires de cette lettre sont énu­mé­rés en annexe.

Tra­duc­tion « ils ne s’en cachent même pas » par VD pour le Grand Soir avec pro­ba­ble­ment toutes les fautes et coquilles habituelles

Pour consul­ter les notes et réfé­rences de cet article, voir le texte ori­gi­nal.

Source : Le Grand Soir, 
https://​www​.legrand​soir​.info/​m​e​t​t​r​e​–​f​i​n​–​a​–​l​a​–​t​o​r​t​u​r​e​–​e​t​–​a​–​l​a​–​n​e​g​l​i​g​e​n​c​e​–​m​e​d​i​c​a​l​e​–​d​e​–​j​u​l​i​a​n​–​a​s​s​a​n​g​e​–​t​h​e​–​l​a​n​c​e​t​.​h​tml

Je rap­pelle que plu­sieurs bus partent de Paris à Londres dimanche pro­chain, à 20 h, pour pas­ser la jour­née de lun­di 24 février à Londres pour mani­fes­ter notre sou­tien à Julian Assange, jour­na­liste mar­tyr, tor­tu­ré à mort avec la com­pli­ci­té de tous les gou­ver­ne­ments du monde. 

Si vous le pou­vez, VENEZ AVEC NOUS ! Julian n’a plus que nous, les simples citoyens, pour le défendre.

Étienne.

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet : 

https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​7​9​1​9​1​3​1​4​2​7​317

[Important] Derrière le « libéralisme », la dictature des institutions britanniques, fondamentalement antidémocratiques (Valérie Bugault)

Pourquoi le modèle britannique est-il anti-démocratique ?

Der­rière le libé­ra­lisme, la dic­ta­ture des ins­ti­tu­tions britanniques.


par Valé­rie Bugault − février 2020 − Confé­rence à l’Ins­ti­tut Schiller

Source : Le Saker fran­co­phone, https://​lesa​ker​fran​co​phone​.fr/​p​o​u​r​q​u​o​i​–​l​e​–​m​o​d​e​l​e​–​b​r​i​t​a​n​n​i​q​u​e​–​e​s​t​–​i​l​–​a​n​t​i​–​d​e​m​o​c​r​a​t​i​que

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Valé­rie Bugault : « Je vous pro­pose à l’occasion de cette conférence :

  • d’analyser com­ment le droit anglais a his­to­ri­que­ment été mis, de façon ins­ti­tu­tion­nelle, au ser­vice des puissants ;
  • avant d’examiner com­ment la puis­sance poli­tique est deve­nue une puis­sance économique ;
  • pour enfin consi­dé­rer la conclu­sion qui est que la domi­na­tion inter­na­tio­nale du droit anglo-saxon est la pro­messe de dis­pa­ri­tion de la civi­li­sa­tion et le plus sûr che­min vers l’esclavagisme de tous.

Le Parlement anglais : une organisation politique au service des puissants

Le Par­le­ment anglais est l’héritier direct des ins­ti­tu­tions issues de la Magna Car­ta ; de quoi parle-t-on vrai­ment ? La Magna Car­ta appa­rue en 1215 qua­si immé­dia­te­ment abro­gée a res­sur­gi en 1216 avant d’être amen­dée et com­plé­tée d’une loi doma­niale (Charte de Forêt) en novembre 1217. Une qua­trième ver­sion voit le jour en février 1225, qui valide la dis­pa­ri­tion de la moi­tié de celle pro­mul­guée en 1215 ; cette Charte nou­velle ver­sion, confir­mée solen­nel­le­ment le 10 novembre 1297, sera désor­mais connue sous le nom de Magna Carta.

La Magna Car­ta bran­die comme l’arme démo­cra­tique abso­lue est en réa­li­té la mani­fes­ta­tion d’une lutte de la féo­da­li­té contre le pou­voir royal cen­tra­li­sa­teur. Elle n’est pas un ins­tru­ment du peuple contre les puis­sants mais un ins­tru­ment des puis­sants sei­gneurs contre le pou­voir royal uni­fi­ca­teur. Il s’agit en réa­li­té de reti­rer au Roi, en tant qu’organe poli­tique cen­tral, l’essentiel ou une grande par­tie de ses pré­ro­ga­tives pour les don­ner à un conseil de grands féaux, ou grands aris­to­crates appe­lé « Conseil des Barons », afin de limi­ter et fina­le­ment contrô­ler le pou­voir Royal. Le peuple, qui n’a rien à voir dans cette guerre entre grands aris­to­crates, n’a stric­te­ment rien gagné à la pro­cla­ma­tion de ladite Charte.

C’est pré­ci­sé­ment ce conseil de grands féo­daux, ini­tia­le­ment appe­lé « Conseil des Barons », qui se trans­for­me­ra peu à peu en Par­le­ment. Ledit Par­le­ment est, dès le départ, fonc­tion­nel­le­ment, aus­si peu fon­da­teur de la « démo­cra­tie » au sens de gou­ver­ne­ment par le peuple et pour le peuple, que l’esclavagisme serait la cause ultime de la liberté.

Les prin­cipes du « droit à un pro­cès équi­table » et « d’égalité uni­ver­selle » devant la loi seront intro­duit dans la Magna Car­ta en 1354.

Ce der­nier prin­cipe dit « d’égalité uni­ver­selle » est une pure « péti­tion de prin­cipe »non contrai­gnante, c’est-à-dire non juri­di­que­ment sanc­tion­née. Il ne sera, par exemple, pas en mesure de jus­ti­fier, au XVIIème siècle, la sup­pres­sion de l’esclavage sur le ter­ri­toire anglais.

Par ailleurs, il faut insis­ter sur le fait que la pro­cla­ma­tion du « droit à un pro­cès équi­table » concer­nait aus­si peu le peuple, que la com­po­si­tion du Par­le­ment issu du Conseil des Barons de la Magna Car­ta. Seuls les puis­sants, et de plus en plus, à par­tir du XIIème siècle, les bour­geois des villes, avaient l’arme pro­cé­du­rale à leur dis­po­si­tion car la jus­tice médié­vale anglaise s’est construite, ab ini­tio, comme une jus­tice de classe.

Consi­dé­rer le par­le­ment anglais comme un orga­nisme repré­sen­tant la démo­cra­tie est une simple impos­ture poli­tique ; en réa­li­té, le Par­le­ment anglais a tou­jours été char­gé de mettre en musique juri­dique la volon­té des puis­sants : d’abord des puis­sances féo­dales, puis des puis­sances finan­cières qui les ont remplacées.

Le « droit » issu du Par­le­ment anglais est en réa­li­té un droit d’entre-soi, un droit oli­gar­chique qui se fomente plus sûre­ment à la City of Lon­don, centre finan­cier et éco­no­mique du Royaume, ou dans les « clubs » chers aux Anglais, que dans l’enceinte offi­cielle d’un Par­le­ment repré­sen­tant l’intérêt popu­laire. Le Par­le­ment ne fait, en réa­li­té le plus sou­vent, confor­mé­ment à sa mis­sion d’origine, qu’entériner des solu­tions pré-consti­­tuées dans le silence des cou­loirs et des cabi­nets ; on parle à ce pro­pos de « lob­bying ».

Cette ana­lyse géné­rale n’est pas linéaire et l’on voit de-ci, de-là, en Angle­terre, cer­tains erre­ments de dépu­tés qui mani­festent ouver­te­ment leur oppo­si­tion à des pro­jets de lois. Plus ces erre­ments seront fré­quents et se mul­ti­plie­ront, plus vite le car­can ins­ti­tu­tion­nel du par­le­men­ta­risme vole­ra en éclat, et la démo­cra­tie réelle pour­ra alors poin­ter son nez en Angleterre…

Le « droit anglais » : un prin­cipe de régle­men­ta­tion au ser­vice des puissants

Reve­nons un ins­tant sur les par­ti­cu­la­ri­tés du droit anglo-saxon, en tant qu’héritier direct du droit anglais, et sur les condi­tions de son déve­lop­pe­ment à comp­ter du XVIème siècle.

Au cours du temps, est appa­ru une diver­gence fon­da­men­tale, de nature concep­tuelle, dans l’évolution du « droit » entre l’Angleterre et l’Europe continentale.

À la suite de l’effondrement de l’empire romain, le droit s’est déve­lop­pé en Europe, autour de la double hélice du pou­voir tem­po­rel d’une part et du pou­voir spi­ri­tuel d’autre part. Par pou­voir tem­po­rel, il faut com­prendre l’aristocratie orga­ni­sée autour du Roi com­pris comme le pre­mier d’entre ses pairs (Pri­mus inter pares). Par pou­voir spi­ri­tuel, il faut com­prendre le catho­li­cisme hié­rar­chi­sé et orga­ni­sé à Rome – avec quelques excep­tions his­to­riques – autour du pape.

En 1531, l’Angleterre a fait séces­sion vis-à-vis de cette orga­ni­sa­tion socio-poli­­tique conti­nen­tale lorsque le Roi Hen­ri VIII, repré­sen­tant de l’ordre tem­po­rel, déci­da de prendre le pas sur le pou­voir spi­ri­tuel en le sou­met­tant à sa propre volonté.

L’église angli­cane – dite catho­lique réfor­mée c’est-à-dire à mi-che­­min entre catho­li­cisme et pro­tes­tan­tisme – est née de la scis­sion de l’Angleterre opé­rée par le Roi Hen­ri VIII avec le pape Clé­ment VII qui refu­sa obs­ti­né­ment d’annuler son mariage avec Cathe­rine d’Aragon (afin de per­mettre audit Hen­ry VIII d’épouser Anne Boleyn). A par­tir de cette date, l’Église anglaise n’est plus sou­mise à l’autorité du pape catho­lique romain mais de l’arche­vêque de Can­tor­bé­ry, lequel est, en réa­li­té tota­le­ment dépen­dant du pou­voir tem­po­rel, c’est-à-dire du Roi d’Angleterre.

Cette réunion des pou­voirs tem­po­rel et spi­ri­tuel n’a pas eu lieu en Europe conti­nen­tale où, tout au contraire, cha­cun des deux pou­voirs tem­po­rel et spi­ri­tuel est res­té – du moins jusqu’à la révo­lu­tion de 1789 – concur­rent et indé­pen­dant, de force rela­ti­ve­ment égale (si on lisse l’histoire qui a vu suc­ces­si­ve­ment la pré­émi­nence de l’un des deux ordres sur le second, et vice ver­sa). La poro­si­té struc­tu­relle liée au fait que les grandes familles d’aristocrates occu­paient, de fac­to, les postes de digni­taires dans ces deux Ordres – Ordres poli­tiques au sens où ils struc­tu­raient effec­ti­ve­ment l’organisation de la Socié­té – n’a pas eu pour consé­quence une nor­ma­li­sa­tion des inté­rêts de ces Ordres, qui sont his­to­ri­que­ment res­tés dis­tincts et concurrents.

En Europe conti­nen­tale le pou­voir tem­po­rel avait tou­jours dû com­po­ser avec le pou­voir spi­ri­tuel, et réci­pro­que­ment ; en outre, ces deux pou­voirs avaient pour carac­té­ris­tique d’être orga­ni­sés de façon hié­rar­chique, c’est-à-dire ver­ti­cale, ce qui leur confé­rait une force sociale et poli­tique équi­va­lente. Il en est résul­té que le pou­voir nor­ma­tif des auto­ri­tés tem­po­relles, sei­gneurs et Roi com­pris, a tou­jours été limi­té par le pou­voir nor­ma­tif de l’autorité spi­ri­tuelle cen­tra­li­sée à Rome sous l’autorité du pape.

Cette double com­pé­tence nor­ma­tive struc­tu­relle a sans doute été, depuis la dis­pa­ri­tion de l’Empire Romain, le seul réel point com­mun des dif­fé­rents pays euro­péens. Nous avions donc, de façon onto­lo­gique, en Europe conti­nen­tale, une orga­ni­sa­tion poli­tique natu­rel­le­ment orga­ni­sée autour de l’idée de contre-pou­­voirs. Cette orga­ni­sa­tion poli­tique et sociale qui a carac­té­ri­sé la période du Moyen-Âge en Europe est la rai­son prin­ci­pale qui fait que l’ancien régime était, struc­tu­rel­le­ment, beau­coup moins abso­lu­tiste que ne le sont les pré­ten­dus « régimes démo­cra­tiques » actuels, dis­crè­te­ment fon­dés sur la domi­na­tion des capi­taux, et cal­qués sur les pré­ceptes déri­vés du droit anglais.

Si le droit anglo-saxon est aujourd’hui fon­dé sur la pré­émi­nence finan­cière et éco­no­mique, il est, onto­lo­gi­que­ment depuis le XVIème siècle, mis au ser­vice exclu­sif des puissants.

Ce droit ne relève pas d’un quel­conque effort intel­lec­tuel ou col­lec­tif visant à flui­di­fier et faci­li­ter la vie en com­mun, il est tout sim­ple­ment la mise en forme écrite de la domi­na­tion des puis­sants, aris­to­crates dans un pre­mier temps, puis finan­ciers depuis Cromwell.

La fusion, en 1531 en Angle­terre, des pou­voirs tem­po­rel et spi­ri­tuel a engen­dré l’émergence d’une volon­té impé­riale par l’alliance du fer et de l’argent. Dans ce contexte, Oli­ver Crom­well (1599 – 1658) a éla­bo­ré le sys­tème poli­tique dans lequel l’hégémonie impé­riale est finan­cée par les ban­quiers. Ces ban­quiers, jusqu’alors ins­tal­lés en Hol­lande à la suite de leur expul­sion d’Espagne sous le règne du Roi Fer­di­nand et de la Reine Isa­belle – suite à la signa­ture du décret de l’Alhambra le 31 mars 1492 -, ont dès lors com­men­cé à s’intégrer mas­si­ve­ment au pou­voir poli­tique tem­po­rel anglais.

Selon la « loi natu­relle » qui veut que « celui qui donne est au-des­­sus de celui qui reçoit », cette alliance du fer et du por­te­feuille a, à son tour, his­to­ri­que­ment et méca­ni­que­ment, don­né nais­sance à la supré­ma­tie des déten­teurs de capi­taux sur le pou­voir poli­tique. Cette supré­ma­tie s’est affir­mée au cours des XVIIème et XVIIIème siècle par le finan­ce­ment, par les puis­sances d’argent, des dif­fé­rentes Com­pa­gnies des Indes qui agis­saient pour le compte des États, en béné­fi­ciant du mono­pole de la force publique.

His­to­ri­que­ment mis au ser­vice du seul pou­voir tem­po­rel, le « droit » anglo-saxon s’est peu à peu, à la mesure de la prise du pou­voir poli­tique par les puis­sances d’argent, mis au seul ser­vice des prin­ci­paux déten­teurs de capi­taux. Il ne faut donc pas s’étonner de l’absolutisme de la domi­na­tion actuelle.

Cette évo­lu­tion, com­men­cée en Angle­terre, a vu la France être sa pre­mière vic­time dès 1789 ; elle s’est répan­due dans le monde entier au cours des XVIIIème, XIXème et XXème siècles.

Cette véri­table « révo­lu­tion » qui a eu lieu en France en 1789 s’est peu à peu répan­due en Europe et dans le monde pour finir par remettre en cause l’équilibre poli­tique post impé­rial (en réfé­rence à l’Empire Romain) issu de l’Europe du Moyen-Âge.

Le « Nou­vel Ordre Mon­dial », appe­lé de leurs vœux par les tenan­ciers du sys­tème éco­no­mique glo­bal qui ont pris le pou­voir effec­tif au XVIIIème siècle, est le résul­tat de la longue évo­lu­tion décrite ci-des­­sus. Notons d’ailleurs que la devise« Novus Ordo Seclo­rum », issue du Grand Sceaux des États-Unis des­si­né en 1782, a été repris, en 1935, sur les billets de 1 dollar.

Ce « Nou­vel Ordre Mon­dial », qui n’est donc en rien « nou­veau, s’apparente à l’anéantissement com­plet de ce que l’on enten­dait tra­di­tion­nel­le­ment par le terme de « civi­li­sa­tion », qui sup­pose un déve­lop­pe­ment col­lec­tif et repose, fon­da­men­ta­le­ment, sur un équi­libre des forces et des pou­voirs. Aucune civi­li­sa­tion ne peut naître et pros­pé­rer dans le contexte de l’absence pérenne de contre-pou­­voirs poli­tiques effectifs.

Il faut bien com­prendre que la réunion, au XVIème siècle, en Angle­terre, des pou­voirs spi­ri­tuel et tem­po­rel entre les mains du Roi d’Angleterre a pavé la route anglaise vers un impé­ria­lisme domi­né par les puis­sances d’argent. La route anglaise a, à son tour, via la domi­na­tion moné­taire et l’idéologie bri­tan­nique qu’elle a impo­sé au reste de l’humanité, pavé la route mon­diale vers l’impérialisme finan­cier absolu.

L’intégrisme finan­cier actuel, juri­di­que­ment maté­ria­li­sé par la supré­ma­tie du droit anglo-saxon, est le des­cen­dant direct, l’héritier fatal, de l’absolutisme du pou­voir anglais qui, en 1531, a fusion­né les pou­voirs tem­po­rel et spi­ri­tuel, fai­sant ain­si dis­pa­raître la réa­li­té des contre-pouvoirs.

En 1600, la East India Company acte le début du remplacement de l’aristocratie terrienne par les puissances d’argent au sein du pouvoir Anglais

Depuis le début du XVème siècle, l’époque dite des Grandes Décou­vertes et des grandes aven­tures mari­times, les déten­teurs de capi­taux n’ont eu de cesse de déve­lop­per leur contrôle dis­cret, par la mise en œuvre géné­rale du concept d’ano­ny­mat.

Ce concept d’anonymat, mis en musique au double niveau éco­no­mique et poli­tique, a connu son pre­mier réel grand suc­cès avec les « Com­pa­gnies des Indes », qui ont allè­gre­ment pra­ti­qué la confu­sion du pou­voir poli­tique et du pou­voir économique.

Sans sur­prise, la pre­mière Com­pa­gnie des Indes, la East India Com­pa­ny, est d’origine anglaise.

En quelque sorte, les Com­pa­gnies des Indes pré­fi­gurent la dis­tinc­tion, aujourd’hui entrée dans les mœurs éco­no­miques occi­den­tales, entre les béné­fices, lar­ge­ment pri­vés, et les charges, finan­cées par la col­lec­ti­vi­té publique. Avec la pré­ci­sion que, dès l’avènement des dif­fé­rentes Com­pa­gnies des Indes, les res­pon­sa­bi­li­tés civiles, pénales et poli­tiques des inter­ve­nants dis­pa­raissent dans le mono­pole d’État.

Les com­pa­gnies des Indes sont le pre­mier modèle dans lequel les déten­teurs réels du pou­voir, ceux qui pro­fitent de façon ultime des béné­fices des opé­ra­tions, sont très lar­ge­ment à l’abri de toute mise en cause juridique.

Les déten­teurs du pou­voir capi­ta­lis­tique, vain­queur par KO du pou­voir poli­tique, reven­diquent aujourd’hui, de façon « natu­relle », l’officialisation poli­tique et juri­dique de la réa­li­té de leur prise de pou­voir. Fata­le­ment, ce pou­voir éco­no­mique caché der­rière les mul­tiples faux sem­blants de l’anonymat capi­ta­lis­tique et du par­le­ment repré­sen­ta­tif devait, tôt ou tard, reven­di­quer offi­ciel­le­ment le pou­voir qu’il a offi­cieu­se­ment conquis au fil des siècles.

Les par­ti­sans du « Nou­vel Ordre Mon­dial » ou « Novus Ordo Seclo­rum », encore appe­lé « New World Order » sont en réa­li­té les émis­saires du pou­voir éco­no­mique caché.

La domination anglo-saxonne du monde actuel : « de l’absolutisme financier à l’esclavagisme pour tous »

La fusion, à la mode anglaise, du pou­voir tem­po­rel et du pou­voir spi­ri­tuel a fait dis­pa­raître l’équilibre des pou­voirs qui a, seul dans l’histoire du monde, per­mis l’émergence de la liber­té indi­vi­duelle et, notons-le, de la « bour­geoi­sie com­mer­çante » en tant que force politique.

Car l’émancipation popu­laire n’a pu, en occi­dent, voir le jour qu’en rai­son de l’instable équi­libre poli­tique entre pou­voir tem­po­rel et pou­voir spirituel.

Plus récem­ment, au XXème siècle, et tou­jours sous l’influence néfaste des ban­quiers glo­ba­listes, l’élimination de tout contre-pou­­voir est deve­nue internationale.

Ayant dis­pa­ru dans l’organisation interne des États occi­den­taux, un contre-pou­­voir a tou­te­fois exis­té de façon non ins­ti­tu­tion­nelle depuis la seconde Guerre Mon­diale au tra­vers de l’antagonisme inter­na­tio­nal des blocs de l’Est com­mu­niste et de l’Ouest libé­ral. À la chute de l’Union Sovié­tique, ce contre-pou­­voir infor­mel qui exis­tait néan­moins de fac­to sur la scène inter­na­tio­nale a, à son tour dis­pa­ru, met­tant à nou­veau en lumière la cruelle inexis­tence de contre-pou­­voir poli­tique interne aux États occidentaux.

Para­doxa­le­ment et de façon iro­nique, c’est sous les coups de bou­toirs répé­tés de la « liber­té indi­vi­duelle », elle-même mani­pu­lée à l’extrême, que dis­pa­raît la civi­li­sa­tion occi­den­tale carac­té­ri­sée par la liber­té indi­vi­duelle et par la liber­té poli­tique des masses popu­laires. Rap­pe­lons inci­dem­ment que l’ultra-individualisme, reven­di­qué par des mou­ve­ments comme les « LGBT », les « droits de l’enfant », « l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge », est l’aboutissement logique de la domi­na­tion poli­tique abso­lue des prin­ci­paux déten­teurs de capi­taux : ces der­niers uti­li­sant à leur avan­tage exclu­sif le prin­cipe de bonne poli­tique consis­tant à « divi­ser pour mieux régner ».

Divi­ser chaque humain en une enti­té iso­lée de toute com­po­sante sociale pérenne et, au-delà, divi­ser l’humain et la vie en des enti­tés phy­siques auto­nomes, est l’une des armes les plus redou­tables uti­li­sées par les tenan­ciers du pou­voir éco­no­mique glo­bal pour asser­vir l’humanité. En effet, cette méthode d’asservissement appe­lée « divi­ser pour mieux régner » n’est pas seule­ment uti­li­sée, de manière géo­po­li­tique, pour divi­ser les peuples et les nations mais éga­le­ment, de façon beau­coup plus sour­noise et dan­ge­reuse, d’un point de vue poli­tique pour faire de chaque humain une enti­té instable dépour­vue de tout sup­ports émo­tion­nels et affec­tifs stables ; l’humain deve­nant dès lors un atome aisé­ment mani­pu­lable, ana­logue à un « objet » qu’il convient d’utiliser.

Le contrôle du phé­no­mène poli­tique par les prin­ci­paux déten­teurs de capi­taux a per­mis à ces der­niers de se rendre les maîtres abso­lus du concept régle­men­taire. Ils ont ain­si, peu à peu, sur toute la sur­face du globe impo­sé l’anonymat de leurs actions en déve­lop­pant de façon ins­ti­tu­tion­nelle les inter­mé­dia­tions capi­ta­lis­tiques opaques (para­dis fis­caux et autres struc­tures juri­diques opaques sur le modèle des trusts ano­nymes), inter­di­sant toute recherche en res­pon­sa­bi­li­té. La mul­ti­pli­ca­tion expo­nen­tielle des inter­mé­diaires finan­ciers a, à son tour, méca­ni­que­ment per­mis un res­ser­re­ment létal de l’emprise des finan­ciers sur tous les aspects de la vie en com­mun. Par l’imposition au niveau inter­na­tio­nal de leurs règles du jeu éco­­no­­mi­­co-finan­­cier, les ban­quiers glo­ba­listes à la manœuvre ont réus­si le tour de force d’imposer une uni­fi­ca­tion des modes de fonc­tion­ne­ment, préa­lables néces­saires à l’élaboration d’un gou­ver­ne­ment mondial.

Dans ce contexte d’accaparement du pou­voir, il faut com­prendre que le « droit anglo-saxon », est une arme bran­die comme un bou­clier anti­so­cial et anti-natio­­nal par les tenan­ciers du pou­voir éco­no­mique réel. Le « droit-régle­­men­­ta­­tion » à la mode anglo-saxonne sert à la fois de pré­texte et de jus­ti­fi­ca­tion au ren­for­ce­ment de l’absolutisme financier. »

Valé­rie Bugault.

Source : Le Saker fran­co­phone, https://​lesa​ker​fran​co​phone​.fr/​p​o​u​r​q​u​o​i​–​l​e​–​m​o​d​e​l​e​–​b​r​i​t​a​n​n​i​q​u​e​–​e​s​t​–​i​l​–​a​n​t​i​–​d​e​m​o​c​r​a​t​i​que

Voir aus­si cet entre­tien (j’ai évi­dem­ment quelques désac­cords sérieux avec Valé­rie — notam­ment sur la néces­si­té ou pas d’une sépa­ra­tion des pou­voirs et d’une consti­tu­tion —, mais cette inter­view est pour­tant très intéressante) :

Quelles institutions politiques face au Nouvel ordre mondial ?

https://​you​tu​.be/​t​F​a​D​l​M​H​E​y​j​E​&​f​e​a​t​u​r​e​=​e​m​b​_​l​ogo

[Fondamental et passionnant] John Stuart Mill : De la liberté de pensée et de discussion (1859)

Chers amis,

Je vous signale ce texte impor­tant (écrit par un père fon­da­teur du « libé­ra­lisme ») qui fonde de façon robuste le très néces­saire droit des citoyens à s’ex­pri­mer libre­ment en démo­cra­tie — droit essen­tiel que les Grecs antiques appe­laient l’i­sé­go­ria, droit vital pour la sur­vie de la fra­gile démo­cra­tie au point que les Athé­niens y tenaient même davan­tage qu’à l’i­so­no­mia (éga­li­té devant la loi) et que par­fois le mot isé­go­ria était uti­li­sé comme syno­nyme de démo­cra­tie, isé­go­ria dont je vous parle depuis 2005 et qui me vaut tant d’en­nuis de la part des domi­nants du moment. 

Tout est puis­sant et utile dans ce long texte, pour réflé­chir à la liber­té d’ex­pres­sion, condi­tion car­di­nale d’un bon éclai­rage de l’o­pi­nion publique. Il faut lire ce texte le crayon à la main et en repé­rer soi-même les pas­sages essentiels. 

Nos enfants devraient lire et tra­vailler ce texte, et confron­ter entre eux, et avec leurs parents, les accords et désac­cords sur ses idées. C’est un texte impor­tant dans la culture géné­rale d’un citoyen digne de ce nom, c’est-à-dire consti­tuant, réflé­chis­sant aux ins­ti­tu­tions pro­té­geant le bien commun. 

Je n’ou­blie pas les cra­pu­le­ries que John Stuart Mill a pu dire par ailleurs, sur les pauvres et les tra­vailleurs par exemple (comme tous les pré­ten­dus « libé­raux » : ne ratez pas le livre pas­sion­nant et impor­tant de Dome­ni­co Losur­do, « Contre-his­­toire du libé­ra­lisme »), mais je trouve, mal­gré tout, ce texte de Mill lumi­neux et convain­quant, d’une por­tée uni­ver­selle et intemporelle.

Cha­cun fera le rap­pro­che­ment entre ce qui est expli­qué ci-des­­sous et ce qui m’est arri­vé en juin 2019. J’y revien­drai bien­tôt. Lisez d’a­bord ce texte, s’il vous plaît.

Étienne.


 

http://​clas​siques​.uqac​.ca/​c​l​a​s​s​i​q​u​e​s​/​M​i​l​l​_​j​o​h​n​_​s​t​u​a​r​t​/​d​e​_​l​a​_​l​i​b​e​r​t​e​/​d​e​_​l​a​_​l​i​b​e​r​t​e​.​h​tml

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Il est à espé­rer que le temps où il aurait fal­lu défendre la « liber­té de presse » comme l’une des sécu­ri­tés contre un gou­ver­ne­ment cor­rom­pu ou tyran­nique est révo­lu. On peut sup­po­ser qu’il est aujourd’­hui inutile de défendre l’i­dée selon laquelle un légis­la­tif ou un exé­cu­tif dont les inté­rêts ne seraient pas iden­ti­fiés à ceux du peuple n’est pas auto­ri­sé à lui pres­crire des opi­nions ni à déter­mi­ner pour lui les doc­trines et les argu­ments à entendre. D’ailleurs, les phi­lo­sophes qui m’ont pré­cé­dé ont déjà si sou­vent et triom­pha­le­ment mis en évi­dence cet aspect du pro­blème que point n’est besoin d’y insis­ter ici. Quoique la loi anglaise sur la presse soit aus­si ser­vile de nos jours qu’au temps des Tudor, il n’y a guère de risque qu’elle fasse office d’ou­til de répres­sion contre la dis­cus­sion poli­tique, sinon dans un moment de panique pas­sa­gère où la crainte fait perdre la tête aux ministres et aux juges[1]. Et géné­ra­le­ment, il n’est pas à craindre dans un pays consti­tu­tion­nel que le gou­ver­ne­ment, qu’il soit ou non entiè­re­ment res­pon­sable envers le peuple, cherche sou­vent à contrô­ler l’ex­pres­sion de l’o­pi­nion, excep­té lorsque, en agis­sant ain­si, il se fait l’or­gane de l’in­to­lé­rance géné­rale du public.

Sup­po­sons donc que le gou­ver­ne­ment ne fasse qu’un avec le peuple et ne songe jamais à exer­cer aucun pou­voir de coer­ci­tion, à moins d’être en accord avec ce qu’il estime être la voix du peuple. Mais je refuse au peuple le droit d’exer­cer une telle coer­ci­tion, que ce soit de lui-même ou par l’in­ter­mé­diaire de son gou­ver­ne­ment, car ce pou­voir est illé­gi­time. Le meilleur gou­ver­ne­ment n’y a pas davan­tage de droit que le pire : un tel pou­voir est aus­si nui­sible, si ce n’est plus, lors­qu’il s’exerce en accord avec l’o­pi­nion publique qu’en oppo­si­tion avec elle. Si tous les hommes moins un par­ta­geaient la même opi­nion, ils n’en auraient pas pour autant le droit d’im­po­ser silence à cette per­sonne, pas plus que celle-ci, d’im­po­ser silence aux hommes si elle en avait le pou­voir. Si une opi­nion n’é­tait qu’une pos­ses­sion per­son­nelle, sans valeur pour d’autres que son pos­ses­seur ; si d’être gêné dans la jouis­sance de cette pos­ses­sion n’é­tait qu’un dom­mage pri­vé, il y aurait une dif­fé­rence à ce que ce dom­mage fût infli­gé à peu ou à beau­coup de personnes. 

Mais ce qu’il y a de par­ti­cu­liè­re­ment néfaste à impo­ser silence à l’ex­pres­sion d’une opi­nion, c’est que cela revient à voler l’hu­ma­ni­té : tant la pos­té­ri­té que la géné­ra­tion pré­sente, les détrac­teurs de cette opi­nion davan­tage encore que ses déten­teurs. Si l’o­pi­nion est juste, on les prive de l’oc­ca­sion d’é­chan­ger l’er­reur pour la véri­té ; si elle est fausse, ils perdent un béné­fice presque aus­si consi­dé­rable : une per­cep­tion plus claire et une impres­sion plus vive de la véri­té que pro­duit sa confron­ta­tion avec l’erreur.

Il est néces­saire de consi­dé­rer sépa­ré­ment ces deux hypo­thèses, à cha­cune des­quelles cor­res­pond une branche dis­tincte de l’ar­gu­ment. On ne peut jamais être sûr que l’o­pi­nion qu’on s’ef­force d’é­touf­fer est fausse ; et si nous l’é­tions, ce serait encore un mal.

Pre­miè­re­ment, il se peut que l’o­pi­nion qu’on cherche à sup­pri­mer soit vraie : ceux qui dési­rent la sup­pri­mer en contestent natu­rel­le­ment la véri­té, mais ils ne sont pas infaillibles. Il n’est pas en leur pou­voir de tran­cher la ques­tion pour l’hu­ma­ni­té entière, ni de reti­rer à d’autres qu’eux les moyens de juger. Refu­ser d’en­tendre une opi­nion sous pré­texte qu’ils sont sûrs de sa faus­se­té, c’est pré­su­mer que leur cer­ti­tude est la cer­ti­tude abso­lue. Étouf­fer une dis­cus­sion, c’est s’ar­ro­ger l’in­failli­bi­li­té. Cet argu­ment com­mun suf­fi­ra à la condam­na­tion de ce pro­cé­dé, car tout com­mun qu’il soit, il n’en est pas plus mauvais.

Mal­heu­reu­se­ment pour le bon sens des hommes, le fait de leur failli­bi­li­té est loin de gar­der dans leur juge­ment pra­tique le poids qu’ils lui accordent en théo­rie. En effet, bien que cha­cun se sache faillible, peu sont ceux qui jugent néces­saire de se pré­mu­nir contre cette failli­bi­li­té, ou d’ad­mettre qu’une opi­nion dont ils se sentent très sûrs puisse être un exemple de cette erreur. Les princes abso­lus, ou qui­conque accou­tu­mé à une défé­rence illi­mi­tée, éprouvent ordi­nai­re­ment cette entière confiance en leurs propres opi­nions sur presque tous les sujets. Les hommes les plus heu­reu­se­ment pla­cés qui voient par­fois leurs opi­nions dis­pu­tées, et qui ne sont pas com­plè­te­ment inac­cou­tu­més à être cor­ri­gés lors­qu’ils ont tort, n’ac­cordent cette même confiance illi­mi­tée qu’aux opi­nions qu’ils par­tagent avec leur entou­rage, ou avec ceux envers qui ils défèrent habi­tuel­le­ment ; car moins un homme fait confiance à son juge­ment soli­taire, plus il s’en remet impli­ci­te­ment à l’in­failli­bi­li­té « du  monde »  en  géné­ral. Et le monde, pour chaque indi­vi­du, signi­fie la par­tie du monde avec laquelle il est en contact : son par­ti, sa secte, son Église, sa classe sociale. En com­pa­rai­son, on trou­ve­ra à un homme l’es­prit large et libé­ral s’il étend le terme de « monde » à son pays ou son époque. Et sa foi dans cette auto­ri­té col­lec­tive ne sera nul­le­ment ébran­lée quoi­qu’il sache que d’autres siècles, d’autres pays, d’autres sectes, d’autres Églises, d’autres par­tis ont pen­sé et pensent encore exac­te­ment le contraire. Il délègue à son propre monde la res­pon­sa­bi­li­té d’a­voir rai­son face aux mondes dis­si­dents des autres hommes, et jamais il ne s’in­quiète de ce que c’est un pur hasard qui a déci­dé lequel de ces nom­breux mondes serait l’ob­jet de sa confiance, et de ce que les causes qui font de lui un angli­can à Londres sont les mêmes qui en auraient fait un boud­dhiste ou confu­cia­niste à Pékin. 

Cepen­dant il est évident, comme pour­raient le prou­ver une infi­ni­té d’exemples, que les époques ne sont pas plus infaillibles que les indi­vi­dus, chaque époque ayant pro­fes­sé nombre d’o­pi­nions que les époques sui­vantes ont esti­mées non seule­ment fausses, mais absurdes. De même il est cer­tain que nombre d’o­pi­nions aujourd’­hui répan­dues seront reje­tées par les époques futures, comme l’é­poque actuelle rejette nombre d’o­pi­nions autre­fois répandues.

Cet argu­ment sus­ci­te­ra pro­ba­ble­ment une objec­tion de la forme sui­vante : inter­dire la pro­pa­ga­tion de l’er­reur n’est effec­ti­ve­ment pas davan­tage une garan­tie d’in­failli­bi­li­té que n’im­porte quel acte accom­pli par l’au­to­ri­té publique selon son propre juge­ment et sous sa propre res­pon­sa­bi­li­té, mais le juge­ment est don­né aux hommes pour qu’ils s’en servent. Pour autant faut-il défendre pure­ment et sim­ple­ment aux hommes de s’en ser­vir sous pré­texte qu’ils risquent d’en faire mau­vais usage ? En inter­di­sant ce qu’ils estiment per­ni­cieux, ils ne pré­tendent pas être exempts d’er­reurs : ils ne font que rem­plir leur devoir d’a­gir selon leur conscience et leur convic­tion, mal­gré leur failli­bi­li­té. Si nous ne devions jamais agir selon nos opi­nions de peur qu’elles ne soient fausses, ce serait négli­ger à la fois tous nos inté­rêts et nos devoirs. Une opi­nion qui s’ap­plique à toute conduite en géné­ral ne sau­rait être une objec­tion valable à aucune conduite en par­ti­cu­lier. C’est le devoir du gou­ver­ne­ment, et des indi­vi­dus, de se for­mer les opi­nions les plus justes qu’ils peuvent, de se les for­mer avec soin, sans jamais les impo­ser aux autres à moins d’être tout à fait sûrs d’a­voir rai­son. Mais quand ils en sont sûrs (diront les rai­son­neurs), ce n’est point la conscience, mais la couar­dise qui les retient de lais­ser se dif­fu­ser cer­taines doc­trines qu’­hon­nê­te­ment ils estiment dan­ge­reuses pour le bien-être de l’hu­ma­ni­té, soit dans cette vie, soit dans l’autre ; et cela, parce que d’autres peuples en des temps moins éclai­rés ont répri­mé des opi­nions qu’on croit justes aujourd’­hui. Gar­­dons-nous, dira-t-on, de refaire la même erreur. Mais gou­ver­ne­ments et nations ont com­mis des erreurs dans d’autres domaines dont on ne nie pas qu’ils soient du res­sort de l’au­to­ri­té publique : ils ont levé de mau­vais impôts, mené des guerres injustes. Est-ce une rai­son pour ne plus lever d’im­pôts ou pour ne plus faire de guerres, en dépit des pro­vo­ca­tions ? Les hommes et les gou­ver­ne­ments doivent agir du mieux qu’ils peuvent. Il n’existe pas de cer­ti­tude abso­lue, mais il y en a assez pour les besoins de la vie. Nous pou­vons et devons pré­su­mer juste notre opi­nion, suf­fi­sam­ment pour diri­ger notre conduite ; et ce n’est pré­su­mer rien de plus que d’empêcher les mau­vaises gens de per­ver­tir la socié­té en pro­pa­geant des opi­nions que nous jugeons fausses et pernicieuses.

Je réponds que c’est pré­su­mer bien davan­tage. Il existe une dif­fé­rence extrême entre pré­su­mer vraie une opi­nion qui a sur­vé­cu à toutes les réfu­ta­tions et pré­su­mer sa véri­té afin de ne pas en per­mettre la réfu­ta­tion. La liber­té com­plète de contre­dire et de réfu­ter notre opi­nion est la condi­tion même qui nous per­met de pré­su­mer sa véri­té en vue d’a­gir : c’est là la seule façon ration­nelle don­née à un être doué de facul­tés humaines de s’as­su­rer qu’il est dans le vrai.

Quand nous consi­dé­rons soit l’his­toire de l’o­pi­nion, soit le cours ordi­naire de la vie humaine, à quoi attri­buer que l’une et l’autre ne soient pas pires ? Certes pas à la force propre de l’in­tel­li­gence humaine ; car, pour toute ques­tion déli­cate, une per­sonne sur cent sera capable de tran­cher ; et encore, la capa­ci­té de cette unique per­sonne n’est que rela­tive. Car la majo­ri­té des grands hommes des géné­ra­tions pas­sées a sou­te­nu maintes opi­nions aujourd’­hui tenues pour erro­nées et fait et approu­vé nombre de choses que nul ne jus­ti­fie plus aujourd’­hui. Com­ment se fait-il alors qu’il y ait glo­ba­le­ment pré­pon­dé­rance d’o­pi­nions et de conduites ration­nelles dans l’hu­ma­ni­té ? Si pré­pon­dé­rance il y a — et sans elle, les affaires humaines seraient et eussent tou­jours été dans un état presque déses­pé­ré — elle le doit à une qua­li­té de l’es­prit humain, à la source de tout ce qu’il y a de res­pec­table en l’homme en tant qu’être intel­lec­tuel et moral, à savoir que ses erreurs sont rec­ti­fiables. Par la dis­cus­sion et l’ex­pé­rience — mais non par la seule expé­rience — il est capable de cor­ri­ger ses erreurs : la dis­cus­sion est néces­saire pour mon­trer com­ment inter­pré­ter l’ex­pé­rience. Fausses opi­nions et fausses pra­tiques cèdent gra­duel­le­ment devant le fait et l’ar­gu­ment ; mais pour pro­duire quelque effet sur l’es­prit, ces faits et argu­ments doivent lui être pré­sen­tés. Rares sont les faits qui parlent d’eux-mêmes, sans com­men­taire qui fasse res­sor­tir leur signi­fi­ca­tion. Il s’en­suit que toute la force et la valeur de l’es­prit humain — puis­qu’il dépend de cette facul­té d’être rec­ti­fié quand il s’é­gare — n’est vrai­ment fiable que si tous les moyens pour le rec­ti­fier sont à por­tée de main. Le juge­ment d’un homme s’a­vère-t-il digne de confiance, c’est qu’il a su demeu­rer ouvert aux cri­tiques sur ses opi­nions et sa conduite ; c’est qu’il a pris l’ha­bi­tude d’é­cou­ter tout ce qu’on disait contre lui, d’en pro­fi­ter autant qu’il était néces­saire et de s’ex­po­ser à lui-même — et par­fois aux autres — la faus­se­té de ce qui était faux : c’est qu’il a sen­ti que la seule façon pour un homme d’ac­cé­der à la connais­sance exhaus­tive d’un sujet est d’é­cou­ter ce qu’en disent des per­sonnes d’o­pi­nions variées et   com­ment   l’en­vi­sagent   dif­fé­rentes   formes d’es­prit. Jamais homme sage n’ac­quit sa sagesse autre­ment ; et la nature de l’in­tel­li­gence humaine est telle qu’elle ne peut l’ac­qué­rir autre­ment. Loin de sus­ci­ter doute et hési­ta­tion lors de la mise en pra­tique, s’ha­bi­tuer à cor­ri­ger et com­plé­ter sys­té­ma­ti­que­ment son opi­nion en la com­pa­rant à celle des autres est la seule garan­tie qui la rende digne de confiance. En effet l’homme sage — pour connaître mani­fes­te­ment tout ce qui se peut dire contre lui, pour défendre sa posi­tion contre tous les contra­dic­teurs, pour savoir que loin d’é­vi­ter les objec­tions et les dif­fi­cul­tés, il les a recher­chées et n’a négli­gé aucune lumière sus­cep­tible d’é­clai­rer tous les aspects du sujet — l’homme sage a le droit de pen­ser que son juge­ment vaut mieux que celui d’un autre ou d’une mul­ti­tude qui n’ont pas sui­vi le même processus.

Ce n’est pas trop exi­ger que d’im­po­ser à ce qu’on appelle le public — ce mélange hété­ro­clite d’une mino­ri­té de sages et d’une majo­ri­té de sots — de se sou­mettre à ce que les hommes les plus sages — ceux qui peuvent le plus pré­tendre à la fia­bi­li­té de leur juge­ment — estiment néces­saire pour garan­tir leur juge­ment. La plus into­lé­rante des Églises, l’É­glise catho­lique romaine, admet et écoute patiem­ment, même lors de la cano­ni­sa­tion d’un saint, un « avo­cat du diable ». Les plus saints des hommes ne sau­raient être admis aux hon­neurs post­humes avant que tout ce que le diable peut dire contre eux ne soit connu et pesé. S’il était inter­dit de remettre en ques­tion la phi­lo­so­phie new­to­nienne, l’hu­ma­ni­té ne pour­rait aujourd’­hui la tenir pour   vraie   en   toute   cer­ti­tude.   Les croyances pour les­quelles nous avons le plus de garan­tie n’ont pas d’autre sau­ve­garde qu’une invi­ta­tion constante au monde entier de les prou­ver non fon­dées. Si le défi n’est pas rele­vé — ou s’il est rele­vé et que la ten­ta­tive échoue — nous demeu­re­rons assez éloi­gnés de la cer­ti­tude, mais nous aurons fait de notre mieux dans l’é­tat actuel de la rai­son humaine : nous n’au­rons rien négli­gé pour don­ner à la véri­té une chance de nous atteindre. Les lices res­tant ouvertes, nous pou­vons espé­rer que s’il existe une meilleure véri­té, elle sera décou­verte lorsque l’es­prit humain sera capable de la rece­voir. Entre-temps, nous pou­vons être sûrs que notre époque a appro­ché la véri­té d’aus­si près que pos­sible. Voi­là toute la cer­ti­tude à laquelle peut pré­tendre un être faillible, et la seule manière d’y parvenir.

Il est éton­nant que les hommes admettent la vali­di­té des argu­ments en faveur de la libre dis­cus­sion, mais qu’ils objectent dès qu’il s’a­git de les « pous­ser jus­qu’au bout », et cela sans voir que si ces rai­sons ne sont pas bonnes pour un cas extrême, c’est qu’elles ne valent rien. Il est éton­nant qu’ils s’i­ma­ginent s’at­tri­buer l’in­failli­bi­li­té en recon­nais­sant la néces­si­té de la libre dis­cus­sion sur tous les sujets ouverts au doute, mais pensent éga­le­ment que cer­taines doc­trines ou prin­cipes par­ti­cu­liers devraient échap­per à la remise en ques­tion sous pré­texte que leur cer­ti­tude est prou­vée, ou plu­tôt qu’ils sont cer­tains, eux, de leur cer­ti­tude. Qua­li­fier une pro­po­si­tion de cer­taine tant qu’il existe un être qui nie­rait cette cer­ti­tude s’il en avait la per­mis­sion alors qu’il est pri­vé de celle-ci, c’est nous pré­su­mer — nous et ceux qui sont d’ac­cord avec nous — les garants de la cer­ti­tude, garants qui de sur­croît pour­raient se dis­pen­ser d’en­tendre la par­tie adverse.

Dans notre époque — qu’on a décrite comme « pri­vée de foi, mais ter­ri­fiée devant le scep­ti­cisme » — où les gens se sentent sûrs non pas tant de la véri­té de leurs opi­nions que de leur néces­si­té, les droits d’une opi­nion à demeu­rer pro­té­gée contre l’at­taque publique se fondent moins sur sa véri­té que sur son impor­tance pour la socié­té. Il y a, dit-on, cer­taines croyances si utiles, voire si indis­pen­sables au bien-être qu’il est du devoir des gou­ver­ne­ments de les défendre, au même titre que d’autres inté­rêts de la socié­té. Devant une telle situa­tion de néces­si­té, devant un cas s’ins­cri­vant aus­si évi­dem­ment dans leur devoir, assure-t-on, un peu moins d’in­failli­bi­li­té suf­fi­rait pour jus­ti­fier, voire obli­ger, les gou­ver­ne­ments à agir selon leur propre opi­nion, confir­mée par l’o­pi­nion géné­rale de l’hu­ma­ni­té. On avance aus­si sou­vent — et on le pense plus sou­vent encore — que seuls les méchants dési­re­raient affai­blir ces croyances salu­taires ; aus­si n’y a‑t‑il rien de mal à inter­dire ce qu’eux seuls vou­draient faire. Cette manière de pen­ser, en jus­ti­fiant les res­tric­tions sur la dis­cus­sion, fait de ce pro­blème non plus une ques­tion de véri­té, mais d’u­ti­li­té des doc­trines ; et on se flatte ce fai­sant d’é­chap­per à l’ac­cu­sa­tion de garant infaillible des opi­nions. Mais ceux qui se satis­font à si bon compte ne s’a­per­çoivent pas que la pré­ten­tion à l’in­failli­bi­li­té est sim­ple­ment dépla­cée. L’u­ti­li­té même d’une opi­nion est affaire d’o­pi­nion : elle est un objet de dis­pute ouvert à la dis­cus­sion, et qui l’exige autant que l’o­pi­nion elle-même. Il fau­dra un garant infaillible des opi­nions tant pour déci­der qu’une opi­nion est nui­sible que pour déci­der qu’elle est fausse, à moins que l’o­pi­nion ain­si condam­née n’ait toute lati­tude pour se défendre. Il ne convient donc pas de dire qu’on per­met à un héré­tique de sou­te­nir l’u­ti­li­té ou le carac­tère inof­fen­sif de son opi­nion si on lui défend d’en sou­te­nir la véri­té. La véri­té d’une opi­nion fait par­tie de son uti­li­té. Lorsque nous vou­lons savoir s’il est sou­hai­table qu’une pro­po­si­tion soit par­ta­gée, est-il pos­sible d’ex­clure la ques­tion de savoir si oui ou non elle est vraie ? Dans l’o­pi­nion, non des méchants mais des meilleurs des hommes, nulle croyance contraire à la véri­té ne peut être réel­le­ment utile : pou­­vez-vous empê­cher de tels hommes d’a­van­cer cet argu­ment quand on les accuse de s’op­po­ser à l’u­ti­li­té pré­ten­due d’une doc­trine qu’ils estiment fausse par ailleurs ? Ceux qui défendent les opi­nions reçues ne manquent jamais de tirer tous les avan­tages pos­sibles de cette excuse : jamais on ne les voit, eux, trai­ter de la ques­tion de l’u­ti­li­té comme si on pou­vait l’abs­traire com­plè­te­ment de celle de la véri­té. Au contraire, c’est avant tout parce que leur doc­trine est « la véri­té » qu’ils estiment si indis­pen­sable de la connaître ou d’y croire. Il ne peut y avoir de dis­cus­sion loyale sur la ques­tion de l’u­ti­li­té quand un seul des deux par­tis peut se per­mettre d’a­van­cer un argu­ment aus­si vital. Et en fait, lorsque la loi ou le sen­ti­ment public ne per­mettent pas de remettre en ques­tion la véri­té d’une opi­nion, ils tolèrent tout aus­si peu un déni de son uti­li­té. Ce qu’ils per­mettent, tout au plus, c’est une atté­nua­tion de sa néces­si­té abso­lue ou de la faute indé­niable qu’il y aurait à la rejeter.

Afin de mieux illus­trer tout le mal qu’il y a à refu­ser d’é­cou­ter des opi­nions parce que nous les avons condam­nées d’a­vance dans notre propre juge­ment, il convient d’an­crer la dis­cus­sion sur un cas concret. Je choi­si­rai de pré­fé­rence les cas qui me sont le moins favo­rables, ceux dans les­quels les argu­ments contre la liber­té d’o­pi­nion — tant du côté de la véri­té que de l’u­ti­li­té — sont esti­més les plus forts. Sup­po­sonsque les opi­nions contes-tées soient la croyance en un Dieu et en une vie future, ou n’im­porte laquelle des doc­trines morales com­mu­né­ment reçues. Livrer bataille sur un tel ter­rain, c’est don­ner grand avan­tage à un adver­saire de mau­vaise foi, car il dira sûre­ment (et bien d’autres qui ne vou­draient pas faire montre de mau­vaise foi se le diront inté­rieu­re­ment avec lui) : sont-ce là les doc­trines que vous n’es­ti­mez pas suf­fi­sam­ment cer­taines pour être pro­té­gées par la loi ? La croyance en un Dieu est-elle, selon vous, de ces opi­nions dont on ne peut se sen­tir sûr sans pré­tendre à l’in­failli­bi­li­té ? Qu’on me per­mette de remar­quer que le fait de se sen­tir sûr d’une doc­trine (quelle qu’elle soit) n’est pas ce que j’ap­pelle pré­tendre à l’in­failli­bi­li­té. J’en­tends par là le fait de vou­loir déci­der cette ques­tion pour les autres sans leur per­mettre d’en­tendre ce qu’on peut dire de l’autre côté. Et je dénonce et ne réprouve pas moins cette pré­ten­tion quand on l’a­vance en  faveur de mes convic­tions  les plus solen­nelles. Quelque per­sua­dé que soit un homme non seule­ment de la faus­se­té, mais des consé­quences per­ni­cieuses d’une opi­nion — non seule­ment de ses consé­quences per­ni­cieuses, mais (pour employer des expres­sions que je condamne abso­lu­ment) de son immo­ra­li­té et de son impié­té — c’est pré­su­mer de son infailli­bi­li­té, et cela en dépit du sou­tien que lui accor­de­rait le juge­ment public de son pays ou de ses contem­po­rains, que d’empêcher cette opi­nion de plai­der pour sa défense. Et cette pré­somp­tion, loin d’être moins dan­ge­reuse ou répré­hen­sible, serait d’au­tant plus fatale que l’o­pi­nion en ques­tion serait appe­lée immo­rale ou impie. Telles sont jus­te­ment les occa­sions où les hommes com­mettent ces ter­ribles erreurs qui ins­pirent à la pos­té­ri­té stu­peur et hor­reur. Nous en trou­vons des exemples mémo­rables dans l’his­toire lorsque nous voyons le bras de la jus­tice uti­li­sé pour déci­mer les meilleurs hommes et les meilleurs doc­trines, et cela avec un suc­cès déplo­rable quant aux hommes ; quant aux doc­trines, cer­taines ont sur­vé­cu pour être (comme par déri­sion) invo­quées en défense d’une conduite sem­blable envers ceux-là mêmes qui diver­geaient de celles-ci ou de leur inter­pré­ta­tion cou­ram­ment admise.

On ne sau­rait rap­pe­ler trop sou­vent à l’hu­ma­ni­té qu’il a exis­té autre­fois un homme du nom de Socrate, et qu’il y eut, entre celui-ci et les auto­ri­tés et l’o­pi­nion publique de son temps, un affron­te­ment mémo­rable. Né dans un siècle et dans un pays riche en gran­deur indi­vi­duelle, l’i­mage qui nous a été trans­mise par ceux qui connais­saient le mieux à la fois le per­son­nage et son époque, est celle de l’homme le plus ver­tueux de son temps ; mais nous le connais­sons éga­le­ment comme le chef et le modèle de tous ces grands maîtres de ver­tu qui lui furent pos­té­rieurs, tout à la fois la source et la noble ins­pi­ra­tion de Pla­ton et de l’u­ti­li­ta­risme judi­cieux d’A­ris­tote, « i maës­tri di color que san­no », eux-mêmes à l’o­ri­gine de l’é­thique et de toute phi­lo­so­phie. Ce maître avoué de tous les émi­nents pen­seurs qui vécurent après lui — cet homme dont la gloire ne cesse de croître depuis plus de deux mille ans et éclipse celle de tous les autres noms qui illus­trèrent sa ville natale — fut mis à mort par ses conci­toyens après une condam­na­tion juri­dique pour impié­té et immo­ra­li­té. Impié­té, pour avoir nié les dieux recon­nus par l’É­tat ; en effet, ses accu­sa­teurs affir­maient (voir l’Apo­lo­gie) qu’il ne croyait en aucun dieu. Immo­ra­li­té, pour avoir été par ses doc­trines et son ensei­gne­ment le « cor­rup­teur de la jeu­nesse ». Il y a tout lieu de croire que le tri­bu­nal le trou­va en conscience cou­pable de ces crimes ; et il condam­na à mort comme un cri­mi­nel l’homme pro­ba­ble­ment le plus digne de mérite de ses contem­po­rains et de l’humanité.

Pas­sons à pré­sent au seul autre exemple d’i­ni­qui­té judi­ciaire dont la men­tion, après la condam­na­tion de Socrate, ne nous fasse pas tom­ber dans la tri­via­li­té [Jésus]. L’é­vé­ne­ment eut lieu sur le Cal­vaire il y a un peu plus de mille huit cents ans. L’homme — qui lais­sa sur tous les témoins de sa vie et de ses paroles une telle impres­sion de gran­deur morale que les dix-huit siècles sui­vants lui ont ren­du hom­mage comme au Tout-Puis­­sant en per­sonne — cet homme fut igno­mi­nieu­se­ment mis à mort. À quel titre ? Blas­phé­ma­teur. Non seule­ment les hommes mécon­nurent leur bien­fai­teur, mais ils le prirent pour exac­te­ment le contraire de ce qu’il était et le trai­tèrent comme un pro­dige d’im­pié­té, accu­sa­tion aujourd’­hui retour­née contre eux pour le trai­te­ment qu’ils lui infli­gèrent. Aujourd’­hui, les sen­ti­ments qui animent les hommes en consi­dé­rant ces évé­ne­ments lamen­tables, spé­cia­le­ment le second, les rendent extrê­me­ment injustes dans leur juge­ment envers les mal­heu­reux acteurs de ces drames. Ceux-ci, selon toute espé­rance, n’é­taient point des méchants — ils n’é­taient pas pires que le com­mun des hommes —, mais au contraire des hommes qui pos­sé­daient au plus haut point les sen­ti­ments reli­gieux, moraux et patrio­tiques de leur temps et de leur peuple : la sorte même d’homme qui, à toutes les époques y com­pris la nôtre, ont toutes les chances de tra­ver­ser la vie irré­pro­chables et res­pec­tés. Le grand prêtre qui déchi­ra ses vête­ments en enten­dant pro­non­cer les paroles qui, selon toutes les concep­tions de son pays, consti­tuaient le plus noir des crimes, éprou­va sans doute une hor­reur sin­cère, à la mesure des sen­ti­ments moraux et reli­gieux pro­fes­sés par le com­mun des hommes pieux et res­pec­tables. Pour­tant la plu­part de ceux qui fré­missent aujourd’­hui devant sa conduite auraient agi exac­te­ment de même s’ils avaient vécu à cette époque et étaient nés juifs. Les chré­tiens ortho­doxes qui sont ten­tés de croire que ceux qui lapi­dèrent les pre­miers mar­tyrs furent plus méchants qu’eux-mêmes devraient se sou­ve­nir que saint Paul fut au nombre des persécuteurs.

Ajou­tons encore un exemple, le plus frap­pant de tous si tant est que le carac­tère impres­sion­nant d’une erreur se mesure à la sagesse et à la ver­tu de celui qui la com­met. Si jamais monarque eut sujet de se croire le meilleur et le plus éclai­ré de ses contem­po­rains, ce fut l’empereur Marc Aurèle. Maître abso­lu du monde civi­li­sé tout entier, il se condui­sit toute sa vie avec la plus pure jus­tice et conser­va, en dépit de son édu­ca­tion stoï­cienne, le plus tendre des cœurs. Le peu de fautes qu’on lui attri­bue viennent toutes de son indul­gence, tan­dis que ses écrits, l’œuvre éthique la plus noble de l’An­ti­qui­té, ne dif­fère qu’à peine, sinon pas du tout, des ensei­gne­ments les plus carac­té­ris­tiques du Christ. Ce fut cet homme — meilleur chré­tien dans tous les sens du terme (le dog­ma­tique excep­té) que la plu­part des sou­ve­rains offi­ciel­le­ment chré­tiens qui ont régné depuis — ce fut cet homme qui per­sé­cu­ta le chris­tia­nisme. A la pointe de tous les pro­grès anté­rieurs de l’hu­ma­ni­té, doué d’une intel­li­gence ouverte et libre et d’un carac­tère qui le por­tait à incar­ner dans ses écrits moraux l’i­déal chré­tien, il ne sut pas voir — tout péné­tré qu’il était de son devoir — que le chris­tia­nisme était un bien et non un mal pour le monde. Il savait que la socié­té de son temps était dans un état déplo­rable. Mais telle qu’elle était, il vit ou s’i­ma­gi­na voir que ce qui l’empêchait d’empirer était la foi et la véné­ra­tion qu’elle vouait aux anciennes divi­ni­tés. En tant que sou­ve­rain, il esti­ma de son devoir de ne pas lais­ser la socié­té se dis­soudre, et ne vit pas com­ment, si on ôtait les liens exis­tants, on en pour­rait refor­mer d’autres pour la res­sou­der. La nou­velle reli­gion visait ouver­te­ment à défaire ces liens ; et comme son devoir ne lui dic­tait pas d’a­dop­ter cette reli­gion, c’est qu’il lui fal­lait la détruire. C’est ain­si que le plus doux et le plus aimable des phi­lo­sophes et des sou­ve­rains — parce qu’il ne pou­vait ni croire que la théo­lo­gie du chris­tia­nisme fût vraie ou d’o­ri-gine divine, ni accré­di­ter cette étrange his­toire d’un dieu cru­ci­fié, ni pré­voir qu’un sys­tème cen­sé repo­ser entiè­re­ment sur de telles bases s’a­vé­re­rait par la suite, en dépit des revers, l’agent du renou­vel­le­ment — fut conduit par un sens pro­fond du devoir à auto­ri­ser la per­sé­cu­tion du chris­­tia-nisme. À mon sens, c’est l’un des évé­ne­ments les plus tra­giques de l’his­toire. On n’i­ma­gine pas sans amer­tume com­bien le chris­tia­nisme du monde aurait été dif­fé­rent si la foi chré­tienne était deve­nue la reli­gion de l’empire sous les aus­pices de Marc Aurèle et non ceux de Constan­tin. Mais ce serait être à la fois injuste envers Marc Aurèle et infi­dèle à la véri­té de nier que, s’il répri­ma comme il le fit la pro­pa­ga­tion du chris­tia­nisme, il invo­qua tous les argu­ments pour répri­mer les ensei­gne­ments anti­chré­tiens. Tout chré­tien croit fer­me­ment que l’a­théisme mène à la dis­so­lu­tion de la socié­té : Marc Aurèle le pen­sait tout aus­si fer­me­ment du chris­tia­nisme, lui qui, de tous ses contem­po­rains, parais­sait le plus capable d’en juger. À moins de riva­li­ser en sagesse et en bon­té avec Marc Aurèle, à moins d’être plus pro­fon­dé­ment ver­sé dans la sagesse de son temps, de se comp­ter par­mi les esprits supé­rieurs, de mon­trer plus de sérieux dans la quête de la véri­té et lui être plus dévoué après l’a­voir trou­vée — mieux vaut donc que le par­ti­san des sanc­tions à ren­contre de ceux qui pro­pagent cer­taines opi­nions cesse d’af­fir­mer sa propre infailli­bi­li­té et celle de la mul­ti­tude, comme le fit le grand Anto­nin avec un si fâcheux résultat.

Conscients de l’im­pos­si­bi­li­té de défendre des sanc­tions à l’en­contre des opi­nions irré­li­gieuses sans jus­ti­fier Marc Aurèle, les enne­mis de la liber­té de culte acceptent par­fois cette consé­quence, quand on les pousse dans leurs der­niers retran­che­ments ; et ils disent, avec le Dr John­son, que les per­sé­cu­teurs du chris­tia­nisme étaient dans le vrai, que la per­sé­cu­tion est une épreuve que la véri­té doit subir, et qu’elle subit tou­jours avec suc­cès, puisque les sanc­tions — bien qu’ef­fi­caces contre les erreurs per­ni­cieuses — s’a­vèrent tou­jours impuis­santes contre la véri­té. Voi­là une forme remar­quable de l’ar­gu­ment en faveur de l’in­to­lé­rance reli­gieuse qui mérite qu’on s’y arrête.

Une théo­rie qui sou­tient qu’il est légi­time de per­sé­cu­ter la véri­té sous pré­texte que la per­sé­cu­tion ne peut pas lui faire de tort, ne sau­rait être accu­sée d’être hos­tile par avance à l’ac­cueil de véri­tés nou­velles. Mais elle ne se recom­mande pas par la géné­ro­si­té du trai­te­ment qu’elle réserve à ceux envers qui l’hu­ma­ni­té est rede­vable de ces véri­tés. Révé­ler au monde quelque chose qui lui importe au pre­mier chef et qu’il igno­rait jusque-là, lui mon­trer son erreur sur quelque point vital de ses inté­rêts spi­ri­tuels et tem­po­rels, c’est le ser­vice le plus impor­tant qu’un être humain puisse rendre à ses sem­blables ; et dans cer­tains cas, comme celui des pre­miers chré­tiens et des réfor­ma­teurs, les par­ti­sans de l’o­pi­nion du Dr John­son croient qu’il s’a­git là des dons les plus pré­cieux qu’on puisse faire à l’hu­ma­ni­té. En revanche, qu’on récom­pense les auteurs de ces magni­fiques bien­faits par le mar­tyr ou le trai­te­ment qu’on réserve aux plus vils cri­mi­nels, voi­là qui n’est pas, selon cette théo­rie, une erreur et un mal­heur déplo­rables dont l’hu­ma­ni­té devrait se repen­tir dans le sac et la cendre, mais le cours nor­mal et légi­time des choses. Tou­jours selon cette théo­rie, l’au­teur d’une véri­té nou­velle devrait, comme chez les Locriens celui qui pro­po­sait une loi nou­velle, se pré­sen­ter la corde au cou qu’on ser­rait aus­si­tôt si l’as­sem­blée publique, après avoir enten­du ses rai­sons, n’a­dop­tait pas sur-le-champ sa pro­po­si­tion. Il est impos­sible de sup­po­ser que ceux qui défendent cette façon de trai­ter les bien­fai­teurs attachent beau­coup de prix aux bien­faits. Et je crois que ce point de vue n’existe que chez les gens per­sua­dés que les véri­tés nou­velles étaient peut-être sou­hai­tables autre­fois, mais que nous en avons assez aujourd’hui.

Mais assu­ré­ment, cette affir­ma­tion selon laquelle la véri­té triomphe tou­jours de la per­sé­cu­tion est un de ces men­songes que les hommes se plaisent à se trans­mettre — mais que réfute toute expé­rience — jus­qu’à ce qu’ils deviennent des lieux com­muns. L’his­toire regorge d’exemples de véri­tés étouf­fées par la per­sé­cu­tion ; et si elle n’est pas sup­pri­mée, elle se per­pé­tue­ra encore des siècles durant. Pour ne par­ler que des opi­nions reli­gieuses, la Réforme écla­ta au moins vingt fois avant Luther, et elle fut réduite au silence. Arnaud de Bres­cia, Fra Dol­ci­no, Savo­na­role : réduits au silence. Les Albi­geois, les Vau­dois, les Lol­lards, les Hus­sites : réduits au silence. Même après Luther, par­tout où la per­sé­cu­tion se per­pé­tua, elle fut vic­to­rieuse. En Espagne, en Ita­lie, en Flandres, en Autriche, le pro­tes­tan­tisme fut extir­pé ; et il en aurait été très pro­ba­ble­ment de même en Angle­terre, si la reine Marie avait vécu, ou si la reine Eli­za­beth était morte. La per­sé­cu­tion a triom­phé par­tout, excep­té là où les héré­tiques for­maient un par­ti trop puis­sant pour être effi­ca­ce­ment per­sé­cu­tés. Le chris­tia­nisme aurait pu être extir­pé de l’empire romain : aucun homme rai­son­nable n’en peut dou­ter. Il ne se répan­dit et ne s’im­po­sa que parce que les per­sé­cu­tions demeu­rèrent spo­ra­diques, de courte durée et sépa­rées par de longs inter­valles de pro­pa­gande presque libre. C’est pure sen­si­ble­rie de croire que la véri­té, la véri­té la plus pure — et non l’er­reur — porte en elle ce pou­voir de pas­ser outre le cachot et le bûcher. Sou­vent les hommes ne sont pas plus zélés pour la véri­té que pour l’er­reur ; et une appli­ca­tion suf­fi­sante de peines légales ou même sociales réus­sit le plus sou­vent à arrê­ter la pro­pa­ga­tion de l’une et l’autre. Le prin­ci­pal avan­tage de la véri­té consiste en ce que lors­qu’une opi­nion est vraie, on a beau l’é­touf­fer une fois, deux fois et plus encore, elle finit tou­jours par réap­pa­raître dans le corps de l’his­toire pour s’im­plan­ter défi­ni­ti­ve­ment à une époque où, par suite de cir­cons­tances favo­rables, elle échappe à la per­sé­cu­tion assez long­temps pour être en mesure de faire front devant les ten­ta­tives de répres­sion ultérieures.

On nous dira qu’au­jourd’­hui, nous ne met­tons plus à mort ceux qui intro­duisent des opi­nions nou­velles. Contrai­re­ment à nos pères, nous ne mas­sa­crons pas les pro­phètes : nous leur éle­vons des sépulcres. Il est vrai, nous ne met­tons plus à mort les héré­tiques, et les sanc­tions pénales que nous tolé­rons aujourd’­hui, même contre les opi­nions les plus odieuses, ne suf­fi­raient pas à les extir­per. Mais ne nous flat­tons pas encore d’a­voir échap­pé à la honte de la per­sé­cu­tion légale. Le délit d’o­pi­nion — ou tout du moins de son expres­sion — existe encore, et les exemples en sont encore assez nom­breux pour ne pas exclure qu’ils reviennent un jour en force. En 1857, aux assises d’é­té du com­té de Cor­nouailles, un mal­heu­reux[2], connu pour sa conduite irré­pro­chable à tous égards, fut condam­né à vingt et un mois d’emprisonnement pour avoir dit et écrit sur une porte quelques mots offen­sants à l’é­gard du chris­tia­nisme. À peine un mois plus tard, à l’Old Bai­ley, deux per­sonnes, à deux occa­sions dis­tinctes, furent refu­sées comme jurés[3], et l’une d’elles fut gros­siè­re­ment insul­tée par le juge et l’un des avo­cats, parce qu’elles avaient décla­ré hon­nê­te­ment n’a­voir aucune croyance reli­gieuse. Pour la même rai­son, une troi­sième per­sonne, un étran­ger vic­time d’un vol[4] se vit refu­ser jus­tice. Ce refus de répa­ra­tion fut éta­bli en ver­tu de la doc­trine légale selon laquelle une per­sonne qui ne croit pas en Dieu (peu importe le dieu) et en une vie future ne peut être admise à témoi­gner au tri­bu­nal ; ce qui équi­vaut à décla­rer ces per­sonnes hors-la-loi, exclues de la pro­tec­tion des tri­bu­naux ; non seule­ment elles peuvent être impu­né­ment l’ob­jet de vols ou de voies de fait si elles n’ont d’autres témoins qu’elles-mêmes ou des gens de leur opi­nion, mais encore n’im­porte qui peut subir ces atten­tats impu­né­ment si la preuve du fait dépend de leur témoi­gnage. Le pré­sup­po­sé à l’o­ri­gine de cette loi est que le ser­ment d’une per­sonne qui ne croit pas en une vie future est sans valeur, pro­po­si­tion qui révèle chez ceux qui l’ad­mettent une grande igno­rance de l’his­toire (puis­qu’il est his­to­ri­que­ment vrai que la plu­part des infi­dèles de toutes les époques étaient des gens dotés d’un sens de l’hon­neur et d’une inté­gri­té remar­quables) ; et pour sou­te­nir une telle opi­nion, il fau­drait ne pas soup­çon­ner com­bien de per­sonnes répu­tées dans le monde tant pour leurs ver­tus que leurs talents sont bien connues, de leurs amis intimes du moins, pour être des incroyants. D’ailleurs cette règle se détruit d’elle-même en se cou­pant de ce qui la fonde. Sous pré­texte que les athées sont des men­teurs, elle incite tous les athées à men­tir et ne rejette que ceux qui bravent la honte de confes­ser publi­que­ment une opi­nion détes­tée plu­tôt que de sou­te­nir un men­songe. Une règle qui se condamne ain­si à l’ab­sur­di­té eu égard à son but avoué ne peut être main­te­nue en vigueur que comme une marque de haine, comme un ves­tige de per­sé­cu­tion — per­sé­cu­tion dont la par­ti­cu­la­ri­té est de n’être infli­gée ici qu’à ceux qui ont prou­vé ne pas la méri­ter. Cette règle et la théo­rie qu’elle implique ne sont guère moins insul­tantes pour les croyants que pour les infi­dèles. Car si celui qui ne croit pas en une vie future est néces­sai­re­ment un men­teur, il s’en­suit que seule la crainte de l’en­fer empêche, si tant est qu’elle empêche quoi que ce soit, ceux qui y croient de men­tir. Nous ne ferons pas aux auteurs et aux com­plices de cette règle l’in­jure de sup­po­ser que l’i­dée qu’ils se sont for­mée de la ver­tu chré­tienne est le fruit de leur propre conscience.

À la véri­té, ce ne sont là que des lam­beaux et des restes de per­sé­cu­tion que l’on peut consi­dé­rer non pas tant comme l’in­di­ca­tion de la volon­té de per­sé­cu­ter, mais comme une mani­fes­ta­tion de cette infir­mi­té très fré­quente chez les esprits anglais de prendre un plai­sir absurde à affir­mer un mau­vais prin­cipe alors qu’ils ne sont plus eux-mêmes assez mau­vais pour dési­rer réel­le­ment le mettre en pra­tique. Avec cette men­ta­li­té, il n’y a mal­heu­reu­se­ment aucune assu­rance que la sus­pen­sion des plus odieuses formes de per­sé­cu­tion légale, qui s’est affir­mée l’es­pace d’une géné­ra­tion, conti­nue­ra. À notre époque, la sur­face pai­sible de la rou­tine est fré­quem­ment trou­blée à la fois par des ten­ta­tives de res­sus­ci­ter des maux pas­sés que d’in­tro­duire de nou­veaux biens. Ce qu’on vante à pré­sent comme la renais­sance de la reli­gion cor­res­pond tou­jours dans les esprits étroits et incultes à la renais­sance de la bigo­te­rie ; et lors­qu’il couve dans les sen­ti­ments d’un peuple ce puis­sant levain d’in­to­lé­rance, qui sub­siste dans les classes moyennes de ce pays, il faut bien peu de choses pour les pous­ser à per­sé­cu­ter acti­ve­ment ceux qu’il n’a jamais ces­sé de juger dignes de per­sé­cu­tion[5]. C’est bien cela — les opi­nions que cultivent les hommes et les sen­ti­ments qu’ils nour­rissent à l’é­gard de ceux qui s’op­posent aux croyances qu’ils estiment  impor­tantes — qui  empêche ce pays de deve­nir un lieu de liber­té pour l’es­prit. Depuis long­temps déjà, le prin­ci­pal méfait des sanc­tions légales est de ren­for­cer le stig­mate social. Et ce stig­mate est par­ti­cu­liè­re­ment viru­lent en Angle­terre où l’on pro­fesse bien moins fré­quem­ment des opi­nions mises au ban de la socié­té que dans d’autres pays où l’on avoue des opi­nions entraî­nant des puni­tions judi­ciaires. Pour tout le monde, excep­té ceux que leur for­tune ne rend pas dépen­dants de la bonne volon­té des autres, l’o­pi­nion est sur ce point aus­si effi­cace que la loi : il revient au même que les hommes soient empri­son­nés qu’empêchés de gagner leur pain. Ceux dont le pain est déjà assu­ré et qui n’at­tendent la faveur ni des hommes au pou­voir, ni d’au­cun corps, ni du public, ceux-là n’ont rien à craindre en avouant fran­che­ment n’im­porte quelle opi­nion si ce n’est le mépris ou la calom­nie, et, pour sup­por­ter cela, point n’est besoin d’un grand héroïsme. Il n’y a pas lieu d’en appe­ler ad mise­ri­cor­diam en faveur de telles per­sonnes. Mais, bien que nous n’in­fli­gions plus tant de maux qu’au­tre­fois à ceux qui pensent dif­fé­rem­ment de nous, nous nous fai­sons peut-être tou­jours autant de mal. Socrate fut mis à mort, mais sa phi­lo­so­phie s’é­le­va comme le soleil dans le ciel et répan­dit sa lumière sur tout le fir­ma­ment intel­lec­tuel. Les chré­tiens furent jetés aux lions, mais l’É­glise chré­tienne devint un arbre impo­sant et large, dépas­sant les plus vieux et les moins vigou­reux et les étouf­fant de son ombre. Notre into­lé­rance, pure­ment sociale, ne tue per­sonne, n’ex­tirpe aucune opi­nion, mais elle incite les hommes à dégui­ser les leurs et à ne rien entre­prendre pour les dif­fu­ser. Aujourd’­hui, les opi­nions héré­tiques ne gagnent ni même ne perdent grand ter­rain d’une décade ou d’une géné­ra­tion à l’autre ; mais jamais elles ne brillent d’un vif éclat et per­durent dans le cercle étroit de pen­seurs et de savants où elles ont pris nais­sance, et cela sans jamais jeter sur les affaires géné­rales de l’hu­ma­ni­té une lumière qui s’a­vé­re­rait plus tard vraie ou trom­peuse. C’est ain­si que se per­pé­tue un état de choses très satis­fai­sant pour cer­tains esprits, parce qu’il main­tient toutes les opi­nions domi­nantes dans un calme appa­rent, sans avoir le sou­ci de mettre qui­conque à l’a­mende ou au cachot et sans inter­dire abso­lu­ment l’exer­cice de la rai­son aux dis­si­dents affli­gés de la mala­die de pen­ser. C’est là un plan fort com­mode pour main­te­nir la paix dans le monde intel­lec­tuel et pour lais­ser les choses suivre leur cours habi­tuel. Mais le prix de cette sorte de paci­fi­ca­tion intel­lec­tuelle est le sacri­fice de tout le cou­rage moral de l’es­prit humain. Un état de chose, où les plus actifs et les plus curieux des esprits jugent pru­dent de gar­der pour eux les prin­cipes géné­raux de leurs convic­tions, et où ils s’ef­forcent en public d’a­dap­ter autant que faire se peut leurs propres conclu­sions à des pré­misses qu’ils nient inté­rieu­re­ment, un tel sys­tème cesse de pro­duire ces carac­tères francs et har­dis, ces intel­li­gences logiques et cohé­rentes qui ornaient autre­fois le monde de la pen­sée. Le genre d’hommes qu’en­gendre un tel sys­tème sont soit de purs esclaves du lieu com­mun, soit des oppor­tu­nistes de la véri­té dont les argu­ments sur tous les grands sujets s’a­daptent en fonc­tion de leurs audi­teurs et ne sont pas ceux qui les ont convain­cus eux-mêmes. Ceux qui évitent cette alter­na­tive y par­viennent en limi­tant leur champ de pen­sée et d’in­té­rêt aux choses dont on peut par­ler sans s’a­ven­tu­rer sur le ter­rain des prin­cipes ; c’est-à-dire un petit nombre de pro­blèmes pra­tiques qui se résou­draient d’eux-mêmes si seule­ment les esprits se raf­fer­mis­saient et s’é­lar­gis­saient, mais qui res­te­ront sans solu­tion tant qu’est lais­sé à l’a­ban­don ce qui ren­force et ouvre l’es­prit humain aux spé­cu­la­tions libres et auda­cieuses sur les sujets les plus élevés.

Les hommes qui ne jugent pas mau­vaise cette réserve des héré­tiques devraient d’a­bord consi­dé­rer qu’un tel silence revient à ce que les opi­nions héré­tiques ne fassent jamais l’ob­jet d’une réflexion franche et appro­fon­die, de sorte que celles d’entre elles qui ne résis­te­raient pas à une pareille dis­cus­sion ne dis­pa­raissent pas, même si par ailleurs on les empêche de se répandre. Mais ce n’est pas à l’es­prit héré­tique que nuit le plus la mise au ban de toutes les recherches dont les conclu­sions ne seraient pas conformes à l’or­tho­doxie. Ceux qui en souffrent davan­tage sont les bien-pen­­sants, dont tout le déve­lop­pe­ment intel­lec­tuel est entra­vé et dont la rai­son est sou­mise à la crainte de l’hé­ré­sie. Qui peut cal­cu­ler ce que perd le monde dans cette mul­ti­tude d’in­tel­li­gences pro­met­teuses dou­blées d’un carac­tère timide qui n’osent pas mener à terme un enchaî­ne­ment d’i­dées har­di, vigou­reux et indé­pen­dant de peur d’a­bou­tir à une conclu­sion jugée irré­li­gieuse ou immo­rale ? Par­mi eux, il est par­fois des hommes d’une grande droi­ture, à l’es­prit sub­til et raf­fi­né, qui passent leur vie à ruser avec une intel­li­gence qu’ils ne peuvent réduire au silence, épui­sant ain­si leurs res­sources d’in­gé­nio­si­té à s’ef­for­cer de récon­ci­lier les exi­gences de leur conscience et de leur rai­son avec l’or­tho­doxie, sans for­cé­ment tou­jours y par­ve­nir. Il est impos­sible d’être un grand pen­seur sans recon­naître que son pre­mier devoir est de suivre son intel­li­gence, quelle que soit la conclu­sion à laquelle elle peut mener. La véri­té béné­fi­cie encore plus des erreurs d’un homme qui, après les études et la pré­pa­ra­tion néces­saire, pense par lui-même, que des opi­nions vraies de ceux qui les détiennent uni­que­ment parce qu’ils s’in­ter­disent de pen­ser. Non pas que la liber­té de pen­ser soit exclu­si­ve­ment néces­saire aux grands pen­seurs. Au contraire, elle est aus­si indis­pen­sable — sinon plus indis­pen­sable — à l’homme du com­mun pour lui per­mettre d’at­teindre la sta­ture intel­lec­tuelle dont il est capable. Il y a eu, et il y aura encore peut-être, de grands pen­seurs indi­vi­duels dans une atmo­sphère géné­rale d’es­cla­vage intel­lec­tuel. Mais il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais dans une telle atmo­sphère de peuple intel­lec­tuel­le­ment actif. Quand un peuple accé­dait tem­po­rai­re­ment à cette acti­vi­té, c’est que la crainte des spé­cu­la­tions hété­ro­doxes était pour un temps sus­pen­due. Là où il existe une entente tacite de ne pas remettre en ques­tion les prin­cipes, là où la dis­cus­sion des ques­tions fon­da­men­tales qui pré­oc­cupent l’hu­ma­ni­té est esti­mée close, on ne peut espé­rer trou­ver cette acti­vi­té intel­lec­tuelle de grande enver­gure qui a ren­du si remar­quables cer­taines périodes de l’his­toire. Lorsque la contro­verse évite les sujets assez fon­da­men­taux pour enflam­mer l’en­thou­siasme, jamais on ne voit l’es­prit d’un peuple se déga­ger de ses prin­cipes fon­da­men­taux, jamais il ne reçoit l’im­pul­sion qui élève même les gens d’une intel­li­gence moyenne à la digni­té d’êtres pen­sants. L’Eu­rope a connu de telles périodes d’é­mu­la­tion intel­lec­tuelle : la pre­mière, immé­dia­te­ment après la Réforme ; une autre, quoique limi­tée au Conti­nent et à la classe la plus culti­vée, lors du mou­ve­ment spé­cu­la­tif de la der­nière moi­tié du XVIIIe siècle ; et une troi­sième plus brève encore, lors de la fer­men­ta­tion intel­lec­tuelle de l’Al­le­magne au temps de Goethe et de Fichte. Ces trois périodes dif­fèrent gran­de­ment quant aux opi­nions par­ti­cu­lières qu’elles déve­lop­pèrent, mais elles se res­semblent en ce que tout le temps de leur durée le joug de l’au­to­ri­té fut bri­sé. Dans les trois cas, un ancien des­po­tisme intel­lec­tuel fut détrô­né, sans qu’un autre ne soit venu le rem­pla­cer. L’im­pul­sion don­née par cha­cune de ces trois périodes a fait de l’Eu­rope ce qu’elle est aujourd’­hui. Le moindre pro­grès qui s’est pro­duit, dans l’es­prit ou dans les ins­ti­tu­tions humaines, remonte mani­fes­te­ment à l’une ou l’autre de ces périodes. Tout indique depuis quelque temps que ces trois impul­sions sont pour ain­si dire épui­sées ; et nous ne pren­drons pas de nou­veau départ avant d’a­voir réaf­fir­mé la liber­té de nos esprits.

Pas­sons main­te­nant à la deuxième branche de notre argu­ment et, aban­don­nant l’hy­po­thèse que les opi­nions reçues puissent être fausses, admet­tons qu’elles soient vraies et exa­mi­nons ce que vaut la manière dont on pour­ra les sou­te­nir là où leur véri­té n’est pas libre­ment et ouver­te­ment débat­tue. Quelque peu dis­po­sé qu’on soit à admettre la pos­si­bi­li­té qu’une opi­nion à laquelle on est for­te­ment atta­ché puisse être fausse, on devrait être tou­ché par l’i­dée que, si vraie que soit cette opi­nion, on la consi­dé­re­ra comme un dogme mort et non comme une véri­té vivante, si on ne la remet pas entiè­re­ment, fré­quem­ment, et har­di­ment en question.

Il y a une classe de gens (heu­reu­se­ment moins nom­breuse qu’au­tre­fois) qui estiment suf­fi­sant que quel­qu’un adhère aveu­glé­ment à une opi­nion qu’ils croient vraie sans même connaître ses fon­de­ments et sans même pou­voir la défendre contre les objec­tions les plus super­fi­cielles. Quand de telles per­sonnes par­viennent à faire ensei­gner leur croyance par l’au­to­ri­té, elles pensent natu­rel­le­ment que si l’on en per­met­tait la dis­cus­sion, il n’en résul­te­rait que du mal. Là où domine leur influence, elles rendent presque impos­sible de repous­ser l’o­pi­nion reçue avec sagesse et réflexion, bien qu’on puisse tou­jours la reje­ter incon­si­dé­ré­ment et par igno­rance ; car il est rare­ment pos­sible d’ex­clure com­plè­te­ment la dis­cus­sion, et aus­si­tôt qu’elle reprend, les croyances qui ne sont pas fon­dées sur une convic­tion réelle cèdent faci­le­ment dès que sur­git le moindre sem­blant d’ar­gu­ment. Main­te­nant, écar­tons cette pos­si­bi­li­té et admet­tons que l’o­pi­nion vraie reste pré­sente dans l’es­prit, mais à l’é­tat de pré­ju­gé, de croyance indé­pen­dante de l’ar­gu­ment et de preuve contre ce der­nier : ce n’est pas encore là la façon dont un être rai­son­nable devrait déte­nir la véri­té. Ce n’est pas encore connaître la véri­té. Cette concep­tion de la véri­té n’est qu’une super­sti­tion de plus qui s’ac­croche par hasard aux mots qui énoncent une vérité.

Si l’in­tel­li­gence et le juge­ment des hommes doivent être culti­vés — ce que les pro­tes­tants au moins ne contestent pas —, sur quoi ces facul­tés pour­­ront-elles le mieux s’exer­cer si ce n’est sur les choses qui concernent cha­cun au point qu’on juge néces­saire pour lui d’a­voir des opi­nions à leur sujet ? Si l’en­tre­tien de l’in­tel­li­gence a bien une prio­ri­té, c’est bien de prendre conscience des fon­de­ments de nos opi­nions per­son­nelles. Quoi que l’on pense sur les sujets où il est pri­mor­dial de pen­ser juste, on devrait au moins être capable de défendre ses idées contre les objec­tions ordi­naires. Mais, nous rétor­­que­­ra-t-on : « Qu’on enseigne donc aux hommes les fon­de­ments de leurs opi­nions ! Ce n’est pas parce qu’on n’a jamais enten­du contes­ter des opi­nions qu’on doit se conten­ter de les répé­ter comme un per­ro­quet. Ceux qui étu­dient la géo­mé­trie ne se contentent pas de mémo­ri­ser les théo­rèmes, mais ils les com­prennent et en apprennent éga­le­ment les démons­tra­tions : aus­si serait-il absurde de pré­tendre qu’ils demeurent igno­rants des fon­de­ments des véri­tés géo­mé­triques sous pré­texte qu’ils n’en­tendent jamais qui que ce soit les reje­ter et s’ef­for­cer de les réfu­ter. » Sans doute. Mais un tel ensei­gne­ment suf­fit pour une matière comme les mathé­ma­tiques, où la contes­ta­tion est impos­sible. L’é­vi­dence des véri­tés mathé­ma­tiques a ceci de sin­gu­lier que tous les argu­ments sont du même côté. Il n’y a ni objec­tion ni réponses aux objec­tions. Mais sur tous sujets où la dif­fé­rence d’o­pi­nion est pos­sible, la véri­té dépend d’un équi­libre à éta­blir entre deux groupes d’ar­gu­ments contra­dic­toires. Même en phi­lo­so­phie natu­relle, il y a tou­jours une autre expli­ca­tion pos­sible des mêmes faits : une théo­rie géo­cen­trique au lieu de l’hé­lio­cen­trique, le phlo­gis­tique au lieu de l’oxy­gène ; et il faut mon­trer pour­quoi cette autre théo­rie ne peut pas être la vraie ; et avant de savoir le démon­trer, nous ne com­pre­nons pas les fon­de­ments de notre opi­nion. Mais si nous nous tour­nons vers des sujets infi­ni­ment plus com­pli­qués, vers la morale, la reli­gion, la poli­tique, les rela­tions sociales et les affaires de la vie, les trois quarts des argu­ments pour chaque opi­nion contes­tée consistent à dis­si­per les aspects favo­rables de l’o­pi­nion oppo­sée. L’un des plus grands ora­teurs de l’An­ti­qui­té rap­porte qu’il étu­diait tou­jours la cause de son adver­saire avec autant, sinon davan­tage, d’at­ten­tion que la sienne propre. Ce que Cicé­ron fai­sait en vue du suc­cès au bar­reau doit être imi­té par tous ceux qui se penchent sur un sujet afin d’ar­ri­ver à la véri­té. Celui qui ne connaît que ses propres argu­ments connaît mal sa cause. Il se peut que ses rai­sons soient bonnes et que per­sonne n’ait été capable de les réfu­ter. Mais s’il est tout aus­si inca­pable de réfu­ter les rai­sons du par­ti adverse, s’il ne les connaît même pas, rien ne le fonde à pré­fé­rer une opi­nion à l’autre. Le seul choix rai­son­nable pour lui serait de sus­pendre son juge­ment, et faute de savoir se conten­ter de cette posi­tion, soit il se laisse conduire par l’au­to­ri­té, soit il adopte, comme on le fait en géné­ral, le par­ti pour lequel il se sent le plus d’in­cli­na­tion. Mais il ne suf­fit pas non plus d’en­tendre les argu­ments des adver­saires tels que les exposent ses propres maîtres, c’est-à-dire à leur façon et accom­pa­gnés de leurs réfu­ta­tions. Telle n’est pas la façon de rendre jus­tice à ces argu­ments ou d’y mesu­rer véri­ta­ble­ment son esprit. Il faut pou­voir les entendre de la bouche même de ceux qui y croient, qui les défendent de bonne foi et de leur mieux. Il faut les connaître sous leur forme la plus plau­sible et la plus per­sua­sive : il faut sen­tir toute la force de la dif­fi­cul­té que la bonne approche du sujet doit affron­ter et résoudre. Autre­ment, jamais on ne pos­sé­de­ra cette par­tie de véri­té qui est seule capable de ren­con­trer et de sup­pri­mer la dif­fi­cul­té. C’est pour­tant le cas de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des hommes dits culti­vés, même de ceux qui sont capables d’ex­po­ser leurs opi­nions avec aisance. Leur conclu­sion peut être vraie, mais elle pour­rait être fausse sans qu’ils s’en dou­tassent : jamais ils ne se sont mis à la place de ceux qui pensent dif­fé­rem­ment, jamais ils n’ont prê­té atten­tion à ce que ces per­sonnes avaient à dire. Par consé­quent, ils ne connaissent pas, à pro­pre­ment par­ler, la doc­trine qu’ils pro­fessent. Ils ne connaissent pas ces points fon­da­men­taux de leur doc­trine qui en expliquent et jus­ti­fient le reste, ces consi­dé­ra­tions qui montrent que deux faits, en appa­rence contra­dic­toires, sont récon­ci­liables, ou que de deux rai­sons appa­rem­ment fortes, l’une doit être pré­fé­rée à l’autre. De tels hommes demeurent étran­gers à tout ce pan de la véri­té qui décide du juge­ment d’un esprit par­fai­te­ment éclai­ré. Du reste, seuls le connaissent ceux qui ont éga­le­ment et impar­tia­le­ment fré­quen­tés les deux par­tis et qui se sont atta­chés res­pec­ti­ve­ment à envi­sa­ger leurs rai­sons sous leur forme la plus convain­cante. Cette dis­ci­pline est si essen­tielle à une véri­table com­pré­hen­sion des sujets moraux ou humains que, s’il n’y a pas d’ad­ver­saires pour toutes les véri­tés impor­tantes, il est indis­pen­sable d’en ima­gi­ner et de leur four­nir les argu­ments les plus forts que puisse invo­quer le plus habile avo­cat du diable.

Pour dimi­nuer la force de ces consi­dé­ra­tions, sup­po­sons qu’un enne­mi de la libre dis­cus­sion rétorque qu’il n’est pas néces­saire que l’hu­ma­ni­té tout entière connaisse et com­prenne tout ce qui peut être avan­cé pour ou contre ses opi­nions par des phi­lo­sophes ou des théo­lo­giens ; qu’il n’est pas indis­pen­sable pour le com­mun des hommes de pou­voir expo­ser toutes les erreurs et les sophismes d’un habile adver­saire ; qu’il suf­fit qu’il y ait tou­jours quel­qu’un capable d’y répondre, afin qu’au­cun sophisme propre à trom­per les per­sonnes sans ins­truc­tion ne reste pas sans réfu­ta­tion et que les esprits simples, une fois qu’ils connaissent les prin­cipes évi­dents des véri­tés qu’on leur a incul­quées, puissent s’en remettre à l’au­to­ri­té pour le reste ; que, bien conscients qu’ils n’ont pas la science et le talent néces­saires pour résoudre toutes les dif­fi­cul­tés sus­cep­tibles d’être sou­le­vées, ils peuvent avoir l’as­su­rance que toutes celles qu’on a sou­le­vées ont reçu une réponse ou peuvent en rece­voir une de ceux  qui sont spé­cia­le­ment entraî­nés à cette tâche.

Même en concé­dant à ce point de vue tout ce que peuvent récla­mer en sa faveur ceux qui se satis­font le plus faci­le­ment d’une com­pré­hen­sion impar­faite de la véri­té, les argu­ments les plus convain­cants en faveur de la libre dis­cus­sion n’en sont nul­le­ment affai­blis ; car même cette doc­trine recon­naît que l’hu­ma­ni­té devrait avoir l’as­su­rance que toutes les objec­tions ont reçu une réponse satis­fai­sante. Or, com­ment peut-on y répondre si ce qui demande réponse n’est pas expri­mé ? Com­ment savoir si la réponse est satis­fai­sante si les objec­teurs n’ont pas la pos­si­bi­li­té de mon­trer qu’elle ne l’est pas ? Si le public en est empê­ché, il faut au moins que les phi­lo­sophes et les théo­lo­giens puissent résoudre ces dif­fi­cul­tés, se fami­lia­ri­ser avec celles-ci sous leur forme la plus décon­cer­tante ; pour cela, ils ne peuvent y par­ve­nir que si elles sont pré­sen­tées sous leur jour le plus avan­ta­geux. L’É­glise catho­lique traite à sa façon ce pro­blème embar­ras­sant. Elle sépare net­te­ment entre ceux qui ont le droit de se convaincre des doc­trines et ceux qui doivent les accep­ter sans exa­men. À la véri­té, elle ne per­met à aucun des deux groupes de choi­sir ce qu’ils veulent ou non accep­ter ; mais pour le cler­gé — ou du moins ceux de ses membres en qui on peut avoir confiance —, il est non seule­ment per­mis, mais méri­toire de se fami­lia­ri­ser avec les argu­ments des adver­saires afin d’y répondre ; il peut par consé­quent lire les livres héré­tiques ; tan­dis que les laïques ne le peuvent pas sans une per­mis­sion spé­ciale dif­fi­cile à obte­nir. Cette dis­ci­pline juge béné­fique que les pro­fes­seurs connaissent la cause adverse, mais trouve les moyens appro­priés de la refu­ser aux autres, accor­dant ain­si à l’é­lite une plus grande culture, sinon une plus grande liber­té d’es­prit, qu’à la masse. C’est par ce pro­cé­dé qu’elle réus­sit à obte­nir la sorte de liber­té intel­lec­tuelle qu’exige son but ; car bien qu’une culture sans liber­té n’ait jamais engen­dré d’es­prit vaste et libé­ral, elle peut néan­moins pro­duire un habile avo­cat d’une cause. Mais ce recours est exclu dans les pays pro­fes­sant le pro­tes­tan­tisme, puisque les pro­tes­tants sou­tiennent, du moins en théo­rie, que la res­pon­sa­bi­li­té de choi­sir sa propre reli­gion incombe à cha­cun et qu’on ne peut s’en déchar­ger sur ses maîtres. D’ailleurs, dans l’é­tat actuel du monde, il est pra­ti­que­ment impos­sible que les ouvrages lus par les gens ins­truits demeurent hors d’at­teinte des incultes. S’il faut que les maîtres de l’hu­ma­ni­té aient connais­sance de tout ce qu’ils devraient savoir, il faut avoir l’en­tière liber­té d’é­crire et de publier.

Cepen­dant, si l’ab­sence de libre dis­cus­sion ne cau­sait d’autre mal — lorsque les opi­nions reçues sont vraies — que de lais­ser les hommes dans l’i­gno­rance des prin­cipes de ces opi­nions, on pour­rait pen­ser qu’il s’a­git là non d’un pré­ju­dice moral, mais d’un pré­ju­dice sim­ple­ment intel­lec­tuel, n’af­fec­tant nul­le­ment la valeur des opi­nions quant à leur influence sur le carac­tère. Le fait est pour­tant que l’ab­sence de dis­cus­sion fait oublier non seule­ment les prin­cipes, mais trop sou­vent aus­si le sens même de l’o­pi­nion. Les mots qui l’ex­priment cessent de sug­gé­rer des idées ou ne sug­gèrent plus qu’une mince par­tie de celles qu’ils ser­vaient à rendre ori­gi­nai­re­ment. Au lieu d’une concep­tion forte et d’une foi vivante, il ne reste plus que quelques phrases apprises par cœur ; ou si l’on garde quelque chose du sens, ce n’en est plus que l’en­ve­loppe : l’es­sence la plus sub­tile est per­due. Ce fait, qui occupe et rem­plit un grand cha­pitre de l’his­toire, ne sau­rait être trop étu­dié et médité.

Il est pré­sent dans l’ex­pé­rience de presque toutes les doc­trines morales et croyances reli­gieuses. Elles sont pleines de sens et de vita­li­té pour leurs ini­tia­teurs et leurs pre­miers dis­ciples. Leur sens demeure aus­si fort — peut-être même devient-il plus plei­ne­ment conscient — tant qu’on lutte pour don­ner à la doc­trine ou la croyance un ascen­dant sur toutes les autres. À la fin, soit elle s’im­pose et devient l’o­pi­nion géné­rale, soit son pro­grès s’ar­rête ; elle conserve le ter­rain conquis, mais cesse de s’é­tendre. Quand l’un ou l’autre de ces résul­tats devient mani­feste, la contro­verse sur le sujet fai­blit et s’é­teint gra­duel­le­ment. La doc­trine a trou­vé sa place, sinon comme l’o­pi­nion reçue, du moins comme l’une des sectes ou divi­sions admises de l’o­pi­nion ; ses déten­teurs l’ont géné­ra­le­ment héri­tée, ils ne l’ont pas adop­tée ; c’est ain­si que les conver­sions de l’une à l’autre de ces doc­trines deviennent un fait excep­tion­nel et que leurs par­ti­sans finissent par ne plus se pré­oc­cu­per de conver­tir. Au lieu de se tenir comme au début constam­ment sur le qui-vive, soit pour se défendre contre le monde, soit pour le conqué­rir, ils tombent dans l’i­ner­tie, n’é­coutent plus que rare­ment les argu­ments avan­cés contre leur cre­do et cessent d’en­nuyer leurs adver­saires (s’il y en a) avec des argu­ments en sa faveur. C’est à ce point qu’on date habi­tuel­le­ment le déclin de la vita­li­té d’une doc­trine. On entend sou­vent les cathé­chistes de toutes croyances se plaindre de la dif­fi­cul­té d’en­tre­te­nir dans l’es­prit des croyants une per­cep­tion vive de la véri­té qu’ils recon­naissent nomi­na­le­ment afin qu’elle imprègne leurs sen­ti­ments et acquière une influence réelle sur leur conduite. On ne ren­contre pas une telle dif­fi­cul­té tant que la croyance lutte encore pour s’é­ta­blir ; alors, même les com­bat­tants les plus faibles savent et sentent pour­quoi ils luttent et connaissent la dif­fé­rence entre leur doc­trine et les autres. C’est à ce moment de l’exis­tence de toute croyance qu’on ren­contre nombre de per­sonnes qui ont assi­mi­lé ses prin­cipes fon­da­men­taux sous toutes les formes de la pen­sée, qui les ont pesés et consi­dé­rés sous tous leurs aspects impor­tants, et qui ont plei­ne­ment res­sen­ti sur leur carac­tère l’ef­fet que cette croyance devrait pro­duire sur un esprit qui en est tota­le­ment péné­tré. Mais une fois la croyance deve­nue héré­di­taire — une fois qu’elle est admise pas­si­ve­ment et non plus acti­ve­ment, une fois que l’es­prit ne se sent plus autant contraint de concen­trer toutes ses facul­tés sur les ques­tions qu’elle lui pose — on tend à tout oublier de cette croyance pour ne plus en rete­nir que des for­mules ou ne plus lui accor­der qu’un mol et tor­pide assen­ti­ment, comme si le fait d’y croire dis­pen­sait de la néces­si­té d’en prendre clai­re­ment conscience ou de l’ap­pli­quer dans sa vie : c’est ain­si qu’une croyance finit par ne plus se rat­ta­cher du tout à la vie inté­rieure de l’être humain. Alors appa­raissent ces cas — si fré­quents aujourd’­hui qu’ils sont presque la majo­ri­té — où la croyance semble demeu­rer hors de l’es­prit, désor­mais encroû­té et pétri­fié contre toutes les autres influences des­ti­nées aux par­ties les plus nobles de notre nature, fige­ment qui se mani­feste par une aller­gie à toute convic­tion nou­velle et vivante et qui joue le rôle de sen­ti­nelle afin de main­te­nir vides l’es­prit et le cœur.

On voit à quel point les doc­trines sus­cep­tibles en elles-mêmes de pro­duire la plus pro­fonde impres­sion sur l’es­prit peuvent y rési­der à l’é­tat de croyances mortes, et cela sans jamais nour­rir ni l’i­ma­gi­na­tion, ni les sen­ti­ments, ni l’in­tel­li­gence, lors­qu’on voit com­ment la majo­ri­té des croyants pro­fessent le chris­tia­nisme. Par chris­tia­nisme, j’en­tends ici ce que tiennent pour tel toutes les Églises et sectes : les maximes et les pré­ceptes conte­nus dans le Nou­veau Tes­ta­ment. Tous ceux qui se pré­tendent chré­tiens les tiennent pour sacrés et les acceptent comme lois. 
Et pour­tant on peut dire que moins d’un chré­tien sur mille guide ou juge sa conduite indi­vi­duelle d’a­près ces lois.
Le modèle auquel on se réfère est la cou­tume de son pays, de sa classe ou de sa secte reli­gieuse. Le chré­tien croit donc qu’il existe d’un côté une col­lec­tion de maximes éthiques que la sagesse infaillible, selon lui, a dai­gné lui trans­mettre comme règle de conduite, et de l’autre un ensemble de juge­ments et de pra­tiques habi­tuels — qui s’ac­cordent assez bien avec cer­taines de ces maximes, moins bien avec d’autres, ou qui s’op­posent direc­te­ment à d’autres encore — les­quels consti­tuent en somme un com­pro­mis entre la foi chré­tienne et les inté­rêts et les sug­ges­tions de la vie maté­rielle. Au pre­mier de ces modèles le chré­tien donne son hom­mage ; au deuxième, son obéis­sance effec­tive. Tous les chré­tiens croient que bien­heu­reux sont les pauvres, les humbles et tous ceux que le monde mal­traite ; qu’il est plus facile à un cha­meau de pas­ser par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’en­trer au royaume des cieux ; qu’ils ne doivent pas juger de peur d’être jugés eux-mêmes ; qu’ils ne doivent pas jurer ; qu’ils doivent aimer leur pro­chain comme eux-mêmes ; que si quel­qu’un prend leur man­teau, ils doivent lui don­ner aus­si leur tunique ; qu’ils ne doivent pas pen­ser au len­de­main ; que pour être par­faits, ils doivent vendre tout ce qu’ils ont et le don­ner aux pauvres. Ils ne mentent pas quand ils disent qu’ils croient ces choses-là, ils les croient comme les gens croient ce qu’ils ont tou­jours enten­du louer, mais jamais dis­cu­ter. Mais, dans le sens de cette croyance vivante qui règle la conduite, ils croient en ces doc­trines uni­que­ment dans la mesure où l’on a cou­tume d’a­gir d’a­près elles. Dans leur inté­gri­té, les doc­trines servent à acca­bler les adver­saires ; et il est enten­du qu’on doit les mettre en avant (si pos­sible) pour jus­ti­fier tout ce qu’on estime louable. Mais s’il y avait quel­qu’un pour leur rap­pe­ler que ces maximes exigent une foule de choses qu’ils n’ont jamais l’in­ten­tion de faire, il n’y gagne­rait que d’être clas­sé par­mi ces per­son­nages impo­pu­laires qui affectent d’être meilleurs que les autres. Les doc­trines n’ont aucune prise sur les croyants ordi­naires, aucun pou­voir sur leurs esprits. Par habi­tude, ils en res­pectent les for­mules, mais pour eux, les mots sont dépour­vus de sens et ne sus­citent aucun sen­ti­ment qui force l’es­prit à les assi­mi­ler et à les rendre conformes à la for­mule. Pour savoir quelle conduite adop­ter, les hommes prennent comme modèle leurs voi­sins pour apprendre jus­qu’où il faut aller dans l’o­béis­sance du Christ.

Nous pou­vons être cer­tains qu’il en allait tout autre­ment chez les pre­miers chré­tiens. Autre­ment, jamais le chris­tia­nisme ne serait pas­sé de l’é­tat de secte obs­cure d’Hé­breux mépri­sés à la reli­gion offi­cielle de l’Em­pire romain. Quand leurs enne­mis disaient : « Voyez comme ces chré­tiens s’aiment les uns les autres » (une remarque que per­sonne ne ferait aujourd’­hui), ils avaient assu­ré­ment un sen­ti­ment autre­ment plus vif qu’au­jourd’­hui de la signi­fi­ca­tion de leur croyance. Voi­là sans doute la rai­son prin­ci­pale pour laquelle le chris­tia­nisme fait aus­si peu de pro­grès main­te­nant et se trouve, après dix-huit siècles, à peu près cir­cons­crit aux Euro­péens et à leurs des­cen­dants. Même chez les per­sonnes stric­te­ment reli­gieuses, qui prennent leurs doc­trines au sérieux et qui y attachent plus de signi­fi­ca­tion qu’on ne le fait en géné­ral, il arrive fré­quem­ment que la par­tie la plus active de leur esprit soit fer­mée par Cal­vin ou Knox, ou toute autre per­son­na­li­té d’un carac­tère appa­ren­té au leur. Les paroles du Christ coexistent  pas­si­ve­ment dans leur esprit, ne pro­dui­sant guère d’autre effet que l’au­di­tion machi­nale de paroles si aimables et si douces. Nombre de rai­sons pour­raient sans doute expli­quer pour­quoi les doc­trines ser­vant d’at­tri­but dis­tinc­tif à une secte conservent mieux leur vita­li­té que les doc­trines com­munes à toutes les sectes recon­nues ; l’une d’elle est que ceux qui les enseignent prennent plus de soin à main­te­nir vive leur signi­fi­ca­tion. Mais la prin­ci­pale rai­son, c’est que ces doc­trines sont davan­tage mises en ques­tion et doivent plus sou­vent se défendre contre des adver­saires décla­rés. Dès qu’il n’y a plus d’en­ne­mi en vue, maîtres et dis­ciples s’en­dorment à leur poste.

La même chose vaut en géné­ral pour toutes les doc­trines tra­di­tion­nelles — dans les domaines de la pru­dence et de la connais­sance de la vie, aus­si bien que de la morale et de la reli­gion. Toutes les langues et toutes les lit­té­ra­tures abondent en obser­va­tions géné­rales sur la vie et sur la manière de s’y com­por­ter — obser­va­tions que cha­cun connaît, répète ou écoute doci­le­ment, qu’on reçoit comme des truismes et dont pour­tant on n’ap­prend en géné­ral le vrai sens que lorsque l’ex­pé­rience sou­vent pénible les trans­forme en réa­li­té. Que de fois une per­sonne acca­blée par un mal­heur ou une décep­tion ne se rap­­pelle-t-elle pas quelque pro­verbe ou dic­ton popu­laire qu’elle connaît depuis tou­jours et qui, si elle en avait plus tôt com­pris la signi­fi­ca­tion, lui aurait épar­gné cette cala­mi­té. En fait, il y a d’autres rai­sons à cela que l’ab­sence de dis­cus­sion ; nom­breuses sont les véri­tés dont on ne peut pas com­prendre tout le sens tant qu’on ne les a pas vécues per­son­nel­le­ment. Mais on aurait bien mieux com­pris la signi­fi­ca­tion de ces véri­tés, et ce qui en aurait été com­pris aurait fait sur l’es­prit une impres­sion bien plus pro­fonde, si l’on avait eu l’ha­bi­tude d’en­tendre des gens qui la com­pre­naient effec­ti­ve­ment dis­cu­ter le pour et le contre. La ten­dance fatale de l’es­pèce humaine à lais­ser de côté une chose dès qu’il n’y a plus de rai­son d’en dou­ter est la cause de la moi­tié de ses erreurs. Un auteur contem­po­rain a bien décrit « le pro­fond som­meil d’une opi­nion arrêtée ».

« Mais quoi ! » deman­­de­­ra-t-on, « l’ab­sence d’u­na­ni­mi­té est-elle une condi­tion indis­pen­sable au vrai savoir ? Est-il néces­saire qu’une par­tie de l’hu­ma­ni­té per­siste dans l’er­reur pour per­mettre à l’autre de com­prendre la véri­té ? Une croyance cesse-t-elle d’être vraie et vivante dès qu’elle est géné­ra­le­ment accep­tée ? Une pro­po­si­tion n’est-elle jamais com­plè­te­ment com­prise et éprou­vée si l’on ne conserve quelque doute sur son compte ? La véri­té périt-elle aus­si­tôt que l’hu­ma­ni­té l’a una­ni­me­ment accep­tée ? N’a‑t-on pas pen­sé jus­qu’à pré­sent que le but suprême et le résul­tat le plus par­fait du pro­grès de l’in­tel­li­gence étaient d’u­nir les hommes dans la recon­nais­sance de toutes les véri­tés fon­da­men­tales ? L’in­tel­li­gence ne dure-t-elle que tant qu’elle n’a pas atteint son but ? Les fruits de la conquête meurent-ils avec la plé­ni­tude, la victoire ? »

Je n’af­firme rien de tel. À mesure que l’hu­ma­ni­té pro­gres­se­ra, le nombre des doc­trines qui ne sont plus objet ni de dis­cus­sion ni de doute ira crois­sant ; et le bien-être de l’hu­ma­ni­té pour­ra presque se mesu­rer au nombre et à l’im­por­tance des véri­tés arri­vées au point de n’être plus contes­tées. L’a­ban­don pro­gres­sif des dif­fé­rents points d’une contro­verse sérieuse est l’un des aléas néces­saires de la conso­li­da­tion de l’o­pi­nion, conso­li­da­tion aus­si salu­taire dans le cas d’une opi­nion juste que dan­ge­reuse et nui­sible quand les opi­nions sont erro­nées. Mais, quoique ce rétré­cis­se­ment pro­gres­sif des limites de la diver­si­té d’o­pi­nions soit néces­saire dans les deux sens du terme — à la fois inévi­table et indis­pen­sable —, rien ne nous oblige pour autant à conclure que toutes ses consé­quences doivent être béné­fiques. Bien que la perte d’une aide aus­si impor­tante que la néces­si­té d’ex­pli­quer ou de défendre une véri­té contre des oppo­sants ne puisse se mesu­rer au béné­fice de sa recon­nais­sance uni­ver­selle, elle n’en est pas moins un incon­vé­nient non négli­geable. Là où n’existe plus cet avan­tage, j’a­voue que j’ai­me­rais voir les maîtres de l’hu­ma­ni­té s’at­ta­cher à lui trou­ver un sub­sti­tut — un moyen de mettre les dif­fi­cul­tés de la ques­tion en évi­dence dans l’es­prit de l’é­lève, tel un fou­gueux adver­saire s’a­char­nant à le conver­tir. Mais au lieu de cher­cher de tels moyens, ils perdent ceux qu’ils avaient autre­fois. La dia­lec­tique socra­tique, si magni­fi­que­ment illus­trée dans les dia­logues de Pla­ton, en était un. Elle était essen­tiel­le­ment une dis­cus­sion néga­tive des grandes ques­tions de la phi­lo­so­phie et de la vie visant à convaincre avec un art consom­mé qui­conque s’é­tait conten­té d’a­dop­ter les lieux com­muns de l’o­pi­nion reçue, qu’il ne com­pre­nait pas le sujet — qu’il n’a­vait atta­ché aucun sens défi­ni aux doc­trines qu’il pro­fes­sait jusque-là — de sorte qu’en pre­nant conscience de son igno­rance, il fût en mesure de se consti­tuer une croyance stable, repo­sant sur une per­cep­tion claire à la fois du sens et de l’é­vi­dence des doc­trines.

Au moyen âge, les dis­putes sco­las­tiques avaient un but à peu près simi­laire. Elles ser­vaient à véri­fier que l’é­lève com­pre­nait sa propre opi­nion et (par une cor­ré­la­tion néces­saire) l’o­pi­nion oppo­sée, et qu’il pou­vait aus­si bien défendre les prin­cipes de l’une que réfu­ter ceux de l’autre. Ces joutes avaient pour­tant un défaut irré­mé­diable : celui de tirer leurs pré­misses non de la rai­son, mais de l’au­to­ri­té ; c’est pour­quoi en tant que dis­ci­pline de l’es­prit, elles étaient en tout point infé­rieure à la puis­sante dia­lec­tique qui modèle les intel­li­gences des « Socra­ti­ci viri » ; mais l’es­prit moderne doit beau­coup plus à toutes deux qu’il ne veut géné­ra­le­ment le recon­naître, et les modes d’é­du­ca­tion actuels n’ont pour ain­si dire rien pour pré­tendre rem­pla­cer l’une ou l’autre. Celui qui tient toute son ins­truc­tion des pro­fes­seurs ou des livres n’est nul­le­ment contraint d’en­tendre les deux côtés d’une ques­tion, et cela même s’il échappe à la ten­ta­tion habi­tuelle de se satis­faire de connaître les choses par cœur. C’est pour­quoi il est fort rare de bien connaître les deux ver­sants d’un même pro­blème ; c’est ce qu’il y a de plus faible dans ce que l’on dit pour défendre ses opi­nions qui fait office de réplique à ses adver­saires. C’est aujourd’­hui la mode de dépré­cier la logique néga­tive, celle qui révèle les fai­blesses théo­riques et les erreurs pra­tiques, sans éta­blir de véri­tés posi­tives. Il est vrai qu’une telle cri­tique néga­tive ferait un assez pauvre résul­tat final ; mais en tant que moyen d’ac­qué­rir une connais­sance posi­tive ou une convic­tion digne de ce nom, on ne sau­rait trop insis­ter sur sa valeur. Et tant que les hommes n’y seront pas de nou­veau sys­té­ma­ti­que­ment entraî­nés, il y aura fort peu de grands pen­seurs, et le niveau moyen d’in­tel­li­gence dans les domaines de la spé­cu­la­tion autres que les mathé­ma­tiques et les sciences phy­siques demeu­re­ra très bas. 

Sur tout autre sujet, aucune opi­nion ne mérite le nom de connais­sance à moins d’a­voir sui­vi, de gré ou de force, la démarche intel­lec­tuelle qu’eût exi­gé de son tenant une contro­verse active avec des adver­saires. On voit donc à quel point il est aus­si absurde de renon­cer à un avan­tage indis­pen­sable qui s’offre spon­ta­né­ment, alors qu’il est si dif­fi­cile à créer quand il manque. S’il y a des gens pour contes­ter une opi­nion reçue ou pour dési­rer le faire si la loi ou l’o­pi­nion publique le leur per­met, il faut les en remer­cier, ouvrir nos esprits à leurs paroles et nous réjouir qu’il y en ait qui fassent pour nous ce que nous devrions prendre davan­tage la peine de faire, si tant est que la cer­ti­tude ou la vita­li­té de nos convic­tions nous importe.

Il nous reste encore à par­ler d’une des prin­ci­pales causes qui rendent la diver­si­té d’o­pi­nions avan­ta­geuse et qui le demeu­re­ra tant que l’hu­ma­ni­té n’au­ra pas atteint un niveau de déve­lop­pe­ment intel­lec­tuel dont elle semble aujourd’­hui encore à mille lieues. Nous n’a­vons jus­qu’à pré­sent exa­mi­né que deux pos­si­bi­li­tés : la pre­mière, que l’o­pi­nion reçue peut être fausse, et une autre, du même coup, vraie ; la deuxième, que si l’o­pi­nion reçue est vraie, c’est que la lutte entre celle-ci et l’er­reur oppo­sée est essen­tielle à une per­cep­tion claire et à un pro­fond sen­ti­ment de sa véri­té. Mais il arrive plus sou­vent encore que les doc­trines en conflit, au lieu d’être l’une vraie et l’autre fausse, se dépar­tagent la véri­té ; c’est ain­si que l’o­pi­nion non conforme est néces­saire pour four­nir le reste de la véri­té dont la doc­trine reçue n’in­carne qu’une par­tie. Les opi­nions popu­laires sur les sujets qui ne sont pas à la por­tée des sens sont sou­vent vraies, mais elles ne sont que rare­ment ou jamais toute la véri­té. Elles sont une par­tie de la véri­té, tan­tôt plus grande, tan­tôt moindre, mais exa­gé­rée, défor­mée et cou­pée des véri­tés qui devraient l’ac­com­pa­gner et la limi­ter. De l’autre côté, les opi­nions héré­tiques sont géné­ra­le­ment de ces véri­tés exclues, négli­gées qui, bri­sant leurs chaînes, cherchent soit à se récon­ci­lier avec la véri­té conte­nue dans l’o­pi­nion com­mune, soit à l’af­fron­ter comme enne­mie et s’af­firment aus­si exclu­si­ve­ment comme l’en­tière véri­té. Ce der­nier cas a été jus­qu’à pré­sent le plus fré­quent, car l’es­prit humain est plus géné­ra­le­ment par­tial qu’ou­vert. De là vient qu’or­di­nai­re­ment, même dans les révo­lu­tions de l’o­pi­nion, une par­tie de la véri­té sombre tan­dis qu’une autre monte à la sur­face. Le pro­grès lui-même, qui devrait être un gain, se contente le plus sou­vent de sub­sti­tuer une véri­té par­tielle et incom­plète à une autre. L’a­mé­lio­ra­tion consiste sur­tout en ceci que le nou­veau frag­ment de véri­té est plus néces­saire, mieux adap­té au besoin du moment que celui qu’il sup­plante. La par­tia­li­té des opi­nions domi­nantes est telle que même lors­qu’elle se fonde sur la véri­té, toute opi­nion qui ren­ferme une once de la por­tion de véri­té omise par l’o­pi­nion com­mune, devrait être consi­dé­rée comme pré­cieuse, quelle que soit la somme d’er­reur et de confu­sion mêlée à cette véri­té. Aucun juge sen­sé des affaires humaines ne se sen­ti­ra for­cé de s’in­di­gner parce que ceux qui mettent le doigt sur des véri­tés que, sans eux, nous eus­sions contour­nées, ne négligent à leur tour cer­taines que nous aper­ce­vons. Il pen­se­ra plu­tôt que tant que la véri­té popu­laire sera par­tiale, il sera encore pré­fé­rable qu’une véri­té impo­pu­laire ait aus­si des déten­teurs par­tiaux, parce qu’au moins ils sont plus éner­giques et plus aptes à for­cer une atten­tion rétive à consi­dé­rer le frag­ment de sagesse qu’ils exaltent comme la sagesse tout entière.

C’est ain­si qu’au XVIIIe siècle les para­doxes de Rous­seau pro­dui­sirent un choc salu­taire lors­qu’ils explo­sèrent au milieu de cette socié­té de gens ins­truits et d’in­cultes sous leur coupe, éper­dus d’ad­mi­ra­tion devant ce qu’on appelle la civi­li­sa­tion, devant les mer­veilles de la science, de la lit­té­ra­ture, de la phi­lo­so­phie modernes, n’exa­gé­rant la dif­fé­rence entre les Anciens et les Modernes que pour y voir leur propre supé­rio­ri­té. Rous­seau ren­dit le ser­vice de dis­lo­quer la masse de l’o­pi­nion par­tiale et de for­cer ses élé­ments à se recons­ti­tuer sous une meilleure forme et avec des ingré­dients sup­plé­men­taires. Non pas que les opi­nions admises fussent dans l’en­semble plus éloi­gnées de la véri­té que celles de Rous­seau ; au contraire, elles en étaient plus proches ; elles conte­naient davan­tage de véri­té posi­tive et bien moins d’er­reur. Néan­moins, il y avait dans la doc­trine de Rous­seau un grand nombre de ces véri­tés qui man­quaient pré­ci­sé­ment à l’o­pi­nion popu­laire, et qui depuis se sont mêlées à son flux : aus­si conti­­nuèrent-elles à sub­sis­ter. Le mérite supé­rieur de la vie simple, l’ef­fet débi­li­tant et démo­ra­li­sant des entraves et des hypo­cri­sies d’une socié­té arti­fi­cielle, sont des idées qui depuis Rous­seau n’ont jamais com­plè­te­ment quit­té les esprits culti­vés ; et elles pro­dui­ront un jour leur effet, quoique, pour le moment, elles aient encore besoin d’être pro­cla­mées haut et fort et d’être tra­duites ; car sur ce sujet, les mots ont à peu près épui­sé toutes leurs forces. Paral­lè­le­ment, il est recon­nu en poli­tique qu’un par­ti d’ordre ou de sta­bi­li­té et un par­ti de pro­grès ou de réforme sont les deux élé­ments néces­saires d’une vie poli­tique flo­ris­sante, jus­qu’à ce que l’un ou l’autre ait à ce point élar­gi son hori­zon intel­lec­tuel qu’il devienne à la fois un par­ti d’ordre et de pro­grès, connais­sant et dis­tin­guant ce qu’il est bon de conser­ver et ce qu’il faut éli­mi­ner. Cha­cune de ces manières de pen­ser tire son uti­li­té des défauts de l’autre ; mais c’est dans une large mesure leur oppo­si­tion mutuelle qui les main­tient dans les limites de la rai­son et du bon sens. Si l’on ne peut expri­mer avec une égale liber­té, sou­te­nir et défendre avec autant de talent que d’éner­gie toutes les grandes ques­tions de la vie pra­tique — qu’elles soient favo­rables à la démo­cra­tie ou à l’a­ris­to­cra­tie, à la pro­prié­té ou à l’é­ga­li­té, à la coopé­ra­tion ou à la com­pé­ti­tion, au luxe ou à l’abs­ti­nence, à la socia­bi­li­té ou à l’in­di­vi­dua­lisme, à la liber­té ou à la dis­ci­pline —, il n’y a aucune rai­son que les deux élé­ments obtiennent leur dû : il est inévi­table que l’un des pla­teaux ne monte au détri­ment de l’autre. Dans les grandes ques­tions pra­tiques de la vie, la véri­té est sur­tout affaire de conci­lia­tion et de com­bi­nai­son des extrêmes ; aus­si très peu d’es­prits sont-ils assez vastes et impar­tiaux pour réa­li­ser cet accom­mo­de­ment le plus cor­rec­te­ment pos­sible, c’est-à-dire bru­ta­le­ment, par une lutte entre des com­bat­tants enrô­lés sous des ban­nières oppo­sées. Pour toutes les grandes ques­tions énu­mé­rées ci-des­­sus, si une opi­nion a davan­tage de droit que l’autre à être, non seule­ment tolé­rée, mais encore encou­ra­gée et sou­te­nue, c’est celle qui, à un moment ou dans un lieu don­né, se trouve mino­ri­taire. C’est l’o­pi­nion qui, pour l’ins­tant, repré­sente les inté­rêts négli­gés, l’as­pect du bien-être humain qui court le risque d’ob­te­nir moins que sa part. Je suis conscient qu’il n’y a dans ce pays aucune into­lé­rance en matière de dif­fé­rences d’o­pi­nions sur la plu­part de ces sujets. Je les ai cités pour mon­trer, à l’aide d’exemples nom­breux et signi­fi­ca­tifs, l’u­ni­ver­sa­li­té du fait que, dans l’é­tat actuel de l’es­prit humain, seule la diver­si­té donne une chance équi­table à toutes les facettes de la véri­té. Lors­qu’on trouve des gens qui ne par­tagent point l’ap­pa­rente una­ni­mi­té du monde sur un sujet, il est tou­jours pro­bable — même si le monde est dans le vrai — que ces dis­si­dents ont quelque chose de per­son­nel à dire qui mérite d’être enten­du, et que la véri­té per­drait quelque chose à leur silence.

« Mais », objec­­te­­ra-t-on, « cer­tains des prin­cipes géné­ra­le­ment admis, spé­cia­le­ment sur les sujets les plus nobles et les plus vitaux, sont davan­tage que des demi-véri­­tés. La morale chré­tienne, par exemple, contient toute la véri­té sur ce sujet, et si quel­qu’un enseigne une morale dif­fé­rente, il est com­plè­te­ment dans l’er­reur. » Comme il s’a­git là d’un des cas pra­tiques les plus impor­tants, aucun n’est mieux appro­prié pour mettre à l’é­preuve la maxime géné­rale. Mais avant de déci­der ce que la morale chré­tienne est ou n’est pas, il serait sou­hai­table de déci­der ce qu’on entend par morale chré­tienne. Si cela signi­fie la morale du Nou­veau Tes­ta­ment, je m’é­tonne que quel­qu’un qui tire son savoir du livre lui-même puisse sup­po­ser que cette morale ait été pré­sen­tée ou vou­lue comme une doc­trine morale com­plète. L’É­van­gile se réfère tou­jours à une morale pré­exis­tante et limite ses pré­ceptes aux points par­ti­cu­liers sur les­quels cette morale devait être cor­ri­gée ou rem­pla­cée par une autre morale plus tolé­rante et plus éle­vée ; en outre elle s’ex­prime tou­jours en termes géné­raux, sou­vent impos­sibles à inter­pré­ter lit­té­ra­le­ment, sans comp­ter que ces textes pos­sèdent davan­tage l’onc­tion de la poé­sie ou de l’é­lo­quence que la pré­ci­sion de la légis­la­tion. Jamais on n’a pu en extraire un corps de doc­trine éthique sans le com­plé­ter par des élé­ments de l’An­cien Tes­ta­ment — sys­tème certes éla­bo­ré, mais bar­bare à bien des égards et des­ti­né uni­que­ment à un peuple bar­bare. Saint Paul — enne­mi décla­ré de l’in­ter­pré­ta­tion judaïque de la doc­trine et de cette façon de com­plé­ter l’es­quisse de son maître — admet éga­le­ment une morale pré­exis­tante, à savoir celle des Grecs et des Romains ; et ce qu’il conseille aux chré­tiens dans une large mesure, c’est d’en faire un sys­tème d’ac­com­mo­de­ment, au point de n’ac­cor­der qu’un sem­blant de condam­na­tion à l’es­cla­vage. Ce qu’on appelle la morale chré­tienne — mais qu’on devrait plu­tôt qua­li­fier de théo­lo­gique — n’est l’œuvre ni du Christ ni des apôtres ; elle est d’une ori­gine plus tar­dive, puis­qu’elle a été éla­bo­rée gra­duel­le­ment par l’É­glise chré­tienne des cinq pre­miers siècles ; et, même si les modernes et les pro­tes­tants ne l’ont pas adop­tée sans réserve, ils l’ont beau­coup moins modi­fiée qu’on aurait pu s’y attendre. À vrai dire, ils se sont conten­tés, pour la plu­part, de retran­cher les addi­tions faites au moyen âge, chaque secte rem­plis­sant le vide lais­sé par de nou­velles addi­tions plus conformes à son carac­tère et à ses ten­dances. Je ne pré­tends nul­le­ment nier que l’hu­ma­ni­té soit extrê­me­ment rede­vable envers cette morale et ses pre­miers maîtres ; mais je me per­mets de dire qu’elle est, sur nombre de points impor­tants, incom­plète et par­tiale, et que si des idées et des sen­ti­ments qu’elle ne sanc­tionne pas n’a­vaient pas contri­bué à la for­ma­tion du mode de vie et du carac­tère euro­péens, les affaires humaines seraient actuel­le­ment bien pires qu’elles ne le sont. La morale chré­tienne, comme on l’ap­pelle, pos­sède toutes les carac­té­ris­tiques d’une réac­tion : c’est en grande par­tie une pro­tes­ta­tion contre le paga­nisme. Son idéal est néga­tif plus que posi­tif, pas­sif plus qu’ac­tif ; c’est l’in­no­cence plus que la noblesse, l’abs­ti­nence du mal plus que la quête éner­gique du bien ; dans ses com­man­de­ments (comme on l’a jus­te­ment fait remar­quer) le « tu ne dois pas » pré­do­mine indû­ment sur le « tu dois ». Dans son hor­reur de la sen­sua­li­té, elle a fait de l’as­cé­tisme une idole, laquelle est deve­nue à son tour, à force de com­pro­mis, celle de la léga­li­té. Elle tient l’es­poir du ciel et la crainte de l’en­fer pour les motifs conve­nus et appro­priés d’une vie ver­tueuse — ce en quoi elle reste loin der­rière cer­tains des plus grands sages de l’An­ti­qui­té —, et elle fait tout ce qui est en son pou­voir pour impri­mer sur la morale humaine un carac­tère essen­tiel­le­ment égoïste, « décon­nec­tant » pour ain­si dire le sens du devoir pré­sent en chaque homme des inté­rêts de ses sem­blables, excep­té lors­qu’on lui sug­gère un motif inté­res­sé pour les consul­ter. C’est essen­tiel­le­ment une doc­trine d’o­béis­sance pas­sive ; elle inculque la sou­mis­sion à toutes les auto­ri­tés éta­blies — les­quelles ne sont d’ailleurs pas acti­ve­ment obéies lors­qu’elles com­mandent ce que la reli­gion inter­dit, mais cela sans qu’il soit pour autant pos­sible de leur résis­ter ou de se révol­ter contre elles, quel que soit le tort qu’elles nous fassent. Et, alors que dans la morale des grandes nations païennes, le devoir du citoyen envers l’É­tat tient une place dis­pro­por­tion­née et empiète sur la liber­té indi­vi­duelle, cette grande part de notre devoir est à peine men­tion­née ou recon­nue dans la morale chré­tienne. C’est dans le Coran, non dans le Nou­veau Tes­ta­ment, que nous trou­vons cette maxime : « Tout gou­ver­nant qui désigne un homme à un poste quand il existe dans ses ter­ri­toires un autre homme mieux qua­li­fié pour celui-ci pèche contre Dieu et contre l’É­tat. » Le peu de recon­nais­sance que reçoit l’i­dée d’o­bli­ga­tion envers le public dans la morale moderne ne nous vient même pas des chré­tiens, mais des Grecs et des Romains. De même, ce qu’il y a dans la morale pri­vée de magna­ni­mi­té, de gran­deur d’âme, de digni­té per­son­nelle, voire de sens de l’hon­neur, ne nous vient pas du ver­sant reli­gieux, mais du ver­sant pure­ment humain de notre édu­ca­tion ; et jamais ces qua­li­tés n’au­raient pu être le fruit d’une doc­trine morale qui n’ac­corde de valeur qu’à l’obéissance.

Je suis bien loin de pré­tendre que ces défauts sont néces­sai­re­ment inhé­rents à la morale chré­tienne de quelque manière qu’on la conçoive, ou bien que tout ce qui lui manque pour deve­nir une doc­trine morale com­plète ne sau­rait se conci­lier avec elle ; et je l’in­si­nue encore bien moins des doc­trines et des pré­ceptes du Christ lui-même. Je crois que les paroles du Christ sont deve­nues, à l’é­vi­dence, tout ce qu’elles ont vou­lu être, qu’elles ne sont incon­ci­liables avec rien de ce qu’exige une morale com­plète, qu’on peut y faire entrer tout ce qu’il y a d’ex­cellent en morale, et cela sans faire davan­tage de vio­lence à leur lettre que tous ceux qui ont ten­té d’en déduire un quel­conque sys­tème pra­tique de conduite. Mais je crois par ailleurs que cela n’entre nul­le­ment en contra­dic­tion avec le fait de croire qu’elles ne contiennent et ne vou­laient conte­nir qu’une par­tie de la véri­té. Je crois que dans ses ins­truc­tions, le fon­da­teur du chris­tia­nisme a négli­gé à des­sein beau­coup d’élé­ments essen­tiels de haute morale, que l’É­glise chré­tienne, elle, a com­plè­te­ment reje­tés dans le sys­tème moral qu’elle a éri­gé sur la base de cet ensei­gne­ment. Cela étant, je consi­dère comme une grande erreur le fait de vou­loir à toute force trou­ver dans la doc­trine chré­tienne cette règle com­plète de conduite que son auteur n’en­ten­dait pas détailler tout entière, mais seule­ment sanc­tion­ner et mettre en vigueur. Je crois aus­si que cette théo­rie est en train de cau­ser grand tort dans la pra­tique, en dimi­nuant beau­coup la valeur de l’é­du­ca­tion et de l’ins­truc­tion morales que tant de per­sonnes bien inten­tion­nées s’ef­forcent enfin d’en­cou­ra­ger. Je crains fort qu’en essayant de for­mer l’es­prit et les sen­ti­ments sur un modèle exclu­si­ve­ment reli­gieux, et en éva­cuant ces normes sécu­lières (comme on les appelle faute d’un meilleur terme) qui coexis­taient jus­qu’i­ci avec la morale chré­tienne et la com­plé­taient, mêlant leur esprit au sien, il n’en résulte — comme c’est le cas de plus en plus — un type de carac­tère bas, abject, ser­vile, qui se sou­met comme il peut à ce qu’il prend pour la Volon­té suprême, mais qui est inca­pable de s’é­le­ver à la concep­tion de la Bon­té suprême ou de s’y ouvrir. Je crois que des morales dif­fé­rentes d’une morale exclu­si­ve­ment issue de sources chré­tiennes doivent exis­ter paral­lè­le­ment à elle pour pro­duire la régé­né­ra­tion morale de l’hu­ma­ni­té ; et, selon moi, le sys­tème chré­tien ne fait pas excep­tion à cette règle selon laquelle, dans un état impar­fait de l’es­prit humain, les inté­rêts de la véri­té exigent la diver­si­té d’o­pi­nions. Il n’est pas dit qu’en ces­sant d’i­gno­rer les véri­tés morales qui ne sont pas conte­nues dans le chris­tia­nisme, les hommes doivent se mettre à igno­rer aucune de celles qu’il contient. Un tel pré­ju­gé, une telle erreur, quand elle se pro­duit, est un mal abso­lu ; mais c’est aus­si un mal dont on ne peut espé­rer être tou­jours exempts, et qui doit être consi­dé­ré comme le prix à payer pour un bien ines­ti­mable. Il faut s’é­le­ver contre la pré­ten­tion exclu­sive d’une par­tie de la véri­té d’être la véri­té tout entière ; et si un mou­ve­ment de réac­tion devait rendre ces rebelles injustes à leur tour, cette par­tia­li­té serait déplo­rable au même titre que l’autre, mais devrait pour­tant être tolé­rée. Si les chré­tiens vou­laient apprendre aux infi­dèles à être justes envers le chris­tia­nisme, il leur fau­drait être justes eux-mêmes envers leurs croyances. C’est mal ser­vir la véri­té que de pas­ser sous silence ce fait — bien connu de tous ceux qui ont la moindre notion d’his­toire lit­té­raire — qu’une grande part des ensei­gne­ments moraux les plus nobles et les plus esti­mables sont l’œuvre d’hommes qui non seule­ment ne connais­saient pas la foi chré­tienne, mais encore la reje­taient en toute connais­sance de cause. 

Je ne pré­tends pas que l’u­sage le plus illi­mi­té de la liber­té d’é­non­cer toutes les opi­nions pos­sibles met­trait fin au sec­ta­risme reli­gieux ou phi­lo­so­phique. Toutes les fois que des hommes de faible sta­ture intel­lec­tuelle prennent une véri­té au sérieux, ils se mettent aus­si­tôt à la pro­cla­mer, la trans­mettre, et même à agir d’a­près elle, comme s’il n’y avait pas au monde d’autre véri­té, ou du moins aucune autre sus­cep­tible de la limi­ter ou de la modi­fier. Je recon­nais que la plus libre dis­cus­sion ne sau­rait empê­cher le sec­ta­risme en matière d’o­pi­nions, et que sou­vent, au contraire, c’est elle qui l’ac­croît et l’exas­père ; car on repousse la véri­té d’au­tant plus vio­lem­ment qu’on a man­qué à l’a­per­ce­voir jusque-là et qu’elle est pro­cla­mée par des gens en qui l’on voit des adver­saires. Ce n’est pas sur le par­ti­san pas­sion­né, mais sur le spec­ta­teur calme et dés­in­té­res­sé que cette confron­ta­tion d’o­pi­nions pro­duit un effet salu­taire. Ce n’est pas la lutte vio­lente entre les par­ties de la véri­té qu’il faut redou­ter, mais la sup­pres­sion silen­cieuse d’une par­tie de la véri­té ; il y a tou­jours de l’es­poir tant que les hommes sont contraints à écou­ter les deux côtés ; c’est lors­qu’ils ne se pré­oc­cupent que d’un seul que leurs erreurs s’en­ra­cinent pour deve­nir des pré­ju­gés, et que la véri­té, cari­ca­tu­rée, cesse d’a­voir les effets de la véri­té. Et puisque rien chez un juge n’est plus rare que la facul­té de rendre un juge­ment sen­sé sur une cause où il n’a enten­du plai­der qu’un seul avo­cat, la véri­té n’a de chance de se faire jour que dans la mesure où cha­cune de ses facettes, cha­cune des opi­nions incar­nant une frac­tion de véri­té, trouve des avo­cats et les moyens de se faire entendre.

Nous avons main­te­nant affir­mé la néces­si­té — pour le bien-être intel­lec­tuel de l’hu­ma­ni­té (dont dépend son bien-être géné­ral) — de la liber­té de pen­sée et d’ex­pres­sion à l’aide de quatre rai­sons dis­tinctes que nous allons réca­pi­tu­ler ici.

Pre­miè­re­ment, une opi­nion qu’on rédui­rait au silence peut très bien être vraie : le nier, c’est affir­mer sa propre infaillibilité.

Deuxiè­me­ment, même si l’o­pi­nion réduite au silence est fausse, elle peut conte­nir — ce qui arrive très sou­vent — une part de véri­té ; et puisque l’o­pi­nion géné­rale ou domi­nante sur n’im­porte quel sujet n’est que rare­ment ou jamais toute la véri­té, ce n’est que par la confron­ta­tion des opi­nions adverses qu’on a une chance de décou­vrir le reste de la vérité.

Troi­siè­me­ment, si l’o­pi­nion reçue est non seule­ment vraie, mais toute la véri­té, on la pro­fes­se­ra comme une sorte de pré­ju­gé, sans com­prendre ou sen­tir ses prin­cipes ration­nels, si elle ne peut être dis­cu­tée vigou­reu­se­ment et loyalement.

Et cela n’est pas tout car, qua­triè­me­ment, le sens de la doc­trine elle-même sera en dan­ger d’être per­du, affai­bli ou pri­vé de son effet vital sur le carac­tère et la conduite : le dogme devien­dra une simple pro­fes­sion for­melle, inef­fi­cace au bien, mais encom­brant le ter­rain et empê­chant la nais­sance de toute convic­tion authen­tique et sin­cère fon­dée sur la rai­son ou l’ex­pé­rience personnelle.

Avant de clore ce sujet de la liber­té d’o­pi­nion, il convient de se tour­ner un ins­tant vers ceux qui disent qu’on peut per­mettre d’ex­pri­mer libre­ment toute opi­nion, pour­vu qu’on le fasse avec mesure, et qu’on ne dépasse pas les bornes de la dis­cus­sion loyale. On pour­rait en dire long sur l’im­pos­si­bi­li­té de fixer avec cer­ti­tude ces bornes sup­po­sées ; car si le cri­tère est le degré d’of­fense éprou­vé par ceux dont les opi­nions sont atta­quées, l’ex­pé­rience me paraît démon­trer que l’of­fense existe dès que l’at­taque est élo­quente et puis­sante : ils accu­se­ront donc de man­quer de modé­ra­tion tout adver­saire qui les met­tra dans l’embarras. Mais bien que cette consi­dé­ra­tion soit impor­tante sur le plan pra­tique, elle dis­pa­raît devant une objec­tion plus fon­da­men­tale. Certes, la manière de défendre une opi­nion, même vraie, peut être blâ­mable et encou­rir une cen­sure sévère et légi­time. Mais la plu­part des offenses de ce genre sont telles qu’elles sont le plus sou­vent impos­sibles à prou­ver, sauf si le res­pon­sable en vient à l’a­vouer acci­den­tel­le­ment. La plus grave de ces offenses est le sophisme, la sup­pres­sion de cer­tains faits ou argu­ments, la défor­ma­tion des élé­ments du cas en ques­tion ou la déna­tu­ra­tion de l’o­pi­nion adverse. Pour­tant tout cela est fait conti­nuel­le­ment — même à outrance — en toute bonne foi par des per­sonnes qui ne méritent par ailleurs pas d’être consi­dé­rées comme igno­rantes ou incom­pé­tentes, au point qu’on trouve rare­ment les rai­sons adé­quates d’ac­cu­ser un expo­sé fal­la­cieux d’im­mo­ra­li­té ; la loi elle-même peut encore moins pré­tendre à inter­fé­rer dans ce genre d’in­con­duite contro­ver­sée. Quant à ce que l’on entend com­mu­né­ment par le manque de rete­nue en dis­cus­sion, à savoir les invec­tives, les sar­casmes, les attaques per­son­nelles, etc., la dénon­cia­tion de ces armes méri­te­rait plus de sym­pa­thie si l’on pro­po­sait un jour de les inter­dire éga­le­ment des deux côtés ; mais ce qu’on sou­haite, c’est uni­que­ment en res­treindre l’emploi au pro­fit de l’o­pi­nion domi­nante. Qu’un homme les emploie contre les opi­nions mino­ri­taires, et il est sûr non seule­ment de n’être pas blâ­mé, mais d’être loué pour son zèle hon­nête et sa juste indi­gna­tion. Cepen­dant, le tort que peuvent cau­ser ces pro­cé­dés n’est jamais si grand que lors­qu’on les emploie contre les plus faibles, et les avan­tages déloyaux qu’une opi­nion peut tirer de ce type d’ar­gu­men­ta­tion échoient presque exclu­si­ve­ment aux opi­nions reçues. La pire offense de cette espèce qu’on puisse com­mettre dans une polé­mique est de stig­ma­ti­ser comme des hommes dan­ge­reux et immo­raux les par­ti­sans de l’o­pi­nion adverse. Ceux qui pro­fessent des opi­nions impo­pu­laires sont par­ti­cu­liè­re­ment expo­sés à de telles calom­nies, et cela parce qu’ils sont en géné­ral peu nom­breux et sans influence, et que per­sonne ne s’in­té­resse à leur voir rendre jus­tice. Mais étant don­né la situa­tion, cette arme est refu­sée à ceux qui attaquent l’o­pi­nion domi­nante ; ils cour­raient un dan­ger per­son­nel à s’en ser­vir, et s’ils s’en ser­vaient mal­gré tout, ils ne réus­si­raient qu’à expo­ser par contre­coup leur propre cause. En géné­ral, les opi­nions contraires à celles com­mu­né­ment reçues ne par­viennent à se faire entendre qu’en modé­rant scru­pu­leu­se­ment leur lan­gage et en met­tant le plus grand soin à évi­ter toute offense inutile : elles ne sau­raient dévier d’un pouce de cette ligne de conduite sans perdre de ter­rain. En revanche, de la part de l’o­pi­nion domi­nante, les injures les plus outrées finissent tou­jours par dis­sua­der les gens de pro­fes­ser une opi­nion contraire, voire même d’é­cou­ter ceux qui la pro­fessent. C’est pour­quoi dans l’in­té­rêt de la véri­té et de la jus­tice, il est bien plus impor­tant de réfré­ner l’u­sage du lan­gage inju­rieux dans ce cas pré­cis que dans le pre­mier ; et par exemple, s’il fal­lait choi­sir, il serait bien plus néces­saire de décou­ra­ger les attaques inju­rieuses contre l’in­croyance que contre la reli­gion. Il est évident tou­te­fois que ni la loi ni l’au­to­ri­té n’ont à se mêler de répri­mer l’une ou l’autre, et que le juge­ment de l’o­pi­nion devrait être déter­mi­né, dans chaque occa­sion, par les cir­cons­tances du cas par­ti­cu­lier. D’un côté ou de l’autre, on doit condam­ner tout homme dans la plai­doi­rie duquel per­ce­rait la mau­vaise foi, la mal­veillance, la bigo­te­rie ou encore l’in­to­lé­rance, mais cela sans infé­rer ses vices du par­ti qu’il prend, même s’il s’a­git du par­ti adverse. Il faut rendre à cha­cun l’hon­neur qu’il mérite, quelle que soit son opi­nion, s’il pos­sède assez de calme et d’hon­nê­te­té pour voir et expo­ser — sans rien exa­gé­rer pour les dis­cré­di­ter, sans rien dis­si­mu­ler de ce qui peut leur être favo­rable — ce que sont ses adver­saires et leurs opi­nions. Telle est la vraie mora­li­té de la dis­cus­sion publique ; et, si elle est sou­vent vio­lée, je suis heu­reux de pen­ser qu’il y a de nom­breux polé­mistes qui en étu­dient de très près les rai­sons, et un plus grand nombre encore qui s’ef­force de la respecter.

John Stuart Mill
(fin du cha­pitre 2)

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Notes :

[1] Ces mots étaient à peine écrits lorsque, comme pour leur don­ner un démen­ti solen­nel, sur­vinrent en 1858 les pour­suites du gou­ver­ne­ment contre la presse. Cette inter­ven­tion mal­avi­sée dans la dis­cus­sion publique ne m’a pas entraî­né à chan­ger un seul mot au texte ; elle n’a pas davan­tage affai­bli ma convic­tion que, les moments de panique excep­tés, l’ère des sanc­tions à l’en­contre de la dis­cus­sion poli­tique était révo­lue dans notre pays. Car d’a­bord on ne per­sis­ta pas dans les pour­suites et secon­de­ment, ce ne furent jamais à pro­pre­ment par­ler des pour­suites poli­tiques. L’of­fense repro­chée n’é­tait pas d’a­voir cri­ti­qué les ins­truc­tions, les actes ou les per­sonnes des gou­ver­nants, mais d’a­voir pro­pa­gé une doc­trine esti­mée immo­rale : la légi­ti­mi­té du tyrannicide.

Si les argu­ments du pré­sent cha­pitre ont quelque vali­di­té, c’est qu’il devrait y avoir la pleine liber­té de pro­fes­ser et de dis­cu­ter, en tant que convic­tion éthique, n’im­porte quelle doc­trine, aus­si immo­rale puisse-t-elle sem­bler. Il serait donc inap­pro­prié et dépla­cé d’exa­mi­ner ici si la doc­trine du tyran­ni­cide mérite bien ce qua­li­fi­ca­tif. Je me conten­te­rai de dire que cette ques­tion fait depuis tou­jours par­tie des débats moraux et qu’un citoyen qui abat un cri­mi­nel s’é­lève ce fai­sant au-des­­sus de la loi et se place hors de por­tée des châ­ti­ments et des contrôles légaux. Cette action est recon­nue par des nations entières et par cer­tains hommes, les meilleurs et les plus sages, non comme un crime, mais comme un acte d’ex­trême ver­tu. En tout cas, bon ou mau­vais, le tyran­ni­cide n’est pas de l’ordre de l’as­sas­si­nat, mais de la guerre civile. En tant que tel, je consi­dère que l’ins­ti­ga­tion au tyran­ni­cide, dans un cas pré­cis, peut don­ner lieu à un châ­ti­ment appro­prié, mais cela seule­ment s’il est sui­vi de l’acte pro­pre­ment dit ou si un lien vrai­sem­blable entre l’acte et l’ins­ti­ga­tion peut être éta­bli. Mais dans ce cas, seul le gou­ver­ne­ment atta­qué lui-même — et non un gou­ver­ne­ment étran­ger — peut légi­ti­me­ment, pour se défendre, punir les attaques contre sa propre existence.

[2] Tho­mas Poo­ley, assises de Bod­min, 31 juillet 1857 : au mois de décembre sui­vant, il reçut un libre par­don de la Couronne.

[3] Georges-Jacob Holyake, 17 août 1857 ; Edward True­love, juillet 1857.

[4] Baron de Glei­chen, cour de police de Marl­bo­rough Street, 4 août 1857.

[5] Il faut voir un aver­tis­se­ment sérieux dans le déchaî­ne­ment de pas­sions per­sé­cu­trices qui s’est mêlé, lors de la révolte des Cipayes, à l’ex­pres­sion géné­rale des pires aspects de notre carac­tère natio­nal. Les délires furieux que des fana­tiques ou des char­la­tans pro­fé­raient du haut de leurs chaires ne sont peut-être pas dignes d’être rele­vés ; mais les chefs du par­ti évan­gé­lique ont posé pour prin­cipe de gou­ver­ne­ment des Hin­dous et des Musul­mans de ne finan­cer par les deniers publics que les écoles dans les­quelles on enseigne la Bible, et de n’at­tri­buer par consé­quent les postes de fonc­tion­naire qu’à des chré­tiens réels ou pré­ten­dus tels. Un sous-secré­­taire d’É­tat, dans un dis­cours à ses élec­teurs le 12 novembre 1857, aurait décla­ré : « Le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique, en tolé­rant leur foi » (la foi de cent mil­lions de sujets bri­tan­niques), « n’a obte­nu d’autres résul­tats que frei­ner la supré­ma­tie du nom anglais et d’empêcher le déve­lop­pe­ment salu­taire du chris­tia­nisme. (…) La tolé­rance est la grande pierre angu­laire de ce pays ; mais ne les lais­sez pas abu­ser de ce mot pré­cieux de tolé­rance. » Comme l’en­ten­dait le sous-secré­­taire d’É­tat, elle signi­fiait liber­té com­plète, la liber­té de culte pour tous par­mi les chré­tiens qui célé­braient leur culte sur de mêmes bases. Elle signi­fiait la tolé­rance de toutes les sectes et confes­sions de chré­tiens croyant en la seule et unique média­tion. Je sou­haite atti­rer l’at­ten­tion sur le fait qu’un homme qui a été jugé apte à rem­plir une haute fonc­tion dans le gou­ver­ne­ment de ce pays, sous un minis­tère libé­ral, défend là la doc­trine selon laquelle tous ceux qui ne croient pas en la divi­ni­té du Christ sont hors des bornes de la tolé­rance. Qui, après cette démons­tra­tion imbé­cile, peut s’a­ban­don­ne­ra l’illu­sion que les per­sé­cu­tions reli­gieuses sont révolues ?

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Pour lire le livre entier : http://​clas​siques​.uqac​.ca/​c​l​a​s​s​i​q​u​e​s​/​M​i​l​l​_​j​o​h​n​_​s​t​u​a​r​t​/​d​e​_​l​a​_​l​i​b​e​r​t​e​/​d​e​_​l​a​_​l​i​b​e​r​t​e​.​h​tml

Tous ensemble à Londres, le 24 février 2020, pour soutenir Julian Assange, journaliste exemplaire et pourtant emprisonné depuis 2012 et aujourd’hui torturé

Julian Assange a dévoué sa vie pour nous défendre, nous tous, contre les cri­mi­nels au pou­voir, en dénon­çant publi­que­ment et puis­sam­ment ceux qui mar­ty­risent et tor­turent leurs oppo­sants poli­tiques, par­tout sur terre.

Aujourd’­hui, comble de l’in­jus­tice, Julian est seul, enfer­mé et tor­tu­ré à son tour, par ceux-là mêmes dont il a prou­vé les crimes impardonnables.

Julian Assange – Pri­son­nier poli­tique depuis 2012
https://www.legrandsoir.info/julian-assange-prisonnier-politique-depuis-2012–9.html

Julian n’a plus que nous.
Pri­vés de consti­tu­tion, nous n’a­vons aucun moyen ins­ti­tu­tion­nel pour mettre fin nous-mêmes à cette honte.
Mais nous pou­vons encore nous réunir pour pro­tes­ter sur les lieux de pou­voirs injustes.
Si nous ne sommes que quelques cen­taines à nous mobi­li­ser, les cri­mi­nels sou­ri­ront cyni­que­ment, et de notre fai­blesse et de l’in­dif­fé­rence géné­rale à leur cruau­té. Il faut que nous soyons des mil­liers et des mil­liers, pour mon­trer aux juges que Julian n’est pas seul, pour mon­trer à Julian qu’il n’est pas seul, et pour mon­trer à nos enfants que nous ne sommes pas des lâches, que nous avons résis­té comme nous avons pu — car ce sont nos enfants qui vont vivre dans la socié­té de vio­lence arbi­traire que nous aurons lais­sée s’ins­tal­ler chez nous sans rien dire, ou pas.

Je demande à ceux qui le peuvent — simples citoyens, mais aus­si par­le­men­taires, intel­lec­tuels, et bien sûr jour­na­listes dignes de ce nom — de venir avec nous à Londres, lun­di 24 février pro­chain, pour pro­tes­ter publi­que­ment contre le sort infer­nal qui est réser­vé par les gou­ver­ne­ments à Julian Assange, héros et mar­tyr du journalisme.

Je repro­duis ci-des­­sous, en jaune, l’an­nonce des orga­ni­sa­teurs du voyage.

J’y ajoute aus­si deux vidéos que je trouve impor­tantes, l’une de Vik­tor Dedaj et l’autre de Juan Bran­co, pour mesu­rer l’im­por­tance cru­ciale, struc­tu­relle, ins­ti­tu­tion­nelle, des outils poli­tiques que nous donne Assange, et dont veulent nous pri­ver les voleurs de pou­voir par­tout sur terre.

J’y ajoute enfin, en bleu, un article bou­le­ver­sant, écrit par Nils Mel­zer, Rap­por­teur spé­cial des Nations Unies sur la tor­ture, article à lire jus­qu’au bout car tout les mots y sont impor­tants, pour com­prendre le scan­dale abso­lu du cas Assange et la honte inex­piable des pré­ten­dues « élites », ET SURTOUT DES PRÉTENDUS « JOURNALISTES ».

Mer­ci pour tout ce que vous pour­rez faire, à votre échelle, pour aider Julian.

Étienne.


 

24 février : Tous ensemble à Londres pour soutenir Julian Assange

La date du 24 février ouvre le départ des der­nières audiences d’extradition du fon­da­teur de Wiki­Leaks Julian Assange sur la demande des Etat-Unis. Sur le ter­ri­toire amé­ri­cain Julian risque jusqu’à 175 années de pri­son pour avoir dif­fu­ser des docu­ments sur la guerre en Irak et en Afgha­nis­tan dévoi­lant ain­si au grand jour tor­tures et exac­tions de l’armée amé­ri­caine, pour avoir fait son tra­vail de jour­na­liste. S’il est jugé par un tri­bu­nal fédé­ral dans un état où la peine capi­tale est auto­ri­sée, il risque la peine de mort pour espion­nage et divul­ga­tion de secrets d’Etat .

Nous orga­ni­sons ce 23 février un départ de Paris en Bus pour Londres. Nous arri­ve­rons le 24 au matin pour com­men­cer la mani­fes­ta­tion et repar­ti­rons le soir afin d’être de retour le 25 au petit matin sur Paris.

Au nom de la Liber­té de la presse, de la Liber­té d’expression, de la Véri­té nous deman­dons l’arrêt immé­diat de la pro­cé­dure d’extradition et la libé­ra­tion de Julian Assange.

Informations/contacts : https://​www​.face​book​.com/​e​v​e​n​t​s​/​4​6​7​9​9​8​7​0​4​1​5​5​4​46/

Réser­va­tions : https://​yur​plan​.com/​e​v​e​n​t​/​T​o​u​s​–​e​n​s​e​m​b​l​e​–​a​–​L​o​n​d​r​e​s​–​p​o​u​r​–​J​u​l​i​a​n​–​l​e​–​2​4​–​f​e​v​r​i​e​r​–​2​0​2​0​/​5​4​080

Le Grand Soir,
https://​www​.legrand​soir​.info/​2​4​–​f​e​v​r​i​e​r​–​t​o​u​s​–​e​n​s​e​m​b​l​e​–​a​–​l​o​n​d​r​e​s​–​p​o​u​r​–​s​o​u​t​e​n​i​r​–​j​u​l​i​a​n​–​a​s​s​a​n​g​e​.​h​tml

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Viktor Dedaj, sur EURÊKA, explique le scandale de l’affaire Assange

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Juan Branco, sur France Culture, explique l’importance institutionnelle du travail de Julian Assange, pour protéger les peuples — durablement et efficacement — contre les crimes de leurs représentants politiques

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Ce qui suit est à lire très atten­ti­ve­ment, sur­tout la fin :

« Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux » (Republik)

Nils MELZER

Une allé­ga­tion de viol inven­tée et des preuves fabri­quées en Suède, la pres­sion du Royaume-Uni pour ne pas aban­don­ner l’affaire, un juge par­tial, la déten­tion dans une pri­son de sécu­ri­té maxi­male, la tor­ture psy­cho­lo­gique – et bien­tôt l’extradition vers les États-Unis, où il pour­rait être condam­né à 175 ans de pri­son pour avoir dénon­cé des crimes de guerre. Pour la pre­mière fois, le rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la tor­ture, Nils Mel­zer, parle en détail des conclu­sions explo­sives de son enquête sur le cas du fon­da­teur de Wiki­leaks, Julian Assange.

1. La police suédoise a monté de toutes pièces une histoire mensongère de viol

Nils Mel­zer, pour­quoi le rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la tor­ture s’intéresse-t-il à Julian Assange ?

C’est une ques­tion que le minis­tère alle­mand des affaires étran­gères m’a éga­le­ment posée récem­ment : Est-ce vrai­ment votre man­dat prin­ci­pal ? Assange est-il vic­time de la torture ?

Quelle a été votre réponse ?

L’affaire relève de mon man­dat de trois manières dif­fé­rentes : Pre­miè­re­ment, Assange a publié des preuves de tor­ture sys­té­ma­tique. Mais au lieu des res­pon­sables de la tor­ture, c’est Assange qui est per­sé­cu­té. Deuxiè­me­ment, il a lui-même été mal­trai­té au point qu’il pré­sente main­te­nant des symp­tômes de tor­ture psy­cho­lo­gique. Et troi­siè­me­ment, il doit être extra­dé vers un pays qui main­tient des per­sonnes comme lui dans des condi­tions de pri­son qu’Amnesty Inter­na­tio­nal a décrites comme de la tor­ture. En résu­mé : Julian Assange a décou­vert la tor­ture, a été lui-même tor­tu­ré et pour­rait être tor­tu­ré à mort aux États-Unis. Et un tel cas n’est pas cen­sé faire par­tie de mon domaine de res­pon­sa­bi­li­té ? Au-delà de cela, l’affaire a une impor­tance sym­bo­lique et touche chaque citoyen d’un pays démocratique.

Pour­quoi n’avez-vous pas pris en charge l’affaire beau­coup plus tôt ?

Ima­gi­nez une pièce sombre. Sou­dain, quelqu’un éclaire l’éléphant qui se trouve dans la pièce – sur les cri­mi­nels de guerre, sur la cor­rup­tion. Assange est l’homme qui a le pro­jec­teur bra­qué sur l’éléphant. Les gou­ver­ne­ments sont briè­ve­ment sous le choc, mais ensuite ils retournent les pro­jec­teurs en l’accusant de viol. C’est une manœuvre clas­sique lorsqu’il s’agit de mani­pu­ler l’opinion publique. L’éléphant dis­pa­raît une fois de plus dans l’obscurité, der­rière les pro­jec­teurs. Et c’est Assange qui devient le centre d’attention, et on com­mence à se deman­der si Assange fait du ska­te­board dans l’ambassade ou s’il nour­rit cor­rec­te­ment son chat. Sou­dain, nous savons tous qu’il est un vio­leur, un hacker, un espion et un nar­cis­sique. Mais les abus et les crimes de guerre qu’il a décou­verts s’évanouissent dans l’obscurité. J’ai éga­le­ment per­du ma concen­tra­tion, mal­gré mon expé­rience pro­fes­sion­nelle, ce qui aurait dû me conduire à être plus vigilant.

Com­men­çons par le début : Qu’est-ce qui vous a ame­né à vous occu­per de cette affaire ?

En décembre 2018, ses avo­cats m’ont deman­dé d’intervenir. J’ai d’abord refu­sé. J’étais sur­char­gé par d’autres requêtes et je ne connais­sais pas vrai­ment l’affaire. Mon impres­sion, lar­ge­ment influen­cée par les médias, était éga­le­ment influen­cée par le pré­ju­gé selon lequel Julian Assange était d’une cer­taine manière cou­pable et qu’il vou­lait me mani­pu­ler. En mars 2019, ses avo­cats m’ont appro­ché pour la deuxième fois parce qu’il y avait de plus en plus d’indications qu’Assange serait bien­tôt expul­sé de l’ambassade équa­to­rienne. Ils m’ont envoyé quelques docu­ments clés et un résu­mé de l’affaire et je me suis dit que mon inté­gri­té pro­fes­sion­nelle exi­geait que je jette au moins un coup d’œil à ces documents.

Et ensuite ?

Il m’est rapi­de­ment appa­ru que quelque chose n’allait pas. Qu’il y avait une contra­dic­tion qui n’avait aucun sens pour moi, compte tenu de ma grande expé­rience juri­dique : Pour­quoi une per­sonne serait-elle sou­mise à neuf ans d’enquête pré­li­mi­naire pour viol sans qu’aucune accu­sa­tion n’ait jamais été por­tée contre elle ?

Est-ce que c’est inhabituel ?

Je n’ai jamais vu un cas com­pa­rable. N’importe qui peut déclen­cher une enquête pré­li­mi­naire contre quelqu’un d’autre en allant sim­ple­ment à la police et en accu­sant l’autre per­sonne d’un crime. Les auto­ri­tés sué­doises n’ont cepen­dant jamais été inté­res­sées par le témoi­gnage d’Assange. Elles l’ont déli­bé­ré­ment lais­sé dans l’incertitude. Ima­gi­nez que vous soyez accu­sé de viol pen­dant neuf ans et demi par tout un appa­reil d’État et par les médias sans jamais avoir la pos­si­bi­li­té de vous défendre parce qu’aucune accu­sa­tion n’a jamais été portée.

Vous dites que les auto­ri­tés sué­doises n’ont jamais été inté­res­sées par le témoi­gnage d’Assange. Mais les médias et les orga­nismes gou­ver­ne­men­taux ont bros­sé un tableau com­plè­te­ment dif­fé­rent au fil des ans : Julian Assange, disent-ils, a fui la jus­tice sué­doise pour évi­ter d’avoir à répondre de ses actes.

C’est ce que j’ai tou­jours pen­sé, jusqu’à ce que je com­mence à enquê­ter. C’est le contraire qui est vrai. Assange s’est mis à dis­po­si­tion des auto­ri­tés sué­doises à plu­sieurs reprises parce qu’il vou­lait répondre aux accu­sa­tions. Mais les auto­ri­tés ont fait de l’obstruction.

Qu’est-ce que vous vou­lez dire par là ? ’Les auto­ri­tés ont fait de l’obstruction ?’

Per­­met­­tez-moi de com­men­cer par le début. Je parle cou­ram­ment le sué­dois et j’ai donc pu lire tous les docu­ments ori­gi­naux. J’en croyais à peine mes yeux : Selon le témoi­gnage de la femme en ques­tion, un viol n’avait jamais eu lieu. Et ce n’est pas tout : Le témoi­gnage de la femme a ensuite été modi­fié par la police de Stock­holm sans qu’elle soit impli­quée, afin de faire croire à un éven­tuel viol. J’ai tous les docu­ments en ma pos­ses­sion, les e‑mails, les SMS.

’Le témoi­gnage de la femme a ensuite été modi­fié par la police’ – com­ment exactement ?

Le 20 août 2010, une femme nom­mée S. W. est entrée dans un poste de police de Stock­holm avec une deuxième femme nom­mée A. A. La pre­mière femme, S. W., a décla­ré qu’elle avait eu des rela­tions sexuelles consen­ties avec Julian Assange, mais qu’il ne por­tait pas de pré­ser­va­tif. Elle a dit qu’elle crai­gnait main­te­nant d’être infec­tée par le VIH et vou­lait savoir si elle pou­vait for­cer Assange à pas­ser un test de dépis­tage du VIH. Elle a dit qu’elle était très inquiète. La police a écrit sa décla­ra­tion et a immé­dia­te­ment infor­mé les pro­cu­reurs. Avant même que l’interrogatoire ne puisse être ter­mi­né, S. W. a été infor­mée qu’Assange serait arrê­tée pour sus­pi­cion de viol. S. W. a été cho­quée et a refu­sé de pour­suivre l’interrogatoire. Alors qu’elle était encore au poste de police, elle a écrit un mes­sage texte à un ami pour lui dire qu’elle ne vou­lait pas incri­mi­ner Assange, qu’elle vou­lait juste qu’il passe un test de dépis­tage du VIH, mais que la police était appa­rem­ment inté­res­sée à ’mettre la main sur lui’.

Qu’est-ce que cela signifie ?

S.W. n’a jamais accu­sé Julian Assange de viol. Elle a refu­sé de par­ti­ci­per à un autre inter­ro­ga­toire et est ren­trée chez elle. Néan­moins, deux heures plus tard, un titre est appa­ru en pre­mière page d’Expres­sen, un tabloïd sué­dois, disant que Julian Assange était soup­çon­né d’avoir com­mis deux viols.

Deux viols ?

Oui, car il y avait la deuxième femme, A. A. Elle ne vou­lait pas non plus por­ter plainte, elle avait sim­ple­ment accom­pa­gné S. W. au poste de police. Elle n’a même pas été inter­ro­gée ce jour-là. Elle a dit plus tard qu’Assange l’avait har­ce­lée sexuel­le­ment. Je ne peux pas dire, bien sûr, si c’est vrai ou non. Je ne peux qu’indiquer l’ordre des évé­ne­ments : Une femme entre dans un poste de police. Elle ne veut pas por­ter plainte mais veut exi­ger un test de dépis­tage du VIH. La police décide alors qu’il pour­rait s’agir d’un cas de viol et que cela pour­rait rele­ver du minis­tère public. La femme refuse d’accepter cette ver­sion des faits, puis rentre chez elle et écrit à une amie que ce n’était pas son inten­tion, mais que la police veut ’mettre la main sur’ Assange. Deux heures plus tard, l’affaire est publiée dans le jour­nal. Comme nous le savons aujourd’hui, les pro­cu­reurs publics ont divul­gué l’affaire à la presse – et ils l’ont fait sans même invi­ter Assange à faire une décla­ra­tion. Et la deuxième femme, qui aurait été vio­lée selon le gros titre du 20 août, n’a été inter­ro­gée que le 21 août.

Qu’a dit la deuxième femme lorsqu’elle a été interrogée ?

Elle a dit qu’elle avait mis son appar­te­ment à la dis­po­si­tion d’Assange, qui était en Suède pour une confé­rence. Un petit appar­te­ment d’une pièce. Quand Assange était dans l’appartement, elle est ren­trée plus tôt que pré­vu, mais lui a dit que ce n’était pas un pro­blème et qu’ils pou­vaient dor­mir tous les deux dans le même lit. Cette nuit-là, ils ont eu des rap­ports sexuels consen­suels, avec un pré­ser­va­tif. Mais elle a dit que pen­dant l’acte sexuel, Assange avait inten­tion­nel­le­ment bri­sé le pré­ser­va­tif. Si c’est vrai, alors il s’agit bien sûr d’un délit sexuel – ce qu’on appelle la ’fur­ti­vi­té’. Mais la femme a éga­le­ment dit qu’elle n’avait remar­qué que plus tard que le pré­ser­va­tif était cas­sé. C’est une contra­dic­tion qui aurait abso­lu­ment dû être cla­ri­fiée. Si je ne le remarque pas, alors je ne peux pas savoir si l’autre l’a inten­tion­nel­le­ment bri­sé. Pas une seule trace d’ADN d’Assange ou d’A. A. n’a pu être détec­tée sur le pré­ser­va­tif qui a été pré­sen­té comme preuve.

Com­ment les deux femmes se connaissaient-elles ?

Elles ne se connais­saient pas vrai­ment. A. A., qui héber­geait Assange et lui ser­vait d’attaché de presse, avait ren­con­tré S. W. lors d’un évé­ne­ment où S. W. por­tait un pull en cache­mire rose. Elle savait appa­rem­ment par Assange qu’il était inté­res­sé par une ren­contre sexuelle avec S. W., car un soir, elle a reçu un SMS d’une connais­sance disant qu’il savait qu’Assange était chez elle et que elle, la connais­sance, aime­rait contac­ter Assange. A. A. a répon­du : Assange semble cou­cher en ce moment avec la ’fille au cache­mire’. Le len­de­main matin, S. W. a par­lé avec A.A. au télé­phone et a dit qu’elle aus­si avait cou­ché avec Assange et qu’elle s’inquiétait main­te­nant d’avoir été infec­tée par le VIH. Cette inquié­tude était appa­rem­ment réelle, car S.W. s’est même ren­due dans une cli­nique pour une consul­ta­tion. A. A. a alors sug­gé­ré : Allons à la police – ils peuvent obli­ger Assange à faire un test de dépis­tage du VIH. Les deux femmes ne se sont cepen­dant pas ren­dues au poste de police le plus proche, mais à un poste assez éloi­gné où une amie d’A. A. tra­vaille comme poli­cière – qui a ensuite inter­ro­gé S. W., d’abord en pré­sence d’A. A., ce qui n’est pas une pra­tique cor­recte. Mais jusqu’à pré­sent, le seul pro­blème était tout au plus un manque de pro­fes­sion­na­lisme. La mal­veillance déli­bé­rée des auto­ri­tés n’est appa­rue que lorsqu’elles ont immé­dia­te­ment dif­fu­sé le soup­çon de viol par le biais de la presse à sen­sa­tion, et ce sans inter­ro­ger A. A. et en contra­dic­tion avec la décla­ra­tion de S. W. Cela a éga­le­ment vio­lé une inter­dic­tion claire de la loi sué­doise de divul­guer les noms des vic­times ou des auteurs pré­su­més dans les affaires de délits sexuels. L’affaire a main­te­nant été por­tée à l’attention du pro­cu­reur géné­ral de la capi­tale et elle a sus­pen­du l’enquête sur le viol quelques jours plus tard, esti­mant que si les décla­ra­tions de S. W. étaient cré­dibles, il n’y avait aucune preuve qu’un crime avait été commis.

Mais alors l’affaire a vrai­ment pris son envol. Pourquoi ?

Le super­vi­seur de la poli­cière qui avait mené l’interrogatoire lui a écrit un e‑mail lui deman­dant de réécrire la décla­ra­tion de S. W.

Ce docu­ment a été obte­nu par la jour­na­liste d’investigation ita­lienne Ste­fa­nia Mau­ri­zi (@SMaurizi) dans le cadre d’une requête sur la liber­té d’information qui dure depuis cinq ans et qui est tou­jours en cours. (NdT)

Qu’est-ce que la poli­cière a changé ?

Nous ne le savons pas, car la pre­mière décla­ra­tion a été direc­te­ment réécrite dans le pro­gramme infor­ma­tique et n’existe plus. Nous savons seule­ment que la pre­mière décla­ra­tion, selon le pro­cu­reur géné­ral, ne conte­nait appa­rem­ment aucune indi­ca­tion qu’un crime avait été com­mis. Dans la ver­sion révi­sée, il est dit que les deux ont eu des rap­ports sexuels à plu­sieurs reprises – consen­suels et avec un pré­ser­va­tif. Mais le matin, selon la décla­ra­tion révi­sée, la femme s’est réveillée parce qu’il a essayé de la péné­trer sans pré­ser­va­tif. Elle demande : ’Est-ce que tu portes un pré­ser­va­tif ?’ Il répond : ’Non.’ Puis elle dit : ’Tu as inté­rêt à ne pas avoir le SIDA’ et lui per­met de conti­nuer. La décla­ra­tion a été édi­tée sans la par­ti­ci­pa­tion de la femme en ques­tion et n’a pas été signée par elle. Il s’agit d’une preuve mani­pu­lée à par­tir de laquelle les auto­ri­tés sué­doises ont ensuite fabri­qué une his­toire de viol.

Pour­quoi les auto­ri­tés sué­doises feraient-elles une telle chose ?

Le moment est déci­sif : fin juillet, Wiki­leaks – en coopé­ra­tion avec le ’New York Times’, le ’Guar­dian’ et ’Der Spie­gel’ – a publié le ’Jour­nal de guerre afghan’. C’était l’une des plus grandes fuites de l’histoire de l’armée amé­ri­caine. Les États-Unis ont immé­dia­te­ment exi­gé que leurs alliés inondent Assange d’affaires cri­mi­nelles. Nous ne connais­sons pas toute la cor­res­pon­dance, mais Strat­for, une socié­té de conseil en sécu­ri­té qui tra­vaille pour le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain, a conseillé aux res­pon­sables amé­ri­cains d’inonder Assange de toutes sortes d’affaires cri­mi­nelles pen­dant les 25 années sui­vantes.

2. Assange prend contact avec la justice suédoise à plusieurs reprises pour faire une déclaration – mais il est ignoré

Pour­quoi Assange ne s’est-il pas ren­du à la police à l’époque ?

Il l’a fait. Je l’ai déjà mentionné.

Pou­­vez-vous préciser ?

Assange a appris les allé­ga­tions de viol par la presse. Il a pris contact avec la police pour pou­voir faire une décla­ra­tion. Bien que le scan­dale ait atteint le public, il n’a été auto­ri­sé à le faire que neuf jours plus tard, après que l’accusation de viol de S. W. n’ait plus été rete­nue. Mais la pro­cé­dure rela­tive au har­cè­le­ment sexuel de A. A. était en cours. Le 30 août 2010, Assange s’est pré­sen­té au poste de police pour faire une décla­ra­tion. Il a été inter­ro­gé par la même poli­cière qui avait depuis ordon­né que la décla­ra­tion soit révi­sée par S. W. Au début de la conver­sa­tion, Assange a dit qu’il était prêt à faire une décla­ra­tion, mais a ajou­té qu’il ne vou­lait pas lire à nou­veau sa décla­ra­tion dans la presse. C’est son droit, et il a reçu l’assurance que ce serait le cas. Mais le soir même, tout était à nou­veau dans les jour­naux. Cela ne pou­vait venir que des auto­ri­tés car per­sonne d’autre n’était pré­sent lors de son inter­ro­ga­toire. L’intention était très clai­re­ment de salir son nom.

D’où venait l’histoire selon laquelle Assange cher­chait à fuir la jus­tice suédoise ?

Cette ver­sion a été fabri­quée, mais elle n’est pas conforme aux faits. S’il avait essayé de se cacher, il ne se serait pas pré­sen­té au poste de police de son plein gré. Sur la base de la décla­ra­tion révi­sée de S.W., un appel a été dépo­sé contre la ten­ta­tive du pro­cu­reur de sus­pendre l’enquête, et le 2 sep­tembre 2010, la pro­cé­dure de viol a été reprise. Un repré­sen­tant légal du nom de Claes Borg­ström a été nom­mé aux frais de l’État pour les deux femmes. L’homme était un asso­cié du cabi­net d’avocats de l’ancien ministre de la Jus­tice, Tho­mas Bod­ström, sous la super­vi­sion duquel le per­son­nel de sécu­ri­té sué­dois avait arrê­té deux hommes que les États-Unis avaient trou­vés sus­pects au centre de Stock­holm. Les hommes ont été arrê­tés sans aucune forme de pro­cé­dure judi­ciaire, puis remis à la CIA, qui a pro­cé­dé à leur tor­ture. Cela montre plus clai­re­ment la toile de fond trans­at­lan­tique de cette affaire. Après la reprise de l’enquête sur le viol, Assange a indi­qué à plu­sieurs reprises, par l’intermédiaire de son avo­cat, qu’il sou­hai­tait répondre aux accu­sa­tions. La pro­cu­reure res­pon­sable n’a ces­sé de retar­der. Un jour, cela ne cor­res­pon­dait pas à l’emploi du temps de la pro­cu­reure, et l’autre jour, le fonc­tion­naire de police res­pon­sable était malade. Trois semaines plus tard, son avo­cat a fina­le­ment écrit qu’Assange devait vrai­ment se rendre à Ber­lin pour une confé­rence et lui a deman­dé s’il était auto­ri­sé à quit­ter le pays. Le minis­tère public lui a don­né l’autorisation écrite de quit­ter la Suède pour de courtes périodes.

Et ensuite ?

La ques­tion est la sui­vante : Le jour où Julian Assange a quit­té la Suède, à un moment où il n’était pas clair s’il par­tait pour une courte ou une longue période, un man­dat d’arrêt a été émis contre lui. Il a pris l’avion avec Scan­di­na­vian Air­lines de Stock­holm à Ber­lin. Pen­dant le vol, ses ordi­na­teurs por­tables ont dis­pa­ru de ses bagages enre­gis­trés. À son arri­vée à Ber­lin, Luf­than­sa a deman­dé une enquête à SAS, mais la com­pa­gnie aérienne a appa­rem­ment refu­sé de four­nir la moindre information.

Pour­quoi ?

C’est exac­te­ment le pro­blème. Dans ce cas, il se passe constam­ment des choses qui ne devraient pas être pos­sibles, à moins de les voir sous un autre angle. Assange, en tout cas, a pour­sui­vi sa route vers Londres, mais n’a pas cher­ché à fuir la jus­tice. Par l’intermédiaire de son avo­cat sué­dois, il a pro­po­sé aux pro­cu­reurs plu­sieurs dates pos­sibles d’interrogatoire en Suède – cette cor­res­pon­dance existe. Ensuite, il se pro­duit ceci : Assange a eu vent du fait qu’une affaire pénale secrète avait été ouverte contre lui aux États-Unis. À l’époque, cela n’a pas été confir­mé par les États-Unis, mais aujourd’hui, nous savons que c’est vrai. À par­tir de ce moment, l’avocat d’Assange a com­men­cé à dire que son client était prêt à témoi­gner en Suède, mais il a exi­gé l’assurance diplo­ma­tique que la Suède ne l’extraderait pas vers les États-Unis.

Était-ce même un scé­na­rio réaliste ?

Abso­lu­ment. Quelques années aupa­ra­vant, comme je l’ai déjà men­tion­né, le per­son­nel de sécu­ri­té sué­dois avait remis à la CIA deux deman­deurs d’asile, tous deux enre­gis­trés en Suède, sans aucune pro­cé­dure judi­ciaire. Les abus avaient déjà com­men­cé à l’aéroport de Stock­holm, où ils ont été mal­trai­tés, dro­gués et emme­nés par avion en Égypte, où ils ont été tor­tu­rés. Nous ne savons pas s’il s’agissait des seuls cas de ce genre. Mais nous sommes au cou­rant de ces cas parce que les hommes ont sur­vé­cu. Tous deux ont ensuite dépo­sé des plaintes auprès des agences de défense des droits de l’homme des Nations unies et ont eu gain de cause. La Suède a été obli­gée de ver­ser à cha­cun d’eux un demi-mil­­lion de dol­lars de dom­mages et intérêts.

La Suède a‑t‑elle accep­té les demandes pré­sen­tées par Assange ?

Les avo­cats affirment que pen­dant les sept années où Assange a vécu à l’ambassade équa­to­rienne, ils ont fait plus de 30 offres pour qu’Assange se rende en Suède – en échange d’une garan­tie qu’il ne serait pas extra­dé vers les États-Unis. Les Sué­dois ont refu­sé de four­nir une telle garan­tie en fai­sant valoir que les États-Unis n’avaient pas fait de demande offi­cielle d’extradition.

Que pen­­sez-vous de la demande for­mu­lée par les avo­cats d’Assange ?

Ces assu­rances diplo­ma­tiques sont une pra­tique inter­na­tio­nale cou­rante. Les per­sonnes demandent des assu­rances qu’elles ne seront pas extra­dées vers des endroits où il existe un risque de graves vio­la­tions des droits de l’homme, que le pays en ques­tion ait ou non dépo­sé une demande d’extradition. Il s’agit d’une pro­cé­dure poli­tique, et non juri­dique. Voi­ci un exemple : Sup­po­sons que la France demande à la Suisse d’extrader un homme d’affaires kazakh qui vit en Suisse mais qui est recher­ché à la fois par la France et le Kaza­khs­tan pour des allé­ga­tions de fraude fis­cale. La Suisse ne voit aucun dan­ger de tor­ture en France, mais pense qu’un tel dan­ger existe au Kaza­khs­tan. C’est ce que la Suisse dit à la France : Nous allons vous extra­der l’homme, mais nous vou­lons l’assurance diplo­ma­tique qu’il ne sera pas extra­dé vers le Kaza­khs­tan. La réponse de la France est néga­tive : ’Le Kaza­khs­tan n’a même pas dépo­sé de demande !’ Ils nous don­ne­raient plu­tôt une telle assu­rance, bien enten­du. Les argu­ments de la Suède étaient, au mieux, ténus. Cela en fait par­tie. L’autre, et je le dis sur la base de toute mon expé­rience dans les cou­lisses de la pra­tique inter­na­tio­nale stan­dard : Si un pays refuse de four­nir une telle assu­rance diplo­ma­tique, alors tous les doutes sur les bonnes inten­tions du pays en ques­tion sont jus­ti­fiés. Pour­quoi la Suède ne devrait-elle pas four­nir de telles assu­rances ? D’un point de vue juri­dique, après tout, les États-Unis n’ont abso­lu­ment rien à voir avec les pro­cé­dures sué­doises en matière de délits sexuels.

Pour­quoi la Suède n’a‑t‑elle pas vou­lu offrir une telle assurance ?

Il suf­fit de voir com­ment l’affaire a été gérée : Pour la Suède, il n’a jamais été ques­tion des inté­rêts des deux femmes. Même après sa demande d’assurance qu’il ne serait pas extra­dé, Assange vou­lait tou­jours témoi­gner. Il a dit : Si vous ne pou­vez pas garan­tir que je ne serai pas extra­dé, alors je suis prêt à être inter­ro­gé à Londres ou par liai­son vidéo.

Mais est-il nor­mal, ou même léga­le­ment accep­table, que les auto­ri­tés sué­doises se rendent dans un autre pays pour un tel interrogatoire ?

C’est une indi­ca­tion sup­plé­men­taire que la Suède n’a jamais été inté­res­sée par la décou­verte de la véri­té. Pour ce type de ques­tions judi­ciaires, il existe un trai­té de coopé­ra­tion entre le Royaume-Uni et la Suède, qui pré­voit que les fonc­tion­naires sué­dois peuvent se rendre au Royaume-Uni, ou vice ver­sa, pour mener des inter­ro­ga­toires ou que ces inter­ro­ga­toires peuvent avoir lieu par liai­son vidéo. Pen­dant la période en ques­tion, de tels inter­ro­ga­toires entre la Suède et l’Angleterre ont eu lieu dans 44 autres affaires. Ce n’est que dans le cas de Julian Assange que la Suède a insis­té sur le fait qu’il était essen­tiel qu’il com­pa­raisse en personne.

3. Lorsque la plus haute juridiction suédoise a finalement obligé les procureurs de Stockholm à porter des accusations ou à suspendre l’affaire, les autorités britanniques ont exigé : « Ne vous dégonflez pas ! »

Pour­quoi ?

Il n’y a qu’une seule expli­ca­tion pour tout – pour le refus d’accorder des assu­rances diplo­ma­tiques, pour le refus de l’interroger à Londres : Ils vou­laient l’appréhender pour pou­voir l’extrader vers les États-Unis. Le nombre d’infractions à la loi qui se sont accu­mu­lées en Suède en quelques semaines seule­ment pen­dant l’enquête cri­mi­nelle pré­li­mi­naire est tout sim­ple­ment gro­tesque. L’État a affec­té un conseiller juri­dique aux femmes qui leur a dit que l’interprétation pénale de ce qu’elles avaient vécu dépen­dait de l’État, et non plus d’elles. Lorsque leur conseiller juri­dique a été inter­ro­gé sur les contra­dic­tions entre le témoi­gnage des femmes et le récit auquel se conforment les fonc­tion­naires, le conseiller juri­dique a décla­ré, en réfé­rence aux femmes ’ah, mais elles ne sont pas avo­cates’. Mais les pro­cu­reurs publics ont refu­sé pen­dant cinq ans d’interroger Assange sur la ques­tion du pré­ser­va­tif pré­ten­du­ment déchi­ré inten­tion­nel­le­ment – au point que le délai de pres­crip­tion a expi­ré. Dans la deuxième affaire – l’affaire de viol fabri­quée par les auto­ri­tés, à laquelle s’applique un délai de pres­crip­tion de dix ans – les avo­cats d’Assange ont deman­dé à la plus haute juri­dic­tion sué­doise de for­cer les pro­cu­reurs publics à por­ter plainte ou à sus­pendre l’affaire. Lorsque les Sué­dois ont dit au Royaume-Uni qu’ils pour­raient être contraints d’abandonner l’affaire, les Bri­tan­niques ont répon­du, inquiets : ’Sur­tout ne vous dégon­flez pas !!’

Vous êtes sérieux ?

Oui, les Bri­tan­niques, ou plus pré­ci­sé­ment le Crown Pro­se­cu­tion Ser­vice, vou­laient empê­cher la Suède d’abandonner l’affaire à tout prix. Mais en réa­li­té, les Anglais auraient dû être heu­reux de ne plus avoir à dépen­ser des mil­lions de dol­lars de l’argent des contri­buables pour main­te­nir l’ambassade équa­to­rienne sous sur­veillance constante afin d’empêcher la fuite d’Assange.

Pour­quoi les Bri­tan­niques étaient-ils si dési­reux d’empêcher les Sué­dois de clore l’affaire ?

Il faut ces­ser de croire qu’il y avait vrai­ment un inté­rêt à mener une enquête sur un délit sexuel. Ce que Wiki­leaks a fait est une menace pour l’élite poli­tique aux États-Unis, en Grande-Bre­­tagne, en France et en Rus­sie dans une même mesure. Wiki­leaks publie des infor­ma­tions d’État secrètes – ils sont oppo­sés à la clas­si­fi­ca­tion. Et dans un monde, même dans les démo­cra­ties dites matures, où le secret est deve­nu omni­pré­sent, cela est consi­dé­ré comme une menace fon­da­men­tale. Assange a clai­re­ment indi­qué que les pays ne sont plus aujourd’hui inté­res­sés par la confi­den­tia­li­té légi­time, mais par la sup­pres­sion d’informations impor­tantes sur la cor­rup­tion et les crimes. Pre­nez l’archétype de l’affaire Wiki­leaks à par­tir des fuites four­nies par Chel­sea Man­ning : La vidéo dite ’Col­la­te­ral Mur­der’. (Note de l’éditeur : Le 5 avril 2010, Wiki­leaks a publié une vidéo clas­si­fiée de l’armée amé­ri­caine qui mon­trait le meurtre de plu­sieurs per­sonnes à Bag­dad par des sol­dats amé­ri­cains, dont deux employés de l’agence de presse Reu­ters). En tant que conseiller juri­dique de longue date du Comi­té inter­na­tio­nal de la Croix-Rouge et délé­gué dans les zones de guerre, je peux vous le dire : La vidéo docu­mente sans aucun doute un crime de guerre. Un équi­page d’hélicoptère a sim­ple­ment fau­ché un groupe de per­sonnes. Il se pour­rait même qu’une ou deux de ces per­sonnes portent une arme, mais les bles­sés ont été ciblés inten­tion­nel­le­ment. C’est un crime de guerre. ’Il est bles­sé’, vous pou­vez entendre un Amé­ri­cain dire. ’Je tire.’ Et puis ils rient. Puis une camion­nette arrive pour sau­ver les bles­sés. Le chauf­feur a deux enfants avec lui. On entend les sol­dats dire : C’est de leur faute s’ils emmènent leurs enfants sur un champ de bataille. Et puis ils ouvrent le feu. Le père et les bles­sés sont immé­dia­te­ment tués, bien que les enfants sur­vivent avec de graves bles­sures. Grâce à la publi­ca­tion de la vidéo, nous sommes deve­nus les témoins directs d’un mas­sacre cri­mi­nel et inadmissible.

Que doit faire une démo­cra­tie consti­tu­tion­nelle dans une telle situation ?

Une démo­cra­tie consti­tu­tion­nelle enquê­te­rait pro­ba­ble­ment sur Chel­sea Man­ning pour vio­la­tion du secret offi­ciel parce qu’elle a trans­mis la vidéo à Assange. Mais elle ne s’en pren­drait cer­tai­ne­ment pas à Assange, car il a publié la vidéo dans l’intérêt public, confor­mé­ment aux pra­tiques du jour­na­lisme d’investigation clas­sique. Mais plus que tout, une démo­cra­tie consti­tu­tion­nelle enquê­te­rait et puni­rait les cri­mi­nels de guerre. Ces sol­dats doivent être der­rière les bar­reaux. Mais aucune enquête cri­mi­nelle n’a été lan­cée. Au lieu de cela, l’homme qui a infor­mé le public est enfer­mé dans une déten­tion pré-extra­­­di­­tion à Londres et risque une peine pos­sible aux Etats-Unis allant jusqu’à 175 ans de pri­son. C’est une peine com­plè­te­ment absurde. En com­pa­rai­son : Les prin­ci­paux cri­mi­nels de guerre du tri­bu­nal you­go­slave ont été condam­nés à 45 ans de pri­son. Cent soixante-quinze ans de pri­son dans des condi­tions qui ont été jugées inhu­maines par le rap­por­teur spé­cial des Nations unies et par Amnes­ty Inter­na­tio­nal. Mais ce qui est vrai­ment hor­ri­fiant dans cette affaire, c’est l’anarchie qui s’est déve­lop­pée : Les puis­sants peuvent tuer sans crainte d’être punis et le jour­na­lisme se trans­forme en espion­nage. Dire la véri­té devient un crime.

Qu’est-ce qui attend Assange une fois qu’il aura été extradé ?

Il ne béné­fi­cie­ra pas d’un pro­cès conforme à l’État de droit. C’est une autre rai­son pour laquelle son extra­di­tion ne devrait pas être auto­ri­sée. Assange sera jugé par un jury à Alexan­dria, en Vir­gi­nie – la fameuse ’Espio­nage Court’ où les États-Unis jugent toutes les affaires de sécu­ri­té natio­nale. Le choix du lieu n’est pas une coïn­ci­dence, car les membres du jury doivent être choi­sis en pro­por­tion de la popu­la­tion locale, et 85 % des habi­tants d’Alexandrie tra­vaillent dans le domaine de la sécu­ri­té natio­nale – à la CIA, à la NSA, au minis­tère de la défense et au dépar­te­ment d’État. Lorsque des per­sonnes sont jugées pour atteinte à la sécu­ri­té natio­nale devant un tel jury, le ver­dict est clair dès le départ. Les affaires sont tou­jours jugées devant le même juge à huis clos et sur la base de preuves clas­si­fiées. Per­sonne n’a jamais été acquit­té dans une telle affaire. Le résul­tat est que la plu­part des accu­sés par­viennent à un accord, dans lequel ils admettent une culpa­bi­li­té par­tielle afin de rece­voir une peine plus légère.

Vous dites que Julian Assange ne béné­fi­cie­ra pas d’un pro­cès équi­table aux États-Unis ?

Sans aucun doute. Tant que les employés du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain obéissent aux ordres de leurs supé­rieurs, ils peuvent par­ti­ci­per à des guerres d’agression, à des crimes de guerre et à des actes de tor­ture en sachant par­fai­te­ment qu’ils n’auront jamais à répondre de leurs actes. Qu’est-il adve­nu des leçons tirées des pro­cès de Nurem­berg ? J’ai tra­vaillé assez long­temps dans des zones de conflit pour savoir que les erreurs se pro­duisent en temps de guerre. Ce ne sont pas tou­jours des actes cri­mi­nels sans scru­pules. C’est en grande par­tie le résul­tat du stress, de l’épuisement et de la panique. C’est pour­quoi je peux abso­lu­ment com­prendre quand un gou­ver­ne­ment dit : Nous allons faire écla­ter la véri­té et, en tant qu’État, nous assu­mons l’entière res­pon­sa­bi­li­té des dom­mages cau­sés, mais si le blâme ne peut être direc­te­ment attri­bué à des indi­vi­dus, nous n’imposerons pas de puni­tions dra­co­niennes. Mais il est extrê­me­ment dan­ge­reux que la véri­té soit étouf­fée et que les cri­mi­nels ne soient pas tra­duits en jus­tice. Dans les années 1930, l’Allemagne et le Japon ont quit­té la Socié­té des Nations. Quinze ans plus tard, le monde était en ruines. Aujourd’hui, les États-Unis se sont reti­rés du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, et ni le mas­sacre des ’meurtres col­la­té­raux’, ni la tor­ture pra­ti­quée par la CIA après le 11 sep­tembre, ni la guerre d’agression contre l’Irak n’ont don­né lieu à des enquêtes cri­mi­nelles. Aujourd’hui, le Royaume-Uni suit cet exemple. Le Comi­té de sécu­ri­té et de ren­sei­gne­ment du par­le­ment bri­tan­nique a publié deux rap­ports détaillés en 2018, mon­trant que la Grande-Bre­­tagne était beau­coup plus impli­quée dans le pro­gramme secret de tor­ture de la CIA qu’on ne le pen­sait aupa­ra­vant. Le comi­té a recom­man­dé une enquête offi­cielle. La pre­mière chose que Boris John­son a faite après être deve­nu Pre­mier ministre a été d’annuler cette enquête.

4. Au Royaume-Uni, les violations des conditions de mise en liberté sous caution ne sont généralement sanctionnées que par des amendes ou, tout au plus, par quelques jours de prison. Mais Assange a reçu 50 semaines dans une prison de haute sécurité sans avoir la possibilité de préparer sa propre défense

En avril, Julian Assange a été traî­né hors de l’ambassade équa­to­rienne par la police bri­tan­nique. Que pen­­sez-vous de ces événements ?

En 2017, un nou­veau gou­ver­ne­ment a été élu en Équa­teur. En réponse, les États-Unis ont écrit une lettre indi­quant qu’ils étaient dési­reux de coopé­rer avec l’Équateur. Il y avait bien sûr beau­coup d’argent en jeu, mais il y avait un obs­tacle : Julian Assange. Le mes­sage était que les États-Unis étaient prêts à coopé­rer si l’Équateur remet­tait Assange aux États-Unis. Ils lui ont ren­du la vie dif­fi­cile. Mais il est res­té. L’Équateur a alors annu­lé son amnis­tie et a don­né le feu vert à la Grande-Bre­­tagne pour l’arrêter. Comme le gou­ver­ne­ment pré­cé­dent lui avait accor­dé la citoyen­ne­té équa­to­rienne, le pas­se­port d’Assange a éga­le­ment dû être révo­qué, car la consti­tu­tion équa­to­rienne inter­dit l’extradition de ses propres citoyens. Tout cela s’est pas­sé du jour au len­de­main et sans aucune pro­cé­dure judi­ciaire. Assange n’a pas eu la pos­si­bi­li­té de faire une décla­ra­tion ni d’avoir recours à un recours juri­dique. Il a été arrê­té par les Bri­tan­niques et conduit le jour même devant un juge bri­tan­nique, qui l’a condam­né pour vio­la­tion de sa liber­té sous caution.

Que pen­­sez-vous de ce ver­dict accéléré ?

Assange n’a eu que 15 minutes pour se pré­pa­rer avec son avo­cat. Le pro­cès lui-même n’a éga­le­ment duré que 15 minutes. L’avocat d’Assange a posé un épais dos­sier sur la table et a fait une objec­tion for­melle à l’un des juges pour conflit d’intérêt parce que son mari avait été expo­sé par Wiki­leaks dans 35 cas. Mais le juge prin­ci­pal a balayé ces pré­oc­cu­pa­tions sans les exa­mi­ner plus avant. Il a décla­ré qu’accuser son col­lègue de conflit d’intérêts était un affront. Assange lui-même n’a pro­non­cé qu’une seule phrase pen­dant toute la pro­cé­dure : ’Je plaide non cou­pable.’ Le juge s’est tour­né vers lui et a dit : ’Vous êtes un nar­cis­sique qui ne peut pas aller au-delà de son propre inté­rêt. Je vous condamne pour vio­la­tion de la liber­té sous caution.’

Si je vous com­prends bien : Julian Assange n’a jamais eu sa chance depuis le début ?

C’est le but. Je ne dis pas que Julian Assange est un ange ou un héros. Mais il n’a pas à l’être. Nous par­lons des droits de l’homme et non des droits des héros ou des anges. Assange est une per­sonne, et il a le droit de se défendre et d’être trai­té avec huma­ni­té. Peu importe de quoi il est accu­sé, Assange a droit à un pro­cès équi­table. Mais ce droit lui a été déli­bé­ré­ment refu­sé – en Suède, aux États-Unis, en Grande-Bre­­tagne et en Équa­teur. Au lieu de cela, il a été lais­sé à pour­rir pen­dant près de sept ans dans les limbes d’une pièce. Puis, il a été sou­dai­ne­ment été traî­né dehors et condam­né en quelques heures et sans aucune pré­pa­ra­tion pour une vio­la­tion de la liber­té sous cau­tion qui consis­tait à lui avoir accor­dé l’asile diplo­ma­tique d’un autre État membre des Nations unies sur la base de per­sé­cu­tions poli­tiques, comme le veut le droit inter­na­tio­nal et comme l’ont fait d’innombrables dis­si­dents chi­nois, russes et autres dans les ambas­sades occi­den­tales. Il est évident que ce à quoi nous avons affaire ici, c’est la per­sé­cu­tion poli­tique. En Grande-Bre­­tagne, les vio­la­tions de la liber­té sous cau­tion entraînent rare­ment des peines de pri­son – elles ne sont géné­ra­le­ment pas­sibles que d’amendes. En revanche, Assange a été condam­né dans le cadre d’une pro­cé­dure som­maire à 50 semaines dans une pri­son de haute sécu­ri­té – une peine clai­re­ment dis­pro­por­tion­née qui n’avait qu’un seul but : déte­nir Assange suf­fi­sam­ment long­temps pour que les États-Unis puissent pré­pa­rer leur dos­sier d’espionnage contre lui.

En tant que rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la tor­ture, qu’avez-vous à dire sur ses condi­tions d’emprisonnement actuelles ?

La Grande-Bre­­tagne a refu­sé à Julian Assange tout contact avec ses avo­cats aux États-Unis, où il fait l’objet de pro­cé­dures secrètes. Son avo­cate bri­tan­nique s’est éga­le­ment plainte de n’avoir même pas eu suf­fi­sam­ment accès à son client pour exa­mi­ner avec lui les docu­ments et les preuves du tri­bu­nal. Jusqu’en octobre, il n’était pas auto­ri­sé à avoir un seul docu­ment de son dos­sier avec lui dans sa cel­lule. Il s’est vu refu­ser son droit fon­da­men­tal de pré­pa­rer sa propre défense, tel que garan­ti par la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme. A cela s’ajoutent la mise à l’isolement presque totale et la peine tota­le­ment dis­pro­por­tion­née pour vio­la­tion de la liber­té sous cau­tion. Dès qu’il sor­tait de sa cel­lule, les cou­loirs étaient vidés pour l’empêcher d’avoir des contacts avec les autres détenus.

Et tout cela à cause d’une simple vio­la­tion de la liber­té sous cau­tion ? À quel moment l’emprisonnement devient-il une torture ?

Julian Assange a été inten­tion­nel­le­ment tor­tu­ré psy­cho­lo­gi­que­ment par la Suède, la Grande-Bre­­tagne, l’Équateur et les États-Unis, d’abord par le trai­te­ment hau­te­ment arbi­traire des pro­cé­dures enga­gées contre lui. La façon dont la Suède a pour­sui­vi l’affaire, avec l’aide active de la Grande-Bre­­tagne, visait à le mettre sous pres­sion et à le pié­ger dans l’ambassade. La Suède ne s’est jamais sou­ciée de trou­ver la véri­té et d’aider ces femmes, mais de pous­ser Assange dans un coin. Il s’agit d’un abus des pro­cé­dures judi­ciaires visant à pous­ser une per­sonne dans une posi­tion où elle est inca­pable de se défendre. À cela s’ajoutent les mesures de sur­veillance, les insultes, les indi­gni­tés et les attaques de la part de poli­ti­ciens de ces pays, jusqu’aux menaces de mort. Cet abus constant du pou­voir de l’État a déclen­ché un stress et une anxié­té impor­tants à Assange et a entraî­né des dom­mages cog­ni­tifs et neu­ro­lo­giques mesu­rables. J’ai ren­du visite à Assange dans sa cel­lule à Londres en mai 2019, en com­pa­gnie de deux méde­cins expé­ri­men­tés et très res­pec­tés, spé­cia­li­sés dans l’examen médi­­co-légal et psy­cho­lo­gique des vic­times de la tor­ture. Le diag­nos­tic posé par les deux méde­cins était clair : Julian Assange pré­sente les symp­tômes typiques de la tor­ture psy­cho­lo­gique. S’il ne reçoit pas rapi­de­ment une pro­tec­tion, sa san­té risque de se dété­rio­rer rapi­de­ment et la mort pour­rait en être l’une des conséquences.

Six mois après qu’Assange ait été pla­cé en déten­tion pré-extra­­­di­­tion en Grande-Bre­­tagne, la Suède a tran­quille­ment aban­don­né les pour­suites contre lui en novembre 2019, après neuf longues années. Pourquoi ?

L’État sué­dois a pas­sé près d’une décen­nie à pré­sen­ter inten­tion­nel­le­ment Julian Assange au public comme un délin­quant sexuel. Puis, ils ont sou­dai­ne­ment aban­don­né l’affaire contre lui sur la base du même argu­ment que celui uti­li­sé par la pre­mière pro­cu­reure de Stock­holm en 2010, lorsqu’elle a ini­tia­le­ment sus­pen­du l’enquête après seule­ment cinq jours : La décla­ra­tion de la femme était cré­dible, mais il n’y avait aucune preuve qu’un crime avait été com­mis. Il s’agit d’un scan­dale incroyable. Mais le moment choi­si n’était pas un acci­dent. Le 11 novembre, un docu­ment offi­ciel que j’avais envoyé au gou­ver­ne­ment sué­dois deux mois aupa­ra­vant a été ren­du public. Dans ce docu­ment, j’ai deman­dé au gou­ver­ne­ment sué­dois de four­nir des expli­ca­tions sur une cin­quan­taine de points concer­nant les impli­ca­tions en matière de droits de l’homme de la manière dont l’affaire était trai­tée. Com­ment est-il pos­sible que la presse ait été immé­dia­te­ment infor­mée mal­gré l’interdiction de le faire ? Com­ment est-il pos­sible qu’un soup­çon ait été ren­du public alors que l’interrogatoire n’avait pas encore eu lieu ? Com­ment est-il pos­sible que vous disiez qu’un viol a été com­mis alors que la femme impli­quée conteste cette ver­sion des faits ? Le jour où le docu­ment a été ren­du public, j’ai reçu une réponse déri­soire de la Suède : Le gou­ver­ne­ment n’a pas d’autre com­men­taire à faire sur cette affaire.

Que signi­fie cette réponse ?

Il s’agit d’un aveu de culpabilité.

Com­ment cela ?

En tant que rap­por­teur spé­cial des Nations unies, j’ai été char­gé par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale des nations d’examiner les plaintes dépo­sées par les vic­times de la tor­ture et, si néces­saire, de deman­der des expli­ca­tions ou des enquêtes aux gou­ver­ne­ments. C’est le tra­vail quo­ti­dien que je fais avec tous les États membres des Nations unies. D’après mon expé­rience, je peux dire que les pays qui agissent de bonne foi sont presque tou­jours inté­res­sés à me four­nir les réponses dont j’ai besoin pour mettre en évi­dence la léga­li­té de leur com­por­te­ment. Lorsqu’un pays comme la Suède refuse de répondre aux ques­tions posées par le rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la tor­ture, cela montre que le gou­ver­ne­ment est conscient de l’illégalité de son com­por­te­ment et qu’il ne veut pas en assu­mer la res­pon­sa­bi­li­té. Ils ont arrê­té et aban­don­né l’affaire une semaine plus tard parce qu’ils savaient que je ne recu­le­rais pas. Lorsque des pays comme la Suède se laissent mani­pu­ler de la sorte, nos démo­cra­ties et nos droits de l’homme sont alors confron­tés à une menace fondamentale.

Vous pen­sez que la Suède était plei­ne­ment consciente de ce qu’elle faisait ?

Oui. De mon point de vue, la Suède a très clai­re­ment agi de mau­vaise foi. Si elle avait agi de bonne foi, il n’y aurait eu aucune rai­son de refu­ser de répondre à mes ques­tions. Il en va de même pour les Bri­tan­niques : Après ma visite à Assange en mai 2019, ils ont mis six mois pour me répondre – dans une lettre d’une seule page, qui se limi­tait essen­tiel­le­ment à reje­ter toutes les accu­sa­tions de tor­ture et toutes les inco­hé­rences de la pro­cé­dure judi­ciaire. Si vous jouez à ce genre de jeu, quel est l’intérêt de mon man­dat ? Je suis le rap­por­teur spé­cial sur la tor­ture pour les Nations unies. J’ai pour man­dat de poser des ques­tions claires et d’exiger des réponses. Quelle est la base juri­dique per­met­tant de refu­ser à une per­sonne son droit fon­da­men­tal à se défendre ? Pour­quoi un homme qui n’est ni dan­ge­reux ni violent est-il main­te­nu en iso­le­ment pen­dant plu­sieurs mois alors que les normes des Nations unies inter­disent léga­le­ment l’isolement pen­dant des périodes dépas­sant 15 jours ? Aucun de ces États membres des Nations unies n’a ouvert d’enquête, ni répon­du à mes ques­tions, ni même mani­fes­té un inté­rêt pour le dialogue.

5. Une peine de prison de 175 ans pour le journalisme d’investigation : Le précédent que pourrait créer l’affaire USA contre Julian Assange

Que signi­fie le refus des États membres de l’ONU de four­nir des infor­ma­tions à leur propre rap­por­teur spé­cial sur la torture ?

Qu’il s’agit d’une affaire arran­gée d’avance. Un simu­lacre de pro­cès doit être uti­li­sé pour faire un exemple de Julian Assange. Le but est d’intimider d’autres jour­na­listes. L’intimidation, d’ailleurs, est l’un des prin­ci­paux objec­tifs de l’utilisation de la tor­ture dans le monde. Le mes­sage que nous devons tous rece­voir est le sui­vant : Voi­ci ce qui vous arri­ve­ra si vous imi­tez le modèle de Wiki­leaks. C’est un modèle qui est dan­ge­reux parce qu’il est si simple : Les per­sonnes qui obtiennent des infor­ma­tions sen­sibles de leur gou­ver­ne­ment ou de leur entre­prise les trans­fèrent à Wiki­leaks, mais le dénon­cia­teur reste ano­nyme. La réac­tion montre à quel point la menace est per­çue comme impor­tante : Quatre pays démo­cra­tiques ont uni leurs forces – les États-Unis, l’Équateur, la Suède et le Royaume-Uni – afin d’utiliser leur pou­voir pour dépeindre un homme comme un monstre afin qu’il puisse ensuite être brû­lé sur le bûcher sans aucun tol­lé. Cette affaire est un énorme scan­dale et repré­sente l’échec de l’État de droit occi­den­tal. Si Julian Assange est recon­nu cou­pable, ce sera une condam­na­tion à mort pour la liber­té de la presse.

Que signi­fie­rait ce pré­cé­dent éven­tuel pour l’avenir du journalisme ?

Sur le plan pra­tique, cela signi­fie que vous, en tant que jour­na­liste, devez main­te­nant vous défendre. Car si le jour­na­lisme d’investigation est clas­sé comme de l’espionnage et peut être incri­mi­né dans le monde entier, alors la cen­sure et la tyran­nie s’ensuivront. Un sys­tème meur­trier est en train de se créer sous nos yeux. Les crimes de guerre et la tor­ture ne sont pas pour­sui­vis. Des vidéos sur You­Tube cir­culent dans les­quelles des sol­dats amé­ri­cains se vantent d’avoir pous­sé des femmes ira­kiennes au sui­cide par des viols sys­té­ma­tiques. Per­sonne n’enquête sur ce sujet. Dans le même temps, une per­sonne qui expose de telles choses est mena­cée de 175 ans de pri­son. Pen­dant toute une décen­nie, il a été inon­dé d’accusations qui ne peuvent être prou­vées et qui le brisent. Et per­sonne n’est tenu de rendre des comptes. Per­sonne n’assume de res­pon­sa­bi­li­té. Cela marque une éro­sion du contrat social. Nous don­nons des pou­voirs aux pays et nous les délé­guons aux gou­ver­ne­ments – mais en retour, ils doivent être tenus res­pon­sables de la manière dont ils exercent ces pou­voirs. Si nous n’exigeons pas qu’ils soient tenus res­pon­sables, nous per­drons tôt ou tard nos droits. Les êtres humains ne sont pas démo­cra­tiques par nature. Le pou­voir se cor­rompt s’il n’est pas contrô­lé. Si nous n’insistons pas pour que le pou­voir soit sur­veillé, le résul­tat est la corruption.

Vous dites que le ciblage d’Assange menace le cœur même de la liber­té de la presse.

Nous ver­rons où nous en serons dans 20 ans si Assange est condam­né – ce que vous pour­rez encore écrire alors en tant que jour­na­liste. Je suis convain­cu que nous cou­rons un grave dan­ger de perdre la liber­té de la presse. C’est déjà le cas : Sou­dain, le siège d’ABC News en Aus­tra­lie a été per­qui­si­tion­né en rap­port avec le ’Jour­nal de guerre afghan’. La rai­son ? Une fois de plus, la presse a mis au jour des fautes com­mises par des repré­sen­tants de l’État. Pour que la répar­ti­tion des pou­voirs fonc­tionne, l’État doit être contrô­lé par la presse en tant que qua­trième pou­voir. Wiki­Leaks est la consé­quence logique d’un pro­ces­sus conti­nu d’élargissement du secret : Si la véri­té ne peut plus être exa­mi­née parce que tout est gar­dé secret, si les rap­ports d’enquête sur la poli­tique de tor­ture du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain sont gar­dés secrets et si même de grandes par­ties du résu­mé publié sont cen­su­rées, il en résulte inévi­ta­ble­ment des fuites à un moment don­né. Wiki­Leaks est la consé­quence d’un secret omni­pré­sent et reflète le manque de trans­pa­rence de notre sys­tème poli­tique moderne. Il y a, bien sûr, des domaines où le secret peut être vital. Mais si nous ne savons plus ce que font nos gou­ver­ne­ments et les cri­tères qu’ils suivent, si les crimes ne font plus l’objet d’enquêtes, alors cela repré­sente un grave dan­ger pour l’intégrité de la société.

Quelles en sont les conséquences ?

En tant que rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la tor­ture et, avant cela, en tant que délé­gué de la Croix-Rouge, j’ai été témoin de nom­breuses hor­reurs et vio­lences et j’ai vu à quelle vitesse des pays paci­fiques comme la You­go­sla­vie ou le Rwan­da peuvent se trans­for­mer en enfer. À l’origine de ces évo­lu­tions, il y a tou­jours un manque de trans­pa­rence et un pou­voir poli­tique ou éco­no­mique débri­dé, com­bi­nés à la naï­ve­té, l’indifférence et la mal­léa­bi­li­té de la popu­la­tion. Sou­dain, ce qui est tou­jours arri­vé à l’autre – tor­ture, viol, expul­sion et meurtre impu­nis – peut tout aus­si bien nous arri­ver à nous ou à nos enfants. Et per­sonne ne s’en sou­cie­ra. Je peux vous le promettre.

Nils Mel­zer, Rap­por­teur spé­cial des Nations unies sur la torture.

Inter­viewé par Daniel Ryser. Pho­tos de Yves Bach­mann (non publiées dans cette ver­sion tra­duite), tra­duc­tion (vers l’anglais) Charles Haw­ley

Tra­duc­tion « et la gre­nouille dans la cas­se­role… et l’eau qui bout… » par VD pour le Grand Soir avec pro­ba­ble­ment toutes les fautes et coquilles habituelles

EN COMPLÉMENT : Julian Assange & l’affaire Sué­doise : Dépo­si­tions et témoi­gnages à la police (textes com­plets et tra­duits) https://​www​.legrand​soir​.info/​j​u​l​i​a​n​–​a​s​s​a​n​g​e​–​l​–​a​f​f​a​i​r​e​–​s​u​e​d​o​i​s​e​–​d​e​p​o​sit…

»»https://​www​.repu​blik​.ch/​2​0​2​0​/​0​1​/​3​1​/​n​i​l​s​–​m​e​l​z​e​r​–​a​b​o​u​t​–​w​i​k​i​l​e​a​k​s​–​f​o​u​n​der…

Source : Le GrandSoir, 
https://​www​.legrand​soir​.info/​u​n​–​s​y​s​t​e​m​e​–​m​e​u​r​t​r​i​e​r​–​e​s​t​–​e​n​–​t​r​a​i​n​–​d​e​–​s​e​–​c​r​e​e​r​–​s​o​u​s​–​n​o​s​–​y​e​u​x​–​r​e​p​u​b​l​i​k​.​h​tml

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet : 

https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​7​8​9​9​7​2​5​8​1​7​317