Avec Marc et Léo, et avec vous, mercredi 22 oct 2025 à 17h, on va continuer le procès citoyen du tirage au sort 🙂
Vous retrouverez de nombreux liens pour suivre notre travail et pour creuser le sujet sur la première page de ce procès.
Je vais cette fois, en plus de la Liste simple liste des objections, ajouter (ci-dessous) quelques références supplémentaires très importantes cette semaine, avec deux attaques historiques (l’une de Raoul Marc Jennar et l’autre de François Asselineau), très argumentées, mais mal fondées et très précisément réfutées, contre le tirage au sort en politique. C’est très long, mais c’est aussi extrêmement important.
J’ai hâte de vous retrouver 🙂
Étienne.
Importantes références supplémentaires, pour instruire le processus de l’idée géniale du tirage au sort en politique :
Grandes et pédagogiques CONTROVERSES
à propos du tirage au sort en politique
Je rappelle ici l’un des articles les plus importants de mon blog, intitulé :
Le tirage au sort comme bombe politiquement durable contre l’oligarchie
Où vous trouverez ma toute première conférence filmée sur le tirage au sort en démocratie :
Dans les commentaires (dont le fil est très dense et très important) du billet évoqué ci-dessus, vous trouverez :
une première controverse que j’ai eue avec Raoul Marc Jennar (qui était un bon ami et qui s’est séparé de moi depuis).
Puis une deuxième controverse que j’ai eue avec François Asselineau (que je connais bien aussi mais qui, lui, ne s’est pas fâché 🙂 ).
Pour nous aider à instruire le très nécessaire procès citoyen du tirage au sort en politique, je retranscris ici ces deux importantes controverses en INTÉGRALITÉ : les TROIS textes de Raoul d’abord, puis le DEUX textes de François ; tous ces textes étant suivis de mes réponses point par point, le plus souvent au sein même de leurs textes :
Le tirage au sort : une chimère (PREMIER texte de Raoul Marc Jennar contre le tirage au sort en politique, juin 2011)
http://www.jennar.fr/?p=1975 le lien est mort, mais on retrouve le texte là et là.À la demande d’André Bellon, l’animateur de l’association « Pour une Constituante », j’ai rédigé une réflexion sur la question de la représentation et ma réaction à la proposition avancée ici et là de procéder au choix des représentants par tirage au sort.
Voici le début de ce papier qu’on trouvera également sur le site de cette association :
La démocratie représentative postule la désignation de représentants. Une longue lutte populaire, qui prit les allures d’un véritable combat de classes, a conduit à l’instauration du suffrage universel comme mode de désignation des représentants. Aujourd’hui, cette manière de choisir les représentants du peuple est instituée comme un critère incontournable pour juger du caractère démocratique d’un système politique. Mais le principe un citoyen-une voix, qui devait assurer que la majorité du peuple, celle qui ne vit que de son labeur, se retrouve majoritaire dans les enceintes élues, a été détourné à la fois par des techniques électorales et par un dévoiement de la représentation. De telle sorte qu’aujourd’hui, et l’abstention le confirme, un grand nombre de représentés ne se sentent plus représentés par leurs représentants. Pour beaucoup, la formule par laquelle Abraham Lincoln définissait la démocratie – le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple – est plus que jamais éloignée de la réalité.
En France, la Constitution de la Ve République proposée par la droite, en affaiblissant le pouvoir de la représentation tout en renforçant le pouvoir exécutif, a affecté le caractère démocratique de la République. L’élection du président au suffrage universel à laquelle se sont ajoutés, à l’initiative du PS, le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier des scrutins présidentiel et législatif ont accentué cette dérive. Les lois successives de décentralisation ont confirmé au niveau des collectivités territoriales cette suprématie de l’exécutif sur la représentation.
Aujourd’hui, certains voient dans l’élection comme mode de désignation des représentants la source de tous les maux. Si on lit un des auteurs les plus acharnés à faire le procès de l’élection, celle-ci induirait « mécaniquement une aristocratie élective« . « Avec l’élection, écrit-il, les riches gouvernent toujours, les pauvres jamais. » Selon lui, « après deux siècles de pratique, on constate que l’élection pousse au mensonge, prête le flanc à la corruption, étouffe les résistances contre les abus de pouvoir et s’avère naturellement élitiste parce qu’elle verrouille l’accès au pouvoir du plus grand nombre au profit des riches. » Et de proposer, en guise de remède, une chimère : le tirage au sort.
Je ne partage absolument pas cette approche des problèmes posés par la représentation et la solution proposée. A mon estime, ceux qui proposent le tirage au sort confondent causes et effets et fournissent ainsi une illustration de la confusion des esprits et du désarroi qui affectent bon nombre de citoyens, sincèrement attachés à la démocratie et désorientés par les dérives et les dévoiements qu’elle subit. Il y a confusion entre le principe de l’élection et celui de l’éligibilité, entre suffrage universel et modalités électorales de son application, entre mode de désignation des représentants et exercice de la représentation.
Renoncer à l’élection, c’est renoncer au principe du contrat social et du mandat qu’il met en place entre le peuple et ceux qu’il choisit pour agir temporairement en son nom. On ne s’en remet pas au hasard pour choisir son représentant : on le choisit pour les valeurs qu’il défend, pour les orientations qu’il propose, pour la politique qu’il veut mettre en œuvre. On passe avec lui un contrat moral en lui confiant un mandat dont il devra rendre compte de la manière dont il l’a rempli. Le hasard n’a pas sa place dans un tel choix totalement conditionné par le débat d’idées dans lequel il s’inscrit.
Que déciderait aujourd’hui une telle assemblée sur le sort à réserver aux immigrés ou aux musulmans ? Quel serait le mandat d’un représentant tiré au sort ? En quoi un « élu » né du hasard serait-il plus indépendant, en particulier à l’égard des lobbies, qu’un élu issu d’un choix conscient et délibéré ? Quelle garantie aurait l’électeur d’une telle assemblée que la raison ne cède pas aux modes, aux pulsions, aux démagogies du moment ? En quoi, une assemblée issue du tirage au sort serait-elle davantage représentative qu’une assemblée élue selon la règle du scrutin proportionnel ? En quoi, un « élu » du tirage au sort serait-il davantage comptable de ses choix qu’un élu du suffrage universel ? De quelle manière le tirage au sort empêcherait-il que se constituent entre « élus » de la sorte des coalitions d’intérêts ?
Les partisans du tirage au sort prétendent améliorer la démocratie en supprimant un de ses fondements : le libre choix d’un candidat par les citoyens. En fait, dans un tel système, le citoyen s’en remet au hasard en ignorant tout de celui qui le représentera. On prétend remédier aux maux qui affectent la représentation en la supprimant. On crée l’illusion d’une démocratie directe en confiant à des inconnus le sort du peuple.
Les maux que prétendent résoudre les partisans du titrage au sort sont réels. Leur remède n’en est pas un. C’est un placebo. Les solutions sont dans le travail que devrait effectuer une assemblée constituante pour réinventer une démocratie nouvelle, pour instaurer enfin la République.
Trois maux affectent profondément le système représentatif : le mode de scrutin majoritaire, la personnalisation du débat politique et la professionnalisation de la représentation.
Le scrutin majoritaire, à un ou deux tours, est un véritable détournement du suffrage universel. Au motif qu’il assure des majorités stables – une affirmation qui ne se vérifie plus aussi automatiquement à mesure que les citoyens ne distinguent plus nettement ce qui différencie les projets politiques proposés – ce système refuse la présence dans une assemblée censée représenter le peuple tout entier de sensibilités certes minoritaires mais qui s’inscrivent dans la durée ou reflètent des préoccupations nouvelles. Ce système conduit progressivement au bipartisme, dont on voit dans les pays où il est pratiqué, combien il favorise le système en place et ses conservatismes. Les abus en France du mode de scrutin proportionnel, entre 1946 et 1958, ont convaincu à tort de la nocivité de ce système. Pourtant, encadré par des techniques qui ont fait leurs preuves ailleurs (taux plancher requis pour accéder à la représentation, motion de méfiance constructive indispensable au changement d’une coalition gouvernementale, etc.), la représentation proportionnelle, en permettant à tous les courants de la société réellement représentatifs de se retrouver dans les assemblées élues, conforte la confiance des citoyens dans le système représentatif, mais surtout favorise l’apport d’idées nouvelles et l’enrichissement du débat.
La personnalisation du débat politique remplace le choix des politiques par le choix des personnes. Elle résulte d’une part de la concentration des pouvoirs au sein d’une même personne (président de la République, président de région, président de conseil général, maire) et d’autre part de l’effondrement du politique face à l’économique. Le ralliement inconditionnel de la gauche dite de gouvernement au libre échange le plus débridé, qui conduit à la concurrence de tous contre tous, n’offre plus d’alternative crédible à la dictature des marchés. De telle sorte qu’on évolue vers un système politique où les choix se réduisent à des choix de personnalités certes porteuses d’accents différenciés, mais d’accord sur l’essentiel. Entre un Valls et un Copé , quelle différence ? Quand on ne peut plus changer le cours des choses qu’à la marge, alors que les inégalités et les injustices sont criantes, alors que tout un système politico-économique est au service d’une minorité, c’est le système qu’on rejette. La démocratie représentative ne retrouvera un sens que si elle propose des alternatives et pas seulement des alternances.
La professionnalisation de la représentation a totalement perverti la notion de mandat. Et de ce fait remet en cause le contrat social. C’est un des maux qu’il faut combattre le plus vigoureusement. Cumuler des mandats et les indemnités qui les accompagnent, exercer pendant trois, quatre, cinq législatures le même mandat, ce n’est plus porter dans une assemblée les attentes du peuple, c’est exercer un métier. Il en résulte de nombreuses dérives conditionnées par le souci de la réélection et les habitudes nées de la pratique prolongée du mandat. Il importe de mettre fin à tout ce qui favorise cette professionnalisation.
Quant à la démocratie directe, après plus d’un siècle d’enseignement obligatoire, avec un niveau général d’éducation élevé, avec un accès renforcé aux informations, elle s’avère devenir un complément nécessaire de la démocratie représentative aux échelons où elle peut se pratiquer le plus facilement, celui de nos collectivités territoriales. Au plan national, le référendum d’initiative populaire doit être retenu sans que le Parlement puisse y faire obstacle, pourvu qu’il écarte toute possibilité plébiscitaire et que les conditions de son application soient à l’abri d’initiatives démagogiques.
Les solutions aux perversions de la démocratie représentative existent. Une assemblée constituante peut les apporter. Point n’est besoin de recourir à des remèdes qui seraient pires que les maux qu’on prétend combattre. Ce n’est pas en convoquant l’obscurantisme qu’on instaure la lumière.
Raoul Marc JENNAR
Source
Voici mes réponses.
Voici d’abord une réponse globale rapide (une simple annonce de lettre à Raoul) :
L’ÉLECTION, UNE CHIMÈRE (UN MYTHE QUI N’A JAMAIS TENU SES PROMESSES)
Bonsoir,
À la demande d’André Bellon, mon cher Raoul Marc (Jennar) a rédigé un billet pour prendre position CONTRE le tirage au sort :
http://www.jennar.fr/?p=1975
et j’ai publié sur son blog un bref commentaire pour convenir d’un prochain rendez-vous/échange.
Cette position n’est pas étonnante a priori : Raoul est un « vieux de la vieille » comme on dit, un héroïque résistant de longue date (il a tout mon respect, mon estime, mon amitié, je lui dois beaucoup), pour qui le suffrage universel est notre seule arme pour conquérir la justice sociale, pied à pied. Je comprends donc très bien combien cela doit être difficile pour lui de même seulement envisager de perdre cette institution vénérée.
Mais je ne désespère pas de le convaincre (comme j’espère un jour convaincre André) : il est généreux et intelligent ; on va pouvoir discuter. Et puis, si ça se trouve, c’est moi qui me trompe.
On verra.
Je reviens bientôt pour lui répondre point par point, rationnellement, tranquillement.
Bonne nuit à tous.
Étienne.
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/tirage_au_sort.php
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PS : Je vous propose quelques citations utiles, à connaître, il me semble :
• « Les élections sont aristocratiques et non démocratiques : elles introduisent un élément de choix délibéré, de sélection des meilleurs citoyens, les aristoï, au lieu du gouvernement par le peuple tout entier. »
Aristote, Politique, IV, 1300b4‑5.• « Ce sont les Grecs qui ont inventé les élections. C’est un fait historiquement attesté. Ils ont peut-être eu tort, mais ils ont inventé les élections ! Qui élisait-on à Athènes ? On n’élisait pas les magistrats. Les magistrats étaient désignés par tirage au sort ou par rotation. Pour Aristote, souvenez-vous, un citoyen est celui qui est capable de gouverner et d’être gouverné. Tout le monde est capable de gouverner, donc on tire au sort. Pourquoi ? Parce que la politique n’est pas une affaire de spécialistes. Il n’y a pas de science de la politique. Je vous fais remarquer d’ailleurs que l’idée qu’il n’y a pas de spécialistes de la politique et que les opinions se valent est la seule justification raisonnable du principe majoritaire. »
Cornélius Castoriadis, Post scriptum sur l’insignifiance.• « Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
Abbé SIEYÈS, discours du 7 septembre 1789.• « Je ne crains pas le suffrage universel : les gens voteront comme on leur dira. »
Alexis de Tocqueville.Moi, je trouve que ça invite à réfléchir (LIBREMENT) à une alternative… sans dogme imposé.
Source
Voici ensuite ma réponse globale mais approfondie (source) à Raoul Marc Jennar :
Chers amis,
Ça y est, j’ai répondu à Raoul : c’est sur son blog et sur celui d’André (Bellon).
Comme prévu, je progresse à l’occasion de cette controverse. Il me semble que l’élection de représentants est à la fois LA CONDITION d’apparition et LE VERROU de pérennité du CAPITALISME lui-même, avec son cortège d’injustices sociales et de catastrophes écologiques.
Et nous protégeons nous-mêmes, — guidés et INTIMIDÉS en cela par un MYTHE jamais sérieusement remis en question, celui du SUFFRAGE UNIVERSEL RÉDUIT FAUTIVEMENT À L’ÉLECTION DE REPRÉSENTANTS —, nous protégeons nous-mêmes, donc, l’outil le plus efficace que les privilégiés aient jamais conçu pour exploiter leur prochain. La gauche sincère, généreuse, authentiquement altruiste croit bien faire avec la défense de la « démocratie représentative » (qui est pourtant un oxymore évident) et NOUS ENFERME ainsi, sans le vouloir et sans le savoir, dans la négation même de la démocratie.
J’ai hâte de vous lire.
Amicalement.
Étienne.
RÉPONSE (FRATERNELLE) D’ÉTIENNE CHOUARD À RAOUL MARC JENNAR
Cher Raoul,
Tu as publié lundi dernier, une tribune expliquant ta méfiance par rapport à l’idée du tirage au sort en politique : http://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article417.
Tu es mon ami, et ce qui nous oppose aujourd’hui n’est qu’une idée, une simple controverse sur l’organisation de la cité, évidemment sujette à débat (quels représentants voulons-nous ? Des experts ou nos semblables ?). Je n’oublie pas que tu cherches la même chose que moi, la justice sociale ; je n’oublie pas l’essentiel.
À mon avis, l’erreur de tous les militants de gauche —et je le dis sans agressivité ni condescendance car j’ai commis moi-même pendant cinquante ans ce que je considère aujourd’hui comme une erreur, et tout le monde peut se tromper — TOUTE L’ERREUR DE LA GAUCHE SINCÈRE, DONC, TIENT DANS TA PREMIÈRE PHRASE :
« La démocratie représentative postule la désignation de représentants. »
1) Cette introduction forte que tu choisis pour fonder ton raisonnement, ce socle de ton argumentation est CONTRADICTOIRE DANS LES TERMES.
C’est comme dire : « l’honnêteté mensongère postule le mensonge. » … OK, c’est tout à fait VRAI, mais c’est aussi tout à fait ILLÉGITIME.
2) Tu ne crois pas si bien dire : POSTULER, C’EST AFFIRMER SANS AVOIR À DÉMONTRER, c’est la définition du mot.
Est-ce acceptable en l’occurrence ? Je ne le crois pas.
3) Et puis QUI POSTULE ? La « démocratie représentative » elle-même ? Mais qui c’est, ça ? Est-elle légitime pour postuler quoi que ce soit ? D’où vient ce régime ? Qui l’a voulu au départ ?
Qui peut postuler légitimement l’organisation (et le contrôle !) des pouvoirs, en dehors du peuple lui-même ?
*****
Autrement dit, si la démocratie c’est le pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple, alors la représentation (qui prend le pouvoir au peuple pour le donner à des représentants) consiste, PAR DÉFINITION, à RENONCER à la démocratie.
Autrement dit, l’expression « démocratie représentative » est un OXYMORE, un assemblage de mots contradictoires, une erreur pour les gens de bonne foi qui ne réalisent pas les ravages de cette contradiction, et une ESCROQUERIE pour ceux qui le savent et qui s’en servent pour prendre le pouvoir eux-mêmes.
ON NE PEUT PAS DIRE UNE CHOSE ET SON CONTRAIRE.
IL FAUT CHOISIR :
– SOIT LA DÉMOCRATIE,
– SOIT LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.Or, le gouvernement représentatif a été choisi, voulu, préféré par des gens finalement assez peu recommandables du point de vue populaire, des penseurs politiques très élitistes, très méprisants à l’égard de « la populace » : Sieyès, Benjamin Constant, Tocqueville, et puis toutes les authentiques crapules, comme Napoléon premier et Napoléon III, Thiers, et tous les assassins élus qui ont envoyé leur peuple à la guerre, après l’avoir exploité et volé.
SIEYÈS (un abbé) avouait en 1789 : « LES CITOYENS QUI SE NOMMENT DES REPRÉSENTANTS RENONCENT ET DOIVENT RENONCER À FAIRE EUX-MÊMES LA LOI ; ILS N’ONT PAS DE VOLONTÉ PARTICULIÈRE À IMPOSER. S’ILS DICTAIENT DES VOLONTÉS, LA FRANCE NE SERAIT PLUS CET ÉTAT REPRÉSENTATIF ; CE SERAIT UN ÉTAT DÉMOCRATIQUE. LE PEUPLE, JE LE RÉPÈTE, DANS UN PAYS QUI N’EST PAS UNE DÉMOCRATIE (ET LA FRANCE NE SAURAIT L’ÊTRE), LE PEUPLE NE PEUT PARLER, NE PEUT AGIR QUE PAR SES REPRÉSENTANTS. »
C’est clair non ?
Par quelles pirouettes intellectuelles en est-on arrivé à désigner « démocratie » ce qui avait été PENSÉ DÈS L’ORIGINE COMME SON STRICT CONTRAIRE ?
Et par quelles pirouettes intellectuelles en vient-on, encore aujourd’hui, à prétendre que ce régime volontairement et expressément antidémocratique est… « la démocratie » ?
ALEXIS DE TOCQUEVILLE, cet aristocrate passionnant (honnête mais antidémocratique), avouait très tôt que les élites savaient très bien, elles, qu’elles n’avaient rien à craindre de l’élection, lui qui disait : « JE NE CRAINS PAS LE SUFFRAGE UNIVERSEL : LES GENS VOTERONT COMME ON LEUR DIRA ».
Et il avait raison, Raoul : tu vois bien que ça se passe comme ça, encore aujourd’hui, non ? Les gens votent comme on leur dit. Et quand Raoul se présente à une élection, il ne gagnera jamais ; non pas parce que Raoul n’est pas le meilleur pour le peuple — il EST objectivement le meilleur pour le peuple —, mais parce que l’élection ne porte pas au pouvoir les meilleurs, mais très souvent les pires (du point de vue du peuple).
Donc, pour ma part, je préfère mille fois cette pensée de ROBESPIERRE :
« LA DÉMOCRATIE EST UN ÉTAT OÙ LE PEUPLE SOUVERAIN, GUIDÉ PAR DES LOIS QUI SONT SON OUVRAGE, FAIT PAR LUI-MÊME TOUT CE QU’IL PEUT BIEN FAIRE, ET PAR DES DÉLÉGUÉS TOUT CE QU’IL NE PEUT FAIRE LUI-MÊME. »
Je la trouve parfaite.
Cette conception de Robespierre, l’incorruptible Robespierre, fonde non pas la représentation en toute matière, mais DANS LES SEULS CAS où le peuple ne peut pas s’occuper lui-même de ses affaires, ET SOUS SON CONTRÔLE PERMANENT.
J’évolue moi-même, en réfléchissant à tout ça avec toi, et je réalise finalement que JE NE VEUX PLUS DE REPRÉSENTANTS : JE VEUX LA DÉMOCRATIE.
Ce pourrait être le mot d’ordre des peuples du monde entier :
NOUS VOULONS ÉCRIRE NOUS-MÊMES NOTRE CONSTITUTION.
Tu proposes toi-même que la démocratie soit directe au niveau local : je te prends au mot, parce que moi-même je ne veux pas autre chose.
À l’image de ce que propose Proudhon, avec sa FÉDÉRATION DE COMMUNES, je suggère que chaque commune gère directement ses affaires, comme à Athènes (c’est la même taille), et que seules les affaires nationales soient soumises à l’Assemblée Nationale, à DES DÉLÉGUÉS PLACÉS SOUS LE CONTRÔLE PERMANENT DU PEUPLE QUI LES DÉLÈGUE, et qui peut les révoquer à tout moment.
*****
Raoul, je te connais, j’admire ton courage et ta générosité intransigeante, je sais que tu cherches la justice sociale, comme moi. Pourtant, aujourd’hui, dans l’état actuel de notre réflexion à tous les deux, nous sommes apparemment en contradiction :
- Tu as peur que mon idée de tirage au sort des représentants prive le peuple de son pouvoir en lui retirant sa seule arme politique que serait l’élection (*).
- J’ai peur que ton idée d’élection des représentants prive le peuple de son pouvoir en lui retirant sa seule arme politique que serait le tirage au sort.
On ne peut pas avoir complètement raison tous les deux : soit l’un d’entre nous a complètement raison (et l’autre a complètement tort), soit, beaucoup plus vraisemblablement, chacun de nos points de vue contient à la fois du vrai et du faux.
JE TE PROPOSE DEUX FAÇONS DE RAPPROCHER NOS POINTS DE VUE :
1) PRÉCISER DE QUOI ON PARLE, > ET RÉFLÉCHIR CAS PAR CAS PLUTÔT QU’EN BLOC :
Comment désigner
• l’Assemblée Constituante,
• le Conseil Constitutionnel,
• l’Assemblée Législative,
• l’Exécutif (je n’utilise plus le mot « gouvernement » qui porte en lui la confusion des pouvoirs et une dérive tyrannique),
• les Chambres de Contrôle des acteurs publics,
• les hauts fonctionnaires,
• les Juges,
• les Policiers,
• les sondeurs et autres statisticiens,
• les patrons de médias,
• les journalistes,
• les Assemblées Communales (et Régionales) ?Nos réponses ne seront pas toujours opposées dans tous les cas ; et le fait de trouver les points d’accord sur certains niveaux de pouvoir nous permettra d’ESSAYER ce qui paraît aujourd’hui incongru et s’avérera peut-être génial.
2) PANACHER LES MÉTHODES :
TIRER AU SORT PARMI DES ÉLUS SANS CANDIDATS :J’attire ton attention sur une idée formidable qui devrait, je trouve, rassurer tout le monde (sauf les voleurs de pouvoir, bien entendu) :
IMAGINE QUE CHACUN D’ENTRE NOUS SOIT APPELÉ À DÉSIGNER AUTOUR DE LUI, LIBREMENT — sans qu’aucun parti ne lui impose des candidats (ceci est important, absolument décisif) — UNE (OU PLUSIEURS) PERSONNES QU’IL CONSIDÈRE COMME DES « HONNÊTES GENS » (je préfère ce vocable à celui de « valeureux » que j’utilisais jusqu’alors, mais il faut en discuter).
On pourra, par exemple, apprécier ce voisin qui n’a pas peur de parler en public, cet ami qui lit beaucoup et qui est nuancé dans ses appréciations, ce collègue qui se dévoue déjà à la politique de façon désintéressée, cette femme qui sait écouter sans se mettre en colère et qui est capable de changer d’avis, cet autre qui a un fort sens pratique et qui ne s’en laisse pas accroire par un beau parleur, celui-là qui est un diplomate aimant apaiser les conflits, tel autre qui réfléchit déjà aux rapports entre l’argent, la politique et le droit, etc. Chacun réfléchira librement aux qualités qui lui semblent utiles pour débattre du bien commun.
Les Honnêtes Gens ainsi élus sans avoir cherché à l’être pourraient refuser cette désignation, bien sûr, mais je pense qu’ils ne refuseraient pas tous : beaucoup de gens normaux — n’ayant aucun appétit pour le pouvoir — accepteraient d’exercer temporairement un certain pouvoir, par dévouement, « pour rendre service » si tout le système fonctionne comme ça.
ON POURRAIT ENSUITE TIRER AU SORT PARMI CES HONNÊTES GENS, LIBREMENT CHOISIS PAR LE PEUPLE.
On aurait ainsi le meilleur des deux méthodes : on n’aurait pas n’importe qui (on aurait choisi librement « les meilleurs »), et on écarterait beaucoup d’intrigues et de corruptions en laissant une forte place à cette procédure égalitaire et incorruptible qu’est le tirage au sort.
Cher Raoul, je redoute cette controverse naissante qui pourrait, au lieu de nous pousser tous les deux à progresser comme peuvent le faire les meilleurs débats contradictoires, nous conduire insensiblement à des violences verbales (involontaires au début) et finalement à une inimitié. Je redoute cela plus que tout.
Je vis la mise en ordre de bataille d’ATTAC (je devrais plutôt dire de ses chefs, ce qui est différent) contre le tirage au sort comme une catastrophe, un cauchemar : les gens les plus gentils, les plus humains, les plus généreux, les plus altruistes, se mobilisent —bientôt ardemment ?— contre quoi ? contre le pilier même de la démocratie, sa condition de faisabilité, son fondement…
C’est un cauchemar.
Les révoltés du monde entier cherchent la vraie démocratie. ATTAC et la vraie gauche (pas les traîtres du parti soi-disant socialiste) devraient leur offrir l’idée géniale de la fédération de communes et de la démocratie directe, alimentée et garantie naturellement, mécaniquement, par le tirage au sort ; et au lieu de ça, ATTAC se prépare à servir au peuple le catéchisme républicain de l’élitisme électoral… C’est à pleurer. Pourvu qu’ils changent d’avis, pourvu pourvu…
*****
Entends-moi Raoul : je cherche la même chose que toi, je peux me tromper, mais je ne suis pas ton ennemi : 200 ANS DE FAITS HISTORIQUES montrent que l’expérience de L’ÉLECTION DES REPRÉSENTANTS POLITIQUES N’A JAMAIS APPORTÉ LA JUSTICE SOCIALE, jamais. Ou les exceptions sont si rares et si fragiles qu’elles ne permettent pas de valider raisonnablement ce mythe.
C’était une idée, mais ce n’était pas une bonne idée. On n’est pas obligé de s’enferrer dans une mauvaise idée, non ?
Même Léon Blum, cette icône, avait promis en secret à François de Wendel de ne pas laisser filer les salaires ! L’élu du peuple, son champion, avait promis en coulisse au pire ennemi du peuple, au patron des industriels et des banquiers, de ne PAS défendre les intérêts populaires essentiels. Je trouve ça emblématique : l’élection de représentants au suffrage universel comme moyen d’émancipation populaire est un mythe qui n’a jamais tenu ses promesses, c’est une procédure qui a été pensée dès le départ par une élite contre le peuple, contre la démocratie.
Et elle fonctionne parfaitement.
Mais pas dans l’intérêt du peuple :
TOUJOURS ET PARTOUT,
L’ÉLECTION DONNE UN POUVOIR POLITIQUE ABSOLU AUX RICHES.AVANT L’AVÈNEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL, LES RICHES N’AVAIENT PAS TANT DE POUVOIR QUE CELA : LES RICHES DEVAIENT COMPOSER AVEC D’AUTRES POUVOIRS DE L’ANCIEN RÉGIME, LES PRINCES, LES NOBLES, LE CLERGÉ…
MAIS LE SUFFRAGE UNIVERSEL LEUR A DONNÉ LE MOYEN DE PRENDRE COMPLÈTEMENT LE CONTRÔLE DE L’ÉCRITURE DU DROIT (en finançant la campagne électorale des élus du Parlement, ce qui fait des députés leurs obligés), ce qui a permis, je le crois aujourd’hui, l’avènement de capitalisme, rien que ça.
Parce que LE CAPITALISME A BESOIN DU DROIT POUR RÉGNER —ET POUR PERDURER—, IL A BESOIN D’UN DROIT TRÈS PARTICULIER pour s’étendre partout sur terre : un droit qui donne le plus possible aux propriétaires et le moins possible aux travailleurs.
CE DROIT NE PEUT ADVENIR QUE GRÂCE AU CONTRÔLE (FINANCIER) DES ACTEURS POLITIQUES PAR LES PUISSANTS ÉCONOMIQUES : ce contrôle, il me semble que c’est l’élection de représentants au suffrage universel qui l’a donné aux capitalistes.
Ainsi, en défendant l’élection de REPRÉSENTANTS au suffrage universel — au lieu de défendre le suffrage universel DIRECT à l’Assemblée du peuple — nous défendons nous-mêmes le meilleur outil d’oppression politique jamais imaginé par nos pires ennemis… Nous mettons toute notre fierté à nous montrer les plus ardents défenseurs de ce qui scelle notre lamentable impuissance politique depuis deux cents ans.
Sacré paradoxe quand même, non ?
Mais ce n’est pas que la faute des autres. C’est bien de la nôtre aussi.
C’est mon message.LE SEUL SUFFRAGE UNIVERSEL QUI VAILLE, C’EST LE VRAI SUFFRAGE UNIVERSEL, DIRECT : LE SUFFRAGE DU PEUPLE EN CORPS (tous ceux qui le désirent viennent, et il n’y en aura pas tant que ça ; et s’il n’y a plus de place, revenez demain) à l’Assemblée Communale ou à l’Assemblée Nationale.
*****
Mais soyons concrets : cessons de parler du tirage au sort généralisé, qui est forcément éloigné, immédiatement inaccessible, et qui fait peur à tout le monde puisque personne n’en parle à l’école et que personne ne s’est encore préparé à cette idée pourtant fondatrice ; et CONCENTRONS-NOUS SUR L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE qui est à la source de tous les pouvoirs (et de tous les abus de pouvoir si le peuple ne s’en charge pas lui-même) et QUI DOIT ABSOLUMENT ÊTRE DÉSINTÉRESSÉE POUR QUE LES CHOSES CHANGENT, POUR QUE LE PEUPLE SORTE DE SON IMPUISSANCE POLITIQUE CHRONIQUE : IL NE FAUT PAS QUE LES MEMBRES DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ÉCRIVENT DES RÈGLES POUR EUX-MÊMES.
CE N’EST PAS AUX HOMMES AU POUVOIR D’ÉCRIRE LES RÈGLES DU POUVOIR.
Ce n’est pas aux Parlementaires, ni aux Ministres, ni aux Présidents, ni aux Juges, ni même aux Hommes de Partis (qui se destinent au pouvoir), d’écrire ou de modifier la Constitution dont la raison même est d’affaiblir leur pouvoir.
La grande difficulté en cette matière est de trouver les hommes politiques assez désintéressés, assez hautement soucieux du bien commun, pour comprendre la situation de CONFLIT D’INTÉRÊTS dans laquelle ils se trouvent quand ils se mêlent d’écrire la constitution. Il faut un sens de l’honneur sacrément développé pour être un politicien et dire : « je veux exercer le pouvoir pour améliorer le monde et servir l’intérêt général, mais le fait même d’exercer le pouvoir, objectivement, me rend dangereux pour les autres : il est donc essentiel que des règles limitent mon pouvoir, et ce n’est surtout pas à moi d’écrire ces règles ».
Certains élus d’aujourd’hui ont-ils cette hauteur de vue ? Je l’espère, mais les premières réactions d’élus, très hostiles à cette thèse du tirage au sort des membres de l’Assemblée Constituante, montrent plutôt le contraire.
Espérons que le fait de s’être déclaré publiquement d’une opinion ne les enferme pas dans cette opinion (effet de gel et escalade d’engagement). Pour ma part, je n’ai pas peur de changer d’avis : l’essence du débat, c’est de comprendre les autres points de vue et de se rapprocher petit à petit du meilleur jugement, donc de changer progressivement de point de vue, en mieux.
Très amicalement.
10 juin 2011.
Étienne Chouard.
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/tirage_au_sort.php___
(*) Les réponses à tes craintes se trouvent déjà dans ma conférence de Marseille : http://dai.ly/mG9ZO3
Dans les grandes lignes : le tirage au sort ne sert pas du tout à confier un grand pouvoir à n’importe qui, évidemment : le tirage au sort sert à confier à des amateurs les seules tâches (volontairement morcelées) que l’Assemblée ne peut pas assumer elle-même (parmi lesquelles la police et la justice pour exécuter les décisions collectives), mais en GARANTISSANT UNE RÉELLE ROTATION DES CHARGES ET UNE SÉVÈRE REDDITION DES COMPTES, POUR QUE JAMAIS LES SERVITEURS DU PEUPLE NE DEVIENNENT SES MAÎTRES.
Et je trouve que cet objectif central du tirage au sort est profondément… DE GAUCHE.
Étienne Chouard
Source
Voici ensuite mes réponses POINT PAR POINT au PREMIER billet de Raoul
(parce que vous allez voir qu’il m’a ensuite répondu, plusieurs fois, et donc moi aussi 🙂 ) :
Réponse d’Étienne Chouard au PREMIER article de Raoul Marc Jennar
sur le tirage au sort :http://www.jennar.fr/?p=1975(Je glisse mes commentaires en bleu dans le texte de Raoul en italiques pour mieux comprendre leur contexte.)
[RMJ : À la demande d’André Bellon, l’animateur de l’association « Pour une Constituante », j’ai rédigé une réflexion sur la question de la représentation et ma réaction à la proposition avancée ici et là de procéder au choix des représentants par tirage au sort.
Voici le début de ce papier qu’on trouvera également sur le site de cette association :
La démocratie représentative postule la désignation de représentants.]
[ÉC (1) : j’ai déjà répondu en détail à cette importante et discutable prémisse : http://www.jennar.fr/?p=1975#comment-2930. En substance, l’expression « démocratie représentative » est un oxymore, une contradiction dans les termes, et il n’est pas étonnant qu’un projet politique aristocratique « postule », c’est-à-dire affirme sans démontrer, que la désignation de maîtres politiques est indispensable… Mais cela n’a rien à voir avec la démocratie. ÉC.]
[RMJ : Une longue lutte populaire, qui prit les allures d’un véritable combat de classes, a conduit à l’instauration du suffrage universel comme mode de désignation des représentants.]
[ÉC (2) : Il me semble que le suffrage universel (tel que tu le défends : un droit de vote tous les cinq ans pour un candidat qu’on n’a pas choisi, et finalement l’impuissance politique totale entre deux élections factices), ce faux suffrage universel, donc, fut institué pendant la révolution française et a très vite été supprimé, pour être ensuite rétabli par des tyrans, non ? Alain Garrigou (historien spécialiste du suffrage universel, et qui n’est pas précisément un fasciste…) rappelait récemment sur France-Inter que le « suffrage universel » à la mode de chez nous n’est pas le résultat d’une aspiration populaire, encore moins d’une lutte populaire : http://www.franceinter.fr/emission-ca-vous-derange-faut-il-supprimer-le-suffrage-universel (minute 46).
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, dès le Congrès de Londres en 1896, les socialistes « réformistes » (ne jurant déjà que par le faux « suffrage universel ») ont exclu et diabolisé Malatesta et les anarchistes (authentiques démocrates, peut-être ?) avant d’imposer l’élection de maîtres politiques comme seul mode de gouvernement : voir le tome II de Daniel Guérin, « Ni Dieu ni Maître » pages 22 et suivantes.
Il n’est peut-être pas inutile de se souvenir de TOUTES les luttes populaires, y compris les libertaires. Non ? ÉC.]
[RMJ : Aujourd’hui, cette manière de choisir les représentants du peuple est instituée comme un critère incontournable pour juger du caractère démocratique d’un système politique.]
[ÉC (3) : Incontournable pour toi, Raoul. C’est peut-être un bon système, mais cela n’a rien à voir avec la démocratie : ça s’appelle LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
Relire les travaux des révolutionnaires en 1789–1794 : personne ne voulait instituer une démocratie à l’époque, ce me semble ; personne. ÉC.]
[RMJ : Mais le principe un citoyen-une voix, qui devait assurer que la majorité du peuple, celle qui ne vit que de son labeur, se retrouve majoritaire dans les enceintes élues, a été détourné à la fois par des techniques électorales et par un dévoiement de la représentation. De telle sorte qu’aujourd’hui, et l’abstention le confirme, un grand nombre de représentés ne se sentent plus représentés par leurs représentants. Pour beaucoup, la formule par laquelle Abraham Lincoln définissait la démocratie – le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple – est plus que jamais éloignée de la réalité.]
[ÉC (4) : Tu mets de l’eau à mon moulin, je te remercie, mais fais attention à ne pas devenir « outrancier », quand même… 😉
Le principe un électeur = une voix n’a pas été dévoyé par une forme donnée de la représentation : LE PRINCIPE UN ÉLECTEUR = UNE VOIX EST NIÉ DANS SON ESSENCE PAR LE PRINCIPE MÊME DE LA REPRÉSENTATION : SI ON M’IMPOSE DE DÉSIGNER UN REPRÉSENTANT, C’EST BIEN QUE JE NE VAIS PLUS RIEN DÉCIDER MOI-MÊME.
Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots, Raoul. La ficelle des élus pour justifier leur élection (et la DÉPOSSESSION POLITIQUE générale qui en découle LOGIQUEMENT), cette ficelle est GROSSE, tout le monde la voit, et l’abstention massive des citoyens aux élections de représentants est la réaction gentille, pacifique, à cette escroquerie politique qui mériterait peut-être une réaction plus ferme, plus déterminée, plus radicale, plus… démocratique. ÉC.]
[RMJ : En France, la Constitution de la Ve République proposée par la droite, en affaiblissant le pouvoir de la représentation tout en renforçant le pouvoir exécutif, a affecté le caractère démocratique de la République. L’élection du président au suffrage universel à laquelle se sont ajoutés, à l’initiative du PS, le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier des scrutins présidentiel et législatif ont accentué cette dérive. Les lois successives de décentralisation ont confirmé au niveau des collectivités territoriales cette suprématie de l’exécutif sur la représentation.]
[ÉC (5) : dans ton deuxième billet sur le tirage au sort (http://www.jennar.fr/?p=2012, avant dernier paragraphe : « l’origine de l’effacement du mouvement socialiste… »), tu expliques parfaitement que les trahisons répétées des élus de gauche datent d’au moins un siècle et pas du tout de la 5ème prétendue « république » : l’impuissance politique des citoyens, l’arrogance mensongère des élus, toujours au service des plus riches, étaient exactement les mêmes sous la IIIe et la IVe prétendues « républiques ».
C’est bien le gouvernement représentatif qui, PAR STRUCTURE, trahit tous les idéaux démocratiques, pas seulement la constitution de 1958. ÉC.]
[RMJ : Aujourd’hui, certains voient dans l’élection comme mode de désignation des représentants la source de tous les maux. Si on lit un des auteurs les plus acharnés à faire le procès de l’élection, celle-ci induirait « mécaniquement une aristocratie élective ». « Avec l’élection, écrit-il, les riches gouvernent toujours, les pauvres jamais. » Selon lui, « après deux siècles de pratique, on constate que l’élection pousse au mensonge, prête le flanc à la corruption, étouffe les résistances contre les abus de pouvoir et s’avère naturellement élitiste parce qu’elle verrouille l’accès au pouvoir du plus grand nombre au profit des riches. » Et de proposer, en guise de remède, une chimère : le tirage au sort.]
[ÉC (6) : Là, à demi-mot, quand tu parles gentiment d’un « acharné », je sens que tu parles de moi 😉 ÉC.]
[RMJ : Je ne partage absolument pas cette approche des problèmes posés par la représentation et la solution proposée. À mon estime, ceux qui proposent le tirage au sort confondent causes et effets et fournissent ainsi une illustration de la confusion des esprits et du désarroi qui affectent bon nombre de citoyens, sincèrement attachés à la démocratie et désorientés par les dérives et les dévoiements qu’elle subit. Il y a confusion entre le principe de l’élection et celui de l’éligibilité, entre suffrage universel et modalités électorales de son application, entre mode de désignation des représentants et exercice de la représentation.]
[ÉC (7) : tu dis que je confonds causes et effets, élection et éligibilité, suffrage universel et modalités électorales… mais tu sembles précisément atteint de cette affection que tu dénonces, et au dernier degré. Qui confond quoi, en l’occurrence ? Je prétends effectivement que la cause première des lois antisociales à répétition tient à l’élection de représentants politique qui, toujours et partout — ce sont DES FAITS —, met au pouvoir des marionnettes serviles des plus riches. Prouve-moi le contraire, si j’ai tort : montre-moi donc tous ces fourmillants exemples d’élus défendant les intérêts du peuple sans attendre d’y être contraints par une foule en rage. Sachant qu’une exception ne suffit pas à prouver une règle, tu vas avoir du mal, je pense.
Et je ne dis évidemment PAS que TOUT ce qu’ont écrit les parlementaires est nul : appuyer sur cette simplification de protestation en la prenant au sens strict pour la discréditer en parlant d’outrance, ce serait juste de la mauvaise foi : quand on dit qu’ils nous trahissent tout le temps, on comprend bien que ce ne sont pas quelques exemples toujours possibles et bien réels de non-trahison qui vont nous faire changer d’avis : EN MATIÈRE PARLEMENTAIRE, LA TRAHISON DES ÉLECTEURS EST LA RÈGLE ET LE RESPECT DES PROMESSES L’EXCEPTION.
Après deux cents ans de trahisons, il n’y a plus que les élus (et les candidats à l’élection) pour croire le contraire. ÉC.]
[RMJ : Renoncer à l’élection, c’est renoncer au principe du contrat social et du mandat qu’il met en place entre le peuple et ceux qu’il choisit pour agir temporairement en son nom. ]
[ÉC (8) : Hep ! Les démocrates (les vrais) renoncent à un contrat social LÉONIN, INJUSTE, effectivement, mais ils ne renoncent PAS à tout contrat social quel qu’il soit, bien sûr ! Il s’agit d’instituer un contrat social DÉMOCRATIQUE, rien de plus, rien de moins.
Mais du point de vue des élus, c’est l’élection ou le chaos… pas d’alternative. Chacun son point de vue, on peut le comprendre. Moi, je privilégie le point de vue de l’intérêt général ; le point de vue des élus m’indiffère presque.
Et RENONCER À L’ÉLECTION DE MAÎTRES POLITIQUES, CE N’EST PAS RENONCER AU VOTE, AU CONTRAIRE : à mon sens, précisément, le seul suffrage universel digne de ce nom est le suffrage direct, à l’assemblée du peuple. Le suffrage universel que tu défends ne mérite pas son nom, c’est une tromperie, une manœuvre d’élu pour capter le pouvoir politique.
DONC, CELUI QUI REFUSE LE SUFFRAGE UNIVERSEL, LE VRAI, N’EST PAS CELUI QUE TU PENSES. ÉC.]
[RMJ : On ne s’en remet pas au hasard pour choisir son représentant : on le choisit pour les valeurs qu’il défend, pour les orientations qu’il propose, pour la politique qu’il veut mettre en œuvre. On passe avec lui un contrat moral en lui confiant un mandat dont il devra rendre compte de la manière dont il l’a rempli. Le hasard n’a pas sa place dans un tel choix totalement conditionné par le débat d’idées dans lequel il s’inscrit.]
[ÉC (9) : c’est ta vision des choses, Raoul. C’est une vision d’élu, sans doute.
Ce n’est pas la seule possible.
Et on peut penser différemment des élus sans être un fasciste.
N’est-ce pas ?
Si le peuple tient à exercer lui-même le pouvoir au quotidien (ce qui est la caractéristique centrale de la démocratie, sa DÉFINITION même), il n’est pas du tout illogique que le peuple aspirant ainsi à la démocratie se protège des voleurs de pouvoirs EN NE DÉLÉGANT QUE TRÈS PEU DE POUVOIR, POUR TRÈS PEU DE TEMPS, ET TOUJOURS À DES AMATEURS par la force d’institutions qui le permettent réellement, et le tirage au sort est parfait pour désigner des serviteurs politiques, pour empêcher qu’ils ne se transforment en maîtres : c’est simplement une autre organisation que le gouvernement représentatif, Raoul, ça s’appelle la démocratie : c’est le peuple en corps qui décide lui-même de ses affaires.
Et IL N’Y A QUE LES ÉLUS POUR CONTESTER CE DROIT AU PEUPLE, tu le remarqueras : l’immense majorité des gens aspirent à une démocratie digne de ce nom, alors que la totalité des élus imposent au contraire au peuple le gouvernement représentatif, qui est la négation même de la démocratie. ÉC.]
[RMJ : Que déciderait aujourd’hui une telle assemblée sur le sort à réserver aux immigrés ou aux musulmans ?]
[ÉC (10) : Qu’est-ce que c’est que cette question ? On dirait que tu n’accepterais que des institutions qui permettraient à tes idées personnelles de l’emporter…
Par ailleurs, je te rappelle qu’en démocratie, ce ne sont pas les représentants tirés au sort qui décident, mais le peuple lui-même, commune par commune. L’idée d’une deuxième chambre tirée au sort, pour créer une Assemblée qui nous ressemble dotée d’un réel pouvoir de décision, ce n’est pas la démocratie : c’est un compromis, une proposition de réforme du gouvernement représentatif qui lui incorpore un peu de démocratie. Mais même cela semble t’effrayer, rien qu’à penser que cette chambre pourrait prendre des décisions qui te révulsent… Mais Raoul, ce risque d’erreur — ou d’horreur — n’a rien de spécifique : une chambre élue est tout à fait capable de prendre des décisions qui te révulseraient tout autant (ouvre les yeux : partout sur terre, c’est le lot des Hommes que d’être malmenés par leurs élus en régime de « gouvernement représentatif »).
Je ne comprends pas du tout la force probante de cet argument qui n’est PAS SPÉCIFIQUE au tirage au sort. ÉC.]
[RMJ : Quel serait le mandat d’un représentant tiré au sort ? ]
[ÉC (11) : Préparer et exécuter les décisions de l’Assemblée, à tous points de vue. Faire ce que l’Assemblée ne peut pas faire elle-même, sous son contrôle permanent. ÉC.]
[RMJ : En quoi un « élu » né du hasard serait-il plus indépendant, en particulier à l’égard des lobbies, qu’un élu issu d’un choix conscient et délibéré ?]
[ÉC (12) : En ceci qu’IL EST DIFFICILE DE CORROMPRE QUELQU’UN QUI NE VOUS DOIT RIEN.
Ce qui fragilise les élus (surtout les élus à grande échelle, qui ont besoin de beaucoup d’argent ; nettement moins les élus locaux), c’est LA DETTE liée au financement nécessaire de leurs campagnes électorales ruineuses.
Nierais-tu cette dette, et le risque criant de corruption qu’elle induit mécaniquement ?
Par construction, les élus sont comme des drogués, drogués du délicieux pouvoir qui sont prêt à (presque) tout pour jouir à nouveau de leur drogue. C’est tellement naturel (universel et intemporel) qu’on a peine à le leur reprocher. Par contre, nous pouvons tous légitimement souhaiter de bonnes institutions nous protégeant contre cette addiction au pouvoir, qui est évidemment contraire à l’intérêt général.
Je ne m’en prends à personne, je m’en prends aux institutions.
On a le droit de discuter de ça ? Ou bien on est d’emblée un fasciste ? ÉC.]
[RMJ : Quelle garantie aurait l’électeur d’une telle assemblée que la raison ne cède pas aux modes, aux pulsions, aux démagogies du moment ? ]
[ÉC (13) : Encore une fois, cette crainte n’a rien de spécifique au tirage au sort : ce risque (bien réel) atteint tout autant une assemblée de partisans qu’une assemblée de simples citoyens.
Par contre, dans une vraie démocratie, où les représentants sont révocables à tout moment (par l’Assemblée des citoyens en corps), les garanties contre les trahisons sont infiniment plus solides. ÉC.]
[RMJ : En quoi, une assemblée issue du tirage au sort serait-elle davantage représentative qu’une assemblée élue selon la règle du scrutin proportionnel ? ]
[ÉC (14) : Drôle de question. Faut-il te faire un dessin ? Combien de femmes (aujourd’hui comme hier) dans les assemblées élues que tu prétends si représentatives ? Combien de noirs ? Combien de chômeurs ? Combien de jeunes ? Combien de pauvres ? Réponds, s’il te plaît.
Et selon toi, les femmes, les pauvres, les jeunes, les noirs d’un pays (et j’en passe, bien sûr) devraient croire à tes belles promesses que leurs intérêts seront mieux défendus par des vieux mâles blancs et riches (qu’ils n’ont absolument pas choisis puisque ce sont les chefs de partis qui les présélectionnent !) que par une assemblée tirée au sort, au sein de laquelle on trouverait pourtant, MÉCANIQUEMENT, la moitié de femmes, une juste proportion de noirs et d’autres minorités aujourd’hui non représentées (avec ou sans scrutin proportionnel), et surtout, Raoul, PLUS DE LA MOITIÉ DE PAUVRES ! Je dirais même les 99 centièmes de « non ultra riches »…
Pour prendre un exemple assez parlant, je peux te prédire que le vote des innombrables niches fiscales pour les privilégiés du Fouquet’s (cadeaux littéralement ruineux pour l’État) passera moins facilement dans une assemblée tirée au sort. L’INTÉRÊT GÉNÉRAL SERA ÉVIDEMMENT MIEUX REPRÉSENTÉ PAR UNE ASSEMBLÉE TIRÉE AU SORT que par une assemblée de valets serviles des plus riches (UMP, PS et autres « partis de gouvernement » c’est-à-dire asservis).
Je ne sais pas ce que signifie pour toi le mot « REPRÉSENTATIF », Raoul, mais pour moi, — (pourvu qu’elle soit suffisamment nombreuse : 1 000 membres pour un pays comme la France ? Il faut en discuter) — une assemblée tirée au sort est INFINIMENT plus représentative qu’une chambre élue, par le jeu naturel, INCORRUPTIBLE et ÉQUITABLE, de la loi des grands nombres.
Tu demandes « en quoi… » : en fait, l’une EST représentative, et l’autre ne l’est PAS.
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Quant au mode de scrutin, LE SCRUTIN PROPORTIONNEL DONNE TOUT LE POUVOIR AUX PARTIS : aucun citoyen ne peut plus être candidat dans ce système de listes : pour le coup, du point de vue de chaque humain, c’est la prison politique totale : hors parti, il n’y a plus aucune activité politique possible pour les citoyens ; l’embrigadement est forcé.
Est-ce qu’on peut en parler tranquillement, librement, sans être traité de fasciste ?
LE SCRUTIN PROPORTIONNEL N’EST UNE SOLUTION JUSTE QUE POUR LES PETITS PARTIS, PAS DU TOUT POUR LES CITOYENS qui continuent à se faire dominer par des professionnels de la politique, experts en magouilles électorales, professionnels que toute démocratie digne de ce nom interdit en priorité : LA DÉMOCRATIE (LA VRAIE), C’EST LE SYSTÈME DES HOMMES QUI REFUSENT D’ÊTRE DOMINÉS PAR DES CHEFS.
Donc proportionnel ou pas, le mode de scrutin est UNE SIMPLE MODALITÉ de la domination des électeurs par leurs élus. On peut comprendre que les partisans des petits partis préfèrent la proportionnelle pour exister en régime électoral, mais cela n’a rien à voir avec la démocratie. ÉC.]
[RMJ : En quoi, un « élu » du tirage au sort serait-il davantage comptable de ses choix qu’un élu du suffrage universel ? De quelle manière le tirage au sort empêcherait-il que se constituent entre « élus » de la sorte des coalitions d’intérêts ?]
[ÉC (15) : Un tiré au sort est « davantage comptable » devant l’Assemblée SI LA CONSTITUTION LE PRÉVOIT, tout simplement, c’est-à-dire si elle est vraiment démocratique, c’est-à-dire si elle a été écrite par d’autres que les élus ou candidats des divers partis.
Parce que tu trouves que les élus, eux, sont « comptables de leurs choix » en régime de gouvernement représentatif ? C’est une blague ?
« Le mandat » dont tu nous parles, « la responsabilité » que tu invoques, « le pacte », le « contrat social » que tu mets en avant, sont des fumisteries, DES MYTHES purs et simples, DES CHIMÈRES précisément, SANS AUCUNE RÉALITÉ : tout ça est imaginaire et UNIVERSELLEMENT INFIRMÉ PAR LES FAITS.
La réalité du gouvernement représentatif, partout dans le monde et à toutes les époques depuis deux cents ans qu’il a été inventé, c’est la domination des électeurs par les élus, c’est la dépendance financière des élus à l’égard des plus riches qui les font élire, et c’est la production d’un droit injuste, antisocial, un droit de propriétaires, un droit hostile aux travailleurs malgré leurs conquêtes héroïques à la faveur de révoltes qui, loin d’être rendues possibles par le faux suffrage universel, s’émancipent temporairement de ce faux suffrage pour imposer, toujours brièvement, un vrai suffrage universel : un homme = un voix VRAIMENT ET À TOUT PROPOS (et pas une fois tous les cinq ans sur de faux choix).
Cette histoire de mandat et de responsabilité ne trompe plus personne : regarde le niveau d’abstention et les scores de la gauche parlementaire (dite « extrême » par les ennemis du peuple) : il n’y a plus que les élus pour (faire semblant de) croire à ce catéchisme soi-disant républicain.
Les hommes en ont marre d’être trahis par leurs élus, Raoul, voilà.
Traite-moi de fasciste si tu veux, mais les humains ne sont pas si bêtes que ça : ils ne croient plus aux mensonges de ceux qui sollicitent leurs voix avant de les dominer.
Et ils commencent à se rendre compte que LES RÉFORMES QUE TU PRÉCONISES N’ADVIENDRONT JAMAIS SOUS LA PLUME D’ÉLUS DONT L’INTÉRÊT PERSONNEL EST CONTRAIRE À CES RÉFORMES.
Les réformes que tu préconises sont nécessaires, bien sûr, mais elles ne seront jamais prises par des élus issus de partis. Jamais. À cause du conflit d’intérêts.
La composition de l’Assemblée constituante est donc décisive et les modalités que tu proposes — pas d’anciens élus nationaux, députés inéligibles, débat public et référendum en fin de processus — n’y changeront RIEN : SI LES PARTIS PEUVENT NOUS IMPOSER LEURS CANDIDATS, ILS ÉCRIRONT À NOUVEAU DES RÈGLES POUR EUX-MÊMES ET ON N’AURA PAS AVANCÉ D’UN POUCE VERS LA DÉMOCRATIE.
Je dis bien PAS D’UN POUCE : ce sera une Assemblée-constituante-qui-ne-sert-à-rien (pour les citoyens), une déception de plus, toujours pour la même raison.
Il ne faut pas que la Constitution soit écrite par des hommes de partis.
Ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir.
Il faut en tirer les conséquences.
La seule élection qui soit acceptable en la matière, c’est L’ÉLECTION SANS CANDIDATS.
Mais pour un homme de parti, c’est inimaginable, je le comprends.
Je ne le lui reproche pas (c’est naturel de son point de vue), mais je dis que, dans cette occurrence précise, au moment d’écrire ou modifier une Constitution, ce n’est pas à lui de décider. ÉC.]
[RMJ : Les partisans du tirage au sort prétendent améliorer la démocratie en supprimant un de ses fondements : le libre choix d’un candidat par les citoyens. ]
[ÉC (16) : LE CHOIX de candidats QUI VONT PRENDRE ENSUITE TOUTES LES DÉCISIONS À LA PLACE DU PEUPLE PENDANT DES ANNÉES, ce n’est PAS un des fondements de la démocratie, Raoul, c’est sa négation même.
Les mots ont un sens : démocratie = gouvernement du peuple PAR LE PEUPLE => PAS PAR LES REPRÉSENTANTS DU PEUPLE. Il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles, Raoul : on sait lire, on connaît le sens des mots. ÉC.]
[RMJ : En fait, dans un tel système, le citoyen s’en remet au hasard en ignorant tout de celui qui le représentera. ]
[ÉC (17) : Il s’en moque, le citoyen, puisque c’est lui, citoyen, enfin adulte politique, qui exercera le pouvoir réel, en votant directement à l’Assemblée. La personne du représentant n’est essentielle que si tu lui concèdes beaucoup de pouvoir, et pour longtemps… ce qui n’est pas le cas EN DÉMOCRATIE, OÙ LES REPRÉSENTANTS N’ONT QUE PEU DE POUVOIR, PEU DE TEMPS ET SOUS UN CONTRÔLE CITOYEN QUOTIDIEN ET SOURCILLEUX.
Décidément, tu as bien mal regardé ma conférence 🙂 ÉC.]
[RMJ : On prétend remédier aux maux qui affectent la représentation en la supprimant. On crée l’illusion d’une démocratie directe en confiant à des inconnus le sort du peuple.]
[ÉC (18) : ILLUSION ?! Décidément… c’est un malentendu, le monde à l’envers : c’est le gouvernement représentatif, en se parant fallacieusement du nom de démocratie, qui est une illusion (parfaitement mensongère d’ailleurs, car je pense qu’il y a intention de tromper de la part de ceux qui bénéficient de ce système). Au contraire, la démocratie rendue possible (et garantie par) le tirage au sort n’est pas « une illusion de démocratie directe », elle EST la démocratie, DONC DIRECTE (par définition et par construction). ÉC.]
[RMJ : Les maux que prétendent résoudre les partisans du tirage au sort sont réels. Leur remède n’en est pas un. C’est un placebo. Les solutions sont dans le travail que devrait effectuer une assemblée constituante pour réinventer une démocratie nouvelle, pour instaurer enfin la République.
Trois maux affectent profondément le système représentatif : le mode de scrutin majoritaire, la personnalisation du débat politique et la professionnalisation de la représentation.]
[ÉC (19) : Et bien, voilà une bonne série de désaccords qui se profile : à mon sens, ces trois problèmes que tu mets en avant ne sont QUE DES CONSÉQUENCES, et pas du tout des causes : tout ça (et d’autres vices majeurs que tu ne pointes pas) découle de LA PARTIALITÉ CRASSE DES AUTEURS DES CONSTITUTIONS, de la situation de CONFLIT D’INTÉRÊTS où des hommes de partis écrivent des règles pour eux-mêmes.
Et tu pourras décrire les conséquences aussi précisément que tu voudras : SI TU NE T’EN PRENDS PAS AUX CAUSES, TU NE CHANGERAS RIEN AUX CONSÉQUENCES.
Mais je te lis quand même. Voyons… ÉC.]
[RMJ : Le scrutin majoritaire, à un ou deux tours, est un véritable détournement du suffrage universel.] [ÉC (20) : Absolument, un de plus.] [RMJ : Au motif qu’il assure des majorités stables – une affirmation qui ne se vérifie plus aussi automatiquement à mesure que les citoyens ne distinguent plus nettement ce qui différencie les projets politiques proposés – ce système refuse la présence dans une assemblée censée représenter le peuple tout entier de sensibilités certes minoritaires mais qui s’inscrivent dans la durée ou reflètent des préoccupations nouvelles. Ce système conduit progressivement au bipartisme, dont on voit dans les pays où il est pratiqué, combien il favorise le système en place et ses conservatismes. Les abus en France du mode de scrutin proportionnel, entre 1946 et 1958, ont convaincu à tort de la nocivité de ce système. Pourtant, encadré par des techniques qui ont fait leurs preuves ailleurs (taux plancher requis pour accéder à la représentation, motion de méfiance constructive indispensable au changement d’une coalition gouvernementale, etc.), la représentation proportionnelle, en permettant à tous les courants de la société réellement représentatifs de se retrouver dans les assemblées élues, conforte la confiance des citoyens dans le système représentatif, mais surtout favorise l’apport d’idées nouvelles et l’enrichissement du débat.]
[ÉC (21) : j’ai dit plus haut que le scrutin proportionnel n’est qu’une modalité du choix de nos maîtres, une modalité qui donne tout le pouvoir politique aux partis et qui ne laisse plus aucune chance de servir aux individus, une modalité qui intéresse surtout les petits partis mais qui n’avantage que très marginalement les citoyens en termes de puissance politique au quotidien.
On n’instituera pas une démocratie en changeant le mode de scrutin ; il n’y a que des membres de partis politiques pour croire à une fable pareille. ÉC.]
[RMJ : La personnalisation du débat politique remplace le choix des politiques par le choix des personnes. Elle résulte d’une part de la concentration des pouvoirs au sein d’une même personne (président de la République, président de région, président de conseil général, maire) et d’autre part de l’effondrement du politique face à l’économique. Le ralliement inconditionnel de la gauche dite de gouvernement au libre échange le plus débridé, qui conduit à la concurrence de tous contre tous, n’offre plus d’alternative crédible à la dictature des marchés. De telle sorte qu’on évolue vers un système politique où les choix se réduisent à des choix de personnalités certes porteuses d’accents différenciés, mais d’accord sur l’essentiel. Entre un Valls et un Copé, quelle différence ? Quand on ne peut plus changer le cours des choses qu’à la marge, alors que les inégalités et les injustices sont criantes, alors que tout un système politico-économique est au service d’une minorité, c’est le système qu’on rejette. La démocratie représentative ne retrouvera un sens que si elle propose des alternatives et pas seulement des alternances.]
[ÉC (22) : Tu apportes de l’eau à mon moulin, je te remercie ; nous sommes d’accord.
Mais plus généralement, sauf ton respect, je crois que tu cibles mal notre problème politique : « CHOIX DE POLITIQUES » VS « CHOIX DE PERSONNES »… TOUT ÇA, CE SONT DES PROPOSITIONS D’ÉLUS qui n’imaginent pas d’autre société que des régimes où les humains ont à CHOISIR UNE FOIS POUR TOUTES (pour un faux choix dont les électeurs ne décident même pas des termes !) et à se taire ensuite pendant des années, jusqu’au prochain faux choix.
Excuse-moi, Raoul, mais ces mythes sont usés jusqu’à la corde, invalidés par des siècles de réalité contraire aux promesses faites : plus personne ne croit à ces grands principes inapplicables : DE FAÇON IDÉALISTE (IRRÉALISTE), LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF ET SES ÉLECTIONS REPOSENT SUR LA CONFIANCE à accorder à des humains presque jamais dignes de cette confiance.
Alors que DE FAÇON MATÉRIALISTE (RÉALISTE), LA DÉMOCRATIE (LA VRAIE) REPOSE SUR LA DÉFIANCE, en prenant acte de l’imperfection des humains et, de façon bien plus crédible que le gouvernement représentatif, ORGANISE ET GARANTIT L’AMATEURISME POLITIQUE, CONCRÈTEMENT, EN S’EN DONNANT LES MOYENS (tirage au sort, mandats courts et non renouvelables, révocabilité à tout moment, reddition des comptes, récompenses et punitions…) POUR PROTÉGER TOUT LE MONDE CONTRE LES VOLEURS DE POUVOIR TOUJOURS À CRAINDRE en tous temps et en tous lieux. ÉC.]
[RMJ : La professionnalisation de la représentation a totalement perverti la notion de mandat. Et de ce fait remet en cause le contrat social. C’est un des maux qu’il faut combattre le plus vigoureusement. Cumuler des mandats et les indemnités qui les accompagnent, exercer pendant trois, quatre, cinq législatures le même mandat, ce n’est plus porter dans une assemblée les attentes du peuple, c’est exercer un métier. Il en résulte de nombreuses dérives conditionnées par le souci de la réélection et les habitudes nées de la pratique prolongée du mandat. Il importe de mettre fin à tout ce qui favorise cette professionnalisation.]
[ÉC (23) : Tu penses que tous ces vices contraires à l’intérêt général sont accidentels et non nécessaires, alors que mon analyse me conduit à penser que CES VICES ANTIDÉMOCRATIQUES — À COMMENCER PAR LA PROFESSIONNALISATION DE LA POLITIQUE — SONT PORTÉS DANS LE GÉNOME DE L’ÉLECTION, PROCÉDURE ARISTOCRATIQUE PAR DÉFINITION : lors de toute élection, par définition, on est appelé à choisir le meilleur (aristos = le meilleur).
En conséquence, il ne faut pas s’étonner qu’un régime construit sur une logique aristocratique dérive en oligarchie : cette dégénérescence se constate depuis des milliers d’années (Cf. Aristote).
Au mieux, on va dire que l’Humanité est longue à la comprenette. ÉC.]
[RMJ : Quant à la démocratie directe, après plus d’un siècle d’enseignement obligatoire, avec un niveau général d’éducation élevé, avec un accès renforcé aux informations, elle s’avère devenir un complément nécessaire de la démocratie représentative aux échelons où elle peut se pratiquer le plus facilement, celui de nos collectivités territoriales. Au plan national, le référendum d’initiative populaire doit être retenu sans que le Parlement puisse y faire obstacle, pourvu qu’il écarte toute possibilité plébiscitaire et que les conditions de son application soient à l’abri d’initiatives démagogiques.]
[ÉC (24) : ] Tiens… Nos points de vue se rapprochent sur la fin de ce billet : tu vois LA DÉMOCRATIE DIRECTE comme « un complément nécessaire », et moi comme « la substance même » de la démocratie : pas de quoi se traiter de fascistes 😉 ÉC.]
[RMJ : Les solutions aux perversions de la démocratie représentative existent. Une assemblée constituante peut les apporter. Point n’est besoin de recourir à des remèdes qui seraient pires que les maux qu’on prétend combattre. Ce n’est pas en convoquant l’obscurantisme qu’on instaure la lumière.
Raoul Marc JENNAR]
[ÉC (25) : Pas n’importe quelle Assemblée constituante. TOUT EST LÀ.
Raoul, je ne prône PAS QUE la démocratie directe : je suis capable d’imaginer et d’accepter un gouvernement représentatif sous contrôle démocratique, en instituant effectivement les organes et les contrôles que tu as évoqués (et quelques autres dont tu n’as pas parlé, à propos de la monnaie, de l’entreprise et des médias, notamment), mais j’attire ton attention sur le fait qu’un homme de parti est incapable — et les faits prouvent que j’ai raison, ce n’est pas théorique, c’est logique, et c’est confirmé dans la pratique — UN HOMME DE PARTI EST INCAPABLE D’INSTITUER LUI-MÊME LES CONTRÔLES ET SANCTIONS QUI LE GÊNERONT PLUS TARD DANS L’EXERCICE DE SES FONCTIONS, UNE FOIS QU’IL SERA ÉLU.
C’est un problème basique (et crucial) de conflit d’intérêts.
Notre débat devrait porter là-dessus, Raoul, je crois.
Car si on arrive à instituer un gouvernement représentatif réformé où les citoyens gardent réellement L’INITIATIVE, à tout moment et à tout propos, POUR RÉSISTER aux abus de pouvoir, nous tombons d’accord, pleinement d’accord.
Amicalement.
Étienne.]
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/En_Vrac.pdf
Source : http://www.jennar.fr/?p=1975&cpage=1#comment-3082
Voici maintenant mes réponses point par point au DEUXIÈME billet de Raoul (en réponse à mes réponses) (source) :
Bonjour à tous,
Je viens de passer plus de 20 heures à préparer cette nouvelle réponse détaillée à Raoul, à propos de son deuxième billet, cette fois. Désolé pour la longueur, j’ai beaucoup raccourci déjà : j’ai gardé ce que je trouve important. Mon commentaire envoyé hier vient d’être publié chez Raoul (la modération est parfois assez longue à venir) ; je ne me presse donc pas pour publier celui-ci là-bas : je vais d’abord le publier chez moi.
Bonne lecture. J’ai hâte de connaître vos réactions :
Tout en sachant bien que, comme tout le monde, je me trompe peut-être par endroits — on verra —, j’aime cette controverse, qui touche au cœur de notre impuissance politique chronique, et qui nous oblige tous à approfondir nos arguments et donc à progresser : j’ai enfin l’impression de parler, avec les gens qui comptent le plus pour moi, des sujets les plus importants pour ce que je considère comme une vraie gauche : utile aux faibles sur les vraies causes de la faiblesse.
Étienne.
Réponse au DEUXIÈME article de Raoul Marc Jennar
sur le tirage au sort (19 juillet 2011) : http://www.jennar.fr/?p=2012(Je glisse mes commentaires en bleu dans le texte de Raoul cité en italiques pour mieux comprendre leur contexte.)
[RMJ : Le tirage au sort : une chimère. Mes réponses aux commentaires
Bonjour tout le monde. Je me réjouis des nombreux commentaires suscités par un papier qui n’avait pas la prétention de proposer un nouveau système politique, mais seulement de préférer au tirage au sort présenté comme une panacée quelques pistes pour réformer la pratique d’un suffrage universel dévoyé en France comme ailleurs. Alors qu’aujourd’hui encore, des peuples se battent pour l’obtenir. ]
[ÉC (1) : Ce n’est pas parce que les peuples se battent pour obtenir un MINIMUM politique, que tous les peuples sont condamnés à subir éternellement ce minimum comme si c’était un maximum. Une première étape vers la liberté n’est pas encore la liberté.
Je rappelle que, DE FAIT, l’élection de représentants qui seront nos maîtres pendant les années à venir, des maîtres qui décideront tout à notre place, cette vision atrophiée du suffrage universel nous impose le droit des élus à disposer des peuples à la place du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. ÉC.]
[RMJ : Avant d’envisager le fond du sujet, quatre remarques.
La première : j’entends cet échange comme un débat républicain. C’est-à-dire un partage d’idées qui exclut toute forme d’argument ad hominem et encore moins l’usage de qualificatifs à l’égard des porteurs de ces idées. Le procédé qui consiste à caricaturer voire à discréditer une personne parce qu’on manque d’arguments pour contrer ses idées m’est odieux. Il disqualifie du débat celui qui l’utilise. ]
[ÉC (2) : Fort bien. Il était bon que ce soit dit. ÉC.]
[RMJ : Et je postule la bonne foi de la plupart des intervenants, à commencer par mon ami Etienne Chouard qui se piège lui-même en personnalisant trop un débat qui doit rester ce qu’il convient qu’il soit : un échange de propositions et d’arguments entre gens de bonne volonté.]
[ÉC (3) : Voilà. On a déjà vu des amis en désaccord profond, sur un point ou pour un temps. On survivra à un désaccord ; on l’aplanira même, peut-être. ÉC.]
[RMJ : La deuxième : l’usage des citations. Certes, il peut appuyer un raisonnement en ajoutant à celui-ci l’autorité d’un auteur allant dans le même sens dans toute son œuvre si ce n’est dans son action publique. Mais on a assisté à un déluge de citations dont la pertinence s’érode dans la mesure où elles sont sorties du contexte à la fois de l’écrit dont elles sont extraites et de l’action historique de leur auteur. Ainsi utilisées, les citations ne prouvent plus rien, sauf la culture de celui qui les reproduit.]
[ÉC (4) : Par définition, une citation est sortie de son contexte ; ça ne la rend pas inutile ipso facto… Par contre, se contenter de dire en bloc que les citations utilisées par l’autre ne prouvent rien, c’est un peu… léger :
Quand je cite l’abbé Sieyès (qui est un des principaux penseurs du gouvernement représentatif dans la période révolutionnaire de 1789) pour que chacun comprenne que, dès l’origine, le régime dans lequel nous vivons n’a strictement rien à voir avec la démocratie (sinon pour l’empêcher complètement), je trouve ça très important, dans une discussion où certains contemporains drapent fallacieusement le gouvernement représentatif du beau nom de « démocratie » pour le faire passer auprès de nous comme un aboutissement providentiel qu’on ne saurait plus remplacer mais seulement ‘réformer’.
Tu devrais faire l’effort de répondre à cette citation de Sieyès.
Je la rappelle ici :
« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
Abbé SIEYÈS, discours du 7 septembre 1789.
Qu’en penses-tu ?
Le gouvernement représentatif est-il une démocratie ou une aristocratie ? ÉC.]
[RMJ : La troisième : contrairement au procès que me font certains – mais manifestement d’aucuns ne peuvent s’empêcher de s’ériger en procureurs voire en inquisiteurs – il n’y a pas, chez moi de démarche assimilable à celle d’un croyant. Toute ma pensée est a‑dogmatique. Les systèmes conçus par les humains – tous les systèmes, politiques, philosophiques, religieux, judiciaires, etc. – ne méritent pas, à mes yeux, un acte de foi. Œuvres humaines, ils doivent être considérées pour ce qu’ils sont : critiquables et perfectibles. Loin de moi l’idée que réfléchir à un meilleur système démocratique s’inscrit dans une démarche dogmatique. Je ne sacralise rien. Que du contraire, je considère que, dans une telle recherche, l’échange d’arguments contradictoires est indispensable, car personne ne détient une vérité qui n’existe pas. À mon estime, il importe également de garder à l’esprit l’imperfection de la nature humaine et ne pas sombrer dans l’angélisme qui consisterait à penser qu’un système quelconque, quel qu’il soit, pourrait la corriger. Seul un système totalitaire, qu’il invoque le primat du prolétariat ou la supériorité d’une race ou d’une élite, peut faire fi de cette imperfection. La société humaine est complexe. Et, sauf à lui faire violence, les institutions qu’elle génère reflètent inévitablement cette complexité.]
[ÉC (5) : Pour répondre à cette importante introduction : précisément, pour ma part, je ne crois ni en dieu ni en diable, et je cherche à déconstruire les mythes politiques qui permettent aux riches du moment de faire travailler les pauvres à leur place.
Et précisément dans le droit fil de ce que tu dis chercher toi-même, je constate en l’étudiant attentivement que la démocratie grecque était justement beaucoup plus pragmatique, jamais dans « l’angélisme » comme tu dis, beaucoup plus réaliste et effectivement protectrice, que le gouvernement représentatif qui, lui, nous abreuve des mythes les plus invraisemblables, sombrant souvent, effectivement… dans l’angélisme, à l’égard des élus… et au final dans une hypocrisie méthodique pour cacher le projet oligarchique qu’il fonde dès l’origine..
Je ne sais pas si c’est dogmatique ou inquisitorial de chercher ainsi, mais je cherche, Raoul : je n’ai pas de foi révélée, je cherche. Si tu me montres où je me trompe, je m’adapterai et je progresserai. ÉC.]
[RMJ : La quatrième : je me définis comme démocrate, comme républicain, comme socialiste, tout cela à la manière de Jaurès. C’est dire si pour moi l’idéal de la gauche est intimement lié à l’exigence de liberté autant qu’à celle d’égalité. C’est dire aussi mon espérance dans l’Homme et dans sa capacité à progresser en ce et y compris par les réformes, pourvu qu’elles soient continues vers un même but : rendre notre séjour sur cette terre le plus aimable et le plus épanouissant pour tous. Je récuse donc le rejet de toute réforme au motif qu’il ne s’agirait que d’une action dans le cadre de la « démocratie bourgeoise ». ]
[ÉC (6) : Jusque là, je suis sur la même position, bien sûr. Sauf que, entre « démocrate » et « républicain », il faut peut-être choisir (selon le sens qu’on donne à ces mots, qui ne sont pas des synonymes). Mais passons. ÉC.]
[RMJ : Je n’ai rien de commun avec ceux qui rejettent une réforme parce qu’elle ne réalise pas totalement la société idéale de leurs rêves. ]
[ÉC (7) : Moi non plus, évidemment : qui raisonne comme ça ? Pas moi, en tout cas.
Par contre, si la « réforme » proposée est à l’évidence une vieille promesse qui est toujours restée lettre morte depuis des siècles, il ne faut pas s’étonner du manque d’enthousiasme pour défendre aujourd’hui cette prétendue « réforme », qui pourrait s’appeler l’Arlésienne-des-élus.
En fait, si on ne s’en prend pas aux causes, on ne soigne aucun mal durablement.
« Cherchez la cause des causes », conseillait déjà Hippocrate (480 av. JC). ÉC.]
[RMJ : Si la démocratie née de 1789 – et non, malheureusement, de 1793 – convient à la bourgeoisie et si les choses ont évolué vers l’oligarchie, c’est aussi parce que les plus nombreux se sont divisés et parce que d’aucuns ont voulu entretenir l’espoir de démocraties dites populaires qui n’étaient qu’une forme de totalitarisme. Après les expériences napoléoniennes, le XXe siècle nous a confirmé un constat : les effets corrupteurs du pouvoir existent même chez les révolutionnaires, même chez les socialistes. Et le XXIe siècle ne semble pas démentir son prédécesseur.]
[ÉC (8) : Tu présentes la division des plus nombreux comme la cause de la dérive oligarchique du régime, mais cela n’est vrai qu’en régime électoral (puisque la division fait perdre les élections) : cela ne serait pas vrai dans une authentique démocratie, fédération de communes où les peuples décideraient eux-mêmes de leur sort, point par point, idée par idée, jour après jour : dans ce contexte réellement démocratique, on peut certes se tromper de temps en temps, évidemment, mais la multitude ne perdrait pas à tous les coups ou presque, comme c’est le cas en régime de gouvernement représentatif.
C’est donc rater la cause des causes, je crois, que d’incriminer la division des foules, qui n’est pénalisante que dans un régime donné (le nôtre, auquel tu sembles tant tenir) et pas dans tous. ÉC.]
[RMJ :
1. Ce qui m’amène à une première réflexion : la question centrale est bien celle du pouvoir. L’objectif de tout le monde est, bien entendu, « le pouvoir du peuple, par le peuple ». ]
[ÉC (9) : bien entendu. Mais je trouve que tu n’insistes pas assez sur les mots « par le peuple ».
« Par le peuple » ne signifie nullement « par les représentants du peuple ».
Entre les deux expressions, il y a, pour tout le monde, un abîme politique. ÉC.]
[RMJ : La question en débat, c’est le troisième terme de la formule : « pour le peuple » qui implique depuis deux siècles et demi que le peuple délègue l’exercice du pouvoir à certains des siens. ]
[ÉC (10) : Nous y voilà ! C’est amusant, je ne lis pas le français comme toi ; je ne trouve pas le même sens aux mots.
Mais une bonne discussion, franche et amicale, permettra sûrement d’y voir plus clair :
• « pour le peuple » signifie « dans l’intérêt du peuple »,
• « POUR LE PEUPLE » ne signifie PAS DU TOUT (sauf dans l’esprit des élus, sans doute) « À LA PLACE DU PEUPLE ». ÉC.]
[RMJ : J’ai cru comprendre, dans certains commentaires, que la question du pouvoir pouvait être écartée en réduisant le mandat à la gestion administrative. Mais la prise en charge des affaires d’une collectivité dépasse la gestion, qui relève de l’exécution de choix et pour laquelle l’administration existe. Le pouvoir, ce n’est pas l’administration. Le pouvoir, c’est choisir (ou décider de ne pas choisir, ce qui est en fin de compte un choix). Qui doit choisir ? ]
[ÉC (11) : Ça y est, on est « à l’os », là, je crois. ÉC.]
[RMJ : Qui doit choisir ? La réponse ne peut plus être simplement : le peuple ; on sait ce qu’on en a fait. ]
[ÉC (12) : qu’est-ce que c’est que cette allusion sibylline ?
Parle clairement, Raoul.
À la question « Le pouvoir, c’est choisir. Qui doit choisir ? », un démocrate répondra naturellement et simplement : « le peuple, bien sûr ».
Mais toi, tu dis : « Non ; on sait ce qu’on en a fait ».
Je vais appeler un chat un chat, et tu me contrediras si je me trompe : tu es en train de suggérer à demi-mot (sans l’affirmer clairement, je ne sais pas pourquoi) que tout projet politique qui consiste à donner au peuple les institutions qui lui permettent de choisir lui-même les décisions qui le concernent est un projet proche des idées d’extrême droite.
Tu ne le dis pas encore expressément là, mais plusieurs allusions similaires, apparues ailleurs dans tes raisonnements, sont assez claires pour que je réagisse dès maintenant.
Cette pensée-là, celle qui classe à l’extrême droite tout projet de démocratie directe, c’est une pensée ANTIDÉMOCRATIQUE, incontestablement.
Je suis surpris (et effrayé) de la lire sous ta plume et j’espère encore que c’est un simple malentendu. ÉC.]
[RMJ : Elle doit être assortie des modalités par lesquelles le peuple choisit. Ce fut un grand progrès lorsqu’on est passé, après bien des luttes, du pouvoir d’un seul ou d’un groupe au pouvoir des délégués du peuple, même s’il fallut attendre des siècles avant que soit acquis le principe un citoyen-une voix sans considération de sexe, de revenu ou de niveau de formation. Même si, aujourd’hui, le suffrage universel est très largement dévoyé, ce fut un immense progrès.]
[ÉC (13) : je l’ai appris à l’école, effectivement, mais je n’en suis plus tout à fait sûr : avant l’avènement du gouvernement représentatif, malgré les horreurs avérées de l’Ancien régime, LES RICHES N’AVAIENT PAS TOUT LE POUVOIR : ILS DEVAIENT COMPOSER avec les princes, avec les nobles, avec le clergé.
Est-ce que je me trompe, ou est-ce que ce que je dis-là est vrai ?
il y avait moins de concentration des pouvoirs qu’aujourd’hui, me semble-t-il. Regarde le résultat de deux cents ans passés à élire des TUTEURS politiques mis à la tête de MINEURS politiques : le résultat, c’est la Haute Banque qui dirige de fait tous les États régis par le gouvernement représentatif, TOUS.
Exactement comme le prévoyaient les projets fascistes d’avant-guerre : prendre le contrôle de l’État et mettre la puissance publique au service des plus riches. Non ?
PROGRESSIVEMENT, LE RÉGIME DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF A PERMIS CETTE ÉPOUVANTABLE CONCENTRATION DU POUVOIR DANS LES MAINS DES SEULS MARCHANDS (et notamment les plus riches d’entre eux que sont les marchands d’argent), par le mécanisme implacable du nécessaire financement des campagnes électorales ruineuses, et de la servitude des élus liée à ce financement.
Tu parles d’un progrès…
Est-ce qu’on a le droit, entre gens de gauche, d’imaginer des alternatives profondes à ce régime oligarchique par construction sans subir des accusations plus ou moins larvées de proximités fascistes ? Marquer du fer rouge infamant de l’étiquette « extrême droite » ce sujet fondamental pour la gauche, c’est, pour la défense des faibles et des opprimés, véritablement du sabotage : c’est faire passer l’intérêt des élus avant celui des peuples.
Quand je suggère que, peut-être, c’est précisément l’élection de représentants qui a rendu possible le capitalisme (et que c’est peut-être elle qui verrouille encore ce régime injuste), tu pourrais me répondre autrement qu’en suggérant que je donne du crédit à des idées d’extrême droite… Je peux me tromper, d’accord, parlons-en, justement ; mais tu sais bien que mon projet n’a rien à voir avec ceux de l’extrême droite. ÉC.]
[RMJ :
2. Avant d’aller plus loin, il faut répondre à une question : qu’est-ce que le peuple ? Le débat n’est pas clos. ]
[ÉC (14) : Effectivement, la définition du peuple change tout le temps, et ce serait évidemment un anachronisme (une erreur de perspective, une erreur d’appréciation, une erreur quoi) que de juger les définitions antiques avec les valeurs d’aujourd’hui. ÉC.]
[RMJ : Aujourd’hui, en France, il ne suffit pas d’habiter, de travailler, de payer taxes et impôts à la collectivité pour accéder au suffrage universel. Il y a des exclus. Comme autrefois, à Athènes. Le « peuple » se réduisait aux citoyens mâles, écartant de la sorte des gens vivant à Athènes mais qui avaient le malheur d’être des femmes, des esclaves et des étrangers venus s’installer dans la cité. ]
[ÉC (15) : Tout le monde sait ça, Raoul, mais insister là-dessus, comme pour monter en épingle un aspect qui serait aujourd’hui évidemment inacceptable, c’est rester volontairement à côté du sujet intéressant. ÉC.]
[RMJ : Aucun des grands penseurs grecs, même pas Socrate, n’a remis en cause l’esclavage, ni le statut de la femme dans la société. L’Athènes de Périclès fut un début, un début dont personne n’écarte les mérites. Mais un début dont personne ne doit faire un modèle. ]
[ÉC (16) : Personne n’en fait un modèle. Je le dis expressément dans mes conférences : j’utilise volontiers l’expression de Castoriadis qui parle de précieux GERME à entretenir pour améliorer nos sociétés modernes.
Est-ce qu’on pourrait éviter les mauvais procès ? Tu sais bien que je ne parle jamais de « modèle » à propos d’Athènes ; pourquoi donc m’en faire le reproche ? ÉC.]
[RMJ : Deux cents ans de cette démocratie-là ne justifient en rien qu’elle serve de modèle aujourd’hui, à moins de considérer que la démocratie soit l’activité d’une catégorie de privilégiés. ]
[ÉC (17) : Tu es en train de caricaturer ma pensée, Raoul, de la déformer, puisque je dis expressément qu’Athènes n’est évidemment pas un modèle. Tu avais pourtant dit toi-même plus haut qu’on ne doit pas déformer la pensée de l’autre quand on est à court d’arguments. ÉC.]
[RMJ : Le paradoxe de ceux qui invoquent l’Athènes du Ve siècle AJC et sa pratique du tirage au sort, c’est qu’ils prennent comme référence un modèle qui est exactement celui qu’ils dénoncent aujourd’hui comme étant la conséquence du suffrage universel : l’oligarchie, c’est à dire le gouvernement du peuple par une minorité. Il n’y a pas de démocratie si l’entièreté du peuple n’est pas associée aux choix.]
[ÉC (18) : Tu trouves que tu respectes ma pensée sans la déformer, là ?
À Athènes, « l’entièreté du peuple était associée aux choix », précisément, rigoureusement, incontestablement. Le peuple de l’époque, évidemment (quel autre autrement ?).
Il est absurde, proprement absurde, de faire reproche aux hommes d’il y a 2 500 ans de ne pas respecter des valeurs d’aujourd’hui. C’est un exemple académique d’anachronisme. Certes, les Athéniens ne définissaient pas le peuple comme nous le définirions aujourd’hui. Tout le monde le sait. La belle affaire ! Qui dit le contraire ? Ce n’est simplement pas le sujet.
Dire que le régime athénien était une oligarchie est UN CONTRESENS HISTORIQUE, une belle erreur (un anachronisme) ou un beau mensonge, selon qu’on soit de bonne ou de mauvaise foi. Pour ce qui te concerne, je suis sûr que ce n’est qu’une erreur.
J’explique toujours longuement que ce qui est intéressant pour nous aujourd’hui dans l’organisation de l’Athènes antique, c’est la façon dont les pauvres ont réussi à diriger sans les riches pendant 200 ans.
Est-ce que tu peux entendre ça ?
J’insiste : tout réduit qu’il était, le peuple athénien se composait de riches et de pauvres, avec beaucoup plus de pauvres que de riches, comme toujours.
C’est ça qui me semble intéressant et réutilisable, évidemment. Pas la misogynie ou l’esclavagisme, pour qui me prends-tu ?
Laisser penser que je défends l’aspect esclavagiste, ou phallocrate ou xénophobe du régime d’Athènes est une insulte inutile, en plus d’être une idiotie (personne ne défend aujourd’hui ces traits détestables de l’antiquité, personne) : il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles : non, je ne suis pas un défenseur de l’oligarchie ; non, je ne suis pas en train de devenir un fasciste…
J’explique aussi que la composition du peuple à l’époque était ce qu’elle pouvait être à l’époque et que c’est un autre sujet, qu’il faut étudier tout ça avec du discernement, sans tout amalgamer.
J’explique aussi que les élus d’aujourd’hui, menacés de chômage par l’idée du tirage au sort, ont un puissant intérêt personnel à discréditer l’exemple athénien, et que l’amalgame est leur arme préférée pour obtenir ce discrédit à bon compte : « Athènes pratiquait l’esclavage, écartait les femmes du pouvoir et refusait la capacité politique aux étrangers… Vous n’allez pas défendre un régime esclavagiste, phallocrate et xénophobe, quand même… Allez, circulez, il n’y a rien à voir… », nous suggèrent astucieusement les oligarques modernes.
Je m’étonne que tu fasses comme eux.
Pourtant, je sais que tu as du discernement et que la protection des pauvres contre les riches est ton but sincère.
Alors ?
Que dis-tu de cette observation — très intéressante, selon moi, pour une gauche digne de ce nom — selon laquelle, pendant 200 ans de démocratie (authentique), les riches n’ont jamais gouverné et les pauvres toujours (au sein du peuple de l’époque, évidemment), alors que, pendant 200 ans de gouvernement représentatif, les riches ont toujours gouverné et les pauvres jamais (toujours au sein du peuple de l’époque, évidemment) ?
Ça ne t’intéresse pas, cette observation ?
N’est-elle pas pertinente, dans le contexte actuel d’arrogance extrême des ultra-riches ayant littéralement acheté tous les acteurs politiques en les faisant élire et réélire ?
Cette observation de fait est-elle fausse ?
Ne pourrait-elle pas nous inspirer quelques réformes, ORIGINALES pour une fois ? ÉC.]
[RMJ : Je vais sans doute irriter quelques-uns, mais, pour définir le peuple, je ne peux davantage me contenter de la formule issue de 1789, « le peuple, c’est la nation rassemblée », car l’idée de nation liée à celle de nationalité (on parlait autrefois de « nationaux ») exclut ceux qui ne sont pas titulaires de celle-ci. Je vais tenter une définition : le peuple, c’est l’ensemble des habitants d’un espace donné. De telle sorte qu’à mes yeux, il y a un peuple au niveau de chaque entité : le village ou le quartier, la ville, le département, la région, l’Etat, l’Europe. Ce peuple est souverain et il doit pouvoir exercer sa souveraineté à chacun des niveaux où il manifeste son existence.]
[ÉC (19) : Elle me va bien, ta définition : le peuple pourrait très bien être constitué des HABITANTS du moment. Admettons.
Je ne suis pas sûr que nous soyons une large majorité à la soutenir, mais on s’en fiche, car notre problème essentiel est ailleurs : comment les pauvres vont-ils se protéger des abus de pouvoir des riches, au sein du peuple en question ? Voilà la question à mon sens la plus importante, l’enjeu même (la raison d’être) de la démocratie. ÉC.]
[RMJ :
3. Ceci entendu, demeure la question : le peuple peut-il exercer directement les choix qu’appelle la prise en charge des affaires de la collectivité ? Il ne fait aucun doute que la démocratie directe peut s’exercer à des niveaux comme celui du village, du quartier, d’un très grand nombre de villes et même des départements, s’il s’agit de procéder à des choix et même, selon certaines modalités, de contrôler leur mise en œuvre. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il faut combattre toute fusion des entités communales et des départements qui rendrait cet exercice moins aisé. ]
[ÉC (20) : Bon, alors ça, c’est dit, et c’est très important.
Je répète ce que tu viens de dire pour le marteler un peu : « il ne fait aucun doute que la démocratie directe peut s’exercer à des niveaux comme celui du village, du quartier, d’un très grand nombre de villes et même des départements, s’il s’agit de procéder à des choix et même, selon certaines modalités, de contrôler leur mise en œuvre. » Signé : Raoul Marc Jennar.
Là, on est à nouveau côte à côte, non ? ÉC.]
[RMJ : Mais qu’en est-il des régions, des grandes entités urbaines, de l’État et à fortiori de l’Europe pour les matières qui sont de leur ressort ? ]
[ÉC (21) : Et bien parlons-en, naturellement : je défends pour l’instant (parce que je lis Proudhon, Rousseau et les institutions suisses) l’idée de fédération de communes, avec une vigilance particulière des communes pour faire respecter le principe de subsidiarité (ne déléguer que le strict nécessaire et jamais davantage).
Qu’en penses-tu ? Ce serait les Assemblées populaires locales qui désigneraient et contrôleraient (comme bon leur semble) leurs délégués à la Chambre fédérale.
Ce n’est pas un projet d’extrême droite, ça, n’est-ce pas ? ÉC.]
[RMJ : Et qu’en est-il pour le choix des participants à une assemblée constituante nationale ou européenne ? Comment choisir ceux qui vont choisir ? ]
[ÉC (22) : Alors là, nous en avons déjà beaucoup parlé ensemble, tous les deux, et il me semble que tu étais gagné à mon idée centrale que « ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir ».
Bon, mais il faut en tirer les conséquences logiques : si on accepte que (les professionnels de la politique que sont) les partis nous imposent leurs candidats à une élection de l’Assemblée constituante, tout est perdu : n’ayant rien changé aux causes de notre impuissance, nous en verrons perdurer les conséquences néfastes.
Qu’en penses-tu ? ÉC.]
[RMJ :
Parce que ne nous voilons pas la face : en dehors du référendum assorti des conditions indiquées dans ma présentation, la démocratie directe n’est pas praticable à ces niveaux-là. L’agora, le peuple délibérant, à ces niveaux, c’est une vue de l’esprit. Pour reprendre la citation que fait Etienne Chouard de Robespierre : « La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire et par des délégués tout ce qu’il ne peut faire par lui-même. » Nous y sommes.]
[ÉC (23) : Admettons.
Mais sommes-nous forcés d’accepter le niveau continental de l’agrégation politique s’il nous fait forcément perdre la possibilité d’une vraie démocratie ? il me semble que non.
C’est pourquoi, d’ailleurs, je pense aujourd’hui qu’il faut sortir d’urgence de l’Union européenne, qui est un piège politique majeur voulu et imposé par les entreprises multinationales contre les républiques et contre les peuples (c’est toi-même qui me l’a, brillamment, fait réaliser en 2004 😉 ) ÉC.]
[RMJ :
4. Nous voici donc arrivés au cœur de notre débat : faut-il, comme le proposent les partisans du tirage au sort, abandonner le suffrage universel ?]
[ÉC (24) : Hé ! Pour ma part, je ne propose PAS DU TOUT d’ »abandonner le suffrage universel » : je propose de REMPLACER LE FAUX SUFFRAGE UNIVERSEL (qui mutile ma condition de citoyen (acteur) en me réduisant au rang dégradant d’électeur (spectateur), à qui les élus ne laissent que le droit de choisir un maître, qui plus est parmi des individus que je ne peux même pas choisir librement), PAR UN VRAI SUFFRAGE UNIVERSEL, le seul qui vaille selon moi : un homme = une voix, DIRECTEMENT, à l’Assemblée communale.
Quand tu dis que je prône « l’abandon du suffrage universel », tu ne respectes pas ma pensée (comme tu l’avais promis plus haut) : tu la déformes. Alors, évidemment, c’est plus facile à contredire, mais l’échange ne peut pas avoir lieu sur une telle base.
En fait, tu n’as pas critiqué ma pensée mais une autre, inventée de toute pièce. On n’a donc pas encore commencé à communiquer (sur ce point).
J’aimerais savoir comment tu analyses ma distinction entre le faux suffrage universel imposé par le gouvernement représentatif et le vrai suffrage universel garanti par la démocratie (la vraie). ÉC.]
[RMJ :
À lire certains, rien, jamais rien n’aurait été acquis par le suffrage universel. Impossible d’accepter une telle outrance. ]
[ÉC (25) : le mot « outrance » est malveillant.
Pour désigner la même pensée avec bienveillance, on dirait qu’elle est « radicale ».
Je te rappelle que tu as écrit toi-même plusieurs livres AU VITRIOL contre les crapules qui nous gouvernent et qui nous mentent effrontément tous les jours. Je te rappelle que pour la droite, pour les élus que tu conchies (brillamment, et que grâce te soit rendue), pour ces gens-là, tu es totalement dans « l’outrance »… Alors que, de mon point de vue, tu n’es évidemment pas dans l’outrance, mais dans la radicalité, ce qui est une appréciation positive de la même réalité (une profonde révolte).
Alors qu’est-ce qui te conduit, toi Raoul, à me reprocher mon « outrance » ? Est-ce parce que j’ose questionner-contester la vache sacrée du (prétendu) « suffrage universel », pierre angulaire du gouvernement représentatif, conçu lui-même dès le départ —et entretenu par la suite— par les individus les plus antidémocrates qui soient ?
Dis, tu ne la surjoues pas un peu, ton indignation ? Tu sais bien qui je suis, quand même : on a passé des heures et des heures ensemble, des moments fraternels… Tu sais bien que je cherche exactement la même chose que toi : la justice sociale, la vraie, les riches arraisonnés, enfin !
Alors pourquoi monter en épingle un raccourci simplificateur, certes inexact scientifiquement mais tellement plus clair pour mettre en valeur l’essentiel sans les détails ? Tout le monde fait ça : ce type d’exagération raisonnable permet de faire comprendre, lors de controverses ardentes, ce qui ne se voit pas d’ordinaire. N’importe quel graphique gomme les détails, masque les décimales (et devient ipso facto faux, effectivement et volontairement) pour METTRE EN VALEUR L’ESSENTIEL, MONTRER LES ORDRES DE GRANDEUR. Et l’essentiel du gouvernement représentatif, c’est l’abus de droit des élus à l’encontre du peuple qu’ils sont censés représenter. Nier cela en insistant sur le dévouement réel de quelques saints marginaux, c’est indigne d’un résistant, bon sang ! C’est nous faire prendre des vessies pour des lanternes. ÉC.]
[RMJ : Il y a dans l’argumentaire développé contre le suffrage universel des raccourcis et des accommodements avec l’histoire que la rigueur historique commande de rectifier. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La liste est heureusement fort longue des progrès démocratiques et sociaux nés du suffrage universel. Des progrès qui furent plus facile à gagner lorsqu’un puissant mouvement social accompagnait la démarche électorale, ce n’est pas contestable. ]
[ÉC (26) : Il n’y a aucun « argumentaire développé contre le suffrage universel » : c’est le gouvernement représentatif qui est en procès. Comprends-tu la différence ?
Et c’est très important, cette précision que tu apportes : c’est BEAUCOUP PLUS la pression populaire que l’élection qui emporte les réformes sociales. Ne pas faire crédit au gouvernement représentatif de ce qu’il ne mérite pas. ÉC.]
[RMJ : Et point n’est besoin de me rappeler que lorsque les démocrates ne défendent plus la démocratie et se divisent, lorsque la gauche ne défend plus les classes populaires, le suffrage universel amène Hitler ou Le Pen. ]
[ÉC (27) : Attends : tu dis qu’il n’est pas besoin de te le rappeler, mais tu n’en tires apparemment pas les conséquences adaptées… on a donc envie de te le rappeler quand même : partout sur terre et la plupart du temps (oui, je connais les exceptions ; mais la plupart du temps), le gouvernement représentatif conduit (encore aujourd’hui) les pires crapules au pouvoir sans aucune possibilité de résister autre que la violence de rue, et on devrait passer à un autre sujet ?
Pourquoi devrait-on éviter de le rappeler, puisque c’est précisément le cœur du problème des peuples, partout sur terre ? ÉC.]
[RMJ : Mais laisser entendre qu’il n’y a jamais eu, dans les assemblées élues, des décisions amenant des progrès dans les règles du droit pénal, du droit civil, du droit social, du droit du travail, faire croire que le suffrage universel n’a jamais débouché sur des améliorations sensibles de la condition humaine, c’est tout simplement faux. ]
[ÉC (28) : Bien sûr, bien sûr… Mais si tu tires UN BILAN, sans attacher d’importance exagérée aux succès isolés, tu obtiens… le capitalisme… carrément. Car LE CAPITALISME, POUR NAÎTRE MAIS AUSSI POUR SURVIVRE, A BESOIN DE CONTRÔLER LA PRODUCTION DU DROIT INJUSTE QUI LE REND POSSIBLE ; et le gouvernement représentatif donne précisément aux plus riches la maîtrise de plus en plus parfaite de l’outil de production du droit : parlement, gouvernement, juges, médias, banques…
Beau résultat en vérité…
Ça autorise à être très sévère, je trouve.
Cette thèse est radicale, c’est vrai.
« Outrancière » ? Ça dépend du point de vue où l’on se place : celui de l’élu ou celui de l’électeur.
Mais en tout état de cause, cette thèse devrait intéresser la gauche (la vraie), je trouve. ÉC.]
[RMJ : Qu’on se souvienne, à titre d’exemples relativement récents, de toutes les lois inspirées du programme du Conseil National de la Résistance, de la loi Veil de 1975 et de toutes les lois adoptées en 1981–1982, en ce compris la loi Badinter abolissant la peine de mort. Même si, depuis un quart de siècle, le suffrage universel a donné le pouvoir aux néolibéraux de gauche et de droite, ce n’est pas le suffrage universel qui est en cause, c’est l’usage qu’en font les citoyens. Je mets en garde : on ne peut pas, quand on se réclame de la démocratie, utiliser les arguments des pires ennemis de la démocratie. Tous les manquements des parlementaires, et je conviens qu’ils furent nombreux, ne peuvent effacer le travail sérieux qui a été réalisé.]
[ÉC (29) : Tu me dis : « on ne peut pas utiliser les arguments des pires ennemis de la démocratie. »
Tu ne dis pas précisément de qui tu parles en évoquant « les pires ennemis de la démocratie », mais je suppose que tu ne parles pas des élus prétendument républicains et factuellement antidémocrates endurcis : je suppose que tu parles des ligues d’extrême droite des années trente, comme tu me l’as suggéré ailleurs, dans d’autres récents messages.
Bon, il faut que nous ayons un échange sur ce point central : pas plus que toi, je ne veux être assimilé aux pires ennemis de la démocratie sous prétexte que certaines de mes analyses convergent avec les leurs.
Je te rappelle que tu as toi-même écrit un brûlot intitulé « Europe, la trahison des élites », reprenant ainsi le vocabulaire outrancier le plus classique de l’extrême droite la plus antisystème… Ce pamphlet brillant dénonce avec vigueur les innombrables turpitudes de nos élus ; ce livre important suscite une révolte profonde, un dégoût général pour ces prétendus représentants qui nous trahissent à tout propos au dernier degré. Tes ennemis, ceux dont tu dénonces précisément le détail des crapuleries, condamnent ton « outrance », mais tes amis savent bien que ce n’est que de la radicalité, une légitime révolte contre l’injustice.
Viendrait-il à l’idée de quiconque de prétendre que Raoul Marc Jennar utilise « les arguments des pires ennemis de la démocratie » en faisant ainsi globalement le procès de toute une catégorie (« les élites ») ? Évidemment pas !
Et bien, c’est ce procès injuste que tu me fais-là, Raoul : il ne faut pas confondre L’ANALYSE DES FAITS (constatables par tous, de gauche à droite, objectivement) et LE PROJET. Les faits critiqués dans la société peuvent être exactement les mêmes à gauche et à droite, et pourtant les projets peuvent être fondamentalement différents.
• L’extrême droite (si j’ai bien compris) rêve d’un Chef, d’un Sauveur, d’un Führer, d’un Duce, d’un Roi (d’un Dieu-sur-terre), qui va prendre le contrôle de l’État (et du monopole de la force qui va avec) pour imposer l’obéissance aux travailleurs et détruire toute trace de communisme…
• Moi, je défends une société sans chef, ou tout au moins une société dont tous les chefs seraient jour et nuit sous le contrôle permanent des citoyens, et où les pouvoirs, y compris les pouvoirs monétaires et médiatiques, seraient durablement et réellement aux mains du plus grand nombre, c’est-à-dire des non-ultra-riches…
Il est facile de voir que ces PROJETS n’ont rigoureusement rien à voir, et il est facile de comprendre que c’est UNE INSULTE ABSURDE que de suggérer le contraire. Ça me blesse inutilement. Alors, bien sûr, je peux mettre ça sur le compte d’un malentendu, et on peut passer à autre chose, mais il ne faudrait pas que ces calomnies débiles deviennent une rengaine mécanique.
Il faut arrêter de rapprocher les démocrates radicaux de l’extrême droite sous prétexte que certains à l’extrême droite se sont mis à défendre, eux aussi, la démocratie directe : c’est idiot.
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1) À ce propos important, je livre à ton analyse le dernier papier de Serge Alimi dans le Diplo de juin 2011, qui semble avoir été écrit pour toi (et pour André Bellon) :
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Un raisonnement de fou
« Quiconque vilipende les privilèges de l’oligarchie, la vénalité croissante des classes dirigeantes, les cadeaux faits aux banques, le libre-échange, le laminage des salaires au prétexte de la concurrence internationale se voit taxer de « populisme ». Il fait, ajoute-t-on, « le jeu de l’extrême droite ».
(…)
Protéger les « élites » et leurs politiques face à une foule de gueux en colère est ainsi devenu une forme d’hygiène démocratique… (…) La même mécanique mentale pourrait permettre qu’au nom de la peur (légitime) du Front national toutes les politiques auxquelles celui-ci s’oppose deviennent ipso facto sacralisées afin d’éviter « un nouveau 21 avril ». Le peuple se rebiffe contre un jeu politique verrouillé ? On lui réplique que les protestataires sont des fascistes qui s’ignorent.
Laisser s’installer une telle camisole de force intellectuelle constituerait une folie politique. Car l’extrême droite française (…) n’hésite donc plus à récupérer des thèmes historiquement associés à la gauche. (…)
La responsabilité de cette captation d’héritage n’incombe pas seulement à la gauche institutionnelle, embourgeoisée et acquise à la mondialisation libérale. La faiblesse stratégique de la « gauche de gauche », son incapacité à unir les chapelles qui la composent jouent aussi un rôle dans cet engrenage.
Combattre l’extrême droite, ce n’est assurément pas prendre le contre-pied des thèmes progressistes que celle-ci récupère (et dévoie), mais offrir un débouché politique à une population légitimement exaspérée. »
Serge Halimi.
Source : http://www.monde-diplomatique.fr/2011/06/HALIMI/20653
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2) Je te soumets également ce bon texte de notre ami commun, Frédéric Lordon, qui va dans le même sens : il faut arrêter de nous couper bras et jambes pour « ne ressembler en rien à l’extrême droite », car c’est idiot :
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Dépolluer du FN
« Du problème en question, il est sans doute utile de commencer par déblayer la situation politique – entendre la dépolluer du Front national. Car l’on sent bien que la fortune de l’extrême droite qui capitalise sur ce thème n’entre pas pour rien dans les inquiétudes des signataires. Mais, par une contradiction performative fatale, faire sans cesse référence au FN à propos de tout débat est à coup sûr le meilleur moyen de l’installer dans la position de centralité dont par ailleurs on voudrait l’écarter. Il ne faut se faire aucune illusion, spécialement quand la nouvelle dirigeante du FN s’avère plus futée que son prédécesseur, et démontre déjà assez son talent de récupération : le FN mangera à tous les râteliers, captera tout ce qu’il peut capter, si bien qu’installer le mythe de l’anti-Midas – « le FN transforme en plomb tout ce qu’il touche » – est le plus sûr moyen de contribuer soi-même à la dégradation de ses propres débats. On n’abandonnera donc pas le débat de la démondialisation sous prétexte que le FN qui a senti la bonne affaire s’y vautre avec délice !
Avant de déserter le terrain, on pourrait en effet au moins avoir le réflexe d’objecter que nul ne s’inquiétait dans les années 1980–1990 que le FN campe sur les idées économiques libérales du RPR-UDF, et nul n’allait soumettre la droite dite « républicaine » à la question de cette embarrassante proximité. Curieusement les proximités ne deviennent embarrassantes que lorsqu’il est question d’en finir avec la finance libéralisée et le libre-échange – et les signataires d’Attac devraient « s’inquiéter » d’avoir ici beaucoup concédé aux schèmes réflexes de l’éditorialisme libéral. Ils pourraient également suggérer qu’on renverse l’ordre de la question, et que « l’éditorialisme » se préoccupe d’aller interroger sérieusement le FN sur ses virages doctrinaux à 180° et sur sa propension récente à aller piller (et déformer) des idées de gauche critique – paradoxe tout de même étonnant si l’on y pense, mais qui semble faire si peu problème que tout le monde se précipite plutôt pour demander à la gauche critique comment elle peut vivre dans pareil voisinage… Moyennant quoi, à force d’envahissements par l’extrême droite, qui ne manque pas de s’en donner à cœur joie avec au surplus le plaisir complémentaire de créer la confusion, et le plaisir supplémentaire de le faire avec la complicité active des victimes de la confusion, il ne restera bientôt plus grand-chose en propre à la gauche en matière économique s’il lui faut abandonner dans l’instant tout ce que l’anti-Midas aura touché. Car il ne faut pas s’y tromper : l’anti-Midas a la paluche aux aguets et il va en toucher autant qu’il pourra. On pourrait donc, par un préalable de bonne méthode, décider d’ignorer les gesticulations récupératrices du FN, de cesser d’en faire l’arbitre intempestif et pollueur de nos débats, et de continuer de discuter des sujets QUI NOUS INTÉRESSENT. »
Frédéric Lordon.
Source : http://blog.mondediplo.net/2011–06-13-Qui-a-peur-de-la-demondialisation
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Quand je lis ces deux papiers, il me semble qu’ils répondent bien aux objections que j’ai lues sous ta plume, sous celle d’André (Bellon) ou sous celle du « Canard républicain », accusations (vexantes) de proximité avec les critiques antisystème des ligues d’extrême droite des années trente. Je trouve ce reproche extravagant (à mon endroit), et je trouve du renfort conceptuel chez Alimi et chez Lordon. Tant mieux.
Mais, est-ce que vous saurez entendre cet appel ? Je ne sais pas. ÉC.]
[RMJ :
« L’élection ne porte pas au pouvoir les meilleurs, mais très souvent les pires (du point de vue du peuple) » ai-je lu dans un commentaire. Encore un propos qui rappelle le « tous pourris » des années trente et du FN. C’est faux, c’est injuste et c’est intolérable. J’ai travaillé comme conseiller pendant 8 ans au sein d’un parlement, une assemblée élue au scrutin proportionnel, je dois l’indiquer. J’y ai vu quoi ? Des porte-parole du patronat et des porte-parole des syndicats, des affairistes douteux et des législateurs rigoureux, des consciences libres y compris à l’égard de leur propre parti et des godillots, des idéalistes porteurs de projets et des conservateurs attachés au statuquo. Bref, j’ai vu une société en réduction, une représentation assez honnête du pays réel. Incontestablement, dans une assemblée élue au scrutin majoritaire, la distorsion entre pays légal et pays réel est beaucoup plus grande. Mais je connais assez l’Assemblée nationale française pour savoir que même si des sensibilités sont absentes de l’hémicycle ou insuffisamment représentées, il y a aussi des gens biens et d’autres qui le sont infiniment moins, à gauche, au centre et à droite.]
[ÉC (30) : Es-tu capable d’entendre si on te signale un décalage, un considérable décalage entre tes perceptions et celles des citoyens (non élus) ?
Une exception ne fait pas une règle, un député honnête et travailleur ne fait pas une assemblée représentative.
Tu sembles nier l’évidence : tu minimises les catastrophes politiques (que tu dénonces pourtant si violemment par ailleurs : ce sont bien des élus qui nous imposent l’AGCS, directement ou indirectement, n’est-ce pas ?), et tu montes en épingle les (incontestables mais dérisoires) succès de traitreuses institutions.
Tu es quelque peu contradictoire : tu tentes ici, avec des accents de sévérité outragée, d’éteindre des incendies que tu as toi-même allumés en hurlant ta rage (dans tes livres formidables) devant les honteuses trahisons répétées des prétendues élites.
Plus personne ne se contente de quelques témoignages de dévouement (incontestable et admirable) d’élus pour défendre un système aussi oppressif, politiquement, globalement.
Et cette référence lancinante aux années trente et au FN auxquels l’interlocuteur (en l’occurrence, moi) est renvoyé… C’est lamentable : c’est une insulte, Raoul, t’en rends-tu compte ? Tu t’étais toi-même drapé au début de ce billet dans un habit de vertu en soulignant que (sic) « Le procédé qui consiste à caricaturer voire à discréditer une personne parce qu’on manque d’arguments pour contrer ses idées m’est odieux (resic). Il disqualifie du débat celui qui l’utilise. (resic)».
Alors quand on proteste que nos élus semblent bel et bien tous pourris (à quelques exceptions insignifiantes près), on est ipso facto d’extrême droite ? Mais qu’est-ce que c’est que cette calomnie, qu’est-ce que c’est que cette intimidation ? Quelle est cette façon d’insulter les gens ?
À ce rythme et avec ces méthodes, la France entière (70% des gens n’ont plus confiance en leurs politiciens) sera « fasciste » ? C’est ridicule : ça banalise le mot : à force de traiter n’importe qui de fasciste, même les plus à gauche, tout le monde va s’en foutre : traitez-moi donc de fasciste ; puisque vous traitez tout le monde de la sorte, c’est que ce ne doit pas être bien grave… Surtout si « fasciste » signifie « partisan de la démocratie directe et opposant à toute forme de représentation hors contrôle », tout le monde va bientôt vouloir être « fasciste »… Beau résultat. Où est l’outrance, finalement ?
Il faudrait que tu fasses un effort pour te mettre à la place de celui dont tu rapproches les propos de ceux des fascistes : aimerais-tu être ainsi traité ?
Je pense que non.
Il me semble même que, à raison, tu serais furibard.
Bon, certes, j’ai désormais le cuir plus épais qu’en 2005 et on m’a déjà traité de nombreuses fois de communiste, d’anarchiste, de fasciste, n’importe quoi en fait ; on m’a même suspecté d’être un « sous-marin trotskyste »… c’est marrant. J’en ai vu, depuis 2005, et ma cuirasse s’endurcit :
BIEN FAIRE ET LAISSER BRAIRE, c’est l’une de mes devises.
Mais c’est de la part d’un ami que, un peu comme Halimi et Lordon, je trouve l’attaque saumâtre.
Enfin, j’espère que tout ça finira par se régler. ÉC.]
[RMJ :
5. Je lis qu’on peut se passer des partis politiques. Le droit de s’associer est un droit fondamental. S’associer pour défendre un projet de société ne peut être contesté. Les partis politiques sont des associations dont l’objet social est de promouvoir un projet de société, quel qu’il soit.]
[ÉC (31) : Il faut absolument que tu lises ce texte important de Simone Weil :
NOTE SUR LA SUPPRESSION GÉNÉRALE DES PARTIS POLITIQUES
Tout y est très bien analysé.
Pour moi, les partis sont un mal nécessaire pour seulement gagner les élections.
on n’a pas besoin de partis pour faire de la politique, au contraire : les partis, simplement parce qu’ils existent, en accaparant tous les pouvoirs, privent tout le monde de la possibilité d’une activité politique LIBRE : en régime de partis, l’embrigadement est forcé, il faut choisir un CAMP, et c’est la guerre politique assurée, forcée.
À Athènes, qui est sans doute le lieu où les humains ont exercé quotidiennement l’activité politique la plus intense, la plus longue et la plus généralisée de toute l’Histoire des Hommes, il n’y avait pas de partis politique : on n’en avait pas besoin puisqu’il n’y avait pas d’élections à gagner. D’ailleurs, ils y étaient carrément interdits, parce qu’ils étaient mécaniquement sources de discorde.
Il faut lire le texte de Simone Weil, c’est un texte admirable.
La mythologie des partis-utiles-et-indispensables-à-la-politique, c’est du baratin d’élu cherchant à se faire élire. Ça ne m’inspire aucune confiance : je ne veux pas appartenir à une armée, ni militaire ni politique, je veux rester libre, solidaire bien sûr mais libre ; je refuse la police de la pensée qui règne dans les partis, cette injonction à suivre « la ligne du parti », cette intimidation qui pousse à être ami ou ennemi, en bloc, cette interdiction lamentable de ne surtout pas lire, apprécier ou relayer même une ligne de pensée des camps désignés comme « ennemis » par les chefs adverses, sous peine d’excommunication, c’est à pleurer de bêtise : quasiment tous les autres partis sont forcément, par construction, les ennemis du parti auquel on appartient… C’est débile, c’est une insulte à l’intelligence libre qui bouillonne dans la tête de chaque humain.
Et je ne confonds pas du tout la très précieuse liberté d’association avec le lobbying que constitue un parti politique, lobbying communautariste qui sert à prendre le pouvoir (et le prendre aux autres, forcément).
Je ne confonds pas ; je distingue. ÉC.]
[RMJ :
Je suis de ceux qui pensent qu’un débat sur la manière dont fonctionnent les partis politiques s’impose. Je me suis fait agresser pour défendre cette thèse. Et pourtant ! Dans la période historique qui est la nôtre, les partis politiques, dans la forme qu’on leur connaît aujourd’hui, ont été conçus au XIXe siècle. À une époque où le niveau général d’éducation était faible, à une époque où n’existait pas le suffrage universel. Manifestement, ils en portent encore la trace aujourd’hui quand on voit le corporatisme et l’élitisme qu’ils véhiculent. Ils ont été conçus sur le modèle dominant issu de la période napoléonienne qui a marqué et qui marque encore nos institutions : le modèle militaire, pyramidal où le commandement – pardon, la décision – procède de l’état-major – pardon, du bureau politique.
Aujourd’hui, avec un niveau général d’éducation très élevé (moi qui ai animé 136 réunions publiques des plus modestes aux plus nombreuses, je peux porter témoignage que le débat de 2005 a bien montré que le peuple est capable de s’approprier les termes et la complexité d’un traité et je me refuse à le ramener au niveau CE1, comme je l’ai lu dans un commentaire), avec le suffrage universel, avec une aspiration croissante à la participation aux décisions (même si l’inclination à la servitude volontaire est loin d’avoir disparu), une réforme des partis politiques s’impose.
Certes, les partis politiques sont ce qu’en font leurs membres. Qui sont des citoyens à part entière. Si par connivence ou par lâcheté, ils acceptent en leur sein des pratiques contraires à la morale et au droit, c’est qu’ils placent plus haut les intérêts dont leur parti est porteur. Mais les partis politiques en tant qu’acteurs du système représentatif sont aidés dans leur tâche par de l’argent public. Il conviendrait dés lors qu’ils soient soumis à des contraintes constitutionnelles de démocratie active et de transparence financière.]
[ÉC (32) : À mon avis, il n’y a pas de bons et de mauvais partis : tous les partis conduisent mécaniquement au CULTE DU CHEF et à LA MISE SOUS TUTELLE POLITIQUE DES NON-CHEFS, et c’est une catastrophe politique pour tout le monde.
Lire à ce sujet le passionnant livre de Robert Michels, « Les Partis Politiques. Essais sur les tendances oligarchiques des démocraties » (1911) :
MAIS, comme je le dis dans mon commentaire du billet ci-dessus, cette dérive oligarchique n’est implacable qu’en régime de gouvernement représentatif (elle ne s’impose que dans un contexte d’élections généralisées et donc forcées) : tous ces travers seraient beaucoup moins encouragés dans une authentique démocratie, à mon avis.]
[RMJ :
6. « Le peuple n’a pas besoin d’élus », ai-je pu lire. Pour les remplacer, tantôt on propose que des « honnêtes gens » choisis au hasard des affinités personnelles, ]
[ÉC (33) : Que veux-tu dire ? Ce sont ces mêmes affinités personnelles qui servent à élire quelqu’un… Oui, et alors ? Faut-il traiter différemment les « choix au hasard des affinités personnelles » qui seraient légitimes pour élire un candidat désigné et imposé par un parti (ça, ce serait bien), mais qui seraient différents des « choix au hasard des affinités personnelles » pas légitimes pour choisir un autres candidat (ça, ce serait mal) ? ÉC.]
[RMJ : …des relations et du voisinage, constituent un électorat au sein duquel seraient tirés au sort ceux qui auraient à siéger dans une assemblée constituante ou législative. Tantôt, on propose le tirage au sort parmi les personnes inscrites sur les listes électorales. Convenons que la formule du recours aux « honnêtes gens » ne fournit pas un critère conforme à l’idée qu’on se fait de la citoyenneté. ]
[ÉC (34) : Ah bon ? Pourquoi ? Préfères-tu qu’on prenne le critère « crapule confirmée » à la place d’ »honnête gens » ? Quelle drôle de remarque… ÉC.]
[RMJ : Qui décide qui appartient à cette catégorie ? ]
[ÉC (35) : Et bien les citoyens, individuellement, librement… Où est le problème ? Tu as peur que la désignation des « valeureux » éligibles échappe à la « compétence » des « experts » professionnels de la politique ?
Dis : ne défendais-tu pas le suffrage universel, il y a un instant à peine ? Et c’est pour finalement douter de la compétence universelle qu’aurait chacun pour choisir librement de « valeureux » représentants ?
On dirait que le « suffrage universel » que tu défends comme une conquête sacrée n’a ton soutien que s’il est parfaitement enfermé, corseté, dans les rets des professionnels de la politique. ÉC.]
[RMJ : Et puis, c’est qui ces « honnêtes gens » ? Ceux qui haïssaient hier les Juifs et aujourd’hui les Arabes ? Ceux qui sont bien blancs, bien chrétiens, bien coiffés et bien habillés ? Ceux qui votaient Sarkozy hier et une quelconque copie de DSK demain ? On se noie dans la subjectivité. ]
[ÉC (36) : Ah oui ? Parce que les chefs de partis politiques, eux, « ils ne se noient pas dans la subjectivité », peut-être, au moment d’accorder ou pas les investitures, sésame indispensable pour l’élection ? Tu as combien de poids pour deux mesures, là ?
Et puis, on dirait que tu disqualifies le suffrage quand tu fais de mauvais pronostics à leur sujet. C’est bizarre.
On dirait que le premier choix des candidats est absolument stratégique à tes yeux, et qu’il doit échapper aux citoyens eux-mêmes.
Je trouve tes remarques plus étranges les unes que les autres, dans ce passage. ÉC.]
[RMJ : Examinons donc l’hypothèse du tirage au sort au sein des listes électorales.
Il y a, dans le recours au tirage au sort, un double abandon : celui du mandat et celui du contrat. ]
[ÉC (37) : ABSOLUMENT, et c’est même exactement LE BUT : pour instituer une vraie démocratie, il faut abandonner à la fois la renonciation à exercer le pouvoir et le contrat léonin (abusif) qui l’accompagnait.
Mais ce n’est nullement dramatique, puisque C’EST UNE ÉMANCIPATION : le citoyen cesse alors d’être UN MINEUR politique, il devient UN ADULTE acteur et n’a plus besoin de la tutelle de ses élus. ÉC.]
[RMJ : Élire, c’est confier une mission en fonction d’orientations précises. Être élu, c’est passer un contrat moral avec l’électeur. Certes, j’en conviens, j’énonce la théorie telle qu’elle devrait s’appliquer. Et on est loin du compte. ]
[ÉC (38) : Tu me prends les mots de la bouche 😉 ÉC.]
[RMJ : Mais j’ai proposé des solutions dans ma présentation qui me paraissent infiniment meilleures que le saut dans l’inconnu que représente le tirage au sort.]
[ÉC (39) : Tes solutions sont peut-être meilleures, admettons, si elles sont instituées ; mais tu refuses (pour l’instant) de prendre en compte qu’une Assemblée constituante élue parmi les candidats imposés par les partis ne mettra jamais en place ces mesures, à cause de l’intérêt personnel contraire à ces solutions qui conduira fatalement chacun de ses membres.
Tes propositions perdent donc la plus grande partie de leur intérêt pratique — tant qu’on reste sur l’idée d’une Assemblée constituante partisane — puisqu’elles sont ainsi condamnées à rester purement théoriques. ÉC.]
[RMJ :
Comme citoyen, je réclame le droit, pour déléguer la part de souveraineté qui est la mienne, de choisir une personne dont je connais les valeurs, les principes, les orientations politiques. Le tirage au sort me prive de ce droit.]
[ÉC (40) : Et moi, comme citoyen, je réclame le droit à ne pas déléguer ma souveraineté et à l’exercer moi-même, sans être obligé de choisir un maître politique dont rien ne pourra jamais me garantir qu’il respectera l’intérêt général. L’élection de représentants me prive de ma souveraineté.
Chacun son truc. ÉC.]
[RMJ :
On me dit : « les personnes tirées au sort ne vont pas choisir, elles vont seulement administrer, elles vont seulement exécuter ». Mais alors qui va choisir ? ]
[ÉC (41) : L’Assemblée du peuple. Tu trouves ça étonnant, en démocratie ? ÉC.]
[RMJ : Et à quoi servent ceux dont la fonction est d’administrer, c’est-à-dire d’exécuter ? ]
[ÉC (42) : à préparer les décisions de l’Assemblée, à les exécuter, à faire la police, à contrôler tous les organes, à juger, etc. ÉC.]
[RMJ : Et on écrit : « le pouvoir doit rester dans les mains du peuple ». Sans jamais fournir le mode d’emploi. ]
[ÉC (43) : Mais tu as le droit de nous aider à le penser, ce mode d’emploi, au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues au prétexte que tout n’est pas tout cuit prêt à consommer…
Il va falloir la mettre au point, cette démocratie moderne, ensemble, évidement. Et ce n’est pas parce que je n’ai pas de mode d’emploi tout prêt à l’avance que la démocratie véritable n’est pas possible… Non, je ne suis pas un sauveur, pas un prophète, pas un élu, je n’ai pas de projet à la place des autres, je ne me soucie pas de gouverner… 😉
Mais je prétends pourtant que l’idée de bâtir ensemble un projet plus émancipateur que l’actuel régime élitiste n’est pas une utopie : c’est une vraie alternative, sérieuse, dont une vraie gauche, une gauche digne de ce nom, devrait s’emparer avec les citoyens qu’elle prétend défendre. ÉC.]
[RMJ : Va-t-on, chaque semaine, convoquer un référendum ? ]
[ÉC (44) : Et pourquoi pas (les premiers temps) ? Mais ce ne sera pas nécessaire puisque ce seront les Assemblées qui décideront, directement et localement, quotidiennement. ÉC.]
[RMJ : Va-t-on considérer, comme je l’ai lu, que le peuple décideur, ce sont ceux qui viennent à l’Assemblée nationale quand ils le peuvent ? ]
[ÉC (45) : Et alors ? Tout à l’heure, tu faisais mine de dénoncer le professionnalisme en politique. Est-ce pour maintenant railler l’amateurisme, alors qu’on envisage quelques modalités pratiques ? ÉC.]
[RMJ : Il faut tout ignorer des milliers de choix qui affectent l’intérêt général auquel un gouvernement est confronté pour proposer semblables solutions. ]
[ÉC (46) : La complexité du droit moderne est profondément nuisible et n’est pas nécessaire. L’INFLATION LÉGISLATIVE EST UNE PLAIE, UNE SOURCE MAJEURE D’INSÉCURITÉ JURIDIQUE ; ET ELLE EST UNE CONSÉQUENCE DIRECTE DU PROFESSIONNALISME des parlementaires, des avocats, des juges et autres spécialistes du droit.
Cette plaie civile n’est pas nécessaire : des amateurs à tous les niveaux — par force — simplifieraient l’ensemble des règles, pour le plus grand bien de l’intérêt général.
Invoquer la complexité du droit pour nous condamner ad vitam aeternam au joug des spécialistes du droit est une entourloupe qui n’a rien à voir avec l’intérêt général. ÉC.]
[RMJ : Il faut sombrer dans un angélisme consternant pour conférer un souci spontané de l’intérêt général à ceux qui viendraient, quand ils le peuvent, à l’Assemblée nationale. ]
[ÉC (47) : Tu me fais bien rire : de la même manière, il faut sombrer dans un angélisme consternant pour conférer un souci spontané de l’intérêt général à ceux qui sont imposés à l’élection par les chefs des partis politiques…
Tu dénonçais le professionnalisme politique il y a quelques pages. Et te voilà maintenant à le défendre, en moquant les amateurs. Quel est le fond de ta pensée ?
Je signale qu’aux dernières nouvelles, les députés suisses étaient des amateurs, qu’ils gardaient leur métier d’origine et qu’ils étaient payés peu de chose. Ce n’est pas le chaos pour autant.
Et bien oui, en démocrate véritable, je fais mille fois plus confiance au premier venu qu’à un professionnel de la politique pour défendre l’intérêt général ; surtout dans des institutions qui le surveillent comme le lait sur le feu. C’est l’essence même de la démocratie que d’imposer l’amateurisme politique. ÉC.]
[RMJ : Quel serait le résultat des travaux législatifs dans de telles conditions ? ]
[ÉC (48) : Que veux-tu dire ? Le médecin ou le professeur qui viennent d’être élus ont-ils quelque compétence particulière pour écrire les lois ? Mon œil. Il leur faut à tous des scribes pour écrire proprement sous leur contrôle.
Comme le dit Alain, je n’ai pas besoin de savoir faire la cuisine pour demander tel ou tel plat, ni pour apprécier si le plat est bon ou pas : des non spécialistes se débrouilleront très bien pour écrire un droit tout à fait acceptable, accessible au plus grand nombre, simple et lisible de surcroît, pourvu qu’ils aient une idée non corrompue de l’intérêt général, ce qui a bien plus de chances d’advenir avec des amateurs qu’avec des professionnels. ÉC.]
[RMJ : Jusqu’à quelles aberrations le refus de réformer ce qui existe va-t-il conduire ?]
[ÉC (49) : C’est une blague ? Qui refuse de réformer, en l’occurrence ? ÉC.]
[RMJ : Le suffrage universel n’est certainement pas la panacée, mais dûment réformé comme je l’ai suggéré dans ma présentation, il rendra toute sa valeur à la notion de mandat qui est centrale dans l’acte de délégation, une notion absente de la pratique du tirage au sort. Celui-ci, choix aveugle par définition, est la négation même du choix. ]
[ÉC (50) : Exactement, et à dessein ! Conscient que nos choix sont constamment trompés et qu’ils se résument toujours, finalement, à de FAUX CHOIX, nous décidons d’exercer enfin nous-mêmes le pouvoir, et nous cessons de choisir des individus, prenant acte qu’ils finiront toujours par nous trahir.
La démocratie est un régime RÉALISTE, qui prend acte de nos imperfections et de nos conflits, au lieu de les nier.
LE CHOIX de représentants qui seraient meilleurs que nous pour évaluer l’intérêt général EST UN MYTHE. Un mythe fabriqué par de futurs élus à la fin du XVIIIe siècle, et un mythe ensuite entretenu par des générations d’élus et de candidats à l’élection. ÉC.]
[RMJ : On laisse au hasard la sélection de celles et de ceux auxquels on délègue la souveraineté populaire. ]
[ÉC (51) : Non, pas du tout : précisément, on ne délègue plus rien, ou presque.
Ah ! C’est qu’il faut un moment pour la comprendre, la démocratie, tellement elle n’a rien à voir avec le gouvernement représentatif… 😉 ÉC.]
[RMJ : Ici, je veux rencontrer un propos inutilement polémique dans un débat de cette importance : il n’y a aucun mépris à considérer un inconnu pour ce qu’il est : quelqu’un qu’on ne connaît pas, dont on ne sait rien des valeurs et des orientations. Estimer que l’on considère un inconnu comme un « affreux », c’est abaisser le débat à de l’affectif. Il n’a pas sa place ici.]
[ÉC (52) : Attends, attends ! Mais à qui le dis-tu ! Je te rappelle que je considère tout étranger comme un ami que je ne connais pas (pas encore) ; je te rappelle que je fais confiance au premier venu pour écrire une Constitution mille fois meilleure que celle qui sera écrite par des professionnels de la politique ; je te rappelle que c’est toi encore, il y a quelques paragraphes à peine, qui te méfiais des inconnus tirés au sort comme on se méfie du diable noir… Aucun mépris, dis-tu ; peut-être, mais forte crainte de « l’autre » quand même, apparemment.
C’est un malentendu (tu m’as trop vite lu) : je parle d’ »affreux » dans un titre qui résume une peur (peur de nommer un idiot, peur de nommer un salaud… peur de donner le pouvoir à… un « affreux » quoi ; c’est une boutade pour caricaturer un peu notre peur de l’autre), une peur que je rencontre souvent dans la bouche D’AUTRES QUE MOI, d’autres qui, comme toi, ont peur que « l’autre » ne prenne des décisions épouvantables, « l’autre » que beaucoup redoutent découvrir trop tard comme « des affreux », variables selon les camps politiciens : les uns détestent Besancenot et ses affidés, les autres détestent Le Pen et ses affidés (suivez mon regard), etc.
Mais ce n’est pas moi qui désigne des affreux en l’occurrence : je prétends au contraire (et c’est le formidable pari d’une démocratie véritable) que chacun d’entre nous recèle à la fois le pire et le meilleur, et que de bonnes institutions, en nous sollicitant souvent, tout en nous contrôlant souvent, sauront tirer de chacun de nous le meilleur au lieu du pire comme le fait le gouvernement représentatif qui nous entretient tous perpétuellement dans un état passif et végétatif, nous invitant à participer bêtement à des élections factices où sera immanquablement élu le pire menteur, le plus grand voleur, ou le plus redoutable baratineur.
Je dis que de bonnes institutions forment de bons citoyens, et que, inversement, de mauvaises institutions fabriquent de mauvais citoyens. ÉC.]
[RMJ :
Avec le tirage au sort, on prive les citoyens non seulement du droit de choisir en connaissance de cause, mais également du droit de réclamer des comptes puisque, par définition, les inconnus tirés au sort ne se sont engagés à rien. Je trouve paradoxal de présenter comme un progrès démocratique un mode de sélection des représentants du peuple par lequel celui-ci aurait encore moins à dire que dans le système actuel. Le remède proposé est pire que le mal dénoncé.]
[ÉC (53) : Décidément, il y a longtemps que tu n’as pas révisé les institutions démocratiques : contrairement à ce que tu redoutes, des institutions réellement démocratiques comportent forcément, par structure —parce que la philosophie du régime démocratique (le vrai) assume l’imperfection générale des acteurs, et en déduit les conséquences concrètes — DES INSTITUTIONS DE REDDITION DES COMPTES ET DE CONTRÔLES À TOUS LES ÉTAGES.
C’est précisément l’inverse du gouvernement représentatif : tu n’auras jamais eu autant de comptes rendus et de représentants dévoués à l’intérêt général qu’avec ce régime 😉 ÉC.]
[RMJ :
7. S’agissant de choisir les participants à une assemblée constituante, je continue de faire mienne l’excellente formule d’Etienne Chouard : « ce n’est pas aux hommes de pouvoir d’écrire les règles du pouvoir. » ]
[ÉC (54) : Bon, voilà donc une bonne base de travail 😉 ÉC.]
[RMJ : Mais je n’ai jamais adhéré aux conséquences qu’il tire de cette affirmation, à savoir le recours au tirage au sort pour choisir ceux qui vont établir les règles fondamentales. Je lui préfère, et de loin, la formule suivante :
- les candidats à la constituante ne peuvent avoir été élus précédemment à un mandat national, ni avoir exercé une présidence de région ou de conseil général
- les constituants, élus au scrutin proportionnel, ne sont pas rééligibles
- il doit y avoir un processus obligatoire et régulier de consultation de toutes les catégories de citoyens sur les propositions en débat au sein de la constituante
- le peuple doit être consulté par référendum sur le texte retenu au terme des travaux de la constituante.
Ainsi, les dangers que redoute Etienne Chouard (risque de conflit d’intérêts, risque de voir les élus écrire des règles pour eux-mêmes) sont écartés, le peuple est pleinement associé au travail de rédaction de la loi suprême et il en décide en dernier ressort.]
[ÉC (55) : Excuse-moi, mais ce que tu proposes là ne suffit pas du tout :
- C’est bien d’avoir prévu une consultation populaire, pendant le processus ainsi qu’à l’issue du processus ;
- C’est bien d’avoir écarté les anciens élus ;
- C’est bien d’avoir déclaré les constituants inéligibles ;
- Mais en laissant les partis maîtres des investitures, tu laisses le loup dans la bergerie, rien que ça (et permets aux brebis d’être inquiètes !) : si on laisse les partis nous imposer leurs candidats, ce sont à nouveau des hommes de pouvoir qui écriront les règles du pouvoir et on ne sortira pas de notre impuissance chronique face aux élus : les mêmes causes produiront logiquement les mêmes effets.
=> Si tu ne t’en prends pas aux éternelles causes, tu nous condamnes aux éternelles conséquences. ÉC.]
[RMJ :
Quant au contenu souhaitable d’une Constitution nouvelle, je laisse à chacun le soin d’en débattre. Je me contenterai de rappeler que toute Constitution, pour répondre aux attentes communes, doit non seulement prévoir mais garantir une véritable séparation des pouvoirs ainsi que l’autonomie et l’autorité d’institutions comme le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’État, la Cour des Comptes, le Conseil Supérieur de la Magistrature, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, etc.). J’ajoute deux idées qui me sont chères : à tous les niveaux, des assemblées et des exécutifs constitués à la proportionnelle ; à tous les niveaux des instances citoyennes d’interpellation et de proposition où se pratique l’ysegoria (j’apprécie la lucidité du commentaire qui convient que « la capacité d’écouter les uns les autres n’est pas une spécialité française« ).]
[ÉC (56) : tout ça est bel et bon, mais parfaitement théorique si on ne se préoccupe pas sérieusement des conditions de faisabilité de l’écriture de telles règles.
L’important, c’est qui écrit la Constitution ; et pas du tout qui la vote.
PS : accessoirement, tu as oublié de parler des statistiques, des sondages, de la monnaie, du référendum d’initiative populaire (en toutes matières) et du vote préférentiel (droit de barrer des noms ou d’en ajouter d’imprévus dans les listes électorales). ÉC.]
[RMJ :
8. Je rappelle brièvement les trois axes que j’ai proposés pour une réforme du suffrage universel que j’estime indispensable : le passage au mode de scrutin proportionnel avec les mécanismes qui empêchent l’instabilité gouvernementale, l’éradication de toutes les pratiques qui contribuent à transformer le mandat en métier, une réforme des institutions qui supprime le présidentialisme national, régional, départemental et local et favorise la collégialité des choix.
Je voudrais ajouter que j’adhère au principe du vote obligatoire avec prise en compte des votes blancs dans le calcul des résultats. On ne peut pas réclamer la démocratie et s’en abstenir. Mais il faut permettre l’expression de l’insatisfaction face aux choix proposés et sa prise en compte.]
[ÉC (57) : Tout à fait d’accord.
Mais jamais un homme de parti n’écrira lui-même la règle qui permettra au peuple de l’éliminer du jeu politique. Le mépris du vote blanc (vote de protestation explicite, mélangé avec les nuls, même pas décompté !) est un aveu (un de plus) du mépris des élus pour le peuple qu’ils prétendent représenter.
Nous n’avons pas de Constitution, Raoul : c’est une fausse constitution, elle ne nous protège aucunement.
L’explication (et la solution, en creux), c’est qu’il ne fallait pas que ce soit eux qui l’écrivent. ÉC.]
[RMJ :
J’ai participé il y a quelques temps à des débats sur ces questions. Outre les propositions que je reprends à mon compte, j’ai observé de fortes attentes en ce qui concerne le mandat impératif et la révocabilité des élus. Ce sont d’autres pistes qu’il faut explorer, dont il faut analyser les avantages et les inconvénients. Ce sont des pistes que le tirage au sort élimine d’emblée. Il y a incapacité absolue à donner mandat à un inconnu, comme à le révoquer de manière motivée, c’est-à-dire en dehors de pratiques arbitraires.]
[ÉC (58) : Le tirage au sort, loin d’éliminer d’emblée ces pistes, les rend possibles en réalité (pas en mythe). Revois les institutions athéniennes : les représentants tirés au sort rendaient des comptes (la reddition des comptes pouvait durer un an !) et ils étaient révocables (et punissables) à tout moment.
L’incapacité absolue dont tu parles est dans ta tête, pas dans les faits.
Quant à l’arbitraire, toujours haïssable, il est PARTOUT dans le gouvernement représentatif : pour les riches (affaire TAPIE, niches fiscales, non lieu…) ou contre les pauvres (Traité de Lisbonne crachat au visage des électeurs du 29 mai 2005, trompés une fois de plus par le faux suffrage universel).
Alors, en matière d’arbitraire aussi, bien que tout ne sera sûrement pas parfait, évidemment, il sera difficile pour une vraie démocratie de faire pire que le gouvernement représentatif.
Donc, oui : des citoyens de plus en plus nombreux, assez indignés des outrances de la caste politicienne corrompue et gavée de privilèges honteux, voudraient bien essayer la démocratie, la vraie, pour voir.
On peut ?
Ou bien nous faut-il, pour essayer la vraie démocratie, l’autorisation des élus et des candidats ? ÉC.]
[RMJ :
9. Pour terminer, je voudrais aborder une question fondamentale à mes yeux : pourquoi les démocrates ont-ils laissé se dévoyer la démocratie et pourquoi ceux de gauche y ont-ils mis la main eux-mêmes ? La démocratie n’est-elle pas d’abord et avant tout l’espace d’une confrontation, pacifique mais réelle, entre des objectifs et des intérêts contraires ? Il y a une opposition permanente entre ceux qui défendent les intérêts du plus grand nombre et ceux qui défendent ceux d’une minorité, entre ceux qui ne vivent que de leur travail et ceux qui vivent du travail des autres. Cette confrontation n’est ni ancienne, ni moderne. Elle est éternelle.]
[ÉC (59) : Est-ce que tu peux concevoir, ne serait-ce qu’une minute, en essayant quelques instants pour me faire plaisir, est-ce que tu peux concevoir que nous n’avons encore jamais connu de démocratie digne de ce nom ?
Alors, il faudrait reformuler ta question, non ?
Je te laisse faire. ÉC.]
[RMJ :
La démocratie ne décline-t-elle pas dès lors que cette confrontation s’efface au nom d’un consensus invoqué tantôt sous la pression des circonstances, tantôt par abandon et reniement ? Y aurait-il une union des contraires indispensable ? Ainsi, je partage cette idée que l’origine de l’effacement du mouvement socialiste comme mouvement porteur des intérêts du plus grand nombre remonte à 1914, quand, aussi bien en France qu’en Allemagne, refusant de suivre Jean Jaurès et Rosa Luxemburg, les socialistes, Jules Guesde en tête, ont renoncé à l’internationalisme prolétarien et, au nom de « l’union sacrée », ont pactisé avec la bourgeoisie pour entrer dans une guerre qu’elle a voulue. Depuis lors, les reniements ont succédé aux reniements : refus d’appliquer la loi de 1905 en Alsace-Moselle, concessions du cartel des gauches, puis du Front populaire à la banque de France et au Comité des Forges, abandon de la République espagnole, diplomatie de la patience à l’égard d’Hitler, vote par certains à gauche des pleins pouvoirs à Pétain, soutien aux guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, abandon de la souveraineté populaire au profit des oligarchies européennes et internationales (Banque Mondiale, FMI, OMC), abandon du projet de service public unique et laïc de l’éducation, privatisation des services publics, adhésion à la dérégulation financière, à la dictature des marchés et à la concurrence de tous contre tous. Comme je l’écrivais dans ma présentation, lorsqu’il n’y a plus d’alternative, il n’y a plus de démocratie.]
[ÉC (60) : De mon point de vue, le tableau que tu dresses là, d’un siècle de turpitudes de plus en plus graves de la part des élus, montre bien que c’est le gouvernement représentatif qui est le cœur nucléaire du capitalisme et des souffrances populaires les plus enracinées. ÉC.]
[RMJ :
Je me souviens que pendant des années, après 1958, les médias au service de l’oligarchie montraient la France du doigt, comme le pays d’une guerre civile froide et permanente parce qu’il y avait une opposition apparemment radicale entre la gauche dans l’opposition et la droite au pouvoir. Après, ce fut l’argument du déclin parce que des résistances se manifestaient contre le démantèlement des acquis démocratiques et sociaux. Aujourd’hui, le socialisme qui prétend gouverner est un socialisme d’accompagnement du système. Un candidat aux primaires chez les Verts dit qu’il faut « arrêter d’opposer les riches et les pauvres » ; l’éternel discours des possédants ! Ce refus d’un choix clair, d’une vraie alternative, non seulement, ne fait pas rêver, mais pire, il fait fuir. Fuir la démocratie.]
[ÉC (61) : Taratata : ce qu’on fuit, c’est le gouvernement représentatif, pas la démocratie. Tu mélanges tout.
Ce qu’on veut, et qu’on n’a jamais connu, de près ou de loin, c’est la démocratie.
En appelant démocratie son strict contraire, tu nous empêches (involontairement bien sûr) d’identifier notre mal politique, tu nous empêches de formuler des alternatives, du fait de la confusion sur les termes.
Un problème bien formulé est à moitié réglé ; je propose donc de commencer par le commencement et de définir correctement le mot démocratie.
Il faut appeler un chat un chat. ÉC.][RMJ :
Telles sont les réflexions que m’ont inspiré les nombreux commentaires à un papier dont je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il suscite un tel débat.
Bien cordialement,]
[ÉC (62) : Il est parfois rugueux, notre échange, mais je sais que tu es un homme généreux et intelligent : je sais que tu sauras me convaincre patiemment, ou plutôt te ranger à mes arguments, selon le cas, ON VERRA : mais tout ça se fera dans le respect mutuel, j’en suis sûr.
Avec toute mon amitié.
Étienne. ÉC.]
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/tirage_au_sort.php
Source
Voici maintenant mes réponses point par point à la TROISIÈME billet de Raoul (source) :
Bonsoir à tous,
Encore une trentaine d’heures à bosser sur le choix de société essentiel :
« gouvernement représentatif ou démocratie ? Qui peut choisir ? Les élus ? Ou le peuple lui-même ? »Ce commentaire sera lisible sur le blog de Raoul, quand il aura passé le cap de la modération, à cette adresse :
http://www.jennar.fr/?p=1975&cpage=1#comment-3120.Bonne lecture.
Étienne.
Réponse au TROISIÈME article de Raoul Marc Jennar
sur le tirage au sort (23 juillet 2011) : http://www.jennar.fr/?p=2042(Je glisse mes commentaires en bleu dans le texte de Raoul cité en italiques pour mieux comprendre leur contexte.)
[RMJ :
Le tirage au sort, une chimère : réponses ultimes :http://www.jennar.fr/?p=2042Je dispose enfin d’un peu de temps pour fournir mes commentaires aux multiples opinions qui ont suivi mon texte de présentation. Je ne reviendrai pas sur la forme sentencieuse et parfois grossière de certaines réactions. De tels échanges sont cependant très révélateurs des difficultés qu’on rencontre, en France, pour conduire un débat dans la sérénité et le respect des interlocuteurs. Le désir légitime de convaincre ne peut faire oublier que nous ne sommes détenteurs que d’opinions et non de vérités absolues.
Je ne prétends pas répondre à la centaine de pages que représentent les commentaires à mon texte initial. Je reprendrai ici quelques arguments qui m’ont été opposés. Sans répéter ce que j’ai déjà écrit à la fois dans le texte de présentation et dans mes réponses précédentes. Je postule que l’honnêteté intellectuelle de mes contradicteurs les conduira naturellement à se souvenir de mes objections et de mes propositions.
Je voudrais, avant toute chose, faire une mise au point. Samuel Schweikert m’a fait le reproche d’une « analyse parcellaire »et « superficielle », « dogmatique », et de « jeter en pâture des questions à un lecteur qui potentiellement n’est pas armé intellectuellement », allant jusqu’à me comparer à l’occupant de l’Élysée, ce qui, beaucoup en conviendront, n’est pas un compliment. Mais c’est loin d’être le seul propos désobligeant dont son argumentation, apparemment rigoureuse, est émaillée. A chacun sa manière de débattre. Comme je l’ai déjà indiqué, André Bellon m’a demandé mon opinion sur la question du tirage au sort et je l’ai fournie. Je n’ai pas eu le sentiment que j’avais à fournir une étude exhaustive sur les moyens de rendre le pouvoir au peuple. J’étais en quelque sorte interrogé sur une question ; j’y ai répondu. Je n’avais pas, de la sélection que représentent les abonnés de ce site, l’image d’un lectorat désarmé intellectuellement, mais au contraire je me suis exprimé avec le sentiment de m’adresser à des gens partageant plus ou moins les mêmes connaissances, les mêmes valeurs et les mêmes objectifs, les divergences se situant au niveau des moyens à mettre en œuvre. Le débat que mon point de vue suscite a pris une telle ampleur que force m’est de préciser ma pensée. Je veux quand même signaler, au passage, que mon interlocuteur, à plusieurs reprises, a indiqué que « son but n’est pas de faire le tour du sujet » et « qu’il ne prétend pas, bien sûr, faire le tour de la question ». Il en allait de même pour moi, mais cela m’a valu de sa part un tombereau de mises en accusation. Passons.
Venons-en à l’accusation de dogmatisme. Je serais dogmatique parce que je préfère des réformes afin que le suffrage universel ne soit plus dévoyé et que la démocratie représentative remplisse sa fonction : exprimer la volonté majoritaire du peuple. Soit.
Mais que dire alors des formules suivantes que je lis chez mes contradicteurs ? On lit une succession d’affirmations qui sans doute décrivent la situation actuelle. Mais elles servent surtout à justifier l’abandon du suffrage universel et la démocratie représentative (même si Etienne Chouard s’en défend, tout en faisant le procès le plus outrancier qui soit de l’un et de l’autre).]
[ÉC (1) :
• Sur la prétendue « outrance », j’ai répondu en détail là (chercher le mot outrance).• Sur l’abandon de la démocratie représentative, j’en ai parlé partout : je vais fortement tempérer mon propos un peu plus loin, mais je veux dire d’abord que, EFFECTIVEMENT, je n’ai pas honte de chercher à m’émanciper d’une escroquerie politique que je considère comme majeure : « démocratie représentative » est, selon la logique la plus élémentaire, un oxymore grossier, une violente contradiction dans les termes, une vieille mais vivante forfaiture d’une classe de privilégiés « élus » contre le peuple et l’intérêt général, une tricherie perçue aujourd’hui par presque tout le monde et dénoncée par les plus courageux depuis des décennies, sauf par la classe politique elle-même, évidemment.
Je reproduirai dans des commentaires ultérieurs un texte intéressant de Bertrand Carré de Malberg (qui est un exemple académique de modération et de rigueur intellectuelle) qui montre que la critique acerbe et très puissamment documentée des multiples et gravissimes abus de pouvoir parlementaires ne date pas d’hier.
Pour ma part, ce sont TOUS les abus de pouvoir que je dénonce et cherche à éviter : PAS SEULEMENT ceux des parlementaires, MAIS AUSSI ceux des parlementaires, évidemment.
Autrement dit, je ne suis pas du tout antiparlementaire : je suis « anti-abus-de-pouvoir ». Alors effectivement, oui, s’il y en a, ici ou ailleurs, qui défendent les abus de pouvoir (fussent-il d’origine parlementaire), je leur résisterai du mieux que je le peux ; mais ça ne fait pas de moi, que je sache, un délinquant politique (d’extrême-ceci ou d’extrême-cela)…
• Sur l’accusation répétitive —et mensongère— de projet d’ »ABANDON DU SUFFRAGE UNIVERSEL » (accusation qui est une véritable calomnie, à fronts renversés même, quand elle provient de partisans d’un droit de suffrage mutilé, atrophié, amputé, rabougri, meurtri, flétri), sur cette accusation extravagante, donc, j’ai expliqué là, et surtout là, mais aussi là et là et là (un certain nombre de fois, donc), qu’en cherchant à DESTITUER UN FAUX suffrage universel pour INSTITUER UN VRAI suffrage universel, je soutiens une thèse parfaitement défendable sans rougir, quelle que soit la violence de l’anathème qu’on lui oppose pour défendre le loup « gouvernement représentatif » mal dissimulé sous une peau de mouton étiquetée « démocratie ». ÉC]
[RMJ :
Par contre, on ne trouve nulle part la démonstration que des réformes – dont j’ai indiqué quelques pistes – rendraient ces affirmations sans fondement. Où est le dogmatisme ?][ÉC (2) :
Cette démonstration — très étayée — est disponible là et là. ÉC.][RMJ :
Reprenons ces appréciations définitives.a) Premier dogme : l’expression « démocratie représentative est un oxymore ». Certes, en l’état actuel, dans la plupart des pays qualifiés de démocratiques, et je n’ai pas manqué de le souligner (même si Samuel Schweikert « oublie » de le relever), il y a une crise grave de la représentation, du principe même de la délégation. Mais qualifier cette expression de la sorte signifie condamner toute forme de délégation comme étant contraire à la démocratie. C’est considérer que seule la démocratie directe répond à l’exigence démocratique. C’est évacuer les problèmes concrets que poserait une telle conception de la démocratie dès l’instant où les questions à régler ou à gérer ne peuvent l’être qu’à des niveaux où la démocratie directe est impraticable.]
[ÉC (3) :
Effectivement, après tant d’échecs électoraux et de trahisons parlementaires, il est tentant de considérer que seule la démocratie directe répond à l’exigence démocratique. C’est tentant et ce n’est pas absurde du tout. C’est même rigoureusement LOGIQUE et LÉGITIME. À mon avis, il va être difficile de criminaliser la belle aspiration citoyenne ADULTE à la démocratie directe, sans passer soi-même pour un tyranneau.On peut au moins en parler, non ?
Ou bien c’est carrément interdit ?Cependant, il est clair que, avant d’instituer une démocratie digne de ce nom, des tas de pistes restent à fouiller pour améliorer le gouvernement représentatif (conçu à la base, dès l’origine et de façon renouvelée depuis, comme un régime antidémocratique, il est important de s’en souvenir).
On peut donc grandement AMÉLIORER LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF, je le sais bien, moi qui travaille là-dessus jour et nuit depuis des années ; il suffit de consulter mon FORUM pour s’en assurer : http://etienne.chouard.free.fr/forum/ : des milliers et des milliers de pages de réflexions collectives intenses, point par point, institution par institution, organe par organe, contrôle par contrôle, pour amender le gouvernement représentatif, en protégeant au mieux les citoyens, tous les citoyens, contre les abus de pouvoirs, tous les abus de pouvoirs… On aura du mal à me dire que je jette tout à la poubelle de façon impulsive et sans réfléchir… Ce serait assurément le plus mauvais des procès.
Pour ceux que ça intéresse, j’ai listé les points à vérifier dans une Constitution pour vérifier qu’elle joue bien son rôle de protection des citoyens contre les abus de pouvoir, de mon point de vue. Cette liste est disponible ici (Grands principes d’une bonne constitution, tableau récapitulatif à la fin) et là (comparaison de projets constituants) :
Pour que devienne vertueux le gouvernement représentatif (très mal emmanché mais amendable), voici les points importants que des citoyens actifs et vigilants, selon moi, feraient mieux de surveiller attentivement, dans toute Constitution :
• Respect du vote blanc
• Référendum d’initiative populaire législatif
• Référendum d’initiative populaire abrogatoire
• Référendum d’initiative populaire révocatoire
• Référendum d’initiative populaire constituant
• Interdiction du cumul des mandats
• Limitation du renouvellement des mandats
• Responsabilité des juges pour leurs fautes
• Responsabilité des acteurs politiques
• Mode de scrutin juste pour l’assemblée nationale
• Organisation démocratique de la deuxième chambre
• « Constitutionnalisation du mode de scrutin (pour le mettre hors de portée des parlementaires, juges et parties) »
• Référendum obligatoire pour toute révision de la Constitution
• Contrôle public de la télévision
• Protection de la parole donnée aux mouvements sociaux dans les médias de masse
• « Contrôle public des oligopoles (énergie, communication, santé, transports…) »
• Protection et énumération des services publics
• Contrôle public de la création monétaire et des banques
• Modes d’expression des initiatives populaires
• Force supérieure du Préambule sur toute autre règle
• Force supérieure de la Constitution sur les traités
• Pas de Président de la République « roi républicain »
• Indépendance et contrôle citoyen du Conseil Constitutionnel
• DÉSINTÉRESSEMENT des constituants aux fonctions qu’ils instituent eux-mêmes (tirage au sort et inéligibilité)
• Contre pouvoir au Gouvernement
• Contre pouvoir au Parlement
• Contre pouvoir aux juges
• Contre pouvoir au CSA
• Pouvoirs importants de la Cour des Comptes
• Arbitrages populaires en cas de conflits entre organes
• Constitutionnalisation du droit à l’Internet gratuit et de la consultation systématique des citoyens pour une réelle recherche de la volonté générale
• Référendum avant toute nationalisation ou privatisation d’importance
• Participation des salariés à la gestion des entreprises et droit de veto contre les fusions et ventes inutiles.
• Laïcité fortement proclamée et concrètement défendueIl y a même un pan entier de mon site qui nous permet d’écrire ensemble, en technologie collaborative wiki, un exemple de Constitution d’origine citoyenne : c’est là (présentation générale), et notamment là (proposition de Constitution nationale) et là (proposition de statut pour un parti démocratique c’est-à-dire sans chefs et sans programme imposé à l’avance).
Comme chacun peut le constater, je n’ai pas encore jeté aux orties notre gouvernement représentatif, et je n’ai pas du tout « renoncé à le réformer sous prétexte qu’il ne correspondait pas exactement à mes rêves » (sic).
Ceci dit, malgré tout ce matériel accumulé sur les réformes utiles et nécessaires du gouvernement représentatif — où on retrouvera d’ailleurs presque toutes les propositions de réforme de Raoul (preuve que nous ne sommes pas aussi éloignés l’un de l’autre que ce que le début de cette controverse peut avoir laissé croire), malgré tout ce travail de proposition constructive, donc, je suis convaincu que RIEN DE TOUT CELA NE SERA JAMAIS INSTITUÉ TANT QUE CE SONT DES HOMMES DE PARTIS QUI ÉCRIRONT LA CONSTITUTION, du fait de leur INTÉRÊT PERSONNEL absolument contraire aux limites, contrôles et sanctions utiles à l’intérêt général.
D’où ma proposition qui fait grimper aux rideaux les amis des élus du gouvernement représentatif : TIRER AU SORT **AU MOINS** L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL qui ne doivent surtout pas être composés —ni l’un, ni l’autre— de membres en situation de conflit d’intérêts.
Le reste (la part de démocratie directe que l’Assemblée constituante mettra ou pas dans les nouvelles institutions), ça me paraît secondaire (ça n’est pas encore d’actualité) : on verra bien ce qu’une chambre impartiale décidera après en avoir mûrement délibéré.
J’ai mon idée là-dessus (selon moi, une chambre ainsi désignée instituera à coup sûr —simplement par le fait décisif qu’elle n’écrit pas des règles pour elle-même— la première démocratie au monde, imparfaite bien sûr, mais cent fois meilleure que toutes les constitutions connues à ce jour), mais je peux me tromper et il est probablement trop tôt pour s’empailler sur le contenu de notre prochaine Constitution.
L’URGENCE AUJOURD’HUI, C’EST DE DÉCIDER ENSEMBLE COMMENT ON VA COMPOSER L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE => ÉLUE —ET TOUT EST PERDU— OU TIRÉE AU SORT —ET ON S’EN SORT ?
Est-ce que les hommes politiques de ce pays sont assez vertueux, est-ce qu’ils ont un sens de l’honneur suffisamment fort pour dire eux-mêmes : « OK, j’aspire à exercer un jour le pouvoir et par conséquent, je comprends qu’il est essentiel que je n’écrive pas moi-même la prochaine Constitution, celle qui va prévoir les limites de mon propre pouvoir : je comprends que ce n’est surtout pas à moi d’écrire la Constitution parce que J’AURAIS ÉVIDEMMENT HONTE d’être en situation aussi criante de CONFLIT D’INTÉRÊTS » ?
Les hommes politiques de ce pays seront-ils assez grands, assez honnêtes, assez sincèrement soucieux du bien commun (comme l’aurait été Robespierre), pour dire cela publiquement, donner l’exemple, et s’y tenir ?
Je ne sais pas.
Mais en tout état de cause, qui peut sérieusement voir dans mes projets une « menace d’un ennemi de la démocratie » ? ÉC.]
[RMJ :
Je suis originaire d’un pays où la démocratie communale est bien plus avancée qu’en France, où l’équivalent du maire n’est pas le despote qu’on observe en France. Et je partage la conviction qu’on peut aller plus loin encore dans le sens indiqué par la contribution de Sitouaillain : « une réunion pérenne des citoyens d’un même territoire en vue de produire des choix collectifs les concernant ». Mais ce serait se voiler la face que de réduire les choix nécessaires à la dimension communale.J’ai cherché en vain, en dehors de formule générales et vagues, les modalités pratiques d’une démocratie directe lorsqu’on se trouve confronté à des questions qui nécessitent des réponses rapides ou un traitement constant, au niveau national ou au niveau international. Dans le monde concret de 2011, où se posent de graves problèmes liés à l’exploitation de ceux qui vivent de leur travail par ceux qui vivent du travail des autres, où les nuisances qui affectent la biodiversité et la santé de toutes les formes de vivant sont traitées comme négligeables par un système guidé par la seule recherche du profit, où les centres de décisions sont en capacité de se soustraire à la souveraineté populaire, comment instaurer la démocratie directe aux niveaux pertinents ? ]
[ÉC (4) :
Dans le monde concret de 2011, OÙ LES PERSONNES PHYSIQUES ONT BESOIN D’UN DROIT PROTECTEUR CONTRE LES PERSONNES MORALES (ET PAS L’INVERSE !), aussi bien en termes de droit social que de droit environnemental ou commercial, une Assemblée de simples citoyens — amateurs plus difficiles à corrompre, faute de dette envers des Parrains — écrirait des règles bien plus conformes à l’intérêt général qu’une Assemblée de politiciens professionnels ayant vitalement besoin pour être (ré)élus de l’argent des entreprises qui exercent sur eux une pression quotidienne pendant des années pour faire écrire le droit injuste dont elles ont besoin.Par ailleurs, dans le monde concret de 2011, UNE ASSEMBLÉE COMPOSÉE —par le jeu incorruptible de la loi des grands nombres (qui découle du hasard)— DE PLUS DE 90% DE SALARIÉS ne laisserait jamais détruire un modèle social protecteur, comme le détruisent actuellement à travers le monde entier toutes les Assemblées de professionnels politiques au service des richissimes RENTIERS qui ont favorisé leur élection.
Dans le monde concret de 2011, la DÉMOCRATIE DIRECTE permettrait de lutter enfin efficacement CONTRE LA CORRUPTION, en privant les plus riches de l’outil formidable d’asservissement politique qu’est LA DETTE. Le résultat serait une législation plus favorable au plus grand nombre, moins favorable aux quelques privilégiés déjà très bien lotis, dans tous les domaines.
Tu montes en épingle le besoin de « réponses rapides » (que serait incapable de donner une Assemblée de citoyens) : on ne voit pas pourquoi il faudrait aller si vite qu’on devrait perdre le contrôle étroit sur les décisions communes. ÉC.]
[RMJ :
En particulier quand les réponses aux défis qui nous assaillent ne peuvent plus être réglées aujourd’hui au seul niveau national. Un exemple : concrètement, comment régler par la démocratie directe des problèmes qui affectent des peuples de nationalité différente ? Soyons plus précis encore : comment régler le problème qui oppose le peuple français supposé hostile aux paradis fiscaux (une pratique qui facilite l’évasion des capitaux lorsque des politiques sociales se mettent en place dans un pays – ex 1981) aux peuples (à Andorre, au Lichtenstein, au Luxembourg, à Monaco, voire en Belgique) qui tirent de ce statut une partie de leur prospérité ? Comment, par la démocratie directe, concilier les droits légitimes des peuples lorsque leurs intérêts légitimes sont contradictoires ? ][ÉC (5) :
Quoi ? C’est ça, le problème ? Tu es en train de nous apitoyer sur les pauvres peuples des paradis fiscaux ? Je rêve, je me frotte les yeux… Je ne vois rien qui puisse justifier la catastrophe politique que représente la concurrence fiscale déloyale. Tu n’as pas d’autres idées, pour assurer la prospérité de ces peuples, que de préserver leur statut de paradis fiscal ?…Non, une Assemblée de citoyens peut très bien, au niveau national, interdire purement et simplement toute transaction commerciale ou financière avec les pays tricheurs qui détruisent ainsi les modèles sociaux des autres pays par la fraude fiscale. Ces lois protectrices élémentaires ne présentent aucune espèce de difficulté dès lors que l’Assemblée est composée de membres qui ne doivent rien aux milliardaires qui profitent des paradis fiscaux. Enfin ! On pourra prendre des décisions conformes à l’intérêt général en la matière, ce qu’aucune Assemblée élue (donc servile aux riches) n’est capable de faire aujourd’hui. ÉC.]
[RMJ :
Comment, par la démocratie directe, régler des problèmes environnementaux – à moins de se voiler la face et de décréter qu’ils n’existent pas – qui sont par nature transnationaux ?][ÉC (6) :
Tu exagères la difficulté : il y a mille mesures très utiles à prendre au niveau local et national pour préserver l’environnement.
Encore faut-il que les députés et les ministres ne soient pas cul et chemise avec les plus gros pollueurs.
TOUT EST LÀ (c’est bien la cause des causes). ÉC.][RMJ :
Le silence de ceux qui refusent de réformer la démocratie représentative ][ÉC (7) :
De qui parles-tu, là ? ÉC.][RMJ :
… pour qu’elle puisse enfin être la voix du peuple est assourdissant sur la stratégie à adopter pour la mise en place d’une démocratie directe en capacité de résoudre des problèmes qui ont une dimension nationale, continentale, voire internationale. A moins qu’on se contente de faire rêver avec des « il n’y a qu’à ». ][ÉC (8) :
bla bla bla…Chacun son « Il n’y a qu’à », si tu y prêtes attention… 😉
• « Il n’y a qu’à réformer la démocratie représentative »
n’a rien à envier à
• « Il n’y a qu’à instituer une démocratie digne de ce nom ». ÉC.]
[RMJ :
b) Deuxième dogme : un régime fondé sur le suffrage universel engendre un flux d’informations asymétriques. Ici encore, il s’agit d’une affirmation qui se limite à un constat partiel et partial sans envisager des remèdes possibles dans le cadre du suffrage universel. L’émergence de flux d’informations alternatives fournit d’ailleurs un démenti à cette affirmation. En quoi un régime fondé sur le tirage au sort garantirait-il des flux d’informations contradictoires, des journaux différents, des manuels scolaires différents ? Cela n’est démontré nulle part. ][ÉC (9) :
LE TIRAGE AU SORT ENTRAVE LA CORRUPTION,
ALORS QUE L’ÉLECTION STIMULE LA CORRUPTION,
MÉCANIQUEMENT.
Une myriade de conséquences logiques s’ensuivent LOGIQUEMENT.Pourtant tu réclames quand même une démonstration (impossible sans essayer) avant même qu’on puisse essayer… ÉC.]
[RMJ :
Quelle garantie aurions-nous en tirant au sort les décideurs qu’ils échapperaient aux travers qui caractérisent aujourd’hui un certain nombre d’élus ? Par quelle magie, dans l’exercice de la délégation, des citoyens réputés corruptibles quand ils sont choisis par le suffrage universel deviendraient-ils incorruptibles quand ils sont choisis par le tirage au sort ? En quoi le mode de sélection transformerait-il la nature humaine et les intérêts qui opposent les uns aux autres ? Certes, on pourrait toujours les récuser. Comment ? Combien de fois ? À quelle échelle ? Ne retrouve-t-on pas, avec des décideurs tirés au sort les mêmes questions que posent aujourd’hui la représentation issue du suffrage universel ?][ÉC (10) :
Tu veux DES GARANTIES ?
Je te propose notre RAISONNEMENT ; la « magie » de la LOGIQUE, quand elle est rigoureuse :A – D’abord, de quels VICES INTRINSÈQUES souffre L’ÉLECTION ?
• L’élection pousse au mensonge les représentants : d’abord pour accéder au pouvoir, puis pour le conserver, car les candidats ne peuvent être élus, puis réélus, que si leur image est bonne : cela pousse mécaniquement à mentir, sur le futur et sur le passé.
• L’élection pousse à la corruption : les élus « sponsorisés » doivent fatalement « renvoyer l’ascenseur » à leurs sponsors, ceux qui ont financé leur campagne électorale : la corruption est donc inévitable, par l’existence même de la campagne électorale dont le coût est inaccessible au candidat seul. Le système de l’élection permet donc, et même impose, la corruption des élus (ce qui arrange sans doute quelques acteurs économiques fortunés).
Grâce au principe de la campagne électorale ruineuse, nos représentants sont à vendre (et nos libertés avec).
• L’élection incite au regroupement en ligues et soumet l’action politique à des clans et surtout à leurs chefs, avec son cortège de turpitudes liées aux logiques d’appareil et à la quête ultra prioritaire (vitale) du pouvoir.
Les partis imposent leurs candidats, ce qui rend nos choix factices. Du fait de la participation de groupes politiques à la compétition électorale (concurrence déloyale), l’élection prive la plupart des individus isolés de toute chance de participer au gouvernement de la Cité et favorise donc le désintérêt politique (voire le rejet) des citoyens.
• L’élection délègue… et donc dispense (éloigne) les citoyens de l’activité politique quotidienne et favorise la formation de castes d’élus, professionnels à vie de la politique, qui s’éloignent de leurs électeurs pour finalement ne plus représenter qu’eux-mêmes, transformant la protection promise par l’élection en muselière politique.
• L’élection n’assure que la légitimité des élus, sans garantir la justice distributive dans la répartition des charges : une assemblée de fonctionnaires et de médecins ne peut pas appréhender l’intérêt général comme le ferait une assemblée tirée au sort.
• Paradoxalement, l’élection étouffe les résistances contre les abus de pouvoir : elle réduit notre précieuse liberté de parole à un vote épisodique tous les cinq ans, vote tourmenté par un bipartisme de façade qui n’offre que des choix factices. La consigne du « vote utile » est un bâillon politique tout à fait emblématique.
• L’élection sélectionne par définition ceux qui semblent « les meilleurs », des citoyens supérieurs aux électeurs, et renonce ainsi au principe d’égalité (pourtant affiché partout, hypocritement) : l’élection désigne davantage des chefs qui recherchent un pouvoir (dominateurs) que des représentants qui acceptent un pouvoir (médiateurs, à l’écoute et au service des citoyens).
Un inconvénient important de cette élite qu’on laisse imprudemment prendre racine, c’est ce sentiment de puissance qui se développe chez les élus au point qu’ils finissent par se permettre n’importe quoi, jusqu’à même imposer leur constitution, c’est dire…
• Malgré tous ces défauts, —défauts qu’on pourrait considérer, avec beaucoup de bonne volonté, comme une sorte de « prix à payer pour la compétence sélectionnée »—, l’élection ne donne même PAS les résultats escomptés et ne porte PAS au pouvoir que des hommes compétents…
• En tout cas, même si on admet que l’objectif de compétence est atteint, celui de l’honnêteté (respect des promesses, respect de la volonté des électeurs…) semble totalement à l’abandon.
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Et on ne nous a pourtant jamais offert de débattre et décider, directement, ce à quoi nous tenons le plus chez nos représentants : PRÉFÉRONS-NOUS LA COMPÉTENCE OU L’HONNÊTETÉ ? (En tout cas, on pourrait nous demander notre avis.)
Il a donc un fort goût de supercherie dans ce choix de l’élection, choix effectué il y a deux cents ans par les élus eux-mêmes, en notre nom mais sans nous, et censé nous garantir une formidable compétence politique, si rare paraît-il. Si ce système est « le meilleur », on est fondé à se demander « pour qui ? »…
Et si on tire LE BILAN DES FAITS après 200 ans d’expérience concrète, avec l’élection, les riches ont TOUJOURS le pouvoir, et les pauvres JAMAIS. Ce sont des faits. Intéressant, non ?
Quel intérêt avons-nous aujourd’hui à défendre ce système de l’élection (tel quel), oubliant que nos aïeux l’ont clairement repéré comme néfaste pour les libertés il y a déjà 2 500 ans ?
La démocratie originelle, il y a 2 500 ans, a été pensée, et surtout imposée directement par les citoyens de base sans écrire de théorie, pour protéger le plus grand nombre contre les abus de pouvoir.
Et le tirage au sort matérialise parfaitement le postulat démocratique de l’égalité politique, l’isiocratie ; il est même le seul à rendre effectives les protections attendues des grands principes démocratiques :
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B – D’un autre côté, quelles sont les VERTUS INTRINSÈQUES du TIRAGE AU SORT ?
1. La procédure du tirage au sort est IMPARTIALE ET ÉQUITABLE : elle garantit une justice distributive (conséquence logique du principe d’égalité politique affirmé comme objectif central de la démocratie), ce que ne fait pas l’élection, au contraire.
2. Le tirage au sort EMPÊCHE LA CORRUPTION (il dissuade même les corrupteurs : il est impossible et donc inutile de tricher, on évite les intrigues) : ne laissant pas de place à la volonté, ni des uns ni des autres, il n’accorde aucune chance à la tromperie, à la manipulation des volontés.
3. Le tirage au sort ne crée JAMAIS DE RANCUNES : pas de vanité d’avoir été choisi ; pas de ressentiment à ne pas avoir été choisi : il a des vertus pacifiantes pour la Cité, de façon systémique.
4. Tous les participants, REPRÉSENTANTS ET REPRÉSENTÉS sont mis sur un réel PIED D’ÉGALITÉ, réellement et pas fictivement.
5. Le hasard, reproduisant rarement deux fois le même choix, pousse naturellement à la ROTATION DES CHARGES et empêche mécaniquement la formation d’une classe politicienne toujours portée à tirer vanité de sa condition et cherchant toujours à jouir de privilèges.
Le principe protecteur majeur est celui-ci : les gouvernants sont plus respectueux des gouvernés quand ils savent avec certitude qu’ils reviendront bientôt eux-mêmes à la condition ordinaire de gouvernés.
6. Le tirage au sort est facile, rapide et économique.
7. Le hasard et les grands nombres composent naturellement, mécaniquement, un ÉCHANTILLON REPRÉSENTATIF (vraiment représentatif). Rien de mieux que le tirage au sort pour composer une assemblée qui ressemble trait pour trait au peuple à représenter. Pas besoin de quotas, pas de risque d’intrigues.
8. Savoir qu’il peut être tiré au sort INCITE CHAQUE CITOYEN À S’INSTRUIRE ET À PARTICIPER aux controverses publiques : c’est un moyen pédagogique d’émancipation intellectuelle.
9. Avoir été tiré au sort pousse chaque citoyen à s’extraire de ses préoccupations personnelles et à se préoccuper du monde commun ; sa désignation et le regard public posé sur lui le poussent à s’instruire et à développer ses compétences par son travail, exactement comme cela se passe pour les élus : c’est un moyen pédagogique de responsabilisation des citoyens, de tous les citoyens.
10. PRÉFÉRER LE TIRAGE AU SORT, C’EST REFUSER D’ABANDONNER LE POUVOIR DU SUFFRAGE DIRECT À L’ASSEMBLÉE, ET C’EST TENIR À DES CONTRÔLES RÉELS DE TOUS LES REPRÉSENTANTS : donc, le tirage au sort portant avec lui des contrôles drastiques à tous les étages, il est mieux adapté que l’élection (qui suppose que les électeurs connaissent bien les élus et leurs actes quotidiens) pour les entités de grande taille. (Alors qu’on entend généralement dire le contraire.)
11. DE FAIT, pendant 200 ans de tirage au sort quotidien (au Ve et IVe siècle av. JC à Athènes), les riches n’ont JAMAIS gouverné, et les pauvres toujours. (Les riches vivaient très confortablement, rassurez-vous, mais ils ne pouvaient pas tout rafler sans limite, faute d’emprise politique.) Ceci est essentiel : mécaniquement, infailliblement, irrésistiblement, le tirage au sort DÉSYNCHRONISE le pouvoir politique du pouvoir économique. C’est une façon très astucieuse d’affaiblir les pouvoirs pour éviter qu’ils n’abusent.
On est donc tenté de penser que c’est l’élection des acteurs politiques qui a rendu possible le capitalisme, et que le tirage au sort retirerait aux capitalistes leur principal moyen de domination.
Tu vois, AUCUN DOGME : juste un effort pour réfléchir à d’utiles RÉFORMES (tu n’es pas hostile aux réformes, n’est-ce pas ?), réformes possibles, réformes crédibles, réformes originales, réformes testées et approuvées pendant 200 ans…
Non, décidément, aucun dogme, en l’occurrence. On cherche.
Quant aux MODALITÉS détaillées de la RÉCUSATION des tirés au sort (« Comment ? Combien de fois ? À quelle échelle ? » demandes-tu), je te propose d’y réfléchir ensemble, au lieu de rester dans une posture de consommateur critique (de réformes) : tu pourrais très utilement nous aider à les mettre au point nous-mêmes, ces réformes, non ? 😉 ÉC.]
[RMJ :
c) Troisième dogme : un régime fondé sur le suffrage universel est inconciliable avec la nécessité d’assurer la reddition des comptes, d’empêcher la professionnalisation, de permettre l’expression du pluralisme des opinons dans la délibération des assemblées. Rien n’est plus dogmatique qu’une telle affirmation. Mais elle est nécessaire si on veut exclure toute possibilité de corriger les dérives de l’usage du suffrage universel et le remplacer par le tirage au sort. ][ÉC (11) :
Non, ce n’est pas cela que je dis : je ne dis pas que le gouvernement représentatif est inconciliable avec la reddition des comptes, tu ne m’as pas bien lu. Au contraire, j’approfondis depuis longtemps une réflexion spécifique sur cette réforme, notamment sur le fil « Les élus devraient rendre des comptes à la fin de leur mandat (impératif) » de mon forum.Tu vois, ce n’est pas « ma-pensée » qui est dogmatique : c’est « l’idée-que-tu-te-fais-de-ma-pensée-en-la-déformant-copieusement »… 😉
Ce que je dis (et que tu as du mal à comprendre sans le déformer), c’est que AUCUNE ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ÉLUE PARMI DES CANDIDATS IMPOSÉE PAR DES PARTIS NE SERA JAMAIS CAPABLE D’INSTITUER UNE TELLE REDDITION DES COMPTES, PAS PLUS D’AILLEURS QU’AUCUNE AUTRE INSTITUTION RÉELLEMENT DÉMOCRATIQUE.
Et ça, en plus d’être une constatation de fait en tous temps et en tous lieux, ça vient du principe explicatif, dont la logique est puissante, que « ce n’est pas au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir, sinon ils trichent, tout simplement, et à nos dépens. »
Aucun dogme là-dedans : de la logique pour comprendre la source commune d’une kyrielle de conflits d’intérêts et de faits de tricherie concordants, partout dans le monde et à toutes les époques.
Mais puisqu’on a le droit de (gentiment) accuser l’autre de nourrir une pensée profondément dogmatique (sic) 😉 , je trouve de mon côté étonnamment dogmatique la thèse qui impose à tous l’idée qu’un député constituant élu au sein d’un parti est MÉCANIQUEMENT LÉGITIME POUR ÉCRIRE LA CONSTITUTION PAR LE SEUL FAIT D’AVOIR ÉTÉ ÉLU, en refusant (dogmatiquement) de contrôler s’il n’est pas en conflit d’intérêts majeur par rapport à l’intérêt général (ou en se contentant de contrôles insuffisants qui ne garantissent rien, ce qui revient au même, pratiquement, que le refus de contrôle). ÉC.]
[RMJ :
La question de la reddition des comptes est importante. Elle peut être réglée par des mécanismes de consultation obligatoire des mandants pendant le mandat. Elle est réglée par le scrutin organisé à l’issue du mandat. Elle pourrait trouver une concrétisation, pendant le mandat, dans un mécanisme de révocation au terme d’un référendum révocatoire, selon certaines modalités. Ces réformes sont techniquement possibles. En écarter l’éventualité, c’est tout simplement refuser le cadre du suffrage universel. ][ÉC (12) :
OK, je suis d’accord sur la théorie, évidemment (va voir mon site, tu y trouveras des dizaines et des dizaines de pages sur les modalités pratiques possibles de la reddition des comptes, des quatre référendums d’initiative populaire, de la recherche sincère de la volonté générale en cours de mandat, de la mise en cause réelle de la responsabilité des acteurs publics, de l’évaluation des acteurs publics par des jurys citoyens, de l’évaluation des décisions publiques, etc. etc.) , c’est nécessaire mais pas suffisant : TOUT ÇA C’EST DU BLABLA SI, au moment d’écrire le texte suprême, tu acceptes qu’il soit écrit par des gens qui ont UN INTÉRÊT PERSONNEL VITAL CONTRAIRE à tes théories.On sait que, dans ces conditions de partialité extrême, on aura réfléchi pour rien : on peut prédire, sans aucun risque de se tromper (les mêmes causes produisant les mêmes effets), que LES ÉLUS DES PARTIS écrivant la Constitution pour eux-mêmes PROGRAMMERONT À NOUVEAU L’IMPUISSANCE DU PEUPLE, malgré toutes les belles théories de droit public qui auront émaillé les débats préalables.
Tu m’accuses (et je devrais me sentir coupable) de « refuser le cadre du suffrage universel »… Effectivement, je refuse tous les cadres malhonnêtes ou idiots, et c’est bien naturel. Je ne vénère aucune vache sacrée. Je cherche, Raoul, je cherche. ÉC.]
[RMJ :
Mes contradicteurs ont systématiquement refusé de discuter d’autres réformes possibles de la pratique de la délégation basée sur le suffrage universel. Mauvaise foi, ignorance ou parti pris, ils ont rejeté les solutions que j’ai esquissées. ][ÉC (13) :
Ah bon ? Moi, j’en suis à plus de 50 pages, plus de 100 heures, pour te répondre point par point, avec tout le respect que je te dois. Aucun refus de discuter, donc, à l’évidence ! Va voir sur mon site les réformes du gouvernement représentatif que je suggère de mon côté : il y en dix fois plus que ce que tu proposes toi-même ; alors bien sûr, ce n’est pas au kilo, je le sais bien, et une petite dizaine de réformes bien choisies fera bien l’affaire pour commencer, mais tu ne peux pas dire que je refuse de réformer, ce n’est pas vrai. ÉC.][RMJ :
Trois exemples. 1) Le scrutin proportionnel. Samuel Schweikert l’a rejeté avec l’argumentation classique des gens de droite et des partisans, à gauche, du bipartisme : l’instabilité et donc l’impuissance. Il a « oublié » les modalités que j’avais apportées dans mon propos introductif : encadrer la proportionnelle par des techniques qui ont fait leur preuve ailleurs : taux plancher requis pour accéder à la représentation, motion de méfiance constructive indispensable au changement d’une coalition gouvernementale, etc. 2) De même, empêcher la professionnalisation par l’interdiction des cumuls et la limitation du nombre de mandats est rejeté catégoriquement avec des exemples de contournement, certes possibles, mais qui pourraient très bien être interdits par la loi. Comment encore faire de l’engagement politique un métier si on ne peut pas cumuler plusieurs mandats, si on ne peut exercer le même mandat que deux ou trois fois dans sa vie et si l’exercice d’un mandat donné rend inéligible à d’autres mandats ? Refuser un seul instant d’imaginer l’impact d’une telle réforme sur le personnel politique actuel, c’est refuser de prendre en considération une réforme non pas pour son contenu, mais parce qu’elle met par terre une argumentation. ][ÉC (14) :
Bon, j’ai relu ce résumé : je crois avoir répondu en détail à tous ces points (dont aucun ne met par terre quelque argumentation que ce soit) 😉 Je ne vais pas recommencer. Il faut maintenant me dire si tu trouves que je me trompe ici ou là. ÉC.][RMJ :
3) Quant à l’impossibilité qu’engendrerait le suffrage universel de garantir le pluralisme des opinions dans la délibération des assemblées, encore une fois, c’est refuser d’aller voir ailleurs. Il y a des assemblées parlementaires dont le règlement garantit ce pluralisme des opinions ; il y a des assemblées parlementaires où existe une réelle possibilité de débat – la France passée et présente, à cet égard est loin, très loin, d’être la référence. Aller voir ailleurs, n’a jamais fait de mal. Le droit constitutionnel comparé et le droit parlementaire comparé ne sont pas des disciplines inutiles quand on prétend débattre des institutions. Et ce que certains appellent une « fiction » ou « prendre ses rêves pour des réalités » devient alors une référence pertinente. Sauf, bien entendu, si le propos est de décréter d’emblée que toute réforme est impuissante à remédier aux maux qu’on dénonce parce que le but véritable n’est pas d’améliorer le système, mais de le remplacer par un autre paré de toutes les vertus. On connaît cette démarche. L’histoire nous a appris où elle finit par aboutir. ][ÉC (15) :
Je passe mon temps à faire du droit comparé… mais sans trouver à l’étranger (ou dans l’histoire) autant de solutions satisfaisantes que ce que tu nous annonces…Au passage, je te recommande la Constitution du Venezuela, loin d’être parfaite (!) mais intéressante à bien des égards (écrite par le peuple, d’ailleurs, puis enseignée au peuple et défendue par chaque citoyen, paraît-il).
Je dois avoir là dix constitutions sous les lunettes, et encore une vingtaine en rayons, et j’aimerais que tu m’en indiques UNE — ne serait-ce qu’une seule — où l’Assemblée Législative comporte EN JUSTE PROPORTION (par rapport à la société représentée) des femmes, des chômeurs, des travailleurs pauvres, des jeunes et des noirs (et je ne parle même pas des étrangers).
J’attends avec impatience tes exemples de droit comparé qui montreraient la possibilité qu’une Assemblée constituante élue par des partis soit capable d’instituer une Chambre parlementaire authentiquement démocratique. ÉC.]
[RMJ :
d) Quatrième dogme : la référence à la démocratie athénienne du Ve siècle acn, présentée comme la panacée et jamais relativisée, en dépit du fait qu’elle se pratiquait avec une assemblée sélectionnée, excluant les femmes, les esclaves (fussent-ils Athéniens – le principe même de l’esclavage quelle que soit la victime est incompatible avec toute idée de démocratie), les étrangers, ces « barbares » qui ressemblent beaucoup à nos immigrés d’aujourd’hui. Ériger en exemple de démocratie aboutie, jusqu’à l’incantation, un système fondé sur la discrimination est pour le moins paradoxal. Si j’ai parlé de chimère, ce monstre de la mythologie, c’est bien parce que la référence au mythe de la démocratie athénienne me semble dangereuse. On peut invoquer l’Athènes de Périclès comme un début, pas comme un objectif. Sauf à considérer que le peuple qui exerce sa souveraineté n’est qu’une partie de l’ensemble des habitants d’un territoire. ][ÉC (16) :
• « jamais relativisée » : tu avais dit que tu trouvais odieux (sic) le procédé qui consiste à déformer la pensée de l’autre quand on est à court d’argument… Il faudrait savoir : je passe mon temps à relativiser les idées qu’on peut reprendre dans la seule démocratie que le monde ait connue à ce jour. Pourtant tu martèles « jamais relativisée »… Est-ce bien loyal ?• « Le principe de l’esclavage est incompatible avec toute idée de démocratie »… Dis, est-ce que tu as compris le concept d’anachronisme ? Prends-tu tes interlocuteurs pour des idiots ? Penses-tu vraiment qu’ils défendent l’esclavagisme ou la misogynie ? En cette matière, il est assez important de montrer un certain discernement, c’est-à-dire une aptitude à ne pas tout mélanger. Je l’ai déjà expliqué en long et en large, je n’y reviens pas.
• « les étrangers, ces « barbares » qui ressemblent beaucoup à nos immigrés d’aujourd’hui » : quelle est ta logique ? Tu sembles toujours être sur le registre de l’amalgame salissant pour discréditer une référence qui te gêne : je te signale que la « démocratie représentative » moderne, 2500 ans plus tard, n’est toujours pas fichue de donner des droits politiques aux étrangers : il est donc parfaitement injuste d’en faire le procès sévère aux Athéniens, du haut de notre modernité où nous n’avons toujours pas su faire mieux que nos aïeux.
• « système fondé sur la discrimination » : non Raoul, je crois que tu te trompes complètement, c’est même un véritable contresens, faute de bien définir l’objet de l’étude : le peuple (de l’époque, évidemment). La démocratie n’était PAS FONDÉE SUR la discrimination : elle PRATIQUAIT LA discrimination POUR DÉSIGNER LES ACTEURS POLITIQUES, pour définir « le peuple », ce qui est différent ; et elle le faisait d’ailleurs COMME TOUT LE MONDE À L’ÉPOQUE, ce qu’il est important de garder en tête pour ne pas commettre d’anachronisme.
Mais ensuite, une fois le peuple défini, ce peuple pratiquait EN SON SEIN L’ÉGALITÉ POLITIQUE RÉELLE, SANS AUCUNE DISCRIMINATION, JUSTEMENT.
Et ce peuple avait EN SON SEIN LES MÊMES PROBLÈMES QUE NOUS AVONS AUJOURD’HUI AVEC LE POUVOIR et surtout avec les voleurs de pouvoir : ET C’EST ÇA QUI INTÉRESSE CEUX QUI CHERCHENT À INSTITUER UNE VRAIE DÉMOCRATIE (pendant que tu fais tout pour détourner nos regards de ce qui est intéressant).
Je te fais remarquer qu’aujourd’hui encore, au moment de « définir le peuple », tous les peuples du monde (ou presque) excluent (discriminent) encore les étrangers en ne leur donnant pas la qualité de citoyens. Mais ce n’est pas cet aspect de la politique qui mérite notre attention prioritaire (on va tous être à peu près d’accord pour définir le peuple, ce n’est pas ça le problème) : quand j’aborde le sujet de la composition du peuple dans mes conférences, je dis chaque fois que une vraie démocratie fonctionnerait très bien avec les femmes et sans esclaves, c’est É‑VI-DENT. Il faut arrêter de laisser penser que nous défendons l’indéfendable : c’est de la pure calomnie.
Enfin je n’ai JAMAIS dit, absolument jamais, que le régime athénien était un objectif. En déformant ma pensée (ce que tu avais pourtant promis de ne jamais faire, cela t’étant « odieux » (sic)), tu t’interdis de me comprendre et tu fabriques un dialogue de sourds.
Non non, je ne prône pas la discrimination, ni la phallocratie, ni l’esclavagisme… Le laisser entendre est un coup bas. ÉC.]
[RMJ :
Position de repli des partisans du tirage au sort : ][ÉC (17) :
D’un côté, tu te plains qu’on ne tient (soi-disant) aucun compte de tes propositions et qu’on est enfermés dans des dogmes… ; Et d’un autre côté, tu qualifies de « position de repli » les propositions de compromis constructif qui tentent de rapprocher les points de vue, avec le vocabulaire militaire qui sert à désigner des actions de lutte contre l’ennemi… Donc à tous les coups l’on perd, dans ta discussion : ça ne va jamais… 😉Ce que tu t’apprêtes à discréditer (voir ci-dessous) est, à mon sens, une proposition modérée, réaliste, prometteuse et… démocratique. Ce serait bien que tu ne nous enfermes pas dans le catéchisme du gouvernement représentatif. Ouvre-toi à d’autres possibles 🙂 ÉC.]
[RMJ :
Position de repli des partisans du tirage au sort : un Sénat élu issu de la sélection par le sort qui exercerait un droit de contrôle sur les décisions prises par l’Assemblée nationale issue du suffrage universel. Et sans doute aussi sur les choix de l’Exécutif. Elle m’intéresse dans la mesure où m’intéresse la mise en place de tout contre-pouvoir. Mais il faudrait démontrer, autrement que par des affirmations gratuites, qu’un tel Sénat, dont les pouvoirs seraient considérables, répondrait mieux aux besoins et aux attentes du peuple, qu’il exprimerait le peuple mieux que ne le ferait une assemblée issue d’un suffrage universel encadré par les réformes déjà suggérées. Il faudrait démontrer qu’un Sénat issu du hasard serait insensible aux lobbies, aux inclinations pas toujours honorables qui emporte parfois les peuples en recherche de boucs émissaires, aux tentations de solutions à court terme sans ménager l’avenir et les générations futures. Certes, des comportements qu’on retrouve aujourd’hui dans des assemblées issues du suffrage universel. Mais en quoi une assemblée issue du sort offre-t-elle une garantie qu’on échapperait à ces comportements ? En quoi, par la magie du tirage au sort, ne trouverait-on plus, pour procéder aux choix qui ne peuvent être effectués directement, que des humanistes compétents, dévoués, honnêtes ? Par quel miracle, le hasard permettrait-il une telle sélection ? ][ÉC (18) :
Juste après avoir donné un semblant de signe de bonne volonté (« votre idée m’intéresse car je suis un grand démocrate… »), tu exiges aussitôt l’impossible (et en te moquant : « affirmations gratuites, par quelle magie, par quel miracle… ») : tu sembles demander UNE DÉMONSTRATION COMPLÈTE ET PRÉALABLE (démonstration qui exigerait au moins d’essayer, pour voir ce que ça donne) d’une solution qui n’a jamais été tentée nulle part…Tu voudrais saboter l’idée que tu ne t’y prendrais pas autrement… 🙂
Moi, je n’ai pas besoin de cette démonstration préalable : je réfléchis (voir plus haut la liste interminable des vertus intrinsèques du tirage au sort, en regard de la liste interminable des vices intrinsèques de l’élection : après examen attentif, mon cerveau décide que l’expérience vaut le coup d’être tentée.
Que risque-t-on (puisque tu gardes ton assemblée d’élus chéris) ?
Et à quoi sert d’avoir deux assemblées de professionnels élus ?
Qu’est-ce qui te fait peur ?
La situation peut-elle être pire que la situation actuelle ? (où les multinationales privées ont pris le contrôle des assemblées élues et de la force publique, précisément grâce à la procédure que tu défends bec et ongles, et qui permet des rendre les acteurs politiques dépendants, endettés par rapport aux privilégiés du moment) ?
Je crois que, si tu rejetais même ce compromis (une chambre élue, l’autre tirée au sort ; l’accord des deux pour qu’une loi passe ; et le recours au référendum en cas de conflit), tu montrerais que tu ne jures QUE PAR les élus (comme si l’élection de maîtres politiques était un dogme intouchable), ce qui peut se défendre sans rougir, mais ce qui n’a rien à voir avec la démocratie (si ce n’est pour l’interdire en fait).
J’espère que tu ne feras pas cela. ÉC.]
[RMJ :
En fait, ce qui partage partisans d’un suffrage universel réformé et partisans du tirage au sort, c’est la différence qui sépare les réformateurs des révolutionnaires, c’est la différence entre ceux qui préfèrent des changements continus par des réformes et ceux qu’une réforme ne satisfait jamais parce qu’elle ne réalise pas d’un seul coup la société de leur rêve. ][ÉC (19) :
Pas du tout : le clivage est ailleurs : certes, les réformes que tu proposes sont nécessaires, mais pas du tout suffisantes puisque tu leur refuses la condition cardinale de leur propre faisabilité (qui est de garantir l’impartialité VÉRITABLE des auteurs constituants) ; ces réformes ne sont donc pas convaincantes parce qu’elles sont impossibles dans la pratique (des membres de partis n’institueront jamais une vraie démocratie, avec un vrai contre pouvoir populaire pouvant surgir à tout moment) : condamnées à rester théoriques, ces réformes-seulement-en-pensée sont, pour cette raison (facile à faire disparaître), une illusion (à mon avis).Quant à « la société de mes rêves », je parierais qu’elle est très proche de la tienne 🙂 Une société juste et apaisée, autant que possible. ÉC.]
[RMJ :
Aucune stratégie n’est proposée pour le passage à cette société idéale de gentils ayant uniquement que le souci de l’intérêt général présent et futur, se respectant mutuellement (alors que, manifestement, plusieurs partisans du tirage au sort usent d’une violence verbale qui fait bien douter de leurs capacités à faire vivre un tel consensus) , capables de décider directement de toutes les questions qui appellent des choix, depuis le niveau du village jusqu’à celui de la planète entière. ][ÉC (20) :
1) As-tu vraiment l’impression que ta propre « stratégie » comme tu dis (encore avec un mot militaire) soit opérationnelle et prometteuse ? Tu penses vraiment que la gauche (la vraie) peut gagner les prochaines élections ? (Je rappelle que le PS est objectivement, comme l’UMP, d’extrême droite (vendu aux privilégiés) puisqu’il nous condamne aux régressions politiques, économiques et sociales de l’Union européenne : donc, quand je dis la gauche, je ne parle pas des traîtres du « PS ».) Est-ce que ce sont les brillants succès passés de « la gauche » qui doivent nous convaincre que les professionnels de « la gauche » détiennent la bonne stratégie ? Je ne ferai pas plus de commentaires sur ton objection « au niveau stratégique »…2) Ensuite, tu inverses carrément les rôles, c’est gonflé : c’est précisément le gouvernement représentatif (et toi avec) qui prétend que nous vivons dans une société idéale dans laquelle on peut faire confiance aux élus par le seul fait qu’ils sont élus ; élus qu’on ne punira d’ailleurs jamais pour leurs erreurs ou leurs échecs, ni même pour la trahison de leurs promesses (mandat impératif = sacrilège lèse-élu).
Au contraire, la démocratie, la vraie (celle que tu connais manifestement mal et dont tu ne veux apparemment pas entendre parler) est réaliste et met des CONTRÔLES À TOUS LES NIVEAUX ET À TOUT MOMENT, prenant précisément acte de ce qu’il y a AUCUN GENTIL nulle part…
La réalité est exactement LE CONTRAIRE de ce que tu prétends…
Quels sont les livres que tu aimes le plus à propos de la démocratie athénienne ? Dis-moi ce que tu lis, ça m’aidera peut-être à te comprendre. ÉC.]
[RMJ :
Ce à quoi nous assistons dans la plupart des cas – je note bien les exceptions – c’est au procès, jusqu’à la caricature grossière digne des slogans du 6 février 1934, d’un système à réformer. ][ÉC (21) :
« des slogans du 6 février 1934 » : Dis Raoul, si je dis que tu es un crypto-fasciste qui défend un système politique qui rend possible et durable le vrai fascisme (commercial et financier) tout en prétendant le combattre…, tu vas hurler en protestant contre « ces insultes qui ne font pas avancer le débat et qui sont indignes d’interlocuteurs civilisés, bla bla bla… ».Alors pourquoi t’autorises-tu toi- même à proférer ces insultes ? « Digne des slogans du 6 février 1934 », ça veut dire digne des nazillons d’extrême droite qui nous ont conduits à la deuxième guerre mondiale… On a le droit de dire ça de l’autre ? Je croyais que cela t’était « odieux » (sic).
Manifestement, tu ne trouves ça odieux que quand c’est toi qui es visé.
Désolé de te répondre ainsi du tac au tac ; j’ai quand même le droit de me défendre quand, pour les salir, on rapproche mes idées de celles de l’extrême droite ; même quand ces coups bas viennent de quelqu’un que je considère comme un ami. C’est toi qui me pousses à me défendre. ÉC.]
[RMJ :
Je partage avec Hervé Kempf l’analyse qu’il fait de la démocratie aujourd’hui en France dans son dernier livre (L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie, Le Seuil). Mais je partage aussi son attachement à ce que signifie la liberté de choisir. J’entends ici répéter, pour conclure, ce qui est mon choix : le droit que j’ai, comme citoyen, de confier, chaque fois que je n’ai pas la possibilité de l’exercer moi-même directement (dans une autre République que cette Ve si peu démocratique), la part de souveraineté que je détiens comme composante du peuple tout entier, à une personne dont je connais les valeurs, les principes, les orientations et les propositions.][ÉC (22) :
Personne ne te refuse LE DROIT DE DÉSIRER abandonner ta souveraineté à quelqu’un de ton choix.Mais il n’y a pas de raison légitime pour que tu puisses IMPOSER CE RENONCEMENT aux autres citoyens sans le leur demander.
LE CHOIX DE SOCIÉTÉ qui consiste à décider QUI VA PRENDRE LES DÉCISIONS PUBLIQUES (des élus ou le peuple lui-même ?) NE PEUT PAS ÊTRE PRIS PAR DES ÉLUS : ce choix de société ne peut être fait légitimement que par le peuple lui-même.
LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF NE SERA LÉGITIME QUE QUAND IL AURA ÉTÉ VALIDÉ PAR RÉFÉRENDUM, SUR CETTE QUESTION PRÉCISE DÉCISIVE (voulez-vous abandonner votre souveraineté à des élus, par périodes de cinq ans, ou préférez-vous exercer vous-mêmes votre souveraineté, directement, chaque fois que vous le désirez ?), ET APRÈS UN VASTE DÉBAT PUBLIC, CONTRADICTOIRE ET CIBLÉ, un peu comme notre actuelle controverse mais à plus grande échelle.
Que tu imposes ce système aux autres (ce système dans lequel chacun doit renoncer à l’exercice de sa souveraineté pour désigner un maître qu’il ne peut même pas choisir), avec interdiction de résister sous peine d’être calomnié par comparaison publique aux pires symboles, ça pose problème.
Tout ça ne te ressemble pas : tu m’as tant appris sur le détail des turpitudes de nos prétendues élites que je m’étonne du scandale que tu fais aujourd’hui pour le crime de simplement chercher un autre système de représentation… De ta part, je trouve tout ça incompréhensible (d’un oligarque ou d’un élu à sa botte, OK, mais de toi, je ne comprends pas).
Avec mon amitié renouvelée.
Étienne.]
Voici maintenant les DEUX textes de FRANÇOIS ASSELINEAU (UPR) contre le tirage au sort,
suivis de mes réponses point par point au coeur même du texte :
FRANÇOIS ASSELINEAU (UPR) : OBJECTIONS AU TIRAGE AU SORT EN POLITIQUE,
ET PROPOSITIONS DE RÉFUTATIONS RATIONNELLES, 20 sept 2011 (source et source et source)par Étienne Chouard, vendredi 23 septembre 2011, 23:02
http://www.facebook.com/note.php?note_id=10150398358067317Nouvelle controverse à propos du tirage au sort en politique (première vague) :
François Asselineau, comme Raoul Marc Jennar, est monté au créneau pour défendre le gouvernement représentatif contre la démocratie (la fausse démocratie contre la vraie, selon moi), et la controverse qui s’en est suivie est riche en enseignements, je trouve, comme l’avait été celle avec Raoul. Voici donc, reproduites en deux commentaires successifs, les deux phases récentes de la controverse récente entre François Asselineau et moi :
[François Asselineau]Les inconvénients théoriques, politiques et pratiques que présente la démocratie par tirage au sort.[/FA]
[ÉC : Premières réponses d’Étienne Chouard, en italiques, en bleu et entre crochets, aux objections formulées par François Asselineau à l’utilisation du tirage au sort en politique ( http://www.facebook.com/upr.francoisasselineau/posts/10150332561152612 ) : ÉC.]
[FA]Cette idée de tirage au sort lancée par M. Chouard n’est pas avalisée par l’UPR car elle présenterait des inconvénients considérables, en termes théoriques, politiques et pratiques :
[ÉC : pour ne rien vous cacher, je ne m’attendais pas du tout à ce qu’un parti, quel qu’il soit, « avalise » telle quelle l’idée radicale de la démocratie 🙂 Mais cela ne nous empêche pas d’échanger quelques mots pour rapprocher (au moins un peu) les points de vues ; surtout qu’il existe des voies de COMPROMIS intelligent qui devraient retenir notre attention à tous, dans le souci de l’intérêt général. ÉC.]
[FA]… 1- Sa première conséquence serait de.… supprimer les élections. Allez expliquer aux Français que le retour de la démocratie se traduit d’abord par la suppression des urnes ! Il est certain qu’une très grande majorité de Français seraient absolument opposés à cette idée.[/FA]
[ÉC : Dès qu’on a réalisé que les élections n’ont jamais tenu leurs promesses, dès qu’on se rend à l’évidence qu’elles ont même, au contraire, rendu possible une organisation particulièrement injuste nommée « capitalisme », quand on prend conscience que le capitalisme est aujourd’hui verrouillé, comme protégé, par cette procédure aristocratique, rapidement devenue oligarchique, on est alors beaucoup moins peiné de son recul, voire de sa disparition.
Mais c’est vrai qu’il faut avoir d’abord PRIS CONSCIENCE de l’escroquerie politique contenue —depuis le début— dans le régime du gouvernement représentatif : appeler « suffrage universel » l’opération par laquelle le peuple est invité à désigner des MAÎTRES politiques, parmi des gens qu’il n’a même pas choisis, et pour qu’ils décident TOUT à sa place pendant cinq ans, c’est véritablement une escroquerie monumentale. Et appeler « démocratie » le gouvernement représentatif, c’est la cerise sur le gâteau de l’imposture.
Je suis d’accord pour reconnaître que les humains (et pas seulement les Français) ne sont pas du tout prêts, pour l’instant, à la généralisation du tirage au sort en politique, et ça se comprend puisqu’on ne rappelle absolument pas à l’école, ni dans les médias, la centralité (très logique) du tirage au sort dans une démocratie digne de ce nom.
Cette première objection est vraie, donc, mais elle n’est pas une fatalité : ça peut changer très vite.
Ça dépend de nous, à la base. ÉC.]
[FA]2- Sa deuxième conséquence serait de rendre inutiles les partis politiques et les campagnes électorales. Pourquoi les gens adhèreraient-ils et militeraient-ils encore à un parti ?[/FA]
[ÉC : mais c’est une bonne nouvelle, ça, non ? Là aussi, quand on réalise que les partis ne servent qu’à gagner les élections, et que les élections ont toujours pour résultat de donner 100% du pouvoir politique aux plus riches, on n’a aucune peine à imaginer de s’en passer.
ON N’A ABSOLUMENT PAS BESOIN DE PARTIS POUR FAIRE DE LA POLITIQUE : les Athéniens étaient le peuple le plus politisé de toute l’histoire des hommes alors que… les partis étaient interdits.
Et la disparition des partis n’empêcherait pas les réunions, les conversations, les projets politiques et l’éducation populaire, me semble-t-il. ÉC.]
[FA]3- Rendant sans objet les partis politiques et les campagnes électorales, le tirage au sort laisserait les citoyens encore plus esclaves des médias qu’ils ne le sont aujourd’hui pour se faire une opinion. Ce qui n’est pas peu dire ! Ce serait la troisième conséquence. Une majorité de « tirés au sort » auraient toute chance de ressasser à l’Assemblée nationale ce qu’ils ont entendu sur TF1 la veille au soir…[/FA]
[ÉC : Je ne vois pas en quoi la disparition des partis asservirait davantage les citoyens aux médias : d’ores et déjà, les partis prennent toute la place réservée à la politique dans les médias, et leur disparition, au contraire, libèrerait de la place dans les programmes, et ferait également cesser une influence corporatiste qui est chaque jour plus visible.
Par ailleurs, je n’envisage l’institutionnalisation du tirage au sort que dans le cadre d’une refonte GÉNÉRALE de la Constitution, bien entendu, ce qui permet de prévoir une organisation des médias bien plus respectueuse de l’intérêt général, plus protectrice à l’encontre des cupidités privées, et bien moins dangereuse en termes de manipulations car faisant appel à un contrôle citoyen permanent (le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel pourrait être une Chambre tirée au sort, et les patrons de chaînes pourraient être tirés au sort collégialement parmi les personnels, pour des mandats courts et non renouvelables).
Les médias devraient ainsi devenir à DOUBLE SENS et ne plus seulement servir d’outil de propagande du haut vers le bas : des médias bien institués permettraient aux citoyens de faire remonter (et diffuser) les informations sociales utiles à tous, sans filtre oligarchique, d’organiser des formations horizontales (type « Universités populaires » où les citoyens se forment entre eux selon leurs expertises mutuelles), etc.
La crainte de la mauvaise influence des médias est, certes, fondée dans le régime actuel (qui est profondément vicié par 200 ans d’oligarchie élective), je le comprends, mais elle n’est pas si fondée dans le cadre d’un projet constituant global où les citoyens prendraient réellement leurs affaires en main. ÉC.]
[FA]4- La quatrième conséquence serait d’annoncer soudain aux Français quels sont les représentants que « le sort » a désignés.
Il en résulterait évidemment un immense doute et les rumeurs de toute nature sur la sincérité de ce tirage au sort. Qui l’aurait fait ? Le tirage n’a-t-il pas été truqué ?[/FA]
[ÉC : Comment cela ? D’où viendrait que les opérations seraient aussi mal organisées qu’elles inspireraient la méfiance ? Il serait assez aisé, au contraire, d’organiser des séances publiques honnêtes, simples et vérifiables par tous, grâce à des machines mécaniques — des klérotérions modernes (mais surtout pas électroniques !).
C’est justement la condamnation des élections par 70% des citoyens (qui disent régulièrement aux sondeurs ne plus faire confiance à aucun parti) qui conduit aux taux d’abstention record (dont les politiques de métier devraient avoir honte) (mais ils n’ont manifestement honte de pas grand chose).
Les élections truquées sont monnaie courante, un peu partout sur terre, et je ne prévois pas que les citoyens soient chagrinés d’essayer un autre système, après 200 ans de cruelles désillusions : quand nous en parlons, chacun comprend très vite que LE TIRAGE AU SORT EST À LA FOIS PARFAITEMENT ÉQUITABLE ET PARFAITEMENT INCORRUPTIBLE.
C’est même sa force majeure. ÉC.]
[FA]5- Même si le tirage au sort était honnête, les élections seraient remplacées par une sorte de panel, comme pour un sondage.
Or les instituts d’opinion un tant soit peu sérieux savent que tout sondage donne une probabilité de résultat à l’intérieur d’une fourchette, et que cette probabilité augmente si l’échantillon augmente.
À peu près tous les instituts de sondage font des enquêtes d’opinion portant sur au moins 1000 sondés, et les enquêtes les plus fiables portent sur 3 à 5000 sondés.
Avec un tirage au sort de nos 577 députés, nous aurions un échantillon trop faible. Il encourrait forcément le risque, à tel ou tel tirage, de ne pas être représentatif des opinions de la population.
C’est la 5ème conséquence.[/FA]
[ÉC : ici, je devine un MALENTENDU : cette objection examine le tirage au sort d’une assemblée législative, ce qui n’est qu’une des possibilités d’utilisation du tirage au sort, une possibilité envisagée comme un compromis, pour amender le gouvernement représentatif.
Je rappelle que la démocratie, la vraie (directe, donc), se sert du tirage au sort non pas pour déléguer tout le pouvoir aux représentants, mais pour précisément en déléguer le moins possible, le moins longtemps possible, de façon à fragiliser les représentants pour qui restent les serviteurs du peuple et pas ses maîtres, et que l’Assemblée des citoyens garde l’essentiel du pouvoir politique.
Mais pour me mettre dans l’hypothèse de l’objection (où on essaie de corriger le gouvernement représentatif en prévoyant qu’une des deux chambres soit tirée au sort et l’autre élue), il me semble que l’échantillon représentatif le plus courant pour un pays de 40 millions d’électeurs tourne autour de 1000 personnes. Eh bien la Chambre des Citoyens (celle qui est conçue pour ressembler un peu plus au pays réel) peut se composer de 1000 personnes, non ?
Mais surtout, même si ce nombre de 1000 est insuffisant (ce dont je doute) et donne une Assemblée qui n’est pas parfaitement représentative du pays réel, il est assez amusant de se voir opposer cet argument par les partisans d’assemblées élues qui, au vu de 200 ans d’expériences répétées et invariantes, ne sont JAMAIS représentatives, d’aussi loin que ce soit…
Tirer au sort une des deux chambres ne donnera sans doute pas parfaitement satisfaction, c’est donc exact, mais ce sera pourtant infiniment MIEUX que le système actuel qui, en termes de « représentation » est une authentique catastrophe.
Donc, cette objection ne peut pas être retenue pour le tirage au sort, me semble-t-il, puisqu’elle s’applique encore plus gravement pour l’élection. ÉC.]
[FA]6- Si les députés restaient représentatifs d’une circonscription, le tirage au sort pourrait très bien avoir des conséquences dangereuses pour l’ordre public : par exemple si une circonscription ayant toujours voté à gauche se voyait soudain représentée par un « tiré au sort » ultra-libéral. Ou réciproquement.
Dans ce cas, le fait qu’il n’y ait pas eu élection susciterait toutes les rumeurs et pourrait déboucher sur des émeutes si le cas se produisait ailleurs. C’est la sixième conséquence.[/FA]
[ÉC : je pense, tout au contraire, que LE TIRAGE AU SORT N’AFFLIGE PERSONNE (Montesquieu), qu’il ne crée pas de rancune pour avoir perdu, qu’il ne crée pas non plus de vanité d’avoir gagné. Une des grandes forces du tirage au sort est qu’il est INCONTESTABLE, et donc PACIFIANT pour la Cité. Montesquieu le souligne bien dans l’Esprit des lois (Livre II, Chapitre 2).
Là encore, il est amusant de voir les partisans de l’élection — qui organise une véritable guerre de tranchées entre les partis, qui interdit littéralement aux citoyens de fraterniser (voir les interminables querelles intestines, et les rancunes tenaces qui en découlent, pour désigner un candidat commun, à gauche comme à droite) — redouter la discorde avec le tirage au sort, alors que celui-ci est intrinsèquement pacifiant puisqu’il écarte, par construction, toute idée de compétition.
D’autant que, il ne faut pas l’oublier, en démocratie, le tirage au sort n’abandonne le pouvoir à personne, mais permet précisément au peuple de le garder : ainsi, peu importe que le tiré au sort soit ultra-libéral » puisque ce n’est pas lui qui va prendre les décisions, mais la majorité des citoyens réunis en corps à l’Assemblée (si on parle bien de démocratie).
Et si l’on parle de gouvernement représentatif amendé, il ne faut pas oublier toutes les INSTITUTIONS CORRECTRICES qui seront prévues pour laisser au peuple L’INITIATIVE qui lui permet de reprendre le contrôle d’une situation qui lui déplairait à l’expérience. ÉC.]
[FA]7 – [Ce § est un rajout ]: Et si les députés n’étaient plus représentatifs d’une circonscription, la déconnexion entre les citoyens et leurs représentants serait totale.
Plus personne ne saurait par qui il est représenté à l’Assemblée Nationale puisqu’il n’y aurait même plus d’élection. Le lien entre les citoyens et leurs « représentants » deviendrait exactement comparable au lien entre les citoyens et les sondés par un institut de sondage : personne ne sait qui a été sondé et les résultats des sondages sont de moins en moins crus. C’est la septième conséquence.[/FA]
[ÉC : Si l’on parle de démocratie (donc forcément directe), le lien entre les citoyens et leurs représentants n’a aucune importance puisque ce sont les citoyens qui décident (à l’Assemblée) et pas les représentants.
Si l’on parle de gouvernement représentatif amendé (une des chambres législatives est tirée au sort et l’autre est élue), chaque citoyen va bien comprendre qu’avec ce bicaméralisme intelligent (une chambre de pros élus et une chambre d’amateurs tirés au sort) il prend LE MEILLEUR DES DEUX SYSTÈMES et que si, par ailleurs et par surcroît, il garde L’INITIATIVE à tout moment pour trancher lui-même en cas de litige (institution d’initiative populaire autonome à prévoir absolument si l’on veut bien amender le gouvernement représentatif), chacun comprend bien, donc, qu’un tel système le protège beaucoup mieux que le système actuel, même s’il est (fatalement) imparfait.
OBJECTIVEMENT le risque de différence radicale (évoqué dans cette objection anxiogène) entre le peuple et l’assemblée qui le représente est MOINS GRAND avec une chambre tirée au sort qu’avec une chambre élue.
ÉC.]
[FA]8- le tirage au sort donnerait forcément des résultats non viables s’il s’opérait sur la liste des électeurs.
En effet, que se passerait-il si le sort désignait des électeurs :
– très malades et impotents ?
– ou gravement handicapés mentalement ou cérébralement (par exemple des personnes très âgées frappées par la maladie d’Alzheimer) ?
– ou incarcérés ?
– ou disparus ?
– ou n’ayant aucune envie de s’occuper de politique ? (ce qui représente au bas mot 15% du corps électoral)
etc.Pour être viable, le tirage au sort devrait donc se faire sur des listes d’aptitude, lesquelles poseraient des problèmes très épineux de tenue à jour, de fiabilité, et plus encore de représentativité de l’ensemble de la population.
Qui dresserait ces listes d’aptitude ?
Sur quelles bases ?
Comment s’assurer que ces listes ne procèderaient pas à une distorsion par rapport à l’électorat, entachant ainsi sa représentativité d’emblée ?
etc.
C’est la huitième conséquence.[/FA][ÉC : tout ces problèmes (bien réels) ont été parfaitement analysés et réglés par les Athéniens, qui avaient précisément les mêmes peurs et qui avaient institué tout ce qu’il fallait pour ne plus avoir peur : je décris dans mes conférences toutes les institutions complémentaires qui servent exactement à régler ces PROBLÈMES (RÉELS) QUI N’ONT RIEN D’INSURMONTABLES : volontariat, docimasie, ostracisme, révocabilité, reddition des comptes et punitions possibles, graphe para nomon et esangelie.
Ce qui est très intéressant, d’ailleurs, c’est que rien ne nous interdit de réfléchir à notre tour et d’imaginer des améliorations aux institutions athéniennes, naturellement : ainsi la docimasie, examen d’aptitude pour pouvoir être tiré au sort, pourrait avoir un contenu longuement discuté entre nous et c’est très intéressant : où voulons-nous placer la barre ? La discussion est ouverte. Et le fait que les réponses ne soient pas encore évidentes ne retire rien à l’intérêt de l’institution. ÉC.]
[FA]9- On ne s’improvise pas député, surtout si l’on n’a pas de structure politique pour épauler les travaux.
Les partis politiques ont certes bien des défauts mais ils ont quand même le mérite de fixer un cadre de travail, d’avoir des méthodes, une expérience des rapports avec les administrations, etc.
Comment un « tiré au sort » n’ayant aucune expérience ferait-il pour ne pas se laisser embobiner par les administrations ou par les lobbys en tout genre qui viendraient l’assaillir ?
C’est la neuvième conséquence : le tirage au sort n’apporte aucune garantie de sérieux et d’indépendance.[/FA][ÉC : C’est vrai qu’on ne s’improvise pas député, mais cela vaut tout autant pour les élus que pour les tirés au sort ! TOUS devront travailler en découvrant leur poste, et c’est leur TRAVAIL sur les dossiers qui, principalement, fera leur compétence.
Cette objection de la compétence est vieille comme le gouvernement représentatif, et il faut reconnaître que de nombreux élus ont de fort belles mécaniques intellectuelles. Ce que dit Alain de ce sujet est absolument lumineux : j’invite tout le monde à lire — et à travailler même — les « Propos sur le pouvoir », notamment.
Le problème — et il est rédhibitoire, il faut le comprendre — c’est qu’une grande compétence, quand elle est au service d’une petite vertu est, du point de vue de l’intérêt général, UNE DOUBLE CATASTROPHE ! À quoi nous sert d’avoir mis des « pointures » au pouvoir si elles sont malhonnêtes ?
Il est donc important, pour tous ceux qui tiennent absolument à éviter les abus de pouvoir, de placer la vertu AVANT la compétence.
Et de ce point de vue, L’AMATEURISME POLITIQUE était la solution démocratique que les Athéniens avaient apportée (avec succès pendant 200 ans) au fait (éternel) que LE POUVOIR CORROMPT. Le refus du professionnalisme politique ne laisse jamais aux représentants le temps de se corrompre. Et pour les démocrates, c’est tout à fait prioritaire.
Par ailleurs, l’expérience renouvelée, dans les temps modernes, des « conférences de consensus », des « assemblées de citoyens », des « sondages délibératifs », etc. montrent au contraire que la compétence des simples citoyens, développée à vitesse grand V au cours des travaux collectifs de longue haleine, est tout à fait surprenante.
Je n’insisterai pas, en regard, sur l’incompétence notoire qu’on observe souvent chez certains élus.
Donc, L’ÉLECTION NE GARANTIT NULLEMENT LA COMPÉTENCE, ET ENCORE MOINS L’HONNÊTETÉ, ALORS QUE LE TIRAGE AU SORT N’INTERDIT NI L’UN NI L’AUTRE.
Les simples citoyens, soucieux de donner au mot « démocratie » un sens réel et non dévoyé, aspirent naturellement à l’exercice du pouvoir. Les renvoyer à leur « incompétence » supposée est un peu vexant. ÉC.]
[FA]9- Enfin, qu’est-ce qui assure qu’un citoyen « lambda » tiré au sort ne serait pas autant, sinon plus, corruptible qu’un responsable politique traditionnel ?
Il n’y a aucun rapport entre le tirage au sort et la vertu, l’éthique et la moralité de chacun. Croire l’inverse, c’est verser dans l’antiparlementarisme systématique ou tomber dans la naïveté romantique.
C’est la dixième conséquence : le tirage au sort n’apporte aucune garantie de probité.[/FA][ÉC : là, je pense qu’il y a une vraie erreur — et je ne sombre dans rien du tout 😉
PARCE QUE L’ÉLECTION POUSSE AU MENSONGE ET À LA CORRUPTION, LE TIRAGE AU SORT, PAR COMPARAISON, EST INTRINSÈQUEMENT VERTUEUX.
Alors, qu’est-ce qui vicie donc ainsi l’élection ?
Je reproduis ici une partie de la liste des reproches que je formule contre cette procédure (voir http://etienne.chouard.free.fr/Europe/centralite_du_tirage_au_sort_en_democratie.pdf ) :
a. L’élection pousse au mensonge les représentants : d’abord avant, pour accéder au pouvoir, puis pendant, pour le conserver, car les candidats ne peuvent être élus, puis réélus, que si leur image est bonne : cela pousse mécaniquement à mentir, aussi bien sur le futur et sur le passé.
b. L’élection pousse à la corruption : les élus « sponsorisés » doivent fatalement « renvoyer l’ascenseur » à leurs sponsors, ceux qui ont financé leur campagne électorale : la corruption est donc inévitable, par l’existence même de la campagne électorale dont le coût est inaccessible au candidat seul (au moins dans les élections à grande échelle). Le système de l’élection permet donc, et même impose, la corruption des élus (ce qui arrange sans doute quelques acteurs économiques fortunés).
Grâce au principe de la campagne électorale ruineuse, nos représentants sont à vendre (et nos libertés avec).
c. L’élection incite au regroupement en ligues et soumet l’action politique à des clans et surtout à leurs chefs, avec son cortège de turpitudes liées aux logiques d’appareil et à la quête ultra prioritaire (vitale) du pouvoir.
Les partis imposent leurs candidats, ce qui rend nos choix factices. Du fait de la participation de groupes politiques à la compétition électorale (concurrence déloyale), l’élection prive la plupart des individus isolés de toute chance de participer au gouvernement de la Cité et favorise donc le désintérêt politique (voire le rejet) des citoyens.
d. L’élection délègue… et donc dispense (éloigne) les citoyens de l’activité politique quotidienne et favorise la formation de castes d’élus, professionnels à vie de la politique, qui s’éloignent de leurs électeurs pour finalement ne plus représenter qu’eux-mêmes, transformant la protection promise par l’élection en muselière politique.
e. L’élection n’assure que la légitimité des élus, sans garantir du tout la justice distributive dans la répartition des charges : une assemblée de fonctionnaires et de médecins ne peut pas appréhender l’intérêt général comme le ferait une assemblée tirée au sort.
Une assemblée élue n’est jamais représentative.
f. Paradoxalement, l’élection étouffe les résistances contre les abus de pouvoir : elle réduit notre précieuse liberté de parole à un vote épisodique tous les cinq ans, vote tourmenté par un bipartisme de façade qui n’offre que des choix factices. La consigne du « vote utile » est un bâillon politique.
L’élection sélectionne par définition ceux qui semblent « les meilleurs », des citoyens supérieurs aux électeurs, et renonce ainsi au principe d’égalité (pourtant affiché partout, mensongèrement) : l’élection désigne davantage des chefs qui recherchent un pouvoir (dominateurs) que des représentants qui acceptent un pouvoir (médiateurs, à l’écoute et au service des citoyens).
L’élection est profondément aristocratique, pas du tout démocratique. L’expression « élection démocratique » est un oxymore (un assemblage de mots contradictoires).
Un inconvénient important de cette élite, c’est ce sentiment de puissance qui se développe chez les élus au point qu’ils finissent par se permettre n’importe quoi.
Donc, oui, a contrario, le tirage au sort, qui échappe à tous ces travers, pousse davantage à la vertu, intrinsèquement :
a. La procédure du tirage au sort est impartiale et équitable : elle garantit une justice distributive (conséquence logique du principe d’égalité politique affirmé comme objectif central de la démocratie).
b. Le tirage au sort empêche la corruption (il dissuade même les corrupteurs : il est impossible et donc inutile de tricher, on évite les intrigues) : ne laissant pas de place à la volonté, ni des uns ni des autres, il n’accorde aucune chance à la tromperie, à la manipulation des volontés.
c. Le tirage au sort ne crée jamais de rancunes : pas de vanité d’avoir été choisi ; pas de ressentiment à ne pas avoir été choisi : il a des vertus pacifiantes pour la Cité, de façon systémique.
d. Tous les participants, représentants et représentés sont mis sur un réel pied d’égalité.
e. Le hasard, reproduisant rarement deux fois le même choix, pousse naturellement à la rotation des charges et empêche mécaniquement la formation d’une classe politicienne toujours portée à tirer vanité de sa condition et cherchant toujours à jouir de privilèges.
Le principe protecteur majeur est celui-ci : les gouvernants sont plus respectueux des gouvernés quand ils savent avec certitude qu’ils reviendront bientôt eux-mêmes à la condition ordinaire de gouvernés.
f. Préférer le tirage au sort, c’est refuser d’abandonner le pouvoir du suffrage direct à l’Assemblée, et c’est tenir à des contrôles réels de tous les représentants : donc, le tirage au sort portant avec lui des CONTRÔLES drastiques à tous les étages, il est mieux adapté que l’élection (qui suppose que les électeurs connaissent bien les élus et leurs actes quotidiens) pour les entités de grande taille. (Alors qu’on entend généralement prétendre le contraire.)
ÉC.]
[FA]CONCLUSION
—————-
L’idée de « tirer au sort » les représentants des Français est une idée séduisante de prime abord mais qui ne résiste pas à l’examen.[/FA]
[ÉC : pour ma part, j’aurais dit exactement la même chose… de l’élection ! 🙂 ÉC]
[FA]L’invocation de la Grèce antique ne tient pas debout :
- D’une part parce qu’il s’agissait de cités de quelques milliers d’habitants tout au plus, où tout le monde se connaissait,[/FA]
[ÉC : C’est vrai, et c’est aussi le cas dans les COMMUNES, toutes de petite taille, où pourrait parfaitement prendre place des institutions démocratiques dignes de ce nom.
Donc, du point de vue de la TAILLE, la comparaison entre communes et cité grecque tient parfaitement debout.
Et pour les problèmes politiques qui requièrent la grande échelle (et pour eux seuls), on peut faire travailler ensemble les communes avec une technique bien connue qui s’appelle la FÉDÉRATION, longuement testée et rôdée : nous ne sommes pas du tout là en terres inconnues. ÉC.]
[FA]- D’autre part parce que les problèmes étaient d’une moindre complexité que dans le monde d’aujourd’hui,[/FA]
[ÉC : CE NE SONT PAS LES PROBLÈMES QUI SONT PLUS COMPLIQUÉS, CE SONT LES LOIS. Et il me semble que ce n’est pas une fatalité : c’est la spécialisation des législateurs, et des avocats, et des juges, et plus largement de tous les professionnels du droit, qui a conduit progressivement à une extravagante complexité législative, qui engendre elle-même une grande INSÉCURITÉ JURIDIQUE pour tout le monde.
Donc, non seulement cette complexité est non nécessaire, mais elle est nuisible. Déprofessionnaliser la production du droit pourrait heureusement conduire à simplifier le droit et je ne vois pas que ce soit une catastrophe. ÉC.]
[FA]- Enfin parce que ce tirage au sort était loin d’être un modèle de démocratie (les femmes et les esclaves en étant écartés).[/FA]
[ÉC : j’ai répondu à cette objection précisément : le fait qu’à cette époque, il y avait effectivement des esclaves et des femmes incapables politiquement 1) n’était pas spécifique (tous les peuples vivaient comme ça à l’époque), et 2) n’était pas constitutif de la démocratie (les institutions démocratiques fonctionneraient de la même façon en incorporant les femmes et les esclaves dans le peuple moderne).
Il n’est donc pas pertinent de monter en épingle ces caractères — non spécifiques et non décisifs — comme s’ils rendaient inacceptables le projet démocratique. ÉC.]
[FA]Les difficultés recensées supra expliquent pourquoi il n’existe de nos jours aucun État au monde qui pratique un tirage au sort pour choisir les représentants du peuple.[/FA]
[ÉC : on pourrait voir d’autres raisons, plus crédibles : les aspirants voleurs de pouvoir, ayant eu 200 ans pour constater la centralité du tirage au sort dans une démocratie réelle, ont toujours fait bien attention depuis à ne jamais laisser les peuples décider eux-mêmes de leurs institutions, et à ne jamais enseigner aux enfants les fondements les plus importants d’une vraie démocratie : au contraire, on apprend aux enfants que démocratie = élections, ce qui est un contresens absolu. ÉC.]
[FA]En dressant ce constat, nous ne disons évidemment pas que la situation actuelle est parfaite, loin de là.
Nous disons que la démocratie doit être rénovée par d’autres voies, qui devront rester opérationnelles, réalistes, acceptées par tous, et qui veilleront à garantir aux citoyens une démocratie beaucoup plus réelle et représentative de l’opinion que ce n’est le cas actuellement.
Le programme complété que je présenterai cet automne veillera à apporter des solutions que j’espère convaincantes.
François Asselineau[/FA]
[ÉC : autant je comprends que vous soyez hostile à la démocratie directe intégrale (puisqu’elle rendrait impossible à quiconque la direction des affaires à la place du peuple), autant il me semble que vous n’auriez pas grand-chose à perdre en pouvoir, et beaucoup à gagner en image, à proposer enfin au peuple de PARTAGER (un peu) du pouvoir auquel vous aspirez : proposer de COMBINER LES AVANTAGES de deux chambres, une élue et une tirée au sort, vous permettrait de continuer à poursuivre votre projet de participer vous-même à la défense de l’intérêt général (grâce à l’élection), tout en offrant au peuple une fenêtre jamais vue depuis 2500 ans, un espoir pour les électeurs d’être enfin traités en adultes (grâce au tirage au sort) : vous montreriez que vous faites CONFIANCE aux citoyens (que vous cesseriez de ravaler au rang dégradant d’électeurs), et je suis sûr qu’ils sauraient le voir (d’autant plus que ce serait sacrément original et prometteur).
J’espère que vous n’avez pas fermé les écoutilles et verrouillé votre jugement sur la question : plus j’y réfléchis, plus je trouve que (au moins introduire partiellement) le tirage au sort en politique est une idée astucieuse et équilibrée, du point de vue de l’intérêt général.
Je profite de cet échange pour vous remercier de la qualité et de l’utilité de votre résistance au projet de domination européen.
Étienne Chouard.]
_____________________
[ÉC : post scriptum :
IL EST DIFFICILE DE CORROMPRE QUELQU’UN QUI NE VOUS DOIT RIEN.
Voilà une façon claire et forte de résumer LA RACINE de ce qui fait que, — SANS ÊTRE LUI-MÊME PARFAIT bien sûr, puisque rien n’est parfait —, LE TIRAGE AU SORT EST PLUS PROPICE À LA VERTU QUE L’ÉLECTION.
Je ne dis PAS du tout que TOUTES LES PERSONNES —tous les élus et tous les candidats à l’élection— soient corrompus, car il y a des personnalité plus fortes que les autres qui résistent bien aux forces corruptrices en présence (et c’est sans doute plus fréquent à l’échelle locale), mais je dis que LA PROCÉDURE de l’élection est mécaniquement corruptrice, quand celle du tirage au sort ne n’est pas.
Le FAIT de rendre l’élu DÉBITEUR (de ceux qui financent sa campagne électorale) est au cœur de la mécanique qui conduit à la situation actuelle : je pense que cette procédure oligarchique est LA CAUSE DES CAUSES de la crise actuelle (et de celles qui l’ont précédée).
Et j’en déduis logiquement que, sans être parfaite, la DÉMOCRATIE — la vraie — est une solution crédible et durable à la catastrophe actuelle.
Étienne Chouard.]
Deuxième texte de François Asselineau et mes réponses point par point :
OBJECTIONS (2) AU TIRAGE AU SORT EN POLITIQUE,
ET PROPOSITIONS (2) DE RÉFUTATIONS RATIONNELLES, 2 octobre 2011 (source)http://www.facebook.com/note.php?note_id=10150411060262317
Rappel des épisodes précédents : une intéressante controverse a commencé quand Monsieur Asselineau a publié (http://www.facebook.com/upr.francoisasselineau/posts/10150332561152612) une première série de reproches à l’idée d’utiliser le tirage au sort en politique pour fonder et protéger une démocratie digne de ce nom.
Rapidement, j’ai répondu point par point à cet argumentaire : http://www.facebook.com/notes/etienne-chouard/objections-au-tirage-au-sort-en-politique-et-propositions-de‑r%C3%A9futations-rationn/10150398358067317
Hier, François Asselineau a réagi à son tour en étudiant point par point mes réponses : http://fr-fr.facebook.com/upr.francoisasselineau/posts/254132797957858
C’est à ce dernier message public que je réponds à mon tour, en glissant dans le texte de François Asselineau mes propres objections, entre crochets et en bleu comme précédemment.
—–
[ÉC : DEUXIÈME SÉRIE DE RÉPONSES D’ÉTIENNE CHOUARD, en bleu et entre crochets,
AUX RÉACTIONS DE FRANÇOIS ASSELINEAU
à propos de l’utilisation du tirage au sort en politique
(http://fr-fr.facebook.com/upr.francoisasselineau/posts/254132797957858) : ÉC.][FA : J’ai hésité à répondre aux arguments avancés par une tierce personne en lieu et place de M. Chouard sur Agoravox car je n’ai pas envie de donner du relief à cette idée de tirage au sort. FA]
[ÉC : Avant de répondre point par point à François Asselineau —dont je respecte le travail admirable de dénonciation méticuleuse et puissante du projet de domination européen, et la présente controverse ne changera rien à ce respect—, je voudrais formuler quelques remarques préliminaires :
• D’abord, un inconvénient des controverses est que nous sommes parfois conduits à radicaliser nos positions par le jeu même des arguments adverses, et nous pouvons souvent — l’un et l’autre — être conduits insensiblement à défendre (temporairement) des positions plus radicales que celles qui sont profondément les nôtres.
Ainsi, après avoir travaillé six ans à amender (sans penser les abolir !) les institutions du gouvernement représentatif (voir notamment mon forum : http://etienne.chouard.free.fr/forum ), les récentes discussions (passionnées) sur la démocratie athénienne m’ont progressivement conduit à me faire le défenseur opiniâtre de cette démocratie directe antique dont les germes essentiels me semblent effectivement très intéressants pour nous autres, modernes, et au sujet de laquelle les calomnies (souvent d’origine parlementaire), ressassées ad nauseam depuis deux cents ans, me semblent parfaitement injustes et infondées.
Et me voici donc devenu, par le jeu des polémiques successives (passionnantes au demeurant), le défenseur apparemment inconditionnel de la seule démocratie directe à l’athénienne, comme si je n’avais pas d’autres projets, plus modérés et plus raisonnables : je rappelle donc que l’essentiel de mon travail depuis six ans consiste à améliorer la représentation du peuple dans le cadre du gouvernement représentatif.
Je rappelle que ce gros travail me permet d’affirmer qu’il y a au moins un tirage au sort qui est absolument NON NÉGOCIABLE, et c’est LE TIRAGE AU SORT DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE, sans lequel aucune démocratie digne de ce nom, ni gouvernement représentatif respectable, ne sera jamais instituée. Je ne développe pas ici, j’en parle partout.
Au-delà de cet usage minimum (à mon avis, incontournable) du tirage au sort, toutes les réflexions sont intéressantes, mais plus optionnelles : démocratie directe sous forme de fédération de communes libres ; ou gouvernement représentatif profondément amélioré, par des CONTRÔLES des élus et des organes (législatifs, exécutifs, judiciaires, médiatiques et monétaires) à tous les étages, par la puissance autonome reconnue aux INITIATIVES POPULAIRES, par une chambre tirée au sort en complément de celle élue, etc.
• Ensuite, il semble que les authentiques démocrates soient appelés à se faire salir par ceux qui appellent « démocratie » son strict contraire : les noms d’oiseau ‘fasciste’ ou ‘d’extrême droite’ ou ‘totalitaire’ volent bas, ces temps-ci.
Il me semble donc utile de souligner ce qu’est, à mon sens, la différence entre la droite et la gauche : historiquement (et à juste raison pour la défense de l’intérêt général), le mot DROITE désignait pendant la Révolution française la position dans l’hémicycle des défenseurs des PRIVILÉGIÉS de l’Ancien régime. Cette ligne de clivage me paraît parfaitement pertinente et adaptée à l’époque moderne, époque où la multitude des (relativement) pauvres a toujours beaucoup à craindre des intrigues et des abus de pouvoir des grands privilégiés du moment.
LE VRAI MARQUEUR GAUCHE/DROITE, À MON SENS,
C’EST : « POUR OU CONTRE LES PRIVILÈGES ET LES PRIVILÉGIÉS ».Or, il se trouve que, depuis que les socialistes ont eu le pouvoir en 1981, et plus précisément depuis le début, en 1983, de leurs honteuses et interminables trahisons, une certaine « gauche » (celle qui est en fait devenue d’extrême droite sans l’avouer, c’est-à-dire au service servile des privilégiés, de façon littéralement scandaleuse), comme pour faire oublier ses félonies, s’est forgée une vertu factice en défendant (d’une façon presque hystérique, sans doute à la mesure des mensonges que nous sommes priés de passer par pertes et profits) de nouvelles « valeurs de gauche » (à mon avis totalement étrangères aux vraies causes des multiples injustices sociales) comme l’interdiction de la peine de mort, l’autorisation de l’avortement, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (comme s’ils n’étaient pas une seule et même plaie), la lutte contre les discriminations (accompagnée du communautarisme afférent, profondément antirépublicain), la lutte contre le ‘nationalisme’ et contre le ‘souverainisme’ dénoncés comme source des guerres entre les peuples (alors que la vraie cause des causes des guerres, ce sont bien plutôt les cartels et les banques, c’est-à-dire les grands privilégiés, qui instrumentalisent le nationalisme et le racisme), etc. Toutes sortes de sujets de sociétés IMPORTANTS MAIS SECONDAIRES, toutes CONSÉQUENCES ET PAS CAUSES de nos maux, par rapport aux vrais méfaits du capitalisme déboutonné : libre-échange, déréglementation financière, délocalisations, paradis fiscaux, réduction des impôts des riches, Union européenne structurellement antidémocratique et antisociale, démantèlement des services publics, privatisations, recul des protections sociales, corruption des pouvoirs, etc.
Je recommande à ce sujet l’excellent live de Jean-Luc Mélenchon, « En quête de gauche », qui dresse un récapitulatif planétaire de toutes les trahisons des partis socio-démocrates du monde : une interminable litanie de saloperies, qui évoquent évidemment celles de notre PS national, véritable catastrophe antisociale.
C’est bien la trahison des élus de gauche qui nous conduit tous à l’absence d’alternative et à la catastrophe actuelle, depuis 1983, et qui nous y enferme encore.
La lutte contre les méfaits de la CLASSE DES GRANDS PRIVILÉGIÉS ayant donc disparu des objectifs de la soi-disant « gauche socialiste », nous autres (citoyens ravalés à la condition humiliante d’électeurs) sommes donc condamnés par le régime du soi-disant « gouvernement représentatif » (qui ose s’autoproclamer « démocratie », il y en a qui ne manquent pas d’air), CONDAMNÉS À SUBIR LES MALTRAITANCES DE DEUX PARTIS DE DROITE : L’UMP et le PS, qui sont de droite en ceci qu’ils défendent tous les deux, à toute force, les intérêts des grands privilégiés ; ceux qui ne le voient pas en ce moment ne verront jamais rien.
Pour ma part, jusqu’à nouvel ordre, je classe donc Monsieur Asselineau à gauche, parce qu’il résiste vaillamment aux projets de domination totale des grands privilégiés, et le PS à l’extrême droite, parce qu’il organise et nous impose depuis trente ans le piège antidémocratique et antisocial de l’Union européenne et parce qu’il défend toujours servilement les intérêts des ultras riches en France.
• Dernier point : j’observe que ma proposition médiane — un régime mixte où voteraient les lois deux chambres, une chambre de professionnels élus et une chambre d’amateurs tirés au sort — n’a pas été commentée par Monsieur Asselineau. C’est dommage, car c’est une idée qui permettrait à un élu, soucieux d’associer les gouvernés à son action, de partager avec le peuple un peu du pouvoir qu’il brigue : je n’arrive pas à croire que Monsieur Asselineau tienne absolument à garder le peuple totalement à l’écart de toute action politique une fois qu’on lui aura donné le pouvoir en l’élisant.
ÉC]
[FA : Mais ce fil de discussion (http://fr-fr.facebook.com/upr.francoisasselineau/posts/254132797957858) me pousse quand même à réagir.
—–
Comme le dit très justement Aarav at Vaji, les réponses de M. Chouard à mes objections à son idée de tirage au sort, telles qu’elles sont apparues sur Agoravox, n’étaient pas sérieuses. Elles étaient même parfois assez inquiétantes. Elles reposaient surtout sur un art de l’esquive et sur des affirmations péremptoires et extrêmement discutables. FA]
[ÉC : Ces premières affirmations reviendront peut-être comme un boomerang, chacun jugera sur pièces. Venons-en aux arguments.
ÉC][FA : Tout cela est assez inattendu de la part de quelqu’un qui entend d’aller au fond des choses. FA]
[ÉC : Même remarque.
ÉC][FA : J’en prendrais pour preuve 3 exemples parmi mes 10 objections :
=====================================
1) – mon objection n°1 était que le tirage au sort proposé par M. Chouard consiste tout bonnement à supprimer les urnes, les scrutins, le suffrage universel et les partis politiques, le tout sous couvert de démocratie. FA]
[ÉC : Vous n’insistez que sur la suppression (d’un mensonge politique — ce n’est pas un détail) sans voir ce qui est proposé à la place (le vrai demos cratos, honnêtement). Pour ne pas la laisser déformer, je vais reconstituer ci-dessous l’intégralité de l’idée que je défends :
• Je propose effectivement de supprimer les URNES (où les électeurs sont invités à se contenter de déposer le nom d’un MAÎTRE politique qui décidera de tout à leur place pendant cinq ans), et de les remplacer par le VOTE DIRECT sur chaque loi de tous les citoyens (qui le désirent) à l’Assemblée.
C’est-à-dire que je propose UN SYSTÈME QUI CESSE D’EXCLURE les citoyens de l’action politique (parce que l’exclusion du peuple de tout pouvoir au quotidien est bien le résultat évident de l’élection, il n’y a que les élus pour ne pas le voir), et qui associe au contraire pleinement tous ceux qui le souhaitent à cette action politique, quotidiennement.
• En d’autres termes (parce que c’est la même chose dit autrement), je propose effectivement de SUPPRIMER LE FAUX « suffrage universel » (imposé par les élus et qui consiste à seulement choisir son maître politique et à renoncer à toute puissance politique) et LE REMPLACER PAR LE VRAI suffrage universel qui est le vrai vote de vraies lois par de vrais citoyens dans une vraie assemblée démocratique au service du vrai intérêt général.
Si vous ne retenez que le premier terme du paragraphe précédent, et en retirant le mot FAUX par surcroît, vous avez suffisamment déformé ma pensée pour la réfuter facilement. Mais cette réfutation serait sans doute plus difficile en la respectant.
• Et enfin, comme une conséquence logique de la disparition des élections de nos maîtres, effectivement, je prévois la disparition des partis, puisqu’ils ne servaient qu’à gagner les élections.
Nota : tout cela n’est pas présenté « sous couvert de » démocratie : tout cela est « la substance même » de toute démocratie digne de ce nom.
Mais il est vrai que cela n’apparaît qu’à ceux qui ne croient plus aux bobards parlementaires :
DEMOS CRATOS, CE N’EST PAS PARLEMENTAROS CRATOS…
ÉC]
[FA : J’estime qu’une écrasante majorité de Français rejetterait cette idée (et j’estime aussi qu’ils auraient raison de la rejeter).
Objection à laquelle M. Chouard a répondu en substance trois choses :
1.1.)- tout pourrait changer très vite
——————————————-
Je suis désolé mais ce n’est pas une réponse, c’est une simple affirmation, une pétition de principe. M. Chouard n’a aucune preuve, aucun indice de ce qu’il affirme, il n’explique nullement comment il va faire pour convaincre les Français d’abandonner le suffrage universel, qui est l’une des plus grandes conquêtes de la République [ÉC : Je le conteste. ÉC] et qui est le seul moment où ils ont un rôle actif [ÉC : JE NE VOUS LE FAIS PAS DIRE ! ÉC] ; il n’explique pas davantage comment il va parvenir concrètement à modifier la Constitution française sur ce point (car il le faudrait). FA]
[ÉC : Là encore, je ne vous le fais pas dire : cette situation véritablement scandaleuse, où seuls les parlementaires, à l’initiative du gouvernement, peuvent MODIFIER EUX-MÊMES LA CONSTITUTION QU’ILS DEVRAIENT CRAINDRE ET QUI DEVRAIT LEUR ÊTRE PARFAITEMENT INACCESSIBLE, cette situation profondément antidémocratique est un piège politique conçu et imposé par… les élus eux-mêmes. Je vous prie de noter ce fait.
Depuis la nuit des temps, les pouvoirs ont une tendance naturelle et puissante à S’AUTONOMISER, c’est-à-dire à s’affranchir progressivement de tous les contrôles.
Et le fait que nous soyons effectivement enfermés dans un piège institutionnel ne doit pas nous interdire de le critiquer et de réfléchir aux moyens réalistes d’en sortir. C’est pourquoi j’invite mes concitoyens (ceux qui ne briguent aucun pouvoir — mais qui redoutent naturellement les abus de pouvoir) à se réapproprier le processus constituant :
LA MAUVAISE QUALITÉ DU PROCESSUS CONSTITUANT EST, SELON MOI, LA CAUSE DES CAUSES DE TOUTES LES INJUSTICES SOCIALES.
Il est absolument essentiel, pour toute société organisée autour d’un état de droit, que les membres de l’Assemblée constituante (et ceux du Conseil constitutionnel) soient DÉSINTÉRESSÉS, c’est-à-dire qu’ils n’écrivent pas des règles pour eux-mêmes.
Et nous ne sortirons évidemment pas du piège parlementaire en demandant la permission aux parlementaires ou aux divers professionnels de la politique.
ÉC]
–
[FA : 1.2.)- de toute façon les élections auraient toujours été sans effet et leurs résultats trahis.
————————
Je suis désolé mais cette affirmation de M. Chouard est une énormité d’un point de vue historique ! FA]
[ÉC : L’énormité est peut-être du côté du fait de monter en épingle quelques succès (effectifs, mais relatifs) pour masquer la foultitude des échecs, des trahisons et des reculs.
Je renouvelle mon invitation à lire le récapitulatif passionnant (et révoltant) de toutes les trahisons des élus socio-démocrates, pourtant « de gauche », à travers le monde (Jean-Luc Mélenchon, « En quête de gauche », 2007).
ÉC]
[FA : Sans remonter avant 1914, les élections législatives du Cartel des Gauches de 1924, plus encore du Front Populaire de 1936, celles de 1945, 1946, 1958, 1962, 1968, 1981, 1986 ou 1993 provoquèrent des changements politiques significatifs, parfois majeurs et même historiques. FA]
[ÉC :
- Vous les trouvez « significatifs », « majeurs » et « historiques » ;
- Je les trouve « dérisoires » au regard de l’injustice sociale généralisée et du cynisme triomphant de notre époque.
C’est clairement une divergence d’appréciation.
On ne peut pas être d’accord sur tout 😉Par ailleurs, je rappelle que les avancées du front populaire ne doivent rien à l’élection de candidats « de gauche » (qui avaient, comme les autres, PROMIS EN COULISSE au patronat et aux banques de ne pas monter les salaires !), mais bien à la mobilisation massive et déterminée (des millions de personnes dans les rues).
Ne pas mettre au crédit de l’élection ce qu’elle ne mérite pas.
Quant à 1981, je n’oublie pas que cette élection a rendu possible (après quelques mois de changements effectivement enthousiasmants) la pire régression antisociale et antidémocratique qui soit.
ÉC]
[FA : Si les élections en France ne produisent plus, DE NOS JOURS, de changements politiques et trahissent toutes les promesses faites aux électeurs, [ÉC : Eh bien vous voyez que nous sommes d’accord… 🙂 ÉC] ce n’est donc pas parce que le principe même de l’élection est vicié ; c’est parce que tous les pouvoirs essentiels ont été volés aux Français et transférés à Washington, Bruxelles et Francfort ! FA]
[ÉC : Ah oui ? Et volés par qui, s’il vous plaît, si ce n’est pas par les ÉLUS ?
ÉC]
[FA : Cela fait d’ailleurs 4 ans et demi que je parcours les routes de France pour en informer mes concitoyens. FA]
[ÉC : Et je vous en félicite, sincèrement.
ÉC]
[FA : De fait, le traité de Maastricht de 1992 a produit ses effets mortels pour la démocratie puisque les dernières élections législatives ayant eu un impact réel sur la situation sont sans doute celles de mars 1993. Toutes les autres ont été suivies de nul effet puisque les députés n’ont plus de pouvoir réel autre que la transposition obligatoire « du droit communautaire ». FA]
[ÉC : Effectivement : la souveraineté nationale a été sabotée par… nos ÉLUS.
Le traité de Maastricht ne tombe pas du ciel, et la trahison de nos élus a une cause première, structurelle : tout le monde voit bien (à part les élus, peut-être) que C’EST LA DETTE DES ÉLUS ENVERS CEUX QUI LES ONT FAIT (ET QUI LES FERONT) ÉLIRE QUI EST LE VICE CENTRAL PERMANENT DE TOUTES LES ÉLECTIONS À GRANDE ÉCHELLE.
ÉC]
–
[FA : 1.3.)- on pourrait très bien « faire de la politique sans parti politique » et ceux-ci seraient en gros inutiles, sinon nuisibles.
————————————————————
Je suis désolé mais cette position de M. Chouard, qui veut donc supprimer les élections, le suffrage universel et les partis politiques, ressemble comme deux gouttes d’eau à tous les régimes totalitaires qui ont ensanglanté l’époque contemporaine et qui ont tous prétendu fonder leur pouvoir sur le peuple, contre les corps intermédiaires. FA]
[ÉC : Dites-moi : est-ce que les régimes totalitaires en question ne pratiquaient pas, comme nous,… l’élection ?
Ah bon ?
Et si vous trouvez que ces régimes —effectivement sanglants— ressemblent « comme deux gouttes d’eau » à la démocratie athénienne, il faut changer de lunettes :
- dans un cas, le peuple asservi par des maîtres (professionnels de la politique désignés par des élections truquées, comme chez nous) travaille comme un bœuf, doit souffrir en silence et ne compte pour rien en politique ;
- dans l’autre, le peuple défend victorieusement son droit de parole publique et son droit de vote personnel sur toutes les lois (en ne déléguant que très peu de pouvoir, et par tirage au sort pour imposer à tout prix un amateurisme politique fondamental) pendant deux cents ans contre les oligarques et aspirants-chefs de tout poil.
« Comme deux gouttes d’eau »… Vous me faites rire.
ÉC]
[FA : Je ne sais pas très bien si M. Chouard se rend compte des conséquences ultimes de ce qu’il propose. Son utopie n’est réalisable que dans le cadre d’une humanité mythique, peuplée d’êtres humains tous vertueux et pénétrés du bien public. FA]
[ÉC : C’est justement le contraire :
- le gouvernement représentatif est précisément bâti sur le mythe de la compétence et des vertus supposées des élus, comme si l’élection suffisait à garantir la vertu des élus (on croirait entendre une blague…),
- alors que la démocratie PREND ACTE des IMPERFECTIONS de TOUS les citoyens et ne leur donne que très peu de pouvoir (et surtout pas celui de voter les lois !), et qu’elle assortit donc logiquement le tirage au sort d’innombrables CONTRÔLES qui POUSSENT RÉELLEMENT les représentants à la vertu.
Où sont les contrôles (populaires) dans notre gouvernement représentatif ?
Répondez-moi, s’il vous plaît, éclairez-moi.
Alors ?
Qui est utopique ? Qui est réaliste ?ÉC]
[FA : Dans la pratique, ce n’est pas du tout comme ça que les choses se passent. Et toute l’Histoire universelle nous a prouvé la justesse de ce proverbe français qui dit que « Qui veut faire l’ange fait la Bête ». FA]
[ÉC : Désolé, je ne comprends pas.
ÉC]
[FA : Toute l’Histoire a en effet montré que la suppression des élections, du suffrage universel et des partis politiques entraînent des conséquences qui échappent à la volonté des hommes et qu’au lieu de produire la concorde et l’harmonie, elles se sont révélées dramatiques et criminelles, PARTOUT et TOUJOURS. FA]
[ÉC : Si c’est « partout et toujours », vous n’aurez donc aucun mal à me donner UN exemple : donnez-moi un exemple —un seul me suffira— où une démocratie réelle ait été instituée sur terre et qui nous permettrait d’en évaluer les résultats.
Alors ?
Quelles sont donc ces expériences démocratiques où les partis auraient disparu ? Dans tous les régimes totalitaires qui me viennent à l’esprit, je vois au contraire UN PARTI UNIQUE (soit franchement unique, soit fallacieusement dual avec deux grands partis qui poursuivent en fait un seul et même projet de domination) écraser littéralement les humains hors parti.
ous pouvez prendre « toute l’histoire » à témoin, il n’y a PAS, à ce jour, d’autre expérience démocratique DIGNE DE CE NOM que celle d’Athènes.
ÉC]
[FA : C’est pourquoi je pense que M. Chouard serait bien avisé de méditer cette célèbre parole de Churchill : « la démocratie est le pire des systèmes… excepté tous les autres ». Et lorsque Churchill parlait de démocratie, il parlait bien de démocratie parlementaire, avec des élections et des partis politiques. FA]
[ÉC : Pour ma part, je ne prends pas pour parole d’évangile les blagues de salon d’un homme capable de bombarder sciemment des centaines de milliers de civils. Je trouve ce jeu de mot (rabâché comme un mantra par les privilégiés) privé de toute pertinence démonstrative. Qu’a-t-on PROUVÉ avec une telle assertion ? Rien du tout. C’est une pétition de principe : « circulez, y a rien à voir (du côté de la démocratie) », nous assène l’oligarque.
Churchill n’est pas, pour moi, une référence démocratique.
ÉC]
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[FA : 2°) Une autre de mes objections était que la fiabilité du résultat du tirage au sort serait impossible à prouver et que cela provoquerait énormément de rumeurs et pourrait créer des troubles à l’ordre public.
Objection à laquelle M. Chouard a répondu en affirmant que les élections étaient souvent truquées aussi et qu’il se faisait fort d’assurer la sincérité du tirage au sort (en égrenant quelques mots grecs pour donner dans le jargon technique). FA]
[ÉC : Les détails pratiques du tirage au sort quotidien à Athènes, et le souci permanent de contrôle des Athéniens, sont bien décrits par Yves Sintomer dans son livre (enthousiasmant) : « Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative » (La Découverte, 2007). Je vous invite à les découvrir, vous verrez que, effectivement, la triche était particulièrement difficile avec ces machines, très simples.
Par ailleurs et surtout, je souligne qu’IL Y AVAIT MILLE FOIS MOINS DE RAISONS DE TRICHER QU’AUJOURD’HUI : si nos élus se battent aujourd’hui au point de parfois tricher, c’est parce que le poste d’élu est devenu « un fromage », une rente très confortable, et parfaitement à l’abri de tous les contrôles citoyens : c’est donc une véritable aubaine. Alors que les représentants tirés au sort à Athènes prenaient une charge, une vraie, avec plus de devoirs que de droits, et le risque redoutable de la reddition des comptes et de la punition sévère toujours possible.
L’absence de mobiles pour tricher ne doit pas être perdue de vue, notamment dans les réflexions qui suivent, où vous transposez le tirage au sort tout seul dans nos institutions actuelles, ce qui donne des résultats aberrants, bien sûr, mais ce qui n’est absolument pas le projet démocratique : pour réfuter correctement la pensée de l’autre, il faut la respecter, la comprendre ; si on est obligé de la déformer, c’est que les arguments pour la réfuter ne sont pas si forts.
ÉC]
[FA : Je suis désolé mais cette réponse est non seulement une pirouette, mais elle est surtout factuellement extrêmement fausse. FA]
[ÉC : C’est joli, les pirouettes, et vous n’êtes pas maladroit non plus 😉
ÉC][FA : Il suffit de réfléchir un instant :
== 2‑A == dans le système d’élections, un nombre très important d’électeurs doit faire son choix entre un tout petit nombre de bulletins de vote : en général moins de 10 bulletins au 1er tour de chaque élection, et en général 2 bulletins (parfois 3 ou 4 exceptionnellement) au second tour de scrutin.
Pourquoi les élections procurent-elles un sentiment de grande fiabilité aux électeurs ? FA]
[ÉC : Vous faites bien de parler de « sentiment », car il repose sur une réalité bien fragile. ÉC]
[FA : Pour 3 raisons essentielles :
1- CHAQUE ÉLECTEUR EST UN ACTEUR DU SCRUTIN Il se déplace, il prend les bulletins en main lui-même, il va dans l’isoloir, puis il vote dans l’urne. FA]
[ÉC : Un acteur ? On se fiche de qui ?
Vous pensez vraiment ce que vous dites ?70 % des citoyens qui se méfient de TOUS les partis politiques dans les sondages répétés ont compris l’arnaque qui consiste à monter en épingle (toujours le même talent de camelot qui sait vendre du vent à prix d’or) le faux choix qui est imposé par les élus aux électeurs.
Figurez-vous, vous qui êtes candidat, qu’il existe de nombreux humains, aussi respectables que les autres, qui aspirent à une puissance politique supérieure aux (faux) choix de TUTEURS qui sont la substance véritable du prétendu « suffrage universel » du prétendu « gouvernement représentatif ».
Avez-vous bien compris que, dans l’alternative démocratique que je défends, chacun des ÉLECTEURS —que vous appelez « acteur » au seul motif qu’il consent à faire de vous son maître et puis c’est tout—, chacun de ces électeurs devient (en vraie démocratie) un CITOYEN, c’est-à-dire un humain qui va VOTER LUI-MÊME CHACUNE DES LOIS auxquelles il sera soumis.
Ça, Monsieur, c’est un acteur.
C’est toute la différence entre un ÉLECTEUR-ENFANT et un CITOYEN-ADULTE.
C’est toute la différence entre une fausse « démocratie » et la vraie démocratie.
La différence entre un faux « suffrage universel » et le vrai suffrage universel.
LES ÉLUS NOUS FONT PRENDRE DES VESSIES POUR DES LANTERNES.
ÉC]
[FA : 2- CHAQUE ÉLECTEUR PEUT VÉRIFIER DE BOUT EN BOUT LA FIABILITÉ DU SCRUTIN
Il peut lui suffire de bien voir que son bulletin tombe dans l’urne transparente. Mais les plus méfiants peuvent rester à regarder l’urne (c’est notamment l’un des rôles des assesseurs pendant tout le vote) pour voir que personne n’introduit de bulletin frauduleusement. Ils peuvent assister à l’ouverture de l’urne et participer personnellement aux opérations de dépouillement (il peut ouvrir les enveloppes, compter les bulletins, les énoncer à haute voix, le public est là pour vérifier, etc.) FA]
[ÉC : Quelle importance cela a‑t-il, finalement, de vérifier la fiabilité d’un faux choix, qui aboutit, de toutes façons, à notre servitude politique absolue ?
Par ailleurs, le contrôle du Klérotérion —ça va ? ce n’est pas trop technique, mon jargon ? 😉 — était facile et efficace.
ÉC]
[FA : 3- UNE FRAUDE PONCTUELLE NE PEUT PRESQUE JAMAIS MODIFIER LE SENS DU SCRUTIN
Contrairement à ce qu’affirme M. Chouard, les contentieux électoraux en France sont très peu nombreux en pourcentage. Et les cas où une élection est annulée, même si ils font la Une des médias, restent extrêmement marginaux en nombre.
Pourquoi ?
Tout simplement parce que la fraude est très difficile matériellement et statistiquement. FA][ÉC : Chacun appréciera cette phrase à sa juste valeur dans les jours qui viennent, quand les ordinateurs de vote vont déferler en 2012.
Rendez-vous dans quelques mois et on réexaminera ensemble cette assertion.
Mais en tout état de cause, même en prouvant la fiabilité des scrutins des faux choix du gouvernement représentatif, vous ne prouvez nullement la non fiabilité des scrutins des tirages au sort démocratiques.
ÉC]
[FA : Prenons un exemple extrême, celui du second tour de l’élection présidentielle de 2007. Il y avait 44 472 733 électeurs inscrits, il y a eu 37 342 004 votants, dont 35 773 578 exprimés. M. Sarkozy a été élu avec 18 983 138 voix, et a battu Mme Royal de 1 096 349 suffrages.
Imaginons que des partisans de Mme Royal aient voulu truquer les élections, donc la faire élire. Il eût fallu qu’ils s’arrangent pour introduire frauduleusement au moins 1 200 000 faux bulletins de vote sur toute la France !
Une telle fraude est impossible à réaliser matériellement, et cela d’autant qu’une fraude électorale ne peut avoir des chances de succès sans être démasquée que si elle est faite par un nombre extrêmement réduit de personnes et dans un nombre extrêmement faible d’endroits.
Même dans une élection législative, le nombre de bulletins reste encore très important (il se compte en dizaines, voire centaines de milliers) et c’est cela qui garantit une inertie statistique. Ce n’est pas parce qu’il y a eu un paquet de 100 faux bulletins ajoutés dans un bureau de vote que cela entraîne obligatoirement la nullité du scrutin : le Conseil Constitutionnel, seul juge en la matière, examine toujours si le nombre des bulletins contestés a pu ou non changer le résultat final de l’élection. FA]
[ÉC : Et alors ?
Ça ne transforme pas un faux choix en vrai choix, digne de ce nom.
ÉC]
[FA : == 2‑B == Dans le système du tirage au sort, les trois avantages décisifs que je viens d’analyser n’existent plus !
1)- IL N’Y A PLUS D’ÉLECTEUR, DONC PLUS AUCUN CITOYEN N’EST ACTEUR DU CHOIX. TOUT LE MONDE DEVIENT PASSIF ET ATTEND QUE LES RÉSULTATS SOIENT ANNONCÉS. FA]
[ÉC : C’est un profond malentendu, vous n’avez pas compris l’organisation d’une vraie démocratie (c’est moi qui ai dû mal m’exprimer) :
Le tirage au sort ne distribue que de petites parcelles de pouvoir POUR LAISSER AUX CITOYENS TOUT LE POUVOIR DE VOTER EUX-MÊMES, OU PAS, TOUTES LES LOIS.
Ce que vous n’avez pas (encore) compris, c’est qu’EN DÉMOCRATIE, CE NE SONT PAS LES REPRÉSENTANTS QUI VOTENT LES LOIS, CE SONT LES CITOYENS EUX-MÊMES (ceux qui le désirent), réunis en corps à l’Assemblée (communale).
Ah ! Vous qui me reprochiez à l’instant de rendre les citoyens passifs (avec le tirage au sort), et qui vous vantiez de les rendre plus actifs (avec le faux « suffrage universel »), je suis sûr que vous allez être content de ce que je vous apprends là, n’est-ce pas ? Car c’est bien clair : si les citoyens peuvent voter eux-mêmes toutes les lois (au cours d’un vrai suffrage universel), ils ne seront plus passifs du tout, et c’est bien ce que vous vouliez, n’est-ce pas ?
🙂
ÉC]
[FA : 2)- ABSOLUMENT PERSONNE NE PEUT VÉRIFIER DE BOUT EN BOUT LA FIABILITÉ DU TIRAGE AU SORT. M. Chouard assure du contraire mais son assurance ne vaut rien. Car dans le tirage au sort, la situation change du tout au tout par rapport au cas précédent (ce que ne semble pas voir M. Chouard) : FA]
[ÉC : Vous avez bien raison : mon assurance ne vaut rien du tout, pas plus que celle de quiconque, d’ailleurs ; nous devons tous recouper nos infos et exercer notre jugement critique, je vous l’accorde.
Quand à la vérification du klérotérion, je vous renvoie aux livres de Sintomer et de Hansen : il est assez facile pour chacun de se faire une idée personnelle.
(Et n’oubliez pas qu’il n’y a presque plus de MOBILE pour tricher dans une vraie démocratie.)
ÉC]
[FA : – dans l’élection, un nombre très important d’électeurs doit faire son choix entre un tout petit nombre de bulletins de vote : en général moins de 10 bulletins au 1er tour de chaque élection, et en général 2 bulletins au second tour.
- dans le tirage au sort, c’est exactement l’inverse : c’est un tout petit nombre de personnes (une seule, ou quelques personnes, ou plus sûrement un ordinateur) qui doit faire son choix entre.… 44 472 733 électeurs !! FA]
[ÉC : Pas du tout : le tirage au sort n’est pas effectué au niveau national, mais au niveau local, évidemment, et parmi les seules « boules » des volontaires.
C’est simple, peu coûteux et facile à vérifier.
Vous plaquez le tirage au sort sur nos institutions sans réfléchir, comme si vous aviez envie qu’il ne soit pas possible… 😉
ÉC]
[FA : Dans ces conditions, je mets au défi M. Chouard de trouver un système de tirage au sort qui donne à chacun le même sentiment de fiabilité et d’honnêteté que celui procuré par une élection. FA]
[ÉC : Ce défi m’intéresse. C’est tout mon travail actuel.
Et je progresse vite.
ÉC]
[FA : En effet peut-on imaginer une urne avec 44 millions de bulletins différents ? FA]
[ÉC : On n’est pas obligé de faire les choses bêtement… On a le droit de réfléchir et d’organiser la vie politique autour de PETITES cellules politiques de base (les COMMUNES) et d’organiser le travail commun en utilisant les rouages bien connus de la FÉDÉRATION.
Pourquoi faudrait-il toujours tout organiser de haut en bas ?
ÉC]
[FA : Même si l’on divisait le tirage au sort en 577 tirages, un dans chacune des circonscriptions, il faudrait encore une urne qui contienne 77.076 bulletins différents en moyenne (un par électeur). Ce n’est pas gérable. C’est d’autant moins gérable que nul ne pourrait avoir la certitude que son nom figure bien dans l’urne (c’est-à-dire que personne ne l’a retiré sciemment ou oublié involontairement). FA]
[ÉC : Ce qui vous rend la compréhension difficile, c’est que vous essayez de remplacer l’élection par le tirage au sort dans nos institutions (qui sont profondément antidémocratiques), ce qui n’a aucun sens, effectivement.
Pour comprendre l’alternative prometteuse que constitue une vraie démocratie, il faut quand même y mettre un peu de bonne volonté 😉
ÉC]
[FA : 3- UNE FRAUDE PONCTUELLE MODIFIE TOTALEMENT LE SENS DU TIRAGE AU SORT FA]
[ÉC : Vous continuez à faire comme s’il y avait encore des mobiles de tricher quand les charges des représentants deviennent, en démocratie, des devoirs risqués, au lieu d’être des rentes confortables comme le sont celles de nos élus.
ÉC]
[FA : À la différence de l’élection, le tirage au sort ne bénéficie pas de l’inertie statistique des grands nombres.
=>Truquer une élection est très difficile, je l’ai dit.
=> Mais truquer un tirage au sort est un jeu d’enfant puisque le tirage se fait en un coup.Pour illustrer mon analyse, il suffit de rependre l’exemple du 2ème tour de 2007. FA]
[ÉC : Ce qui suit n’a pas de sens : personne n’a parlé de tirer au sort le Président de la cinquième République, évidemment…
C’est un dialogue de sourd.
ÉC]
[FA : Comme je l’ai dit, le système de l’élection contraignait les partisans de Mme Royal à introduire frauduleusement au moins 1 200 000 faux bulletins de vote sur toute la France pour qu’elle soit élue.
Mais en revanche, avec un simple tirage au sort entre M. Sarkozy et Mme Royal, les partisans de Mme Royal n’auraient eu qu’une seule chose à faire : tirer le bon bulletin une seule fois.
Il leur aurait donc suffi, soit d’acheter la personne tirée au sort, soit de mettre 2 bulletins Royal dans l’urne en subtilisant le bulletin Sarkozy, soit tout simplement de truquer le logiciels informatique.
Cette comparaison entre la fiabilité intrinsèque de l’élection au suffrage universel et l’extrême facilité de trucage du tirage au sort suffit à mon sens à ruiner l’idée de M. Chouard. FA]
[ÉC : Ruine virtuelle d’une idée qui n’existe pas : personne n’a défendu l’idée que vous avez ruinée…
ÉC]
[FA : Cette différence essentielle de fiabilité – due aux différences de procédure – explique d’ailleurs pourquoi les Français croient dans les résultats des élections mais ne croient plus dans les résultats des sondages. FA]
[ÉC : Les sondages d’opinion sont aux mains d’instituts privés dont l’honnêteté est plus que douteuse : ce sont des outils de manipulation de l’opinion qui VONT AVEC l’élection et qui rendent le faux « suffrage universel » du gouvernement prétendument représentatif plus faux que jamais.
Rien à voir avec la démocratie.
ÉC]
[FA : Elle explique aussi l’émoi suscité par la suppression des urnes et leur remplacement par des machines à voter électroniques.
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3°) Une autre encore de mes objections consistait à faire valoir qu’un tirage au sort sur l’ensemble des électeurs n’était simplement pas possible.
Je citais les malades, les malades mentaux, les personnes disparues, les personnes incarcérées et le très grand nombre de personnes qui ne seraient pas intéressées par remplir des fonctions politiques (le tout représentant au bas mot 30 à 40% de la population).
Du coup, je faisais valoir qu’il faudrait dresser des listes de personnes pouvant faire l’objet de ce tirage au sort, et je soulignais que l’établissement de telles listes posait aussitôt des problèmes insolubles :
- qui déciderait ou non d’inscrire un électeur sur cette liste ? FA]
[ÉC : un jury de citoyens tiré au sort ? ÉC]
[FA : – qui paierait le travail colossal ainsi occasionné ? FA]
[ÉC : L’État, sans difficulté.
« Colossal »… vous êtes amusant. ÉC][FA : – en vertu de quels critères ? FA]
[ÉC : Les citoyens adultes aimeraient peut-être bien en discuter, justement, au lieu de se voir jeter la difficulté à la figure comme si c’était une aporie. Ce n’est évidemment pas si compliqué à décider. ÉC]
[FA : – comment la tiendrait-on à jour ? FA]
[ÉC : Est-ce si difficile ? ÉC]
[FA : – comment pourrait-on être sûr que cette liste ne comporte pas un biais méthodologique et politique ?? FA]
[ÉC : Ce n’est pas parce que rien n’est parfait (et ceci est indubitable) qu’il faut renoncer à changer quoi que ce soit. ÉC]
[FA : – etc.
À cette objection très puissante [ÉC : hum… ÉC], M. Chouard a répondu en substance qu’il fallait faire… des listes d’aptitude !
Cette réponse n’en est justement pas une car elle élude tout bonnement l’objection. M. Chouard ne répond ni au problème du coût, ni à celui de l’objectivité des critères, ni à celle des sélectionneurs, ni à la tenue à jour, ni surtout à l’argument central du biais introduit quant à la représentativité de cette liste par rapport à l’état d’esprit de l’ensemble des citoyens.
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CONCLUSION —————-
Je pourrais ainsi répondre sans difficultés aux autres « réponses » de M. Chouard à mes autres objections. FA]
[ÉC : Je vous en prie.
ÉC]
[FA : Je confirme donc pleinement mes objections et j’estime – je ne suis pas le seul – que M. Chouard n’a pas su ni pu y répondre, malgré son habileté dialectique et ses affirmations non étayées. FA]
[ÉC : Chacun jugera, idée par idée.
ÉC][FA : Même si j’ai bien conscience que certains de nos sympathisants sont déçus par mes analyses qui les rappellent à la réalité, je persiste donc à trouver cette idée de tirage au sort à la fois :
a)- erronée, utopique, et extrêmement dangereuse dans le principe, FA]
[ÉC : L’idée du tirage au sort en politique est dangereuse pour les élus, pour les candidats et pour ceux qui les font élire, ça c’est sûr.
Mais PAS dangereuse pour les ÉLECTEURS qui aspirent à devenir des CITOYENS.
ÉC][FA : b)- absolument impraticable matériellement, FA]
[ÉC : Deux cents ans de pratique quotidienne prouvent le contraire.
ÉC][FA : c)- et très inopportune politiquement, car elle distrait l’attention des citoyens sur ce que doit être le combat essentiel. FA]
[ÉC : Je suis vraiment navré de distraire l’attention de vos électeurs pendant votre travail de conquête du pouvoir, mais, pour moi qui n’aspire à rigoureusement aucun pouvoir, c’est bien ma liberté de penser la plus élémentaire que d’analyser l’escroquerie parlementaire et de concevoir des alternatives, non ?
ÉC][FA : À ce propos, j’aimerais que les lecteurs s’interrogent en conscience sur ce qu’il aurait fallu penser de quelqu’un qui aurait dit à Charles de Gaulle, le 19 juin 1940 : « Votre appel d’hier était très bien ; mais je ne m’y joindrai pas car, plutôt que de se rassembler dans la Résistance, je suggère que nous ouvrions un grand débat sur le tirage au sort des parlementaires. En effet, s’ils avaient été tirés au sort plutôt que d’être élus, la situation serait réglée et nous n’aurions pas connu la débâcle et la IIIe République serait encore là ». FA]
[ÉC : Le combat politique des uns n’est pas forcément incompatible avec le combat politique des autres : le problème des partis, c’est qu’ils nous forcent à nous opposer, ils nous jettent les uns contre les autres, en bloc. Vous et moi ne devrions pas nous opposer puisque nous résistons (par des voies différentes) au même projet de domination antirépublicain.
Par ailleurs, vous devriez considérer ce que je soulignais en introduction : je ne défends PAS QUE la démocratie athénienne : l’autre idée, d’un BICAMÉRALISME ASTUCIEUX, partageant le pouvoir législatif entre des professionnels de la politique et des amateurs, devrait vous paraître compatible avec vos projets d’émancipation populaire.
ÉC][FA : [ce qui, soit dit en passant, est faux compte tenu de ce qu’était l’état de l’opinion en 1939–1940]
Si De Gaulle avait écouté semblable conseil et s’était mis à colloquer sur cette idée saugrenue plutôt que de rassembler les Français dans un objectif immédiat de libération nationale, cela n’aurait servi qu’à une chose : distraire l’effort de la Résistance dans des débats académiques et vains, et cela pour le plus grand profit des Allemands d’un côté, des Américains et des Britanniques de l’autre. FA]
[ÉC : « Débats académiques et vains », on n’est pas plus aimable. Les yeux qui pétillent dans mes conférences me font penser le contraire. Mais je ne vous en veux pas : il faut un peu de temps pour passer la première phase d’incompréhension. Je pense que vous êtes homme à savoir changer d’avis si la raison le suggère, finalement.
ÉC][FA : Je ne me compare certes pas à de Gaulle. Mais je note que M. Chouard n’a pas adhéré à l’UPR. Il juge donc plus urgent de distraire les Français sur son idée de tirage au sort dont tout le monde sait bien, au fond, qu’elle ne verra jamais le jour, plutôt que de les rassembler pour sortir de l’UE. FA]
[ÉC : Ah, c’est donc ça qui fait mal : je n’ai pas adhéré au parti…
Je n’adhère à AUCUN parti, et ça ne devrait pas suffire à faire de moi un ennemi.
Je trouve attristante la tournure caricaturale que donnent les partis à notre liberté de penser : l’esprit de parti est une des formes de L’ESPRIT D’ORTHODOXIE, bien analysé par Jean Grenier (Essai sur l’esprit d’orthodoxie : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Jean_Grenier_Essai_sur_l_esprit_d_orthodoxie.pdf ) et Simone Weil (Note sur la suppression générale des partis politiques : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Simone_Weil_Note_sur_la_suppression_generale_des_partis_politiques.pdf ).Je cherche à rester libre de mes pensées, libre de mes paroles, libre de vous lire et de lire aussi ceux que vous considérez comme vos ennemis ; et cette liberté me permet d’apprécier votre travail de résistance et de le relayer un peu partout malgré le fait qu’on vous étiquette souvent « à droite » et qu’on m’étiquette souvent « à gauche ». Hors parti et candidat à rien, je fais ce que je veux, jugeant à ma manière l’intérêt général.
Donc, je ne suis pas un bon soldat pour un parti, c’est vrai, mais je peux quand même —peut-être— servir un peu le bien commun.
ÉC][FA : On me permettra de trouver cela dommage et contre-productif. FA]
[ÉC : Ça dépend pour qui.
ÉC][FA : François Asselineau FA]
[ÉC : Étienne Chouard
ÉC]=============
post scriptum :
À titre d’information complémentaire, pour illustrer que je ne suis pas le seul à critiquer l’escroquerie parlementaire, je voudrais citer ici l’analyse ultra-rigoureuse formulée par l’un de nos plus grands professeurs de droit public, Raymond Carré de Malberg, dans la conclusion d’un livre remarquable intitulé :
« La Loi, expression de la volonté générale »(1931) :
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Carre_de_Malberg_La_loi_expression_de_la_volonte_generale_Conclusion.pdf :Carré de Malberg : LA LOI, expression de la volonté générale (1931). Conclusion :
Au début de cet ouvrage, nous nous sommes défendu de vouloir faire œuvre de discussion critique. Mais, au terme de notre étude, il semble que la critique surgisse et s’impose d’elle-même, tant est manifeste la contradiction qui s’établit entre l’idée première d’où procède la théorie de la loi expression de la volonté générale et les résultats positifs auxquels cette théorie a finalement abouti. Ces résultats peuvent se résumer d’un mot : l’idée de souveraineté de la volonté générale a été exploitée en vue de fonder la puissance souveraine du Parlement lui-même. Une telle contradiction paraîtra difficilement acceptable à tout homme qui n’est pas résigné à se payer de mots. Comment admettre que, dans notre droit public, les décisions émanées du Parlement aient pu être présentées comme des productions de la volonté populaire, alors que la Constitution tient systématiquement les citoyens à l’écart de leur formation ?
Il n’y a eu, en France, qu’une seule Constitution qui ait échappé à cette contradiction. C’est celle de 1793, qui, ne se contentant pas de poser en principe, dans l’article 4 de sa Déclaration des Droits, que « la loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale », avait organisé un régime législatif dans lequel la confection de la loi dépendait, en dernier lieu, de son adoption par les assemblées primaires comprenant la totalité des citoyens. Sur ce point, les conventionnels de 1793 ont eu, tout au moins, le mérite de mettre leur œuvre constitutionnelle en accord logique avec leurs principes. On ne saurait en dire autant des constituants de 1789–91. De même que Louis XIV avait fondé son absolutisme sur sa prétention d’incarner l’État en sa personne royale, de même l’Assemblée nationale de 1789, pour parvenir à son but qui était de commuer la souveraineté de la nation en souveraineté parlementaire, affirme que le collège des députés élus résume en lui l’intégralité du peuple, et elle va même jusqu’à présenter ce collège comme une formation par l’intermédiaire de laquelle tous les citoyens se trouvent mis en état de concourir à l’adoption des décisions souveraines. Cette fiction, qui a servi originairement de base au régime représentatif, est l’une de celles à propos desquelles on a parlé du mysticisme révolutionnaire : ne serait-il pas plus exact ici de parler de mystification ? Il faudrait être bien crédule pour se laisser persuader que les volontés énoncées par une oligarchie sont l’expression de la volonté générale de la communauté, alors surtout que les soi-disant représentés sont exclus de la possibilité d’opposer une volonté contraire à celle qui passe pour représenter la leur.
Certes, il ne peut être question de contester ni l’influence que par le choix de ses députés le corps électoral est capable d’exercer indirectement sur l’orientation générale de la politique nationale, ni davantage celle que les électeurs possèdent, d’une façon plus directe, sur la personne et l’activité de leurs élus : cette dernière, en particulier, n’a fait que s’accroître depuis l’introduction du suffrage universel. On est donc fondé politiquement à qualifier le Parlement de représentant, si par là on veut marquer simplement qu’il est, notamment sous la Constitution de 1875, celle des autorités constituées dont les décisions apparaissent normalement comme correspondant le plus sensiblement aux aspirations de la communauté populaire et, par conséquent aussi, comme étant le plus proches de celles que pourrait prendre cette communauté elle-même, à supposer qu’elle fût admise à statuer par ses propres moyens. Et cette sorte de légitimation politique de la notion de représentation est même de nature à engendrer des conséquences d’ordre juridique : on comprend, par exemple, qu’en raison des attaches spéciales qui relient le Parlement au corps populaire, la règle adoptée par les Chambres prenne, sous le nom de loi, une force tout autre que celle édictée par un décret de l’Exécutif. Toutefois, et quelque complaisance que l’on veuille mettre à accepter ou à accentuer l’idée d’interdépendance, de solidarité et d’union, entre les électeurs et les élus, il vient toujours un moment où la thèse de l’identification entre la volonté parlementaire et la volonté générale se heurte à une objection insurmontable : l’objection, c’est que le régime représentatif a été créé tout exprès — Sieyès le précisait devant l’Assemblée nationale, dans la séance du 7 septembre 1789, avec une crudité qui dépasse encore celle de Montesquieu — pour limiter l’influence populaire au pouvoir de choisir les personnes qui statueront représentativement et pour interdire au peuple toute participation effective à la puissance même de statuer. Dans ces conditions, le mot représentation, appliqué au Parlement, ne possède, même en son sens politique, que la valeur d’une image plus ou moins vague, ou d’une approximation plus ou moins lointaine ; il demeure, en tout cas, impossible de parler de représentation au sens juridique du terme, et surtout au sens d’une identité entre la volonté du peuple et celle du Parlement, attendu que cette identité, même si elle devait être tenue pour habituelle, n’est point constante et qu’au surplus sa constance n’est nullement assurée par le droit en vigueur.
On voit par là quelle doit être la conclusion de cette étude. De deux choses l’une :
Ou bien l’on entend maintenir le concept, venu de Rousseau et transmis par la Révolution, suivant lequel la loi a pour fondement la volonté générale et pour objet la manifestation de cette volonté. En ce cas, il n’est plus possible de se contenter de l’argument qui consiste à prétendre que tous les citoyens sont présents dans le Parlement à l’instant de la création de la loi : car un tel argument est emprunté à un genre de vision mystique qui manque manifestement de toute base réelle. Si donc on veut que la loi soit vraiment une expression de volonté générale, et si c’est aussi à sa qualité de volonté générale que l’on fait remonter sa vertu obligatoire, il faut inévitablement en venir à conférer au corps populaire un certain rôle actif dans l’œuvre de la législation. L’on est ainsi conduit à revendiquer, comme minimum de facultés législatives populaires, le droit pour les citoyens d’élever une réclamation contre la loi adoptée par les Chambres et, au cas où cette réclamation réunit un nombre suffisant d’opposants, le droit pour ceux-ci de provoquer, sur la loi ainsi frappée d’opposition, une votation populaire qui en prononcera définitivement l’adoption ou le rejet.
De même, il est pleinement logique, dans un concept qui fonde la notion de loi sur la suprématie de la volonté générale, que L’INITIATIVE LÉGISLATIVE, au sens démocratique du terme, soit reconnue au peuple : car la suprématie de la volonté générale demeurerait incomplète, si le peuple ne possédait pas, de son côté et en dehors de la Législature, le moyen d’introduire dans la législation les réformes ou les nouveautés à l’adoption desquelles le Parlement se refuse et qui sont voulues cependant par la majorité des citoyens.
Ce n’est pas tout encore : le concept démocratique de la loi expression de la volonté générale implique que cette volonté est la plus haute dans l’État et qu’elle possède de ce chef le caractère souverain ; cette souveraineté de la puissance populaire ne produira pas seulement ses effets dans le domaine de la législation ; les mêmes raisons qui font du peuple l’organe législatif suprême, appellent sa suprématie dans l’ordre de l’action GOUVERNEMENTALE. Une Constitution démocratique qui ne réunit pas le gouvernement et la législation dans les attributions du Parlement et qui institue, en face de celui-ci, un Exécutif pourvu de quelque indépendance, sera donc amenée, pour la réglementation des rapports entre les deux autorités, à placer au-dessus d’elles, comme supérieur commun, le souverain populaire : de là, des institutions démocratiques telles que l’élection du chef de l’Exécutif par le peuple et le pouvoir pour chacune des deux autorités, parlementaire et gouvernementale, de faire appel au peuple en cas de désaccord entre elles.
Tout ceci fait, il sera superflu, du moins en ce qui concerne les satisfactions à donner à la souveraineté de la volonté générale, de maintenir une distinction rigide entre la Constitution et les lois ordinaires : car, en tant que cette distinction ne viserait qu’à sauvegarder les droits inhérents à la suprématie populaire, son inutilité ressortirait du fait que les droits supérieurs du peuple se trouvent déjà assurés par les pouvoirs dont il dispose à titre législatif. Sans doute, il est particulièrement utile et désirable, dans une démocratie, que le statut juridique individuel des citoyens soit garanti par des dispositions constitutionnelles contre la toute puissance législative propre à la volonté générale. Mais il est à remarquer que la distinction entre règles constitutionnelles et règles législatives, ainsi motivée, ne se fonde plus sur une exigence découlant de la souveraineté de la volonté générale : elle répond uniquement à la préoccupation de protéger la liberté individuelle.
Telles seraient les conséquences que devrait nécessairement produire le concept qui définit la puissance de l’État, et notamment sa puissance législative, par les droits appartenant à la volonté générale. Que si ces conséquences démocratiques sont répudiées par la Constitution en vigueur, soit parce que celle-ci ne se fie pas suffisamment à l’éducation politique du peuple, soit par des raisons de sécurité nationale tirées de la position plus ou moins difficile dans laquelle le pays peut se trouver placé au regard de l’étranger, soit pour tout autre motif quelconque, en ce cas il n’est plus permis de parler d’expression ni de représentation de la volonté générale à l’effet de fonder la maîtrise du Parlement. Car il serait incompréhensible qu’après avoir dénié au peuple le droit de faire entendre la volonté générale, l’on prétende invoquer la suprématie de cette volonté populaire pour accroître les pouvoirs du Parlement, sous prétexte qu’il la représente.
La vérité est donc que, dans une Constitution qui n’admet point les institutions d’intervention directe populaire, les pouvoirs reconnus au Parlement ne sont susceptibles d’être justifiés que par un concept d’AUTORITARISME, c’est-à-dire par L’IDÉE QUE LE PARLEMENT EST INVESTI D’UNE PUISSANCE QUI NE CONSISTE PLUS SEULEMENT À ÉNONCER LA VOLONTÉ DU PEUPLE, MAIS QUI LUI PERMET D’IMPOSER AU PEUPLE SA PROPRE VOLONTÉ : en sorte que, pour les lois en particulier, on ne peut plus dire qu’elles sont simplement délibérées par le Parlement, mais il faut dire qu’elles sont décrétées par lui. Ce concept autoritaire est, il est vrai, tempéré par le régime des élections et réélections périodiques, qui conditionne le recrutement du personnel parlementaire : toutefois, sous les Constitutions qui n’accordent aux citoyens QUE LE DROIT D’ÉLIRE, l’élection ne peut posséder que la signification d’un procédé de désignation, et la volonté générale ne garde la possibilité de faire sentir sa puissance que dans la mesure partielle où ce procédé de désignation lui permet d’influer médiatement sur les directions politiques que prendra l’activité des élus.
Dès lors, et par cela seul que le Parlement ne tire plus ses pouvoirs d’une représentation effective du souverain, il apparaît que ceux-ci ne peuvent avoir d’autre source que l’octroi qui lui en a été fait par la Constitution : ils ne s’analysent plus en une puissance de souveraineté, mais seulement en une compétence constitutionnelle. Et par suite, la puissance parlementaire perd instantanément l’aptitude à s’ériger en une maîtrise absolue : car, même si le Parlement est, d’après la Constitution, la plus haute des autorités constituées, la puissance dont il dispose, comme autorité de cette sorte, ne peut être, à la différence de celle du souverain, qu’une puissance DÉRIVÉE et, par conséquent, essentiellement SUJETTE À LIMITATION.
On en arrive ainsi à une série de conséquences inverses de celles qu’a engendrées la théorie de la représentation par le Parlement de la volonté générale. Une première limitation fondamentale découle de ce que la puissance parlementaire, étant une création de la Constitution, ne saurait être maîtresse, à elle seule, du sort de la loi constitutionnelle en vigueur. Déjà, il est difficile d’admettre que l’ouverture de la révision dépende exclusivement de la permission de l’une quelconque des autorités constituées, fût-ce le Parlement : car l’établissement d’un tel monopole revient à rendre la Constitution incommutable au regard de cette autorité, qui cependant n’existe que par elle ; et notamment, il équivaut, en faveur de cette autorité, à une intangibilité de ses pouvoirs, qui ne peut se concevoir que chez le souverain et qui est inconciliable avec la notion de pouvoir constitué.
Mais surtout, on n’aperçoit pas comment l’accomplissement de la révision et sa perfection même pourraient être laissés à la libre puissance du Parlement ; celui-ci, procédant de la Constitution, ne peut pas posséder sur elle des pouvoirs qui impliqueraient que c’est elle qui procède de lui. Ainsi, dès que la Constitution ne consacre pas effectivement les droits souverains de la volonté générale, en faisant du peuple lui-même l’organe suprême, aussi bien dans l’ordre constituant que dans l’ordre législatif, la distinction des lois constitutionnelles et des lois ordinaires, ainsi que la séparation organique des deux pouvoirs constituant et législatif, s’impose en vertu d’une nécessité qui provient de l’impossibilité de concilier dans le même organe les qualités antinomiques de fondateur de la Constitution et d’autorité fondée par elle. En ce qui concerne le Parlement, ces principes ont pour effet, en le maintenant au rang d’autorité constituée, d’exclure, entre sa puissance et celle des autres autorités établies par la Constitution, la différence radicale qui est née chez nous de l’idée qu’en lui seul réside le droit d’émettre la volonté générale. Parlement, Exécutif et autorité juridictionnelle, sont de même essence, en ce sens tout au moins que ces trois autorités sont égales devant la Constitution qui est la source commune de leurs pouvoirs. De cette égale subordination à la Constitution découlent alors deux nouvelles sortes de limitations susceptibles d’être apportées à la puissance parlementaire.
D’une part, lorsque la Constitution s’est affranchie du dogme de la représentation par le Parlement de la volonté générale, il lui devient possible d’atténuer les supériorités qui appartiennent aux assemblées parlementaires vis-à-vis de l’Exécutif. Assurément, il y a pour le Parlement une cause de primauté qui subsistera toujours : c’est celle qu’il tire de son pouvoir de faire les lois et, par là, de créer l’ordre juridique à l’observation duquel l’Exécutif est soumis. D’ailleurs, il demeure inévitable que, parmi les autorités constituées, il y en ait une qui soit pourvue d’une prépondérance grâce à laquelle puisse se trouver assurée, d’une façon constante, l’unité de puissance et d’action nécessaire à l’État ; or, il a déjà été noté (p. 202), comme une chose évidente, qu’une Constitution telle que celle de 1875 ne pouvait pas songer à placer cette prépondérance ailleurs que dans le Parlement. Mais la légitimité de la primauté parlementaire ne signifie pas que l’Exécutif doive être réduit à une condition de vassalité complète envers les Chambres. Dans un régime organique qui ne serait plus fondé sur la confusion du Parlement avec le souverain, il serait fort concevable que, tout en maintenant la supériorité du Parlement, la Constitution ait réservé à l’Exécutif une certaine part d’indépendance, celle-là même dont il a besoin pour remplir utilement ses fonctions agissantes. Et par exemple, on comprendrait que la Constitution ait pris soin de dicter elle-même au Parlement, par des dispositions formelles, ces restrictions et ces ménagements envers l’autorité gouvernementale que maints auteurs ou hommes politiques exhortent présentement nos Chambres à s’imposer volontairement dans leurs rapports avec cette autorité.
D’autre part, une fois écartée l’identification de la loi avec la volonté générale, il n’existe plus de raison qui mette obstacle à l’établissement d’un contrôle juridictionnel s’exerçant sur les lois en vue de vérifier leur conformité à la Constitution ; mais il y a, au contraire, de fortes raisons qui appellent la consécration par la Constitution de ce contrôle destiné à empêcher la toute puissance législative du Parlement. Parmi ces raisons, la première de toutes, c’est la subordination du Parlement à l’ordre constitutionnel en vigueur, subordination qui, comme on vient de le voir, entraîne à sa suite la distinction entre lois constitutionnelles et lois ordinaires, ou plus exactement qui réclame l’introduction dans la Constitution des moyens propres à assurer cette distinction. Or, le moyen par excellence de maintenir le législateur dans le respect par lui dû aux règles contenues dans la Constitution, c’est l’ouverture d’une voie de recours contre les lois inconstitutionnelles.
On peut hésiter sur les conditions dans lesquelles ce recours doit être organisé. Nous ne serions guère porté, pour notre part, à souhaiter l’adoption du système qui irait jusqu’à permettre à tout tribunal saisi d’un litige de commencer par discuter la validité de la loi applicable à l’espèce avant que d’en faire application. La gravité d’une question contentieuse de cette sorte exige que l’examen en soit réservé à une instance d’une qualité très haute, et surtout à une instance unique qui statuerait erga omnes [à l’égard de tous]. Du moins, si les lois cessaient d’être couvertes du masque de la volonté générale, il deviendrait indispensable que la question de leur constitutionnalité trouvât, lorsqu’elle est soulevée par une partie intéressée, une instance juridictionnelle devant laquelle elle pût être portée.
Toutes ces réflexions se résument dans l’alternative qui a été posée plus haut. Ou bien la puissance parlementaire se réclame de la souveraineté de la volonté générale : et alors, celle-ci devrait être admise à exercer démocratiquement ses droits souverains au-dessus de toutes autorités, Parlement y compris. Ou, au contraire, les conditions dans lesquelles la Constitution a conféré au Parlement le pouvoir de créer par lui-même et sous sa libre appréciation la volonté nationale, excluent l’idée démocratique d’une souveraineté de la volonté générale et d’une représentation parlementaire de cette volonté : mais alors, le Parlement ne peut plus se réclamer des droits de la volonté générale pour prétendre à une puissance absolue. D’une façon comme de l’autre, on constate qu’il est de l’essence de la puissance parlementaire de comporter des limitations. Cette puissance est nécessairement limitée par celle du peuple, si elle est fondée sur la représentation de la volonté populaire. Elle est essentiellement susceptible d’être limitée, si le Parlement la détient comme puissance propre, qui lui vient de l’organisation constitutionnelle : car la Constitution doit indubitablement être maîtresse de régler originairement, et aussi de modifier éventuellement, l’étendue des pouvoirs de toute autorité qui, constituée par elle, ne tient que d’elle ses compétences.
Source :
Bertrand Carré de Malberg :
LA LOI, expression de la volonté générale (1931) (Conclusion du livre).
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