Atelier constituant en direct avec Etienne Chouard #5 : procès du tirage au sort 2ème partie, sur Nexus, 22 oct 2025 à 17 h

21/10/2025 | 0 commentaires

Avec Marc et Léo, et avec vous, mer­cre­di 22 oct 2025 à 17h, on va conti­nuer le pro­cès citoyen du tirage au sort 🙂

Vous retrou­ve­rez de nom­breux liens pour suivre notre tra­vail et pour creu­ser le sujet sur la pre­mière page de ce pro­cès.

Je vais cette fois, en plus de la Liste simple liste des objec­tions, ajou­ter (ci-des­sous) quelques réfé­rences sup­plé­men­taires très impor­tantes cette semaine, avec deux attaques his­to­riques (l’une de Raoul Marc Jen­nar et l’autre de Fran­çois Asse­li­neau), très argu­men­tées, mais mal fon­dées et très pré­ci­sé­ment réfu­tées, ‎contre le tirage au sort en poli­tique. C’est très long, mais c’est aus­si extrê­me­ment important.

J’ai hâte de vous retrouver 🙂

Étienne.


Impor­tantes réfé­rences sup­plé­men­taires, pour ins­truire le pro­ces­sus de l’i­dée géniale du tirage au sort en politique :

Grandes et pédagogiques CONTROVERSES
à propos du tirage au sort en politique

Je rap­pelle ici l’un des articles les plus impor­tants de mon blog, inti­tu­lé :
Le tirage au sort comme bombe poli­ti­que­ment durable contre l’oligarchie

Où vous trou­ve­rez ma toute pre­mière confé­rence fil­mée sur le tirage au sort en démocratie :


Dans les com­men­taires (dont le fil est très dense et très impor­tant) du billet évo­qué ci-des­sus, vous trouverez :

une pre­mière contro­verse que j’ai eue avec Raoul Marc Jen­nar (qui était un bon ami et qui s’est sépa­ré de moi depuis).

Puis une deuxième contro­verse que j’ai eue avec Fran­çois Asse­li­neau (que je connais bien aus­si mais qui, lui, ne s’est pas fâché 🙂 ).

Pour nous aider à ins­truire le très néces­saire pro­cès citoyen du tirage au sort en poli­tique, je retrans­cris ici ces deux impor­tantes contro­verses en INTÉGRALITÉ : les TROIS textes  de Raoul d’a­bord, puis le DEUX textes de Fran­çois ; tous ces textes étant sui­vis de mes réponses point par point, le plus sou­vent au sein même de leurs textes :

Le tirage au sort : une chi­mère (PREMIER texte de Raoul Marc Jen­nar contre le tirage au sort en poli­tique, juin 2011)
http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​1​975 le lien est mort, mais on retrouve le texte et .

À la demande d’André Bel­lon, l’animateur de l’association « Pour une Consti­tuante », j’ai rédi­gé une réflexion sur la ques­tion de la repré­sen­ta­tion et ma réac­tion à la pro­po­si­tion avan­cée ici et là de pro­cé­der au choix des repré­sen­tants par tirage au sort.

Voi­ci le début de ce papier qu’on trou­ve­ra éga­le­ment sur le site de cette association :

La démo­cra­tie repré­sen­ta­tive pos­tule la dési­gna­tion de repré­sen­tants. Une longue lutte popu­laire, qui prit les allures d’un véri­table com­bat de classes, a conduit à l’instauration du suf­frage uni­ver­sel comme mode de dési­gna­tion des repré­sen­tants. Aujourd’hui, cette manière de choi­sir les repré­sen­tants du peuple est ins­ti­tuée comme un cri­tère incon­tour­nable pour juger du carac­tère démo­cra­tique d’un sys­tème poli­tique. Mais le prin­cipe un citoyen-une voix, qui devait assu­rer que la majo­ri­té du peuple, celle qui ne vit que de son labeur, se retrouve majo­ri­taire dans les enceintes élues, a été détour­né à la fois par des tech­niques élec­to­rales et par un dévoie­ment de la repré­sen­ta­tion. De telle sorte qu’aujourd’hui, et l’abstention le confirme, un grand nombre de repré­sen­tés ne se sentent plus repré­sen­tés par leurs repré­sen­tants. Pour beau­coup, la for­mule par laquelle Abra­ham Lin­coln défi­nis­sait la démo­cra­tie – le gou­ver­ne­ment du peuple, par le peuple et pour le peuple – est plus que jamais éloi­gnée de la réalité.

En France, la Consti­tu­tion de la Ve Répu­blique pro­po­sée par la droite, en affai­blis­sant le pou­voir de la repré­sen­ta­tion tout en ren­for­çant le pou­voir exé­cu­tif, a affec­té le carac­tère démo­cra­tique de la Répu­blique. L’élection du pré­sident au suf­frage uni­ver­sel à laquelle se sont ajou­tés, à l’initiative du PS, le pas­sage au quin­quen­nat et l’inversion du calen­drier des scru­tins pré­si­den­tiel et légis­la­tif ont accen­tué cette dérive. Les lois suc­ces­sives de décen­tra­li­sa­tion ont confir­mé au niveau des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales cette supré­ma­tie de l’exécutif sur la représentation.

Aujourd’hui, cer­tains voient dans l’élection comme mode de dési­gna­tion des repré­sen­tants la source de tous les maux. Si on lit un des auteurs les plus achar­nés à faire le pro­cès de l’élection, celle-ci indui­rait « méca­ni­que­ment une aris­to­cra­tie élec­tive« . « Avec l’élection, écrit-il, les riches gou­vernent tou­jours, les pauvres jamais. » Selon lui, « après deux siècles de pra­tique, on constate que l’élection pousse au men­songe, prête le flanc à la cor­rup­tion, étouffe les résis­tances contre les abus de pou­voir et s’avère natu­rel­le­ment éli­tiste parce qu’elle ver­rouille l’accès au pou­voir du plus grand nombre au pro­fit des riches. » Et de pro­po­ser, en guise de remède, une chi­mère : le tirage au sort.

Je ne par­tage abso­lu­ment pas cette approche des pro­blèmes posés par la repré­sen­ta­tion et la solu­tion pro­po­sée. A mon estime, ceux qui pro­posent le tirage au sort confondent causes et effets et four­nissent ain­si une illus­tra­tion de la confu­sion des esprits et du désar­roi qui affectent bon nombre de citoyens, sin­cè­re­ment atta­chés à la démo­cra­tie et déso­rien­tés par les dérives et les dévoie­ments qu’elle subit. Il y a confu­sion entre le prin­cipe de l’élection et celui de l’éligibilité, entre suf­frage uni­ver­sel et moda­li­tés élec­to­rales de son appli­ca­tion, entre mode de dési­gna­tion des repré­sen­tants et exer­cice de la représentation.

Renon­cer à l’élection, c’est renon­cer au prin­cipe du contrat social et du man­dat qu’il met en place entre le peuple et ceux qu’il choi­sit pour agir tem­po­rai­re­ment en son nom. On ne s’en remet pas au hasard pour choi­sir son repré­sen­tant : on le choi­sit pour les valeurs qu’il défend, pour les orien­ta­tions qu’il pro­pose, pour la poli­tique qu’il veut mettre en œuvre. On passe avec lui un contrat moral en lui confiant un man­dat dont il devra rendre compte de la manière dont il l’a rem­pli. Le hasard n’a pas sa place dans un tel choix tota­le­ment condi­tion­né par le débat d’idées dans lequel il s’inscrit.

Que déci­de­rait aujourd’hui une telle assem­blée sur le sort à réser­ver aux immi­grés ou aux musul­mans ? Quel serait le man­dat d’un repré­sen­tant tiré au sort ? En quoi un « élu » né du hasard serait-il plus indé­pen­dant, en par­ti­cu­lier à l’égard des lob­bies, qu’un élu issu d’un choix conscient et déli­bé­ré ? Quelle garan­tie aurait l’électeur d’une telle assem­blée que la rai­son ne cède pas aux modes, aux pul­sions, aux déma­go­gies du moment ? En quoi, une assem­blée issue du tirage au sort serait-elle davan­tage repré­sen­ta­tive qu’une assem­blée élue selon la règle du scru­tin pro­por­tion­nel ? En quoi, un « élu » du tirage au sort serait-il davan­tage comp­table de ses choix qu’un élu du suf­frage uni­ver­sel ? De quelle manière le tirage au sort empê­che­rait-il que se consti­tuent entre « élus » de la sorte des coa­li­tions d’intérêts ?

Les par­ti­sans du tirage au sort pré­tendent amé­lio­rer la démo­cra­tie en sup­pri­mant un de ses fon­de­ments : le libre choix d’un can­di­dat par les citoyens. En fait, dans un tel sys­tème, le citoyen s’en remet au hasard en igno­rant tout de celui qui le repré­sen­te­ra. On pré­tend remé­dier aux maux qui affectent la repré­sen­ta­tion en la sup­pri­mant. On crée l’illusion d’une démo­cra­tie directe en confiant à des incon­nus le sort du peuple.

Les maux que pré­tendent résoudre les par­ti­sans du titrage au sort sont réels. Leur remède n’en est pas un. C’est un pla­ce­bo. Les solu­tions sont dans le tra­vail que devrait effec­tuer une assem­blée consti­tuante pour réin­ven­ter une démo­cra­tie nou­velle, pour ins­tau­rer enfin la République.

Trois maux affectent pro­fon­dé­ment le sys­tème repré­sen­ta­tif : le mode de scru­tin majo­ri­taire, la per­son­na­li­sa­tion du débat poli­tique et la pro­fes­sion­na­li­sa­tion de la représentation.

Le scru­tin majo­ri­taire, à un ou deux tours, est un véri­table détour­ne­ment du suf­frage uni­ver­sel. Au motif qu’il assure des majo­ri­tés stables – une affir­ma­tion qui ne se véri­fie plus aus­si auto­ma­ti­que­ment à mesure que les citoyens ne dis­tinguent plus net­te­ment ce qui dif­fé­ren­cie les pro­jets poli­tiques pro­po­sés – ce sys­tème refuse la pré­sence dans une assem­blée cen­sée repré­sen­ter le peuple tout entier de sen­si­bi­li­tés certes mino­ri­taires mais qui s’inscrivent dans la durée ou reflètent des pré­oc­cu­pa­tions nou­velles. Ce sys­tème conduit pro­gres­si­ve­ment au bipar­tisme, dont on voit dans les pays où il est pra­ti­qué, com­bien il favo­rise le sys­tème en place et ses conser­va­tismes. Les abus en France du mode de scru­tin pro­por­tion­nel, entre 1946 et 1958, ont convain­cu à tort de la noci­vi­té de ce sys­tème. Pour­tant, enca­dré par des tech­niques qui ont fait leurs preuves ailleurs (taux plan­cher requis pour accé­der à la repré­sen­ta­tion, motion de méfiance construc­tive indis­pen­sable au chan­ge­ment d’une coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale, etc.), la repré­sen­ta­tion pro­por­tion­nelle, en per­met­tant à tous les cou­rants de la socié­té réel­le­ment repré­sen­ta­tifs de se retrou­ver dans les assem­blées élues, conforte la confiance des citoyens dans le sys­tème repré­sen­ta­tif, mais sur­tout favo­rise l’apport d’idées nou­velles et l’enrichissement du débat.

La per­son­na­li­sa­tion du débat poli­tique rem­place le choix des poli­tiques par le choix des per­sonnes. Elle résulte d’une part de la concen­tra­tion des pou­voirs au sein d’une même per­sonne (pré­sident de la Répu­blique, pré­sident de région, pré­sident de conseil géné­ral, maire) et d’autre part de l’effondrement du poli­tique face à l’économique. Le ral­lie­ment incon­di­tion­nel de la gauche dite de gou­ver­ne­ment au libre échange le plus débri­dé, qui conduit à la concur­rence de tous contre tous, n’offre plus d’alternative cré­dible à la dic­ta­ture des mar­chés. De telle sorte qu’on évo­lue vers un sys­tème poli­tique où les choix se réduisent à des choix de per­son­na­li­tés certes por­teuses d’accents dif­fé­ren­ciés, mais d’accord sur l’essentiel. Entre un Valls et un Copé , quelle dif­fé­rence ? Quand on ne peut plus chan­ger le cours des choses qu’à la marge, alors que les inéga­li­tés et les injus­tices sont criantes, alors que tout un sys­tème poli­ti­co-éco­no­mique est au ser­vice d’une mino­ri­té, c’est le sys­tème qu’on rejette. La démo­cra­tie repré­sen­ta­tive ne retrou­ve­ra un sens que si elle pro­pose des alter­na­tives et pas seule­ment des alternances.

La pro­fes­sion­na­li­sa­tion de la repré­sen­ta­tion a tota­le­ment per­ver­ti la notion de man­dat. Et de ce fait remet en cause le contrat social. C’est un des maux qu’il faut com­battre le plus vigou­reu­se­ment. Cumu­ler des man­dats et les indem­ni­tés qui les accom­pagnent, exer­cer pen­dant trois, quatre, cinq légis­la­tures le même man­dat, ce n’est plus por­ter dans une assem­blée les attentes du peuple, c’est exer­cer un métier. Il en résulte de nom­breuses dérives condi­tion­nées par le sou­ci de la réélec­tion et les habi­tudes nées de la pra­tique pro­lon­gée du man­dat. Il importe de mettre fin à tout ce qui favo­rise cette professionnalisation.

Quant à la démo­cra­tie directe, après plus d’un siècle d’enseignement obli­ga­toire, avec un niveau géné­ral d’éducation éle­vé, avec un accès ren­for­cé aux infor­ma­tions, elle s’avère deve­nir un com­plé­ment néces­saire de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive aux éche­lons où elle peut se pra­ti­quer le plus faci­le­ment, celui de nos col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Au plan natio­nal, le réfé­ren­dum d’initiative popu­laire doit être rete­nu sans que le Par­le­ment puisse y faire obs­tacle, pour­vu qu’il écarte toute pos­si­bi­li­té plé­bis­ci­taire et que les condi­tions de son appli­ca­tion soient à l’abri d’initiatives démagogiques.

Les solu­tions aux per­ver­sions de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive existent. Une assem­blée consti­tuante peut les appor­ter. Point n’est besoin de recou­rir à des remèdes qui seraient pires que les maux qu’on pré­tend com­battre. Ce n’est pas en convo­quant l’obscurantisme qu’on ins­taure la lumière.

Raoul Marc JENNAR
Source

Voi­ci mes réponses.

Voi­ci d’a­bord une réponse glo­bale rapide (une simple annonce de lettre à Raoul) :

L’ÉLECTION, UNE CHIMÈRE (UN MYTHE QUI N’A JAMAIS TENU SES PROMESSES)

Bon­soir,

À la demande d’An­dré Bel­lon, mon cher Raoul Marc (Jen­nar) a rédi­gé un billet pour prendre posi­tion CONTRE le tirage au sort :

http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​1​975

et j’ai publié sur son blog un bref com­men­taire pour conve­nir d’un pro­chain ren­dez-vous/é­change.

Cette posi­tion n’est pas éton­nante a prio­ri : Raoul est un « vieux de la vieille » comme on dit, un héroïque résis­tant de longue date (il a tout mon res­pect, mon estime, mon ami­tié, je lui dois beau­coup), pour qui le suf­frage uni­ver­sel est notre seule arme pour conqué­rir la jus­tice sociale, pied à pied. Je com­prends donc très bien com­bien cela doit être dif­fi­cile pour lui de même seule­ment envi­sa­ger de perdre cette ins­ti­tu­tion vénérée.

Mais je ne déses­père pas de le convaincre (comme j’es­père un jour convaincre André) : il est géné­reux et intel­li­gent ; on va pou­voir dis­cu­ter. Et puis, si ça se trouve, c’est moi qui me trompe.

On ver­ra.

Je reviens bien­tôt pour lui répondre point par point, ration­nel­le­ment, tranquillement.

Bonne nuit à tous.

Étienne.

http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​t​i​r​a​g​e​_​a​u​_​s​o​r​t​.​php

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PS : Je vous pro­pose quelques cita­tions utiles, à connaître, il me semble :

• « Les élec­tions sont aris­to­cra­tiques et non démo­cra­tiques : elles intro­duisent un élé­ment de choix déli­bé­ré, de sélec­tion des meilleurs citoyens, les aris­toï, au lieu du gou­ver­ne­ment par le peuple tout entier. »
Aris­tote, Poli­tique, IV, 1300b4‑5.

• « Ce sont les Grecs qui ont inven­té les élec­tions. C’est un fait his­to­ri­que­ment attes­té. Ils ont peut-être eu tort, mais ils ont inven­té les élec­tions ! Qui éli­sait-on à Athènes ? On n’é­li­sait pas les magis­trats. Les magis­trats étaient dési­gnés par tirage au sort ou par rota­tion. Pour Aris­tote, sou­ve­nez-vous, un citoyen est celui qui est capable de gou­ver­ner et d’être gou­ver­né. Tout le monde est capable de gou­ver­ner, donc on tire au sort. Pour­quoi ? Parce que la poli­tique n’est pas une affaire de spé­cia­listes. Il n’y a pas de science de la poli­tique. Je vous fais remar­quer d’ailleurs que l’i­dée qu’il n’y a pas de spé­cia­listes de la poli­tique et que les opi­nions se valent est la seule jus­ti­fi­ca­tion rai­son­nable du prin­cipe majoritaire. »
Cor­né­lius Cas­to­ria­dis, Post scrip­tum sur l’insignifiance.

• « Les citoyens qui se nomment des repré­sen­tants renoncent et doivent renon­cer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volon­té par­ti­cu­lière à impo­ser. S’ils dic­taient des volon­tés, la France ne serait plus cet État repré­sen­ta­tif ; ce serait un État démo­cra­tique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démo­cra­tie (et la France ne sau­rait l’être), le peuple ne peut par­ler, ne peut agir que par ses représentants. »
Abbé SIEYÈS, dis­cours du 7 sep­tembre 1789.

• « Je ne crains pas le suf­frage uni­ver­sel : les gens vote­ront comme on leur dira. »
Alexis de Tocqueville.

Moi, je trouve que ça invite à réflé­chir (LIBREMENT) à une alter­na­tive… sans dogme imposé.
Source

Voi­ci ensuite ma réponse glo­bale mais appro­fon­die (source) à Raoul Marc Jennar :

Chers amis,

Ça y est, j’ai répon­du à Raoul : c’est sur son blog et sur celui d’An­dré (Bel­lon).

Comme pré­vu, je pro­gresse à l’oc­ca­sion de cette contro­verse. Il me semble que l’é­lec­tion de repré­sen­tants est à la fois LA CONDITION d’ap­pa­ri­tion et LE VERROU de péren­ni­té du CAPITALISME lui-même, avec son cor­tège d’in­jus­tices sociales et de catas­trophes écologiques.

Et nous pro­té­geons nous-mêmes, — gui­dés et INTIMIDÉS en cela par un MYTHE jamais sérieu­se­ment remis en ques­tion, celui du SUFFRAGE UNIVERSEL RÉDUIT FAUTIVEMENT À L’ÉLECTION DE REPRÉSENTANTS —, nous pro­té­geons nous-mêmes, donc, l’ou­til le plus effi­cace que les pri­vi­lé­giés aient jamais conçu pour exploi­ter leur pro­chain. La gauche sin­cère, géné­reuse, authen­ti­que­ment altruiste croit bien faire avec la défense de la « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive » (qui est pour­tant un oxy­more évident) et NOUS ENFERME ain­si, sans le vou­loir et sans le savoir, dans la néga­tion même de la démocratie.

J’ai hâte de vous lire.

Ami­ca­le­ment.

Étienne.

RÉPONSE (FRATERNELLE) D’ÉTIENNE CHOUARD À RAOUL MARC JENNAR

Cher Raoul,

Tu as publié lun­di der­nier, une tri­bune expli­quant ta méfiance par rap­port à l’i­dée du tirage au sort en poli­tique : http://​www​.pou​ru​ne​cons​ti​tuante​.fr/​s​p​i​p​.​p​h​p​?​a​r​t​i​c​l​e​417.

Tu es mon ami, et ce qui nous oppose aujourd’­hui n’est qu’une idée, une simple contro­verse sur l’or­ga­ni­sa­tion de la cité, évi­dem­ment sujette à débat (quels repré­sen­tants vou­lons-nous ? Des experts ou nos sem­blables ?). Je n’ou­blie pas que tu cherches la même chose que moi, la jus­tice sociale ; je n’ou­blie pas l’essentiel.

À mon avis, l’er­reur de tous les mili­tants de gauche —et je le dis sans agres­si­vi­té ni condes­cen­dance car j’ai com­mis moi-même pen­dant cin­quante ans ce que je consi­dère aujourd’­hui comme une erreur, et tout le monde peut se trom­per — TOUTE L’ERREUR DE LA GAUCHE SINCÈRE, DONC, TIENT DANS TA PREMIÈRE PHRASE :

« La démo­cra­tie repré­sen­ta­tive pos­tule la dési­gna­tion de représentants. »

1) Cette intro­duc­tion forte que tu choi­sis pour fon­der ton rai­son­ne­ment, ce socle de ton argu­men­ta­tion est CONTRADICTOIRE DANS LES TERMES.

C’est comme dire : « l’hon­nê­te­té men­son­gère pos­tule le men­songe. » … OK, c’est tout à fait VRAI, mais c’est aus­si tout à fait ILLÉGITIME.

2) Tu ne crois pas si bien dire : POSTULER, C’EST AFFIRMER SANS AVOIR À DÉMONTRER, c’est la défi­ni­tion du mot.

Est-ce accep­table en l’oc­cur­rence ? Je ne le crois pas.

3) Et puis QUI POSTULE ? La « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive » elle-même ? Mais qui c’est, ça ? Est-elle légi­time pour pos­tu­ler quoi que ce soit ? D’où vient ce régime ? Qui l’a vou­lu au départ ?

Qui peut pos­tu­ler légi­ti­me­ment l’or­ga­ni­sa­tion (et le contrôle !) des pou­voirs, en dehors du peuple lui-même ?

*****

Autre­ment dit, si la démo­cra­tie c’est le pou­voir du peuple par le peuple pour le peuple, alors la repré­sen­ta­tion (qui prend le pou­voir au peuple pour le don­ner à des repré­sen­tants) consiste, PAR DÉFINITION, à RENONCER à la démocratie.

Autre­ment dit, l’ex­pres­sion « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive » est un OXYMORE, un assem­blage de mots contra­dic­toires, une erreur pour les gens de bonne foi qui ne réa­lisent pas les ravages de cette contra­dic­tion, et une ESCROQUERIE pour ceux qui le savent et qui s’en servent pour prendre le pou­voir eux-mêmes.

ON NE PEUT PAS DIRE UNE CHOSE ET SON CONTRAIRE.

IL FAUT CHOISIR :
– SOIT LA DÉMOCRATIE,
– SOIT LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.

Or, le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif a été choi­si, vou­lu, pré­fé­ré par des gens fina­le­ment assez peu recom­man­dables du point de vue popu­laire, des pen­seurs poli­tiques très éli­tistes, très mépri­sants à l’é­gard de « la popu­lace » : Sieyès, Ben­ja­min Constant, Toc­que­ville, et puis toutes les authen­tiques cra­pules, comme Napo­léon pre­mier et Napo­léon III, Thiers, et tous les assas­sins élus qui ont envoyé leur peuple à la guerre, après l’a­voir exploi­té et volé.

SIEYÈS (un abbé) avouait en 1789 : « LES CITOYENS QUI SE NOMMENT DES REPRÉSENTANTS RENONCENT ET DOIVENT RENONCER À FAIRE EUX-MÊMES LA LOI ; ILS N’ONT PAS DE VOLONTÉ PARTICULIÈRE À IMPOSER. S’ILS DICTAIENT DES VOLONTÉS, LA FRANCE NE SERAIT PLUS CET ÉTAT REPRÉSENTATIF ; CE SERAIT UN ÉTAT DÉMOCRATIQUE. LE PEUPLE, JE LE RÉPÈTE, DANS UN PAYS QUI N’EST PAS UNE DÉMOCRATIE (ET LA FRANCE NE SAURAIT L’ÊTRE), LE PEUPLE NE PEUT PARLER, NE PEUT AGIR QUE PAR SES REPRÉSENTANTS. »

C’est clair non ?

Par quelles pirouettes intel­lec­tuelles en est-on arri­vé à dési­gner « démo­cra­tie » ce qui avait été PENSÉ DÈS L’ORIGINE COMME SON STRICT CONTRAIRE ?

Et par quelles pirouettes intel­lec­tuelles en vient-on, encore aujourd’­hui, à pré­tendre que ce régime volon­tai­re­ment et expres­sé­ment anti­dé­mo­cra­tique est… « la démocratie » ?

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, cet aris­to­crate pas­sion­nant (hon­nête mais anti­dé­mo­cra­tique), avouait très tôt que les élites savaient très bien, elles, qu’elles n’a­vaient rien à craindre de l’é­lec­tion, lui qui disait : « JE NE CRAINS PAS LE SUFFRAGE UNIVERSEL : LES GENS VOTERONT COMME ON LEUR DIRA ».

Et il avait rai­son, Raoul : tu vois bien que ça se passe comme ça, encore aujourd’­hui, non ? Les gens votent comme on leur dit. Et quand Raoul se pré­sente à une élec­tion, il ne gagne­ra jamais ; non pas parce que Raoul n’est pas le meilleur pour le peuple — il EST objec­ti­ve­ment le meilleur pour le peuple —, mais parce que l’é­lec­tion ne porte pas au pou­voir les meilleurs, mais très sou­vent les pires (du point de vue du peuple).

Donc, pour ma part, je pré­fère mille fois cette pen­sée de ROBESPIERRE :

« LA DÉMOCRATIE EST UN ÉTAT OÙ LE PEUPLE SOUVERAIN, GUIDÉ PAR DES LOIS QUI SONT SON OUVRAGE, FAIT PAR LUI-MÊME TOUT CE QU’IL PEUT BIEN FAIRE, ET PAR DES DÉLÉGUÉS TOUT CE QU’IL NE PEUT FAIRE LUI-MÊME. »

Je la trouve parfaite.

Cette concep­tion de Robes­pierre, l’in­cor­rup­tible Robes­pierre, fonde non pas la repré­sen­ta­tion en toute matière, mais DANS LES SEULS CAS où le peuple ne peut pas s’oc­cu­per lui-même de ses affaires, ET SOUS SON CONTRÔLE PERMANENT.

J’é­vo­lue moi-même, en réflé­chis­sant à tout ça avec toi, et je réa­lise fina­le­ment que JE NE VEUX PLUS DE REPRÉSENTANTS : JE VEUX LA DÉMOCRATIE.

Ce pour­rait être le mot d’ordre des peuples du monde entier :

NOUS VOULONS ÉCRIRE NOUS-MÊMES NOTRE CONSTITUTION.

Tu pro­poses toi-même que la démo­cra­tie soit directe au niveau local : je te prends au mot, parce que moi-même je ne veux pas autre chose.

À l’i­mage de ce que pro­pose Prou­dhon, avec sa FÉDÉRATION DE COMMUNES, je sug­gère que chaque com­mune gère direc­te­ment ses affaires, comme à Athènes (c’est la même taille), et que seules les affaires natio­nales soient sou­mises à l’As­sem­blée Natio­nale, à DES DÉLÉGUÉS PLACÉS SOUS LE CONTRÔLE PERMANENT DU PEUPLE QUI LES DÉLÈGUE, et qui peut les révo­quer à tout moment.

*****

Raoul, je te connais, j’ad­mire ton cou­rage et ta géné­ro­si­té intran­si­geante, je sais que tu cherches la jus­tice sociale, comme moi. Pour­tant, aujourd’­hui, dans l’é­tat actuel de notre réflexion à tous les deux, nous sommes appa­rem­ment en contradiction :

- Tu as peur que mon idée de tirage au sort des repré­sen­tants prive le peuple de son pou­voir en lui reti­rant sa seule arme poli­tique que serait l’élection (*).

- J’ai peur que ton idée d’é­lec­tion des repré­sen­tants prive le peuple de son pou­voir en lui reti­rant sa seule arme poli­tique que serait le tirage au sort.

On ne peut pas avoir com­plè­te­ment rai­son tous les deux : soit l’un d’entre nous a com­plè­te­ment rai­son (et l’autre a com­plè­te­ment tort), soit, beau­coup plus vrai­sem­bla­ble­ment, cha­cun de nos points de vue contient à la fois du vrai et du faux.

JE TE PROPOSE DEUX FAÇONS DE RAPPROCHER NOS POINTS DE VUE :

1) PRÉCISER DE QUOI ON PARLE, > ET RÉFLÉCHIR CAS PAR CAS PLUTÔT QU’EN BLOC :

Com­ment désigner
• l’As­sem­blée Constituante,
• le Conseil Constitutionnel,
• l’As­sem­blée Législative,
• l’Exé­cu­tif (je n’u­ti­lise plus le mot « gou­ver­ne­ment » qui porte en lui la confu­sion des pou­voirs et une dérive tyrannique),
• les Chambres de Contrôle des acteurs publics,
• les hauts fonctionnaires,
• les Juges,
• les Policiers,
• les son­deurs et autres statisticiens,
• les patrons de médias,
• les journalistes,
• les Assem­blées Com­mu­nales (et Régionales) ?

Nos réponses ne seront pas tou­jours oppo­sées dans tous les cas ; et le fait de trou­ver les points d’ac­cord sur cer­tains niveaux de pou­voir nous per­met­tra d’ES­SAYER ce qui paraît aujourd’­hui incon­gru et s’a­vé­re­ra peut-être génial.

2) PANACHER LES MÉTHODES :
TIRER AU SORT PARMI DES ÉLUS SANS CANDIDATS :

J’at­tire ton atten­tion sur une idée for­mi­dable qui devrait, je trouve, ras­su­rer tout le monde (sauf les voleurs de pou­voir, bien entendu) :

IMAGINE QUE CHACUN D’ENTRE NOUS SOIT APPELÉ À DÉSIGNER AUTOUR DE LUI, LIBREMENT — sans qu’au­cun par­ti ne lui impose des can­di­dats (ceci est impor­tant, abso­lu­ment déci­sif) — UNE (OU PLUSIEURS) PERSONNES QU’IL CONSIDÈRE COMME DES « HONNÊTES GENS » (je pré­fère ce vocable à celui de « valeu­reux » que j’u­ti­li­sais jus­qu’a­lors, mais il faut en discuter).

On pour­ra, par exemple, appré­cier ce voi­sin qui n’a pas peur de par­ler en public, cet ami qui lit beau­coup et qui est nuan­cé dans ses appré­cia­tions, ce col­lègue qui se dévoue déjà à la poli­tique de façon dés­in­té­res­sée, cette femme qui sait écou­ter sans se mettre en colère et qui est capable de chan­ger d’a­vis, cet autre qui a un fort sens pra­tique et qui ne s’en laisse pas accroire par un beau par­leur, celui-là qui est un diplo­mate aimant apai­ser les conflits, tel autre qui réflé­chit déjà aux rap­ports entre l’argent, la poli­tique et le droit, etc. Cha­cun réflé­chi­ra libre­ment aux qua­li­tés qui lui semblent utiles pour débattre du bien commun.

Les Hon­nêtes Gens ain­si élus sans avoir cher­ché à l’être pour­raient refu­ser cette dési­gna­tion, bien sûr, mais je pense qu’ils ne refu­se­raient pas tous : beau­coup de gens nor­maux — n’ayant aucun appé­tit pour le pou­voir — accep­te­raient d’exer­cer tem­po­rai­re­ment un cer­tain pou­voir, par dévoue­ment, « pour rendre ser­vice » si tout le sys­tème fonc­tionne comme ça.

ON POURRAIT ENSUITE TIRER AU SORT PARMI CES HONNÊTES GENS, LIBREMENT CHOISIS PAR LE PEUPLE.

On aurait ain­si le meilleur des deux méthodes : on n’au­rait pas n’im­porte qui (on aurait choi­si libre­ment « les meilleurs »), et on écar­te­rait beau­coup d’in­trigues et de cor­rup­tions en lais­sant une forte place à cette pro­cé­dure éga­li­taire et incor­rup­tible qu’est le tirage au sort.

Cher Raoul, je redoute cette contro­verse nais­sante qui pour­rait, au lieu de nous pous­ser tous les deux à pro­gres­ser comme peuvent le faire les meilleurs débats contra­dic­toires, nous conduire insen­si­ble­ment à des vio­lences ver­bales (invo­lon­taires au début) et fina­le­ment à une ini­mi­tié. Je redoute cela plus que tout.

Je vis la mise en ordre de bataille d’AT­TAC (je devrais plu­tôt dire de ses chefs, ce qui est dif­fé­rent) contre le tirage au sort comme une catas­trophe, un cau­che­mar : les gens les plus gen­tils, les plus humains, les plus géné­reux, les plus altruistes, se mobi­lisent —bien­tôt ardem­ment ?— contre quoi ? contre le pilier même de la démo­cra­tie, sa condi­tion de fai­sa­bi­li­té, son fondement…

C’est un cauchemar.

Les révol­tés du monde entier cherchent la vraie démo­cra­tie. ATTAC et la vraie gauche (pas les traîtres du par­ti soi-disant socia­liste) devraient leur offrir l’i­dée géniale de la fédé­ra­tion de com­munes et de la démo­cra­tie directe, ali­men­tée et garan­tie natu­rel­le­ment, méca­ni­que­ment, par le tirage au sort ; et au lieu de ça, ATTAC se pré­pare à ser­vir au peuple le caté­chisme répu­bli­cain de l’é­li­tisme élec­to­ral… C’est à pleu­rer. Pour­vu qu’ils changent d’a­vis, pour­vu pourvu…

*****

Entends-moi Raoul : je cherche la même chose que toi, je peux me trom­per, mais je ne suis pas ton enne­mi : 200 ANS DE FAITS HISTORIQUES montrent que l’ex­pé­rience de L’ÉLECTION DES REPRÉSENTANTS POLITIQUES N’A JAMAIS APPORTÉ LA JUSTICE SOCIALE, jamais. Ou les excep­tions sont si rares et si fra­giles qu’elles ne per­mettent pas de vali­der rai­son­na­ble­ment ce mythe.

C’é­tait une idée, mais ce n’é­tait pas une bonne idée. On n’est pas obli­gé de s’en­fer­rer dans une mau­vaise idée, non ?

Même Léon Blum, cette icône, avait pro­mis en secret à Fran­çois de Wen­del de ne pas lais­ser filer les salaires ! L’é­lu du peuple, son cham­pion, avait pro­mis en cou­lisse au pire enne­mi du peuple, au patron des indus­triels et des ban­quiers, de ne PAS défendre les inté­rêts popu­laires essen­tiels. Je trouve ça emblé­ma­tique : l’é­lec­tion de repré­sen­tants au suf­frage uni­ver­sel comme moyen d’é­man­ci­pa­tion popu­laire est un mythe qui n’a jamais tenu ses pro­messes, c’est une pro­cé­dure qui a été pen­sée dès le départ par une élite contre le peuple, contre la démocratie.

Et elle fonc­tionne parfaitement.

Mais pas dans l’in­té­rêt du peuple :

TOUJOURS ET PARTOUT,
L’ÉLECTION DONNE UN POUVOIR POLITIQUE ABSOLU AUX RICHES.

AVANT L’AVÈNEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL, LES RICHES N’AVAIENT PAS TANT DE POUVOIR QUE CELA : LES RICHES DEVAIENT COMPOSER AVEC D’AUTRES POUVOIRS DE L’ANCIEN RÉGIME, LES PRINCES, LES NOBLES, LE CLERGÉ…

MAIS LE SUFFRAGE UNIVERSEL LEUR A DONNÉ LE MOYEN DE PRENDRE COMPLÈTEMENT LE CONTRÔLE DE L’ÉCRITURE DU DROIT (en finan­çant la cam­pagne élec­to­rale des élus du Par­le­ment, ce qui fait des dépu­tés leurs obli­gés), ce qui a per­mis, je le crois aujourd’­hui, l’a­vè­ne­ment de capi­ta­lisme, rien que ça.

Parce que LE CAPITALISME A BESOIN DU DROIT POUR RÉGNER —ET POUR PERDURER—, IL A BESOIN D’UN DROIT TRÈS PARTICULIER pour s’é­tendre par­tout sur terre : un droit qui donne le plus pos­sible aux pro­prié­taires et le moins pos­sible aux travailleurs.

CE DROIT NE PEUT ADVENIR QUE GRÂCE AU CONTRÔLE (FINANCIER) DES ACTEURS POLITIQUES PAR LES PUISSANTS ÉCONOMIQUES : ce contrôle, il me semble que c’est l’é­lec­tion de repré­sen­tants au suf­frage uni­ver­sel qui l’a don­né aux capitalistes.

Ain­si, en défen­dant l’é­lec­tion de REPRÉSENTANTS au suf­frage uni­ver­sel — au lieu de défendre le suf­frage uni­ver­sel DIRECT à l’As­sem­blée du peuple — nous défen­dons nous-mêmes le meilleur outil d’op­pres­sion poli­tique jamais ima­gi­né par nos pires enne­mis… Nous met­tons toute notre fier­té à nous mon­trer les plus ardents défen­seurs de ce qui scelle notre lamen­table impuis­sance poli­tique depuis deux cents ans.

Sacré para­doxe quand même, non ?
Mais ce n’est pas que la faute des autres. C’est bien de la nôtre aussi.
C’est mon message.

LE SEUL SUFFRAGE UNIVERSEL QUI VAILLE, C’EST LE VRAI SUFFRAGE UNIVERSEL, DIRECT : LE SUFFRAGE DU PEUPLE EN CORPS (tous ceux qui le dési­rent viennent, et il n’y en aura pas tant que ça ; et s’il n’y a plus de place, reve­nez demain) à l’As­sem­blée Com­mu­nale ou à l’As­sem­blée Nationale.

*****

Mais soyons concrets : ces­sons de par­ler du tirage au sort géné­ra­li­sé, qui est for­cé­ment éloi­gné, immé­dia­te­ment inac­ces­sible, et qui fait peur à tout le monde puisque per­sonne n’en parle à l’é­cole et que per­sonne ne s’est encore pré­pa­ré à cette idée pour­tant fon­da­trice ; et CONCENTRONS-NOUS SUR L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE qui est à la source de tous les pou­voirs (et de tous les abus de pou­voir si le peuple ne s’en charge pas lui-même) et QUI DOIT ABSOLUMENT ÊTRE DÉSINTÉRESSÉE POUR QUE LES CHOSES CHANGENT, POUR QUE LE PEUPLE SORTE DE SON IMPUISSANCE POLITIQUE CHRONIQUE : IL NE FAUT PAS QUE LES MEMBRES DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ÉCRIVENT DES RÈGLES POUR EUX-MÊMES.

CE N’EST PAS AUX HOMMES AU POUVOIR D’ÉCRIRE LES RÈGLES DU POUVOIR.

Ce n’est pas aux Par­le­men­taires, ni aux Ministres, ni aux Pré­si­dents, ni aux Juges, ni même aux Hommes de Par­tis (qui se des­tinent au pou­voir), d’é­crire ou de modi­fier la Consti­tu­tion dont la rai­son même est d’af­fai­blir leur pouvoir.

La grande dif­fi­cul­té en cette matière est de trou­ver les hommes poli­tiques assez dés­in­té­res­sés, assez hau­te­ment sou­cieux du bien com­mun, pour com­prendre la situa­tion de CONFLIT D’INTÉRÊTS dans laquelle ils se trouvent quand ils se mêlent d’é­crire la consti­tu­tion. Il faut un sens de l’hon­neur sacré­ment déve­lop­pé pour être un poli­ti­cien et dire : « je veux exer­cer le pou­voir pour amé­lio­rer le monde et ser­vir l’in­té­rêt géné­ral, mais le fait même d’exer­cer le pou­voir, objec­ti­ve­ment, me rend dan­ge­reux pour les autres : il est donc essen­tiel que des règles limitent mon pou­voir, et ce n’est sur­tout pas à moi d’é­crire ces règles ».

Cer­tains élus d’au­jourd’­hui ont-ils cette hau­teur de vue ? Je l’es­père, mais les pre­mières réac­tions d’é­lus, très hos­tiles à cette thèse du tirage au sort des membres de l’As­sem­blée Consti­tuante, montrent plu­tôt le contraire.

Espé­rons que le fait de s’être décla­ré publi­que­ment d’une opi­nion ne les enferme pas dans cette opi­nion (effet de gel et esca­lade d’en­ga­ge­ment). Pour ma part, je n’ai pas peur de chan­ger d’a­vis : l’es­sence du débat, c’est de com­prendre les autres points de vue et de se rap­pro­cher petit à petit du meilleur juge­ment, donc de chan­ger pro­gres­si­ve­ment de point de vue, en mieux.

Très ami­ca­le­ment.

10 juin 2011.
Étienne Chouard.
http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​pe/
http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​t​i​r​a​g​e​_​a​u​_​s​o​r​t​.​php

___

(*) Les réponses à tes craintes se trouvent déjà dans ma confé­rence de Mar­seille : http://​dai​.ly/​m​G​9​ZO3

Dans les grandes lignes : le tirage au sort ne sert pas du tout à confier un grand pou­voir à n’im­porte qui, évi­dem­ment : le tirage au sort sert à confier à des ama­teurs les seules tâches (volon­tai­re­ment mor­ce­lées) que l’As­sem­blée ne peut pas assu­mer elle-même (par­mi les­quelles la police et la jus­tice pour exé­cu­ter les déci­sions col­lec­tives), mais en GARANTISSANT UNE RÉELLE ROTATION DES CHARGES ET UNE SÉVÈRE REDDITION DES COMPTES, POUR QUE JAMAIS LES SERVITEURS DU PEUPLE NE DEVIENNENT SES MAÎTRES.

Et je trouve que cet objec­tif cen­tral du tirage au sort est pro­fon­dé­ment… DE GAUCHE.

Étienne Chouard
Source


Voi­ci ensuite mes réponses POINT PAR POINT au PREMIER billet de Raoul
(parce que vous allez voir qu’il m’a ensuite répon­du, plu­sieurs fois, et donc moi aussi 🙂 ) :

Réponse d’Étienne Chouard au PREMIER article de Raoul Marc Jennar
sur le tirage au sort :
http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​1​975

(Je glisse mes com­men­taires en bleu dans le texte de Raoul en ita­liques pour mieux com­prendre leur contexte.)

[RMJ : À la demande d’André Bel­lon, l’animateur de l’association « Pour une Consti­tuante », j’ai rédi­gé une réflexion sur la ques­tion de la repré­sen­ta­tion et ma réac­tion à la pro­po­si­tion avan­cée ici et là de pro­cé­der au choix des repré­sen­tants par tirage au sort.

Voi­ci le début de ce papier qu’on trou­ve­ra éga­le­ment sur le site de cette association :

La démo­cra­tie repré­sen­ta­tive pos­tule la dési­gna­tion de représentants.]

[ÉC (1) : j’ai déjà répon­du en détail à cette impor­tante et dis­cu­table pré­misse : http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​1​9​7​5​#​c​o​m​m​e​n​t​-​2​930. En sub­stance, l’expression « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive » est un oxy­more, une contra­dic­tion dans les termes, et il n’est pas éton­nant qu’un pro­jet poli­tique aris­to­cra­tique « pos­tule », c’est-à-dire affirme sans démon­trer, que la dési­gna­tion de maîtres poli­tiques est indis­pen­sable… Mais cela n’a rien à voir avec la démo­cra­tie. ÉC.]

[RMJ : Une longue lutte popu­laire, qui prit les allures d’un véri­table com­bat de classes, a conduit à l’instauration du suf­frage uni­ver­sel comme mode de dési­gna­tion des représentants.]

[ÉC (2) : Il me semble que le suf­frage uni­ver­sel (tel que tu le défends : un droit de vote tous les cinq ans pour un can­di­dat qu’on n’a pas choi­si, et fina­le­ment l’impuissance poli­tique totale entre deux élec­tions fac­tices), ce faux suf­frage uni­ver­sel, donc, fut ins­ti­tué pen­dant la révo­lu­tion fran­çaise et a très vite été sup­pri­mé, pour être ensuite réta­bli par des tyrans, non ? Alain Gar­ri­gou (his­to­rien spé­cia­liste du suf­frage uni­ver­sel, et qui n’est pas pré­ci­sé­ment un fas­ciste…) rap­pe­lait récem­ment sur France-Inter que le « suf­frage uni­ver­sel » à la mode de chez nous n’est pas le résul­tat d’une aspi­ra­tion popu­laire, encore moins d’une lutte popu­laire : http://​www​.fran​cein​ter​.fr/​e​m​i​s​s​i​o​n​-​c​a​-​v​o​u​s​-​d​e​r​a​n​g​e​-​f​a​u​t​-​i​l​-​s​u​p​p​r​i​m​e​r​-​l​e​-​s​u​f​f​r​a​g​e​-​u​n​i​v​e​r​sel (minute 46).

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, dès le Congrès de Londres en 1896, les socia­listes « réfor­mistes » (ne jurant déjà que par le faux « suf­frage uni­ver­sel ») ont exclu et dia­bo­li­sé Mala­tes­ta et les anar­chistes (authen­tiques démo­crates, peut-être ?) avant d’im­po­ser l’é­lec­tion de maîtres poli­tiques comme seul mode de gou­ver­ne­ment : voir le tome II de Daniel Gué­rin, « Ni Dieu ni Maître » pages 22 et suivantes.

Il n’est peut-être pas inutile de se sou­ve­nir de TOUTES les luttes popu­laires, y com­pris les liber­taires. Non ? ÉC.]

[RMJ : Aujourd’hui, cette manière de choi­sir les repré­sen­tants du peuple est ins­ti­tuée comme un cri­tère incon­tour­nable pour juger du carac­tère démo­cra­tique d’un sys­tème politique.]

[ÉC (3) : Incon­tour­nable pour toi, Raoul. C’est peut-être un bon sys­tème, mais cela n’a rien à voir avec la démo­cra­tie : ça s’appelle LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.

Relire les tra­vaux des révo­lu­tion­naires en 1789–1794 : per­sonne ne vou­lait ins­ti­tuer une démo­cra­tie à l’époque, ce me semble ; per­sonne. ÉC.]

[RMJ : Mais le prin­cipe un citoyen-une voix, qui devait assu­rer que la majo­ri­té du peuple, celle qui ne vit que de son labeur, se retrouve majo­ri­taire dans les enceintes élues, a été détour­né à la fois par des tech­niques élec­to­rales et par un dévoie­ment de la repré­sen­ta­tion. De telle sorte qu’aujourd’hui, et l’abstention le confirme, un grand nombre de repré­sen­tés ne se sentent plus repré­sen­tés par leurs repré­sen­tants. Pour beau­coup, la for­mule par laquelle Abra­ham Lin­coln défi­nis­sait la démo­cra­tie – le gou­ver­ne­ment du peuple, par le peuple et pour le peuple – est plus que jamais éloi­gnée de la réalité.]

[ÉC (4) : Tu mets de l’eau à mon mou­lin, je te remer­cie, mais fais atten­tion à ne pas deve­nir « outran­cier », quand même… 😉

Le prin­cipe un élec­teur = une voix n’a pas été dévoyé par une forme don­née de la repré­sen­ta­tion : LE PRINCIPE UN ÉLECTEUR = UNE VOIX EST NIÉ DANS SON ESSENCE PAR LE PRINCIPE MÊME DE LA REPRÉSENTATION : SI ON M’IMPOSE DE DÉSIGNER UN REPRÉSENTANT, C’EST BIEN QUE JE NE VAIS PLUS RIEN DÉCIDER MOI-MÊME.

Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots, Raoul. La ficelle des élus pour jus­ti­fier leur élec­tion (et la DÉPOSSESSION POLITIQUE géné­rale qui en découle LOGIQUEMENT), cette ficelle est GROSSE, tout le monde la voit, et l’abstention mas­sive des citoyens aux élec­tions de repré­sen­tants est la réac­tion gen­tille, paci­fique, à cette escro­que­rie poli­tique qui méri­te­rait peut-être une réac­tion plus ferme, plus déter­mi­née, plus radi­cale, plus… démo­cra­tique. ÉC.]

[RMJ : En France, la Consti­tu­tion de la Ve Répu­blique pro­po­sée par la droite, en affai­blis­sant le pou­voir de la repré­sen­ta­tion tout en ren­for­çant le pou­voir exé­cu­tif, a affec­té le carac­tère démo­cra­tique de la Répu­blique. L’élection du pré­sident au suf­frage uni­ver­sel à laquelle se sont ajou­tés, à l’initiative du PS, le pas­sage au quin­quen­nat et l’inversion du calen­drier des scru­tins pré­si­den­tiel et légis­la­tif ont accen­tué cette dérive. Les lois suc­ces­sives de décen­tra­li­sa­tion ont confir­mé au niveau des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales cette supré­ma­tie de l’exécutif sur la représentation.]

[ÉC (5) : dans ton deuxième billet sur le tirage au sort (http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​2​012, avant der­nier para­graphe : « l’origine de l’effacement du mou­ve­ment socia­liste… »), tu expliques par­fai­te­ment que les tra­hi­sons répé­tées des élus de gauche datent d’au moins un siècle et pas du tout de la 5ème pré­ten­due « répu­blique » : l’impuissance poli­tique des citoyens, l’arrogance men­son­gère des élus, tou­jours au ser­vice des plus riches, étaient exac­te­ment les mêmes sous la IIIe et la IVe pré­ten­dues « républiques ».

C’est bien le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif qui, PAR STRUCTURE, tra­hit tous les idéaux démo­cra­tiques, pas seule­ment la consti­tu­tion de 1958. ÉC.]

[RMJ : Aujourd’hui, cer­tains voient dans l’élection comme mode de dési­gna­tion des repré­sen­tants la source de tous les maux. Si on lit un des auteurs les plus achar­nés à faire le pro­cès de l’élection, celle-ci indui­rait « méca­ni­que­ment une aris­to­cra­tie élec­tive ». « Avec l’élection, écrit-il, les riches gou­vernent tou­jours, les pauvres jamais. » Selon lui, « après deux siècles de pra­tique, on constate que l’élection pousse au men­songe, prête le flanc à la cor­rup­tion, étouffe les résis­tances contre les abus de pou­voir et s’avère natu­rel­le­ment éli­tiste parce qu’elle ver­rouille l’accès au pou­voir du plus grand nombre au pro­fit des riches. » Et de pro­po­ser, en guise de remède, une chi­mère : le tirage au sort.]

[ÉC (6) : Là, à demi-mot, quand tu parles gen­ti­ment d’un « achar­né », je sens que tu parles de moi 😉 ÉC.]

[RMJ : Je ne par­tage abso­lu­ment pas cette approche des pro­blèmes posés par la repré­sen­ta­tion et la solu­tion pro­po­sée. À mon estime, ceux qui pro­posent le tirage au sort confondent causes et effets et four­nissent ain­si une illus­tra­tion de la confu­sion des esprits et du désar­roi qui affectent bon nombre de citoyens, sin­cè­re­ment atta­chés à la démo­cra­tie et déso­rien­tés par les dérives et les dévoie­ments qu’elle subit. Il y a confu­sion entre le prin­cipe de l’élection et celui de l’éligibilité, entre suf­frage uni­ver­sel et moda­li­tés élec­to­rales de son appli­ca­tion, entre mode de dési­gna­tion des repré­sen­tants et exer­cice de la représentation.]

[ÉC (7) : tu dis que je confonds causes et effets, élec­tion et éli­gi­bi­li­té, suf­frage uni­ver­sel et moda­li­tés élec­to­rales… mais tu sembles pré­ci­sé­ment atteint de cette affec­tion que tu dénonces, et au der­nier degré. Qui confond quoi, en l’occurrence ? Je pré­tends effec­ti­ve­ment que la cause pre­mière des lois anti­so­ciales à répé­ti­tion tient à l’élection de repré­sen­tants poli­tique qui, tou­jours et par­tout — ce sont DES FAITS —, met au pou­voir des marion­nettes ser­viles des plus riches. Prouve-moi le contraire, si j’ai tort : montre-moi donc tous ces four­millants exemples d’élus défen­dant les inté­rêts du peuple sans attendre d’y être contraints par une foule en rage. Sachant qu’une excep­tion ne suf­fit pas à prou­ver une règle, tu vas avoir du mal, je pense.

Et je ne dis évi­dem­ment PAS que TOUT ce qu’ont écrit les par­le­men­taires est nul : appuyer sur cette sim­pli­fi­ca­tion de pro­tes­ta­tion en la pre­nant au sens strict pour la dis­cré­di­ter en par­lant d’ou­trance, ce serait juste de la mau­vaise foi : quand on dit qu’ils nous tra­hissent tout le temps, on com­prend bien que ce ne sont pas quelques exemples tou­jours pos­sibles et bien réels de non-tra­hi­son qui vont nous faire chan­ger d’a­vis : EN MATIÈRE PARLEMENTAIRE, LA TRAHISON DES ÉLECTEURS EST LA RÈGLE ET LE RESPECT DES PROMESSES L’EXCEPTION.

Après deux cents ans de tra­hi­sons, il n’y a plus que les élus (et les can­di­dats à l’é­lec­tion) pour croire le contraire. ÉC.]

[RMJ : Renon­cer à l’élection, c’est renon­cer au prin­cipe du contrat social et du man­dat qu’il met en place entre le peuple et ceux qu’il choi­sit pour agir tem­po­rai­re­ment en son nom. ]

[ÉC (8) : Hep ! Les démo­crates (les vrais) renoncent à un contrat social LÉONIN, INJUSTE, effec­ti­ve­ment, mais ils ne renoncent PAS à tout contrat social quel qu’il soit, bien sûr ! Il s’agit d’instituer un contrat social DÉMOCRATIQUE, rien de plus, rien de moins.

Mais du point de vue des élus, c’est l’é­lec­tion ou le chaos… pas d’al­ter­na­tive. Cha­cun son point de vue, on peut le com­prendre. Moi, je pri­vi­lé­gie le point de vue de l’in­té­rêt géné­ral ; le point de vue des élus m’in­dif­fère presque.

Et RENONCER À L’ÉLECTION DE MAÎTRES POLITIQUES, CE N’EST PAS RENONCER AU VOTE, AU CONTRAIRE : à mon sens, pré­ci­sé­ment, le seul suf­frage uni­ver­sel digne de ce nom est le suf­frage direct, à l’assemblée du peuple. Le suf­frage uni­ver­sel que tu défends ne mérite pas son nom, c’est une trom­pe­rie, une manœuvre d’élu pour cap­ter le pou­voir politique.

DONC, CELUI QUI REFUSE LE SUFFRAGE UNIVERSEL, LE VRAI, N’EST PAS CELUI QUE TU PENSES. ÉC.]

[RMJ : On ne s’en remet pas au hasard pour choi­sir son repré­sen­tant : on le choi­sit pour les valeurs qu’il défend, pour les orien­ta­tions qu’il pro­pose, pour la poli­tique qu’il veut mettre en œuvre. On passe avec lui un contrat moral en lui confiant un man­dat dont il devra rendre compte de la manière dont il l’a rem­pli. Le hasard n’a pas sa place dans un tel choix tota­le­ment condi­tion­né par le débat d’idées dans lequel il s’inscrit.]

[ÉC (9) : c’est ta vision des choses, Raoul. C’est une vision d’élu, sans doute.

Ce n’est pas la seule possible.

Et on peut pen­ser dif­fé­rem­ment des élus sans être un fasciste.

N’est-ce pas ?

Si le peuple tient à exer­cer lui-même le pou­voir au quo­ti­dien (ce qui est la carac­té­ris­tique cen­trale de la démo­cra­tie, sa DÉFINITION même), il n’est pas du tout illo­gique que le peuple aspi­rant ain­si à la démo­cra­tie se pro­tège des voleurs de pou­voirs EN NE DÉLÉGANT QUE TRÈS PEU DE POUVOIR, POUR TRÈS PEU DE TEMPS, ET TOUJOURS À DES AMATEURS par la force d’institutions qui le per­mettent réel­le­ment, et le tirage au sort est par­fait pour dési­gner des ser­vi­teurs poli­tiques, pour empê­cher qu’ils ne se trans­forment en maîtres : c’est sim­ple­ment une autre orga­ni­sa­tion que le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, Raoul, ça s’appelle la démo­cra­tie : c’est le peuple en corps qui décide lui-même de ses affaires.

Et IL N’Y A QUE LES ÉLUS POUR CONTESTER CE DROIT AU PEUPLE, tu le remar­que­ras : l’immense majo­ri­té des gens aspirent à une démo­cra­tie digne de ce nom, alors que la tota­li­té des élus imposent au contraire au peuple le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, qui est la néga­tion même de la démo­cra­tie. ÉC.]

[RMJ : Que déci­de­rait aujourd’hui une telle assem­blée sur le sort à réser­ver aux immi­grés ou aux musulmans ?]

[ÉC (10) : Qu’est-ce que c’est que cette ques­tion ? On dirait que tu n’accepterais que des ins­ti­tu­tions qui per­met­traient à tes idées per­son­nelles de l’emporter…

Par ailleurs, je te rap­pelle qu’en démo­cra­tie, ce ne sont pas les repré­sen­tants tirés au sort qui décident, mais le peuple lui-même, com­mune par com­mune. L’idée d’une deuxième chambre tirée au sort, pour créer une Assem­blée qui nous res­semble dotée d’un réel pou­voir de déci­sion, ce n’est pas la démo­cra­tie : c’est un com­pro­mis, une pro­po­si­tion de réforme du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif qui lui incor­pore un peu de démo­cra­tie. Mais même cela semble t’effrayer, rien qu’à pen­ser que cette chambre pour­rait prendre des déci­sions qui te révulsent… Mais Raoul, ce risque d’erreur — ou d’horreur — n’a rien de spé­ci­fique : une chambre élue est tout à fait capable de prendre des déci­sions qui te révul­se­raient tout autant (ouvre les yeux : par­tout sur terre, c’est le lot des Hommes que d’être mal­me­nés par leurs élus en régime de « gou­ver­ne­ment représentatif »).

Je ne com­prends pas du tout la force pro­bante de cet argu­ment qui n’est PAS SPÉCIFIQUE au tirage au sort. ÉC.]

[RMJ : Quel serait le man­dat d’un repré­sen­tant tiré au sort ? ]

[ÉC (11) : Pré­pa­rer et exé­cu­ter les déci­sions de l’Assemblée, à tous points de vue. Faire ce que l’As­sem­blée ne peut pas faire elle-même, sous son contrôle per­ma­nent. ÉC.]

[RMJ : En quoi un « élu » né du hasard serait-il plus indé­pen­dant, en par­ti­cu­lier à l’égard des lob­bies, qu’un élu issu d’un choix conscient et délibéré ?]

[ÉC (12) : En ceci qu’IL EST DIFFICILE DE CORROMPRE QUELQU’UN QUI NE VOUS DOIT RIEN.

Ce qui fra­gi­lise les élus (sur­tout les élus à grande échelle, qui ont besoin de beau­coup d’argent ; net­te­ment moins les élus locaux), c’est LA DETTE liée au finan­ce­ment néces­saire de leurs cam­pagnes élec­to­rales ruineuses.

Nie­rais-tu cette dette, et le risque criant de cor­rup­tion qu’elle induit mécaniquement ?

Par construc­tion, les élus sont comme des dro­gués, dro­gués du déli­cieux pou­voir qui sont prêt à (presque) tout pour jouir à nou­veau de leur drogue. C’est tel­le­ment natu­rel (uni­ver­sel et intem­po­rel) qu’on a peine à le leur repro­cher. Par contre, nous pou­vons tous légi­ti­me­ment sou­hai­ter de bonnes ins­ti­tu­tions nous pro­té­geant contre cette addic­tion au pou­voir, qui est évi­dem­ment contraire à l’intérêt général.

Je ne m’en prends à per­sonne, je m’en prends aux institutions.

On a le droit de dis­cu­ter de ça ? Ou bien on est d’emblée un fas­ciste ? ÉC.]

[RMJ : Quelle garan­tie aurait l’électeur d’une telle assem­blée que la rai­son ne cède pas aux modes, aux pul­sions, aux déma­go­gies du moment ? ]

[ÉC (13) : Encore une fois, cette crainte n’a rien de spé­ci­fique au tirage au sort : ce risque (bien réel) atteint tout autant une assem­blée de par­ti­sans qu’une assem­blée de simples citoyens.

Par contre, dans une vraie démo­cra­tie, où les repré­sen­tants sont révo­cables à tout moment (par l’Assemblée des citoyens en corps), les garan­ties contre les tra­hi­sons sont infi­ni­ment plus solides. ÉC.]

[RMJ : En quoi, une assem­blée issue du tirage au sort serait-elle davan­tage repré­sen­ta­tive qu’une assem­blée élue selon la règle du scru­tin proportionnel ? ]

[ÉC (14) : Drôle de ques­tion. Faut-il te faire un des­sin ? Com­bien de femmes (aujourd’hui comme hier) dans les assem­blées élues que tu pré­tends si repré­sen­ta­tives ? Com­bien de noirs ? Com­bien de chô­meurs ? Com­bien de jeunes ? Com­bien de pauvres ? Réponds, s’il te plaît.

Et selon toi, les femmes, les pauvres, les jeunes, les noirs d’un pays (et j’en passe, bien sûr) devraient croire à tes belles pro­messes que leurs inté­rêts seront mieux défen­dus par des vieux mâles blancs et riches (qu’ils n’ont abso­lu­ment pas choi­sis puisque ce sont les chefs de par­tis qui les pré­sé­lec­tionnent !) que par une assem­blée tirée au sort, au sein de laquelle on trou­ve­rait pour­tant, MÉCANIQUEMENT, la moi­tié de femmes, une juste pro­por­tion de noirs et d’autres mino­ri­tés aujourd’hui non repré­sen­tées (avec ou sans scru­tin pro­por­tion­nel), et sur­tout, Raoul, PLUS DE LA MOITIÉ DE PAUVRES ! Je dirais même les 99 cen­tièmes de « non ultra riches »…

Pour prendre un exemple assez par­lant, je peux te pré­dire que le vote des innom­brables niches fis­cales pour les pri­vi­lé­giés du Fou­quet’s (cadeaux lit­té­ra­le­ment rui­neux pour l’É­tat) pas­se­ra moins faci­le­ment dans une assem­blée tirée au sort. L’INTÉRÊT GÉNÉRAL SERA ÉVIDEMMENT MIEUX REPRÉSENTÉ PAR UNE ASSEMBLÉE TIRÉE AU SORT que par une assem­blée de valets ser­viles des plus riches (UMP, PS et autres « par­tis de gou­ver­ne­ment » c’est-à-dire asservis).

Je ne sais pas ce que signi­fie pour toi le mot « REPRÉSENTATIF », Raoul, mais pour moi, — (pour­vu qu’elle soit suf­fi­sam­ment nom­breuse : 1 000 membres pour un pays comme la France ? Il faut en dis­cu­ter) — une assem­blée tirée au sort est INFINIMENT plus repré­sen­ta­tive qu’une chambre élue, par le jeu natu­rel, INCORRUPTIBLE et ÉQUITABLE, de la loi des grands nombres.

Tu demandes « en quoi… » : en fait, l’une EST repré­sen­ta­tive, et l’autre ne l’est PAS.

________

Quant au mode de scru­tin, LE SCRUTIN PROPORTIONNEL DONNE TOUT LE POUVOIR AUX PARTIS : aucun citoyen ne peut plus être can­di­dat dans ce sys­tème de listes : pour le coup, du point de vue de chaque humain, c’est la pri­son poli­tique totale : hors par­ti, il n’y a plus aucune acti­vi­té poli­tique pos­sible pour les citoyens ; l’embrigadement est forcé.

Est-ce qu’on peut en par­ler tran­quille­ment, libre­ment, sans être trai­té de fasciste ?

LE SCRUTIN PROPORTIONNEL N’EST UNE SOLUTION JUSTE QUE POUR LES PETITS PARTIS, PAS DU TOUT POUR LES CITOYENS qui conti­nuent à se faire domi­ner par des pro­fes­sion­nels de la poli­tique, experts en magouilles élec­to­rales, pro­fes­sion­nels que toute démo­cra­tie digne de ce nom inter­dit en prio­ri­té : LA DÉMOCRATIE (LA VRAIE), C’EST LE SYSTÈME DES HOMMES QUI REFUSENT D’ÊTRE DOMINÉS PAR DES CHEFS.

Donc pro­por­tion­nel ou pas, le mode de scru­tin est UNE SIMPLE MODALITÉ de la domi­na­tion des élec­teurs par leurs élus. On peut com­prendre que les par­ti­sans des petits par­tis pré­fèrent la pro­por­tion­nelle pour exis­ter en régime élec­to­ral, mais cela n’a rien à voir avec la démo­cra­tie. ÉC.]

[RMJ : En quoi, un « élu » du tirage au sort serait-il davan­tage comp­table de ses choix qu’un élu du suf­frage uni­ver­sel ? De quelle manière le tirage au sort empê­che­rait-il que se consti­tuent entre « élus » de la sorte des coa­li­tions d’intérêts ?]

[ÉC (15) : Un tiré au sort est « davan­tage comp­table » devant l’Assemblée SI LA CONSTITUTION LE PRÉVOIT, tout sim­ple­ment, c’est-à-dire si elle est vrai­ment démo­cra­tique, c’est-à-dire si elle a été écrite par d’autres que les élus ou can­di­dats des divers partis.

Parce que tu trouves que les élus, eux, sont « comp­tables de leurs choix » en régime de gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif ? C’est une blague ?

« Le man­dat » dont tu nous parles, « la res­pon­sa­bi­li­té » que tu invoques, « le pacte », le « contrat social » que tu mets en avant, sont des fumis­te­ries, DES MYTHES purs et simples, DES CHIMÈRES pré­ci­sé­ment, SANS AUCUNE RÉALITÉ : tout ça est ima­gi­naire et UNIVERSELLEMENT INFIRMÉ PAR LES FAITS.

La réa­li­té du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, par­tout dans le monde et à toutes les époques depuis deux cents ans qu’il a été inven­té, c’est la domi­na­tion des élec­teurs par les élus, c’est la dépen­dance finan­cière des élus à l’égard des plus riches qui les font élire, et c’est la pro­duc­tion d’un droit injuste, anti­so­cial, un droit de pro­prié­taires, un droit hos­tile aux tra­vailleurs mal­gré leurs conquêtes héroïques à la faveur de révoltes qui, loin d’être ren­dues pos­sibles par le faux suf­frage uni­ver­sel, s’émancipent tem­po­rai­re­ment de ce faux suf­frage pour impo­ser, tou­jours briè­ve­ment, un vrai suf­frage uni­ver­sel : un homme = un voix VRAIMENT ET À TOUT PROPOS (et pas une fois tous les cinq ans sur de faux choix).

Cette his­toire de man­dat et de res­pon­sa­bi­li­té ne trompe plus per­sonne : regarde le niveau d’abstention et les scores de la gauche par­le­men­taire (dite « extrême » par les enne­mis du peuple) : il n’y a plus que les élus pour (faire sem­blant de) croire à ce caté­chisme soi-disant républicain.

Les hommes en ont marre d’être tra­his par leurs élus, Raoul, voilà.

Traite-moi de fas­ciste si tu veux, mais les humains ne sont pas si bêtes que ça : ils ne croient plus aux men­songes de ceux qui sol­li­citent leurs voix avant de les dominer.

Et ils com­mencent à se rendre compte que LES RÉFORMES QUE TU PRÉCONISES N’ADVIENDRONT JAMAIS SOUS LA PLUME D’ÉLUS DONT L’INTÉRÊT PERSONNEL EST CONTRAIRE À CES RÉFORMES.

Les réformes que tu pré­co­nises sont néces­saires, bien sûr, mais elles ne seront jamais prises par des élus issus de par­tis. Jamais. À cause du conflit d’intérêts.

La com­po­si­tion de l’Assemblée consti­tuante est donc déci­sive et les moda­li­tés que tu pro­poses — pas d’anciens élus natio­naux, dépu­tés inéli­gibles, débat public et réfé­ren­dum en fin de pro­ces­sus — n’y chan­ge­ront RIEN : SI LES PARTIS PEUVENT NOUS IMPOSER LEURS CANDIDATS, ILS ÉCRIRONT À NOUVEAU DES RÈGLES POUR EUX-MÊMES ET ON N’AURA PAS AVANCÉ D’UN POUCE VERS LA DÉMOCRATIE.

Je dis bien PAS D’UN POUCE : ce sera une Assem­blée-consti­tuante-qui-ne-sert-à-rien (pour les citoyens), une décep­tion de plus, tou­jours pour la même raison.

Il ne faut pas que la Consti­tu­tion soit écrite par des hommes de partis.

Ce n’est pas aux hommes au pou­voir d’écrire les règles du pouvoir.

Il faut en tirer les conséquences.

La seule élec­tion qui soit accep­table en la matière, c’est L’ÉLECTION SANS CANDIDATS.

Mais pour un homme de par­ti, c’est inima­gi­nable, je le comprends.

Je ne le lui reproche pas (c’est natu­rel de son point de vue), mais je dis que, dans cette occur­rence pré­cise, au moment d’écrire ou modi­fier une Consti­tu­tion, ce n’est pas à lui de déci­der. ÉC.]

[RMJ : Les par­ti­sans du tirage au sort pré­tendent amé­lio­rer la démo­cra­tie en sup­pri­mant un de ses fon­de­ments : le libre choix d’un can­di­dat par les citoyens. ]

[ÉC (16) : LE CHOIX de can­di­dats QUI VONT PRENDRE ENSUITE TOUTES LES DÉCISIONS À LA PLACE DU PEUPLE PENDANT DES ANNÉES, ce n’est PAS un des fon­de­ments de la démo­cra­tie, Raoul, c’est sa néga­tion même.

Les mots ont un sens : démo­cra­tie = gou­ver­ne­ment du peuple PAR LE PEUPLE => PAS PAR LES REPRÉSENTANTS DU PEUPLE. Il ne faut pas nous prendre pour des imbé­ciles, Raoul : on sait lire, on connaît le sens des mots. ÉC.]

[RMJ : En fait, dans un tel sys­tème, le citoyen s’en remet au hasard en igno­rant tout de celui qui le représentera. ]

[ÉC (17) : Il s’en moque, le citoyen, puisque c’est lui, citoyen, enfin adulte poli­tique, qui exer­ce­ra le pou­voir réel, en votant direc­te­ment à l’Assemblée. La per­sonne du repré­sen­tant n’est essen­tielle que si tu lui concèdes beau­coup de pou­voir, et pour long­temps… ce qui n’est pas le cas EN DÉMOCRATIE, OÙ LES REPRÉSENTANTS N’ONT QUE PEU DE POUVOIR, PEU DE TEMPS ET SOUS UN CONTRÔLE CITOYEN QUOTIDIEN ET SOURCILLEUX.

Déci­dé­ment, tu as bien mal regar­dé ma confé­rence 🙂 ÉC.]

[RMJ : On pré­tend remé­dier aux maux qui affectent la repré­sen­ta­tion en la sup­pri­mant. On crée l’illusion d’une démo­cra­tie directe en confiant à des incon­nus le sort du peuple.]

[ÉC (18) : ILLUSION ?! Déci­dé­ment… c’est un mal­en­ten­du, le monde à l’en­vers : c’est le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, en se parant fal­la­cieu­se­ment du nom de démo­cra­tie, qui est une illu­sion (par­fai­te­ment men­son­gère d’ailleurs, car je pense qu’il y a inten­tion de trom­per de la part de ceux qui béné­fi­cient de ce sys­tème). Au contraire, la démo­cra­tie ren­due pos­sible (et garan­tie par) le tirage au sort n’est pas « une illu­sion de démo­cra­tie directe », elle EST la démo­cra­tie, DONC DIRECTE (par défi­ni­tion et par construc­tion). ÉC.]

[RMJ : Les maux que pré­tendent résoudre les par­ti­sans du tirage au sort sont réels. Leur remède n’en est pas un. C’est un pla­ce­bo. Les solu­tions sont dans le tra­vail que devrait effec­tuer une assem­blée consti­tuante pour réin­ven­ter une démo­cra­tie nou­velle, pour ins­tau­rer enfin la République.

Trois maux affectent pro­fon­dé­ment le sys­tème repré­sen­ta­tif : le mode de scru­tin majo­ri­taire, la per­son­na­li­sa­tion du débat poli­tique et la pro­fes­sion­na­li­sa­tion de la représentation.]

[ÉC (19) : Et bien, voi­là une bonne série de désac­cords qui se pro­file : à mon sens, ces trois pro­blèmes que tu mets en avant ne sont QUE DES CONSÉQUENCES, et pas du tout des causes : tout ça (et d’autres vices majeurs que tu ne pointes pas) découle de LA PARTIALITÉ CRASSE DES AUTEURS DES CONSTITUTIONS, de la situa­tion de CONFLIT D’INTÉRÊTS où des hommes de par­tis écrivent des règles pour eux-mêmes.

Et tu pour­ras décrire les consé­quences aus­si pré­ci­sé­ment que tu vou­dras : SI TU NE T’EN PRENDS PAS AUX CAUSES, TU NE CHANGERAS RIEN AUX CONSÉQUENCES.

Mais je te lis quand même. Voyons… ÉC.]

[RMJ : Le scru­tin majo­ri­taire, à un ou deux tours, est un véri­table détour­ne­ment du suf­frage uni­ver­sel.] [ÉC (20) : Abso­lu­ment, un de plus.] [RMJ : Au motif qu’il assure des majo­ri­tés stables – une affir­ma­tion qui ne se véri­fie plus aus­si auto­ma­ti­que­ment à mesure que les citoyens ne dis­tinguent plus net­te­ment ce qui dif­fé­ren­cie les pro­jets poli­tiques pro­po­sés – ce sys­tème refuse la pré­sence dans une assem­blée cen­sée repré­sen­ter le peuple tout entier de sen­si­bi­li­tés certes mino­ri­taires mais qui s’inscrivent dans la durée ou reflètent des pré­oc­cu­pa­tions nou­velles. Ce sys­tème conduit pro­gres­si­ve­ment au bipar­tisme, dont on voit dans les pays où il est pra­ti­qué, com­bien il favo­rise le sys­tème en place et ses conser­va­tismes. Les abus en France du mode de scru­tin pro­por­tion­nel, entre 1946 et 1958, ont convain­cu à tort de la noci­vi­té de ce sys­tème. Pour­tant, enca­dré par des tech­niques qui ont fait leurs preuves ailleurs (taux plan­cher requis pour accé­der à la repré­sen­ta­tion, motion de méfiance construc­tive indis­pen­sable au chan­ge­ment d’une coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale, etc.), la repré­sen­ta­tion pro­por­tion­nelle, en per­met­tant à tous les cou­rants de la socié­té réel­le­ment repré­sen­ta­tifs de se retrou­ver dans les assem­blées élues, conforte la confiance des citoyens dans le sys­tème repré­sen­ta­tif, mais sur­tout favo­rise l’apport d’idées nou­velles et l’enrichissement du débat.]

[ÉC (21) : j’ai dit plus haut que le scru­tin pro­por­tion­nel n’est qu’une moda­li­té du choix de nos maîtres, une moda­li­té qui donne tout le pou­voir poli­tique aux par­tis et qui ne laisse plus aucune chance de ser­vir aux indi­vi­dus, une moda­li­té qui inté­resse sur­tout les petits par­tis mais qui n’avantage que très mar­gi­na­le­ment les citoyens en termes de puis­sance poli­tique au quotidien.

On n’instituera pas une démo­cra­tie en chan­geant le mode de scru­tin ; il n’y a que des membres de par­tis poli­tiques pour croire à une fable pareille. ÉC.]

[RMJ : La per­son­na­li­sa­tion du débat poli­tique rem­place le choix des poli­tiques par le choix des per­sonnes. Elle résulte d’une part de la concen­tra­tion des pou­voirs au sein d’une même per­sonne (pré­sident de la Répu­blique, pré­sident de région, pré­sident de conseil géné­ral, maire) et d’autre part de l’effondrement du poli­tique face à l’économique. Le ral­lie­ment incon­di­tion­nel de la gauche dite de gou­ver­ne­ment au libre échange le plus débri­dé, qui conduit à la concur­rence de tous contre tous, n’offre plus d’alternative cré­dible à la dic­ta­ture des mar­chés. De telle sorte qu’on évo­lue vers un sys­tème poli­tique où les choix se réduisent à des choix de per­son­na­li­tés certes por­teuses d’accents dif­fé­ren­ciés, mais d’accord sur l’essentiel. Entre un Valls et un Copé, quelle dif­fé­rence ? Quand on ne peut plus chan­ger le cours des choses qu’à la marge, alors que les inéga­li­tés et les injus­tices sont criantes, alors que tout un sys­tème poli­ti­co-éco­no­mique est au ser­vice d’une mino­ri­té, c’est le sys­tème qu’on rejette. La démo­cra­tie repré­sen­ta­tive ne retrou­ve­ra un sens que si elle pro­pose des alter­na­tives et pas seule­ment des alternances.]

[ÉC (22) : Tu apportes de l’eau à mon mou­lin, je te remer­cie ; nous sommes d’accord.

Mais plus géné­ra­le­ment, sauf ton res­pect, je crois que tu cibles mal notre pro­blème poli­tique : « CHOIX DE POLITIQUES » VS « CHOIX DE PERSONNES »… TOUT ÇA, CE SONT DES PROPOSITIONS D’ÉLUS qui n’imaginent pas d’autre socié­té que des régimes où les humains ont à CHOISIR UNE FOIS POUR TOUTES (pour un faux choix dont les élec­teurs ne décident même pas des termes !) et à se taire ensuite pen­dant des années, jusqu’au pro­chain faux choix.

Excuse-moi, Raoul, mais ces mythes sont usés jusqu’à la corde, inva­li­dés par des siècles de réa­li­té contraire aux pro­messes faites : plus per­sonne ne croit à ces grands prin­cipes inap­pli­cables : DE FAÇON IDÉALISTE (IRRÉALISTE), LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF ET SES ÉLECTIONS REPOSENT SUR LA CONFIANCE à accor­der à des humains presque jamais dignes de cette confiance.

Alors que DE FAÇON MATÉRIALISTE (RÉALISTE), LA DÉMOCRATIE (LA VRAIE) REPOSE SUR LA DÉFIANCE, en pre­nant acte de l’imperfection des humains et, de façon bien plus cré­dible que le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, ORGANISE ET GARANTIT L’AMATEURISME POLITIQUE, CONCRÈTEMENT, EN S’EN DONNANT LES MOYENS (tirage au sort, man­dats courts et non renou­ve­lables, révo­ca­bi­li­té à tout moment, red­di­tion des comptes, récom­penses et puni­tions…) POUR PROTÉGER TOUT LE MONDE CONTRE LES VOLEURS DE POUVOIR TOUJOURS À CRAINDRE en tous temps et en tous lieux. ÉC.]

[RMJ : La pro­fes­sion­na­li­sa­tion de la repré­sen­ta­tion a tota­le­ment per­ver­ti la notion de man­dat. Et de ce fait remet en cause le contrat social. C’est un des maux qu’il faut com­battre le plus vigou­reu­se­ment. Cumu­ler des man­dats et les indem­ni­tés qui les accom­pagnent, exer­cer pen­dant trois, quatre, cinq légis­la­tures le même man­dat, ce n’est plus por­ter dans une assem­blée les attentes du peuple, c’est exer­cer un métier. Il en résulte de nom­breuses dérives condi­tion­nées par le sou­ci de la réélec­tion et les habi­tudes nées de la pra­tique pro­lon­gée du man­dat. Il importe de mettre fin à tout ce qui favo­rise cette professionnalisation.]

[ÉC (23) : Tu penses que tous ces vices contraires à l’in­té­rêt géné­ral sont acci­den­tels et non néces­saires, alors que mon ana­lyse me conduit à pen­ser que CES VICES ANTIDÉMOCRATIQUES — À COMMENCER PAR LA PROFESSIONNALISATION DE LA POLITIQUE — SONT PORTÉS DANS LE GÉNOME DE L’ÉLECTION, PROCÉDURE ARISTOCRATIQUE PAR DÉFINITION : lors de toute élec­tion, par défi­ni­tion, on est appe­lé à choi­sir le meilleur (aris­tos = le meilleur).

En consé­quence, il ne faut pas s’é­ton­ner qu’un régime construit sur une logique aris­to­cra­tique dérive en oli­gar­chie : cette dégé­né­res­cence se constate depuis des mil­liers d’an­nées (Cf. Aristote).

Au mieux, on va dire que l’Hu­ma­ni­té est longue à la com­pre­nette. ÉC.]

[RMJ : Quant à la démo­cra­tie directe, après plus d’un siècle d’enseignement obli­ga­toire, avec un niveau géné­ral d’éducation éle­vé, avec un accès ren­for­cé aux infor­ma­tions, elle s’avère deve­nir un com­plé­ment néces­saire de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive aux éche­lons où elle peut se pra­ti­quer le plus faci­le­ment, celui de nos col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Au plan natio­nal, le réfé­ren­dum d’initiative popu­laire doit être rete­nu sans que le Par­le­ment puisse y faire obs­tacle, pour­vu qu’il écarte toute pos­si­bi­li­té plé­bis­ci­taire et que les condi­tions de son appli­ca­tion soient à l’abri d’initiatives démagogiques.]

[ÉC (24) : ] Tiens… Nos points de vue se rap­prochent sur la fin de ce billet : tu vois LA DÉMOCRATIE DIRECTE comme « un com­plé­ment néces­saire », et moi comme « la sub­stance même » de la démo­cra­tie : pas de quoi se trai­ter de fas­cistes 😉 ÉC.]

[RMJ : Les solu­tions aux per­ver­sions de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive existent. Une assem­blée consti­tuante peut les appor­ter. Point n’est besoin de recou­rir à des remèdes qui seraient pires que les maux qu’on pré­tend com­battre. Ce n’est pas en convo­quant l’obscurantisme qu’on ins­taure la lumière.

Raoul Marc JENNAR]

[ÉC (25) : Pas n’im­porte quelle Assem­blée consti­tuante. TOUT EST LÀ.

Raoul, je ne prône PAS QUE la démo­cra­tie directe : je suis capable d’i­ma­gi­ner et d’ac­cep­ter un gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif sous contrôle démo­cra­tique, en ins­ti­tuant effec­ti­ve­ment les organes et les contrôles que tu as évo­qués (et quelques autres dont tu n’as pas par­lé, à pro­pos de la mon­naie, de l’en­tre­prise et des médias, notam­ment), mais j’at­tire ton atten­tion sur le fait qu’un homme de par­ti est inca­pable — et les faits prouvent que j’ai rai­son, ce n’est pas théo­rique, c’est logique, et c’est confir­mé dans la pra­tique — UN HOMME DE PARTI EST INCAPABLE D’INSTITUER LUI-MÊME LES CONTRÔLES ET SANCTIONS QUI LE GÊNERONT PLUS TARD DANS L’EXERCICE DE SES FONCTIONS, UNE FOIS QU’IL SERA ÉLU.

C’est un pro­blème basique (et cru­cial) de conflit d’intérêts.

Notre débat devrait por­ter là-des­sus, Raoul, je crois.

Car si on arrive à ins­ti­tuer un gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif réfor­mé où les citoyens gardent réel­le­ment L’INITIATIVE, à tout moment et à tout pro­pos, POUR RÉSISTER aux abus de pou­voir, nous tom­bons d’ac­cord, plei­ne­ment d’accord.

Ami­ca­le­ment.

Étienne.]

http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​E​n​_​V​r​a​c​.​pdf

Source : http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​1​9​7​5​&​c​p​a​g​e​=​1​#​c​o​m​m​e​n​t​-​3​082


Voi­ci main­te­nant mes réponses point par point au DEUXIÈME billet de Raoul (en réponse à mes réponses) (source) :

Bon­jour à tous,

Je viens de pas­ser plus de 20 heures à pré­pa­rer cette nou­velle réponse détaillée à Raoul, à pro­pos de son deuxième billet, cette fois. Déso­lé pour la lon­gueur, j’ai beau­coup rac­cour­ci déjà : j’ai gar­dé ce que je trouve impor­tant. Mon com­men­taire envoyé hier vient d’être publié chez Raoul (la modé­ra­tion est par­fois assez longue à venir) ; je ne me presse donc pas pour publier celui-ci là-bas : je vais d’a­bord le publier chez moi.

Bonne lec­ture. J’ai hâte de connaître vos réactions :

Tout en sachant bien que, comme tout le monde, je me trompe peut-être par endroits — on ver­ra —, j’aime cette contro­verse, qui touche au cœur de notre impuis­sance poli­tique chro­nique, et qui nous oblige tous à appro­fon­dir nos argu­ments et donc à pro­gres­ser : j’ai enfin l’impression de par­ler, avec les gens qui comptent le plus pour moi, des sujets les plus impor­tants pour ce que je consi­dère comme une vraie gauche : utile aux faibles sur les vraies causes de la faiblesse.

Étienne.

 

Réponse au DEUXIÈME article de Raoul Marc Jennar
sur le tirage au sort (19 juillet 2011)http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​2​012

(Je glisse mes com­men­taires en bleu dans le texte de Raoul cité en ita­liques pour mieux com­prendre leur contexte.)

[RMJ : Le tirage au sort : une chi­mère. Mes réponses aux commentaires

Bon­jour tout le monde. Je me réjouis des nom­breux com­men­taires sus­ci­tés par un papier qui n’avait pas la pré­ten­tion de pro­po­ser un nou­veau sys­tème poli­tique, mais seule­ment de pré­fé­rer au tirage au sort pré­sen­té comme une pana­cée quelques pistes pour réfor­mer la pra­tique d’un suf­frage uni­ver­sel dévoyé en France comme ailleurs. Alors qu’aujourd’hui encore, des peuples se battent pour l’obtenir. ]

[ÉC (1) : Ce n’est pas parce que les peuples se battent pour obte­nir un MINIMUM poli­tique, que tous les peuples sont condam­nés à subir éter­nel­le­ment ce mini­mum comme si c’é­tait un maxi­mum. Une pre­mière étape vers la liber­té n’est pas encore la liberté.

Je rap­pelle que, DE FAIT, l’é­lec­tion de repré­sen­tants qui seront nos maîtres pen­dant les années à venir, des maîtres qui déci­de­ront tout à notre place, cette vision atro­phiée du suf­frage uni­ver­sel nous impose le droit des élus à dis­po­ser des peuples à la place du droit des peuples à dis­po­ser d’eux-mêmes. ÉC.]

[RMJ : Avant d’envisager le fond du sujet, quatre remarques.

La pre­mière : j’entends cet échange comme un débat répu­bli­cain. C’est-à-dire un par­tage d’idées qui exclut toute forme d’argument ad homi­nem et encore moins l’usage de qua­li­fi­ca­tifs à l’égard des por­teurs de ces idées. Le pro­cé­dé qui consiste à cari­ca­tu­rer voire à dis­cré­di­ter une per­sonne parce qu’on manque d’arguments pour contrer ses idées m’est odieux. Il dis­qua­li­fie du débat celui qui l’utilise. ]

[ÉC (2) : Fort bien. Il était bon que ce soit dit. ÉC.]

[RMJ : Et je pos­tule la bonne foi de la plu­part des inter­ve­nants, à com­men­cer par mon ami Etienne Chouard qui se piège lui-même en per­son­na­li­sant trop un débat qui doit res­ter ce qu’il convient qu’il soit : un échange de pro­po­si­tions et d’arguments entre gens de bonne volonté.]

[ÉC (3) : Voi­là. On a déjà vu des amis en désac­cord pro­fond, sur un point ou pour un temps. On sur­vi­vra à un désac­cord ; on l’a­pla­ni­ra même, peut-être. ÉC.]

[RMJ : La deuxième : l’usage des cita­tions. Certes, il peut appuyer un rai­son­ne­ment en ajou­tant à celui-ci l’autorité d’un auteur allant dans le même sens dans toute son œuvre si ce n’est dans son action publique. Mais on a assis­té à un déluge de cita­tions dont la per­ti­nence s’érode dans la mesure où elles sont sor­ties du contexte à la fois de l’écrit dont elles sont extraites et de l’action his­to­rique de leur auteur. Ain­si uti­li­sées, les cita­tions ne prouvent plus rien, sauf la culture de celui qui les reproduit.]

[ÉC (4) : Par défi­ni­tion, une cita­tion est sor­tie de son contexte ; ça ne la rend pas inutile ipso fac­to… Par contre, se conten­ter de dire en bloc que les cita­tions uti­li­sées par l’autre ne prouvent rien, c’est un peu… léger :

Quand je cite l’ab­bé Sieyès (qui est un des prin­ci­paux pen­seurs du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif dans la période révo­lu­tion­naire de 1789) pour que cha­cun com­prenne que, dès l’o­ri­gine, le régime dans lequel nous vivons n’a stric­te­ment rien à voir avec la démo­cra­tie (sinon pour l’empêcher com­plè­te­ment), je trouve ça très impor­tant, dans une dis­cus­sion où cer­tains contem­po­rains drapent fal­la­cieu­se­ment le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif du beau nom de « démo­cra­tie » pour le faire pas­ser auprès de nous comme un abou­tis­se­ment pro­vi­den­tiel qu’on ne sau­rait plus rem­pla­cer mais seule­ment ‘réfor­mer’.

Tu devrais faire l’ef­fort de répondre à cette cita­tion de Sieyès.

Je la rap­pelle ici :

« Les citoyens qui se nomment des repré­sen­tants renoncent et doivent renon­cer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volon­té par­ti­cu­lière à impo­ser. S’ils dic­taient des volon­tés, la France ne serait plus cet État repré­sen­ta­tif ; ce serait un État démo­cra­tique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démo­cra­tie (et la France ne sau­rait l’être), le peuple ne peut par­ler, ne peut agir que par ses représentants. »

Abbé SIEYÈS, dis­cours du 7 sep­tembre 1789.

Qu’en penses-tu ?

Le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif est-il une démo­cra­tie ou une aris­to­cra­tie ? ÉC.]

[RMJ : La troi­sième : contrai­re­ment au pro­cès que me font cer­tains – mais mani­fes­te­ment d’aucuns ne peuvent s’empêcher de s’ériger en pro­cu­reurs voire en inqui­si­teurs – il n’y a pas, chez moi de démarche assi­mi­lable à celle d’un croyant. Toute ma pen­sée est a‑dogmatique. Les sys­tèmes conçus par les humains – tous les sys­tèmes, poli­tiques, phi­lo­so­phiques, reli­gieux, judi­ciaires, etc. – ne méritent pas, à mes yeux, un acte de foi. Œuvres humaines, ils doivent être consi­dé­rées pour ce qu’ils sont : cri­ti­quables et per­fec­tibles. Loin de moi l’idée que réflé­chir à un meilleur sys­tème démo­cra­tique s’inscrit dans une démarche dog­ma­tique. Je ne sacra­lise rien. Que du contraire, je consi­dère que, dans une telle recherche, l’échange d’arguments contra­dic­toires est indis­pen­sable, car per­sonne ne détient une véri­té qui n’existe pas. À mon estime, il importe éga­le­ment de gar­der à l’esprit l’imperfection de la nature humaine et ne pas som­brer dans l’angélisme qui consis­te­rait à pen­ser qu’un sys­tème quel­conque, quel qu’il soit, pour­rait la cor­ri­ger. Seul un sys­tème tota­li­taire, qu’il invoque le pri­mat du pro­lé­ta­riat ou la supé­rio­ri­té d’une race ou d’une élite, peut faire fi de cette imper­fec­tion. La socié­té humaine est com­plexe. Et, sauf à lui faire vio­lence, les ins­ti­tu­tions qu’elle génère reflètent inévi­ta­ble­ment cette complexité.]

[ÉC (5) : Pour répondre à cette impor­tante intro­duc­tion : pré­ci­sé­ment, pour ma part, je ne crois ni en dieu ni en diable, et je cherche à décons­truire les mythes poli­tiques qui per­mettent aux riches du moment de faire tra­vailler les pauvres à leur place.

Et pré­ci­sé­ment dans le droit fil de ce que tu dis cher­cher toi-même, je constate en l’é­tu­diant atten­ti­ve­ment que la démo­cra­tie grecque était jus­te­ment beau­coup plus prag­ma­tique, jamais dans « l’an­gé­lisme » comme tu dis, beau­coup plus réa­liste et effec­ti­ve­ment pro­tec­trice, que le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif qui, lui, nous abreuve des mythes les plus invrai­sem­blables, som­brant sou­vent, effec­ti­ve­ment… dans l’an­gé­lisme, à l’é­gard des élus… et au final dans une hypo­cri­sie métho­dique pour cacher le pro­jet oli­gar­chique qu’il fonde dès l’o­ri­gine..

Je ne sais pas si c’est dog­ma­tique ou inqui­si­to­rial de cher­cher ain­si, mais je cherche, Raoul : je n’ai pas de foi révé­lée, je cherche. Si tu me montres où je me trompe, je m’a­dap­te­rai et je pro­gres­se­rai. ÉC.]

[RMJ : La qua­trième : je me défi­nis comme démo­crate, comme répu­bli­cain, comme socia­liste, tout cela à la manière de Jau­rès. C’est dire si pour moi l’idéal de la gauche est inti­me­ment lié à l’exigence de liber­té autant qu’à celle d’égalité. C’est dire aus­si mon espé­rance dans l’Homme et dans sa capa­ci­té à pro­gres­ser en ce et y com­pris par les réformes, pour­vu qu’elles soient conti­nues vers un même but : rendre notre séjour sur cette terre le plus aimable et le plus épa­nouis­sant pour tous. Je récuse donc le rejet de toute réforme au motif qu’il ne s’agirait que d’une action dans le cadre de la « démo­cra­tie bourgeoise ». ]

[ÉC (6) : Jusque là, je suis sur la même posi­tion, bien sûr. Sauf que, entre « démo­crate » et « répu­bli­cain », il faut peut-être choi­sir (selon le sens qu’on donne à ces mots, qui ne sont pas des syno­nymes). Mais pas­sons. ÉC.]

[RMJ : Je n’ai rien de com­mun avec ceux qui rejettent une réforme parce qu’elle ne réa­lise pas tota­le­ment la socié­té idéale de leurs rêves. ]

[ÉC (7) : Moi non plus, évi­dem­ment : qui rai­sonne comme ça ? Pas moi, en tout cas.

Par contre, si la « réforme » pro­po­sée est à l’é­vi­dence une vieille pro­messe qui est tou­jours res­tée lettre morte depuis des siècles, il ne faut pas s’é­ton­ner du manque d’en­thou­siasme pour défendre aujourd’­hui cette pré­ten­due « réforme », qui pour­rait s’ap­pe­ler l’Arlésienne-des-élus.

En fait, si on ne s’en prend pas aux causes, on ne soigne aucun mal durablement.

« Cher­chez la cause des causes », conseillait déjà Hip­po­crate (480 av. JC). ÉC.]

[RMJ : Si la démo­cra­tie née de 1789 – et non, mal­heu­reu­se­ment, de 1793 – convient à la bour­geoi­sie et si les choses ont évo­lué vers l’oligarchie, c’est aus­si parce que les plus nom­breux se sont divi­sés et parce que d’aucuns ont vou­lu entre­te­nir l’espoir de démo­cra­ties dites popu­laires qui n’étaient qu’une forme de tota­li­ta­risme. Après les expé­riences napo­léo­niennes, le XXe siècle nous a confir­mé un constat : les effets cor­rup­teurs du pou­voir existent même chez les révo­lu­tion­naires, même chez les socia­listes. Et le XXIe siècle ne semble pas démen­tir son prédécesseur.]

[ÉC (8) : Tu pré­sentes la divi­sion des plus nom­breux comme la cause de la dérive oli­gar­chique du régime, mais cela n’est vrai qu’en régime élec­to­ral (puisque la divi­sion fait perdre les élec­tions) : cela ne serait pas vrai dans une authen­tique démo­cra­tie, fédé­ra­tion de com­munes où les peuples déci­de­raient eux-mêmes de leur sort, point par point, idée par idée, jour après jour : dans ce contexte réel­le­ment démo­cra­tique, on peut certes se trom­per de temps en temps, évi­dem­ment, mais la mul­ti­tude ne per­drait pas à tous les coups ou presque, comme c’est le cas en régime de gou­ver­ne­ment représentatif.

C’est donc rater la cause des causes, je crois, que d’in­cri­mi­ner la divi­sion des foules, qui n’est péna­li­sante que dans un régime don­né (le nôtre, auquel tu sembles tant tenir) et pas dans tous. ÉC.]

[RMJ :

1. Ce qui m’amène à une pre­mière réflexion : la ques­tion cen­trale est bien celle du pou­voir. L’objectif de tout le monde est, bien enten­du, « le pou­voir du peuple, par le peuple ». ]

[ÉC (9) : bien enten­du. Mais je trouve que tu n’in­sistes pas assez sur les mots « par le peuple ».

« Par le peuple » ne signi­fie nul­le­ment « par les repré­sen­tants du peuple ».

Entre les deux expres­sions, il y a, pour tout le monde, un abîme poli­tique. ÉC.]

[RMJ : La ques­tion en débat, c’est le troi­sième terme de la for­mule : « pour le peuple » qui implique depuis deux siècles et demi que le peuple délègue l’exercice du pou­voir à cer­tains des siens. ]

[ÉC (10) : Nous y voi­là ! C’est amu­sant, je ne lis pas le fran­çais comme toi ; je ne trouve pas le même sens aux mots.

Mais une bonne dis­cus­sion, franche et ami­cale, per­met­tra sûre­ment d’y voir plus clair :

• « pour le peuple » signi­fie « dans l’in­té­rêt du peuple »,

• « POUR LE PEUPLE » ne signi­fie PAS DU TOUT (sauf dans l’es­prit des élus, sans doute) « À LA PLACE DU PEUPLE ». ÉC.]

[RMJ : J’ai cru com­prendre, dans cer­tains com­men­taires, que la ques­tion du pou­voir pou­vait être écar­tée en rédui­sant le man­dat à la ges­tion admi­nis­tra­tive. Mais la prise en charge des affaires d’une col­lec­ti­vi­té dépasse la ges­tion, qui relève de l’exécution de choix et pour laquelle l’administration existe. Le pou­voir, ce n’est pas l’administration. Le pou­voir, c’est choi­sir (ou déci­der de ne pas choi­sir, ce qui est en fin de compte un choix). Qui doit choisir ? ]

[ÉC (11) : Ça y est, on est « à l’os », là, je crois. ÉC.]

[RMJ : Qui doit choi­sir ? La réponse ne peut plus être sim­ple­ment : le peuple ; on sait ce qu’on en a fait. ]

[ÉC (12) : qu’est-ce que c’est que cette allu­sion sibylline ?

Parle clai­re­ment, Raoul.

À la ques­tion « Le pou­voir, c’est choi­sir. Qui doit choi­sir ? », un démo­crate répon­dra natu­rel­le­ment et sim­ple­ment : « le peuple, bien sûr ».

Mais toi, tu dis : « Non ; on sait ce qu’on en a fait ».

Je vais appe­ler un chat un chat, et tu me contre­di­ras si je me trompe : tu es en train de sug­gé­rer à demi-mot (sans l’af­fir­mer clai­re­ment, je ne sais pas pour­quoi) que tout pro­jet poli­tique qui consiste à don­ner au peuple les ins­ti­tu­tions qui lui per­mettent de choi­sir lui-même les déci­sions qui le concernent est un pro­jet proche des idées d’ex­trême droite.

Tu ne le dis pas encore expres­sé­ment là, mais plu­sieurs allu­sions simi­laires, appa­rues ailleurs dans tes rai­son­ne­ments, sont assez claires pour que je réagisse dès maintenant.

Cette pen­sée-là, celle qui classe à l’ex­trême droite tout pro­jet de démo­cra­tie directe, c’est une pen­sée ANTIDÉMOCRATIQUE, incon­tes­ta­ble­ment.

Je suis sur­pris (et effrayé) de la lire sous ta plume et j’es­père encore que c’est un simple mal­en­ten­du. ÉC.]

[RMJ : Elle doit être assor­tie des moda­li­tés par les­quelles le peuple choi­sit. Ce fut un grand pro­grès lorsqu’on est pas­sé, après bien des luttes, du pou­voir d’un seul ou d’un groupe au pou­voir des délé­gués du peuple, même s’il fal­lut attendre des siècles avant que soit acquis le prin­cipe un citoyen-une voix sans consi­dé­ra­tion de sexe, de reve­nu ou de niveau de for­ma­tion. Même si, aujourd’hui, le suf­frage uni­ver­sel est très lar­ge­ment dévoyé, ce fut un immense progrès.]

[ÉC (13) : je l’ai appris à l’é­cole, effec­ti­ve­ment, mais je n’en suis plus tout à fait sûr : avant l’a­vè­ne­ment du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, mal­gré les hor­reurs avé­rées de l’An­cien régime, LES RICHES N’AVAIENT PAS TOUT LE POUVOIR : ILS DEVAIENT COMPOSER avec les princes, avec les nobles, avec le clergé.

Est-ce que je me trompe, ou est-ce que ce que je dis-là est vrai ?

il y avait moins de concen­tra­tion des pou­voirs qu’au­jourd’­hui, me semble-t-il. Regarde le résul­tat de deux cents ans pas­sés à élire des TUTEURS poli­tiques mis à la tête de MINEURS poli­tiques : le résul­tat, c’est la Haute Banque qui dirige de fait tous les États régis par le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, TOUS.

Exac­te­ment comme le pré­voyaient les pro­jets fas­cistes d’a­vant-guerre : prendre le contrôle de l’É­tat et mettre la puis­sance publique au ser­vice des plus riches. Non ?

PROGRESSIVEMENT, LE RÉGIME DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF A PERMIS CETTE ÉPOUVANTABLE CONCENTRATION DU POUVOIR DANS LES MAINS DES SEULS MARCHANDS (et notam­ment les plus riches d’entre eux que sont les mar­chands d’argent), par le méca­nisme impla­cable du néces­saire finan­ce­ment des cam­pagnes élec­to­rales rui­neuses, et de la ser­vi­tude des élus liée à ce financement.

Tu parles d’un progrès…

Est-ce qu’on a le droit, entre gens de gauche, d’i­ma­gi­ner des alter­na­tives pro­fondes à ce régime oli­gar­chique par construc­tion sans subir des accu­sa­tions plus ou moins lar­vées de proxi­mi­tés fas­cistes ? Mar­quer du fer rouge infa­mant de l’é­ti­quette « extrême droite » ce sujet fon­da­men­tal pour la gauche, c’est, pour la défense des faibles et des oppri­més, véri­ta­ble­ment du sabo­tage : c’est faire pas­ser l’in­té­rêt des élus avant celui des peuples.

Quand je sug­gère que, peut-être, c’est pré­ci­sé­ment l’é­lec­tion de repré­sen­tants qui a ren­du pos­sible le capi­ta­lisme (et que c’est peut-être elle qui ver­rouille encore ce régime injuste), tu pour­rais me répondre autre­ment qu’en sug­gé­rant que je donne du cré­dit à des idées d’ex­trême droite… Je peux me trom­per, d’ac­cord, par­lons-en, jus­te­ment ; mais tu sais bien que mon pro­jet n’a rien à voir avec ceux de l’ex­trême droite. ÉC.]

[RMJ :

2. Avant d’aller plus loin, il faut répondre à une ques­tion : qu’est-ce que le peuple ? Le débat n’est pas clos. ]

[ÉC (14) : Effec­ti­ve­ment, la défi­ni­tion du peuple change tout le temps, et ce serait évi­dem­ment un ana­chro­nisme (une erreur de pers­pec­tive, une erreur d’ap­pré­cia­tion, une erreur quoi) que de juger les défi­ni­tions antiques avec les valeurs d’au­jourd’­hui. ÉC.]

[RMJ : Aujourd’hui, en France, il ne suf­fit pas d’habiter, de tra­vailler, de payer taxes et impôts à la col­lec­ti­vi­té pour accé­der au suf­frage uni­ver­sel. Il y a des exclus. Comme autre­fois, à Athènes. Le « peuple » se rédui­sait aux citoyens mâles, écar­tant de la sorte des gens vivant à Athènes mais qui avaient le mal­heur d’être des femmes, des esclaves et des étran­gers venus s’installer dans la cité. ]

[ÉC (15) : Tout le monde sait ça, Raoul, mais insis­ter là-des­sus, comme pour mon­ter en épingle un aspect qui serait aujourd’­hui évi­dem­ment inac­cep­table, c’est res­ter volon­tai­re­ment à côté du sujet inté­res­sant. ÉC.]

[RMJ : Aucun des grands pen­seurs grecs, même pas Socrate, n’a remis en cause l’esclavage, ni le sta­tut de la femme dans la socié­té. L’Athènes de Péri­clès fut un début, un début dont per­sonne n’écarte les mérites. Mais un début dont per­sonne ne doit faire un modèle. ]

[ÉC (16) : Per­sonne n’en fait un modèle. Je le dis expres­sé­ment dans mes confé­rences : j’u­ti­lise volon­tiers l’ex­pres­sion de Cas­to­ria­dis qui parle de pré­cieux GERME à entre­te­nir pour amé­lio­rer nos socié­tés modernes.

Est-ce qu’on pour­rait évi­ter les mau­vais pro­cès ? Tu sais bien que je ne parle jamais de « modèle » à pro­pos d’A­thènes ; pour­quoi donc m’en faire le reproche ? ÉC.]

[RMJ : Deux cents ans de cette démo­cra­tie-là ne jus­ti­fient en rien qu’elle serve de modèle aujourd’hui, à moins de consi­dé­rer que la démo­cra­tie soit l’activité d’une caté­go­rie de privilégiés. ]

[ÉC (17) : Tu es en train de cari­ca­tu­rer ma pen­sée, Raoul, de la défor­mer, puisque je dis expres­sé­ment qu’A­thènes n’est évi­dem­ment pas un modèle. Tu avais pour­tant dit toi-même plus haut qu’on ne doit pas défor­mer la pen­sée de l’autre quand on est à court d’ar­gu­ments. ÉC.]

[RMJ : Le para­doxe de ceux qui invoquent l’Athènes du Ve siècle AJC et sa pra­tique du tirage au sort, c’est qu’ils prennent comme réfé­rence un modèle qui est exac­te­ment celui qu’ils dénoncent aujourd’hui comme étant la consé­quence du suf­frage uni­ver­sel : l’oligarchie, c’est à dire le gou­ver­ne­ment du peuple par une mino­ri­té. Il n’y a pas de démo­cra­tie si l’entièreté du peuple n’est pas asso­ciée aux choix.]

[ÉC (18) : Tu trouves que tu res­pectes ma pen­sée sans la défor­mer, là ?

À Athènes, « l’en­tiè­re­té du peuple était asso­ciée aux choix », pré­ci­sé­ment, rigou­reu­se­ment, incon­tes­ta­ble­ment. Le peuple de l’é­poque, évi­dem­ment (quel autre autrement ?).

Il est absurde, pro­pre­ment absurde, de faire reproche aux hommes d’il y a 2 500 ans de ne pas res­pec­ter des valeurs d’au­jourd’­hui. C’est un exemple aca­dé­mique d’a­na­chro­nisme. Certes, les Athé­niens ne défi­nis­saient pas le peuple comme nous le défi­ni­rions aujourd’­hui. Tout le monde le sait. La belle affaire ! Qui dit le contraire ? Ce n’est sim­ple­ment pas le sujet.

Dire que le régime athé­nien était une oli­gar­chie est UN CONTRESENS HISTORIQUE, une belle erreur (un ana­chro­nisme) ou un beau men­songe, selon qu’on soit de bonne ou de mau­vaise foi. Pour ce qui te concerne, je suis sûr que ce n’est qu’une erreur.

J’ex­plique tou­jours lon­gue­ment que ce qui est inté­res­sant pour nous aujourd’­hui dans l’or­ga­ni­sa­tion de l’A­thènes antique, c’est la façon dont les pauvres ont réus­si à diri­ger sans les riches pen­dant 200 ans.

Est-ce que tu peux entendre ça ?

J’in­siste : tout réduit qu’il était, le peuple athé­nien se com­po­sait de riches et de pauvres, avec beau­coup plus de pauvres que de riches, comme toujours.

C’est ça qui me semble inté­res­sant et réuti­li­sable, évi­dem­ment. Pas la miso­gy­nie ou l’es­cla­va­gisme, pour qui me prends-tu ?

Lais­ser pen­ser que je défends l’as­pect escla­va­giste, ou phal­lo­crate ou xéno­phobe du régime d’A­thènes est une insulte inutile, en plus d’être une idio­tie (per­sonne ne défend aujourd’­hui ces traits détes­tables de l’an­ti­qui­té, per­sonne) : il ne faut pas prendre les gens pour des imbé­ciles : non, je ne suis pas un défen­seur de l’o­li­gar­chie ; non, je ne suis pas en train de deve­nir un fasciste…

J’ex­plique aus­si que la com­po­si­tion du peuple à l’é­poque était ce qu’elle pou­vait être à l’é­poque et que c’est un autre sujet, qu’il faut étu­dier tout ça avec du dis­cer­ne­ment, sans tout amal­ga­mer.

J’ex­plique aus­si que les élus d’au­jourd’­hui, mena­cés de chô­mage par l’i­dée du tirage au sort, ont un puis­sant inté­rêt per­son­nel à dis­cré­di­ter l’exemple athé­nien, et que l’a­mal­game est leur arme pré­fé­rée pour obte­nir ce dis­cré­dit à bon compte : « Athènes pra­ti­quait l’es­cla­vage, écar­tait les femmes du pou­voir et refu­sait la capa­ci­té poli­tique aux étran­gers… Vous n’al­lez pas défendre un régime escla­va­giste, phal­lo­crate et xéno­phobe, quand même… Allez, cir­cu­lez, il n’y a rien à voir… », nous sug­gèrent astu­cieu­se­ment les oli­garques modernes.

Je m’é­tonne que tu fasses comme eux.

Pour­tant, je sais que tu as du dis­cer­ne­ment et que la pro­tec­tion des pauvres contre les riches est ton but sincère.

Alors ?

Que dis-tu de cette obser­va­tion — très inté­res­sante, selon moi, pour une gauche digne de ce nom — selon laquelle, pen­dant 200 ans de démo­cra­tie (authen­tique), les riches n’ont jamais gou­ver­né et les pauvres tou­jours (au sein du peuple de l’é­poque, évi­dem­ment), alors que, pen­dant 200 ans de gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, les riches ont tou­jours gou­ver­né et les pauvres jamais (tou­jours au sein du peuple de l’é­poque, évidemment) ?

Ça ne t’in­té­resse pas, cette observation ?

N’est-elle pas per­ti­nente, dans le contexte actuel d’ar­ro­gance extrême des ultra-riches ayant lit­té­ra­le­ment ache­té tous les acteurs poli­tiques en les fai­sant élire et réélire ?

Cette obser­va­tion de fait est-elle fausse ?

Ne pour­rait-elle pas nous ins­pi­rer quelques réformes, ORIGINALES pour une fois ? ÉC.]

[RMJ : Je vais sans doute irri­ter quelques-uns, mais, pour défi­nir le peuple, je ne peux davan­tage me conten­ter de la for­mule issue de 1789, « le peuple, c’est la nation ras­sem­blée », car l’idée de nation liée à celle de natio­na­li­té (on par­lait autre­fois de « natio­naux ») exclut ceux qui ne sont pas titu­laires de celle-ci. Je vais ten­ter une défi­ni­tion : le peuple, c’est l’ensemble des habi­tants d’un espace don­né. De telle sorte qu’à mes yeux, il y a un peuple au niveau de chaque enti­té : le vil­lage ou le quar­tier, la ville, le dépar­te­ment, la région, l’Etat, l’Europe. Ce peuple est sou­ve­rain et il doit pou­voir exer­cer sa sou­ve­rai­ne­té à cha­cun des niveaux où il mani­feste son existence.]

[ÉC (19) : Elle me va bien, ta défi­ni­tion : le peuple pour­rait très bien être consti­tué des HABITANTS du moment. Admettons.

Je ne suis pas sûr que nous soyons une large majo­ri­té à la sou­te­nir, mais on s’en fiche, car notre pro­blème essen­tiel est ailleurs : com­ment les pauvres vont-ils se pro­té­ger des abus de pou­voir des riches, au sein du peuple en ques­tion ? Voi­là la ques­tion à mon sens la plus impor­tante, l’en­jeu même (la rai­son d’être) de la démo­cra­tie. ÉC.]

[RMJ :

3. Ceci enten­du, demeure la ques­tion : le peuple peut-il exer­cer direc­te­ment les choix qu’appelle la prise en charge des affaires de la col­lec­ti­vi­té ? Il ne fait aucun doute que la démo­cra­tie directe peut s’exercer à des niveaux comme celui du vil­lage, du quar­tier, d’un très grand nombre de villes et même des dépar­te­ments, s’il s’agit de pro­cé­der à des choix et même, selon cer­taines moda­li­tés, de contrô­ler leur mise en œuvre. C’est d’ailleurs pour cette rai­son qu’il faut com­battre toute fusion des enti­tés com­mu­nales et des dépar­te­ments qui ren­drait cet exer­cice moins aisé. ]

[ÉC (20) : Bon, alors ça, c’est dit, et c’est très important.

Je répète ce que tu viens de dire pour le mar­te­ler un peu : « il ne fait aucun doute que la démo­cra­tie directe peut s’exercer à des niveaux comme celui du vil­lage, du quar­tier, d’un très grand nombre de villes et même des dépar­te­ments, s’il s’agit de pro­cé­der à des choix et même, selon cer­taines moda­li­tés, de contrô­ler leur mise en œuvre. » Signé : Raoul Marc Jennar.

Là, on est à nou­veau côte à côte, non ? ÉC.]

[RMJ : Mais qu’en est-il des régions, des grandes enti­tés urbaines, de l’État et à for­tio­ri de l’Europe pour les matières qui sont de leur ressort ? ]

[ÉC (21) : Et bien par­lons-en, natu­rel­le­ment : je défends pour l’ins­tant (parce que je lis Prou­dhon, Rous­seau et les ins­ti­tu­tions suisses) l’i­dée de fédé­ra­tion de com­munes, avec une vigi­lance par­ti­cu­lière des com­munes pour faire res­pec­ter le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té (ne délé­guer que le strict néces­saire et jamais davantage).

Qu’en penses-tu ? Ce serait les Assem­blées popu­laires locales qui dési­gne­raient et contrô­le­raient (comme bon leur semble) leurs délé­gués à la Chambre fédérale.

Ce n’est pas un pro­jet d’ex­trême droite, ça, n’est-ce pas ? ÉC.]

[RMJ : Et qu’en est-il pour le choix des par­ti­ci­pants à une assem­blée consti­tuante natio­nale ou euro­péenne ? Com­ment choi­sir ceux qui vont choisir ? ]

[ÉC (22) : Alors là, nous en avons déjà beau­coup par­lé ensemble, tous les deux, et il me semble que tu étais gagné à mon idée cen­trale que « ce n’est pas aux hommes au pou­voir d’é­crire les règles du pouvoir ».

Bon, mais il faut en tirer les consé­quences logiques : si on accepte que (les pro­fes­sion­nels de la poli­tique que sont) les par­tis nous imposent leurs can­di­dats à une élec­tion de l’As­sem­blée consti­tuante, tout est per­du : n’ayant rien chan­gé aux causes de notre impuis­sance, nous en ver­rons per­du­rer les consé­quences néfastes.

Qu’en penses-tu ? ÉC.]

[RMJ :

Parce que ne nous voi­lons pas la face : en dehors du réfé­ren­dum assor­ti des condi­tions indi­quées dans ma pré­sen­ta­tion, la démo­cra­tie directe n’est pas pra­ti­cable à ces niveaux-là. L’agora, le peuple déli­bé­rant, à ces niveaux, c’est une vue de l’esprit. Pour reprendre la cita­tion que fait Etienne Chouard de Robes­pierre : « La démo­cra­tie est un état où le peuple sou­ve­rain, gui­dé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire et par des délé­gués tout ce qu’il ne peut faire par lui-même. » Nous y sommes.]

[ÉC (23) : Admettons.

Mais sommes-nous for­cés d’ac­cep­ter le niveau conti­nen­tal de l’a­gré­ga­tion poli­tique s’il nous fait for­cé­ment perdre la pos­si­bi­li­té d’une vraie démo­cra­tie ? il me semble que non.

C’est pour­quoi, d’ailleurs, je pense aujourd’­hui qu’il faut sor­tir d’ur­gence de l’U­nion euro­péenne, qui est un piège poli­tique majeur vou­lu et impo­sé par les entre­prises mul­ti­na­tio­nales contre les répu­bliques et contre les peuples (c’est toi-même qui me l’a, brillam­ment, fait réa­li­ser en 2004 😉 ) ÉC.]

[RMJ :

4. Nous voi­ci donc arri­vés au cœur de notre débat : faut-il, comme le pro­posent les par­ti­sans du tirage au sort, aban­don­ner le suf­frage universel ?]

[ÉC (24) : Hé ! Pour ma part, je ne pro­pose PAS DU TOUT d’  »aban­don­ner le suf­frage uni­ver­sel » : je pro­pose de REMPLACER LE FAUX SUFFRAGE UNIVERSEL (qui mutile ma condi­tion de citoyen (acteur) en me rédui­sant au rang dégra­dant d’é­lec­teur (spec­ta­teur), à qui les élus ne laissent que le droit de choi­sir un maître, qui plus est par­mi des indi­vi­dus que je ne peux même pas choi­sir libre­ment), PAR UN VRAI SUFFRAGE UNIVERSEL, le seul qui vaille selon moi : un homme = une voix, DIRECTEMENT, à l’As­sem­blée communale.

Quand tu dis que je prône « l’a­ban­don du suf­frage uni­ver­sel », tu ne res­pectes pas ma pen­sée (comme tu l’a­vais pro­mis plus haut) : tu la déformes. Alors, évi­dem­ment, c’est plus facile à contre­dire, mais l’é­change ne peut pas avoir lieu sur une telle base.

En fait, tu n’as pas cri­ti­qué ma pen­sée mais une autre, inven­tée de toute pièce. On n’a donc pas encore com­men­cé à com­mu­ni­quer (sur ce point).

J’ai­me­rais savoir com­ment tu ana­lyses ma dis­tinc­tion entre le faux suf­frage uni­ver­sel impo­sé par le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif et le vrai suf­frage uni­ver­sel garan­ti par la démo­cra­tie (la vraie). ÉC.]

[RMJ :

À lire cer­tains, rien, jamais rien n’aurait été acquis par le suf­frage uni­ver­sel. Impos­sible d’accepter une telle outrance. ]

[ÉC (25) : le mot « outrance » est malveillant.

Pour dési­gner la même pen­sée avec bien­veillance, on dirait qu’elle est « radicale ».

Je te rap­pelle que tu as écrit toi-même plu­sieurs livres AU VITRIOL contre les cra­pules qui nous gou­vernent et qui nous mentent effron­té­ment tous les jours. Je te rap­pelle que pour la droite, pour les élus que tu conchies (brillam­ment, et que grâce te soit ren­due), pour ces gens-là, tu es tota­le­ment dans « l’ou­trance »… Alors que, de mon point de vue, tu n’es évi­dem­ment pas dans l’ou­trance, mais dans la radi­ca­li­té, ce qui est une appré­cia­tion posi­tive de la même réa­li­té (une pro­fonde révolte).

Alors qu’est-ce qui te conduit, toi Raoul, à me repro­cher mon « outrance » ? Est-ce parce que j’ose ques­tion­ner-contes­ter la vache sacrée du (pré­ten­du) « suf­frage uni­ver­sel », pierre angu­laire du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, conçu lui-même dès le départ —et entre­te­nu par la suite— par les indi­vi­dus les plus anti­dé­mo­crates qui soient ?

Dis, tu ne la sur­joues pas un peu, ton indi­gna­tion ? Tu sais bien qui je suis, quand même : on a pas­sé des heures et des heures ensemble, des moments fra­ter­nels… Tu sais bien que je cherche exac­te­ment la même chose que toi : la jus­tice sociale, la vraie, les riches arrai­son­nés, enfin !

Alors pour­quoi mon­ter en épingle un rac­cour­ci sim­pli­fi­ca­teur, certes inexact scien­ti­fi­que­ment mais tel­le­ment plus clair pour mettre en valeur l’es­sen­tiel sans les détails ? Tout le monde fait ça : ce type d’exa­gé­ra­tion rai­son­nable per­met de faire com­prendre, lors de contro­verses ardentes, ce qui ne se voit pas d’or­di­naire. N’im­porte quel gra­phique gomme les détails, masque les déci­males (et devient ipso fac­to faux, effec­ti­ve­ment et volon­tai­re­ment) pour METTRE EN VALEUR L’ESSENTIEL, MONTRER LES ORDRES DE GRANDEUR. Et l’es­sen­tiel du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, c’est l’a­bus de droit des élus à l’en­contre du peuple qu’ils sont cen­sés repré­sen­ter. Nier cela en insis­tant sur le dévoue­ment réel de quelques saints mar­gi­naux, c’est indigne d’un résis­tant, bon sang ! C’est nous faire prendre des ves­sies pour des lan­ternes. ÉC.]

[RMJ : Il y a dans l’argumentaire déve­lop­pé contre le suf­frage uni­ver­sel des rac­cour­cis et des accom­mo­de­ments avec l’histoire que la rigueur his­to­rique com­mande de rec­ti­fier. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La liste est heu­reu­se­ment fort longue des pro­grès démo­cra­tiques et sociaux nés du suf­frage uni­ver­sel. Des pro­grès qui furent plus facile à gagner lorsqu’un puis­sant mou­ve­ment social accom­pa­gnait la démarche élec­to­rale, ce n’est pas contestable. ]

[ÉC (26) : Il n’y a aucun « argu­men­taire déve­lop­pé contre le suf­frage uni­ver­sel » : c’est le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif qui est en pro­cès. Com­prends-tu la différence ?

Et c’est très impor­tant, cette pré­ci­sion que tu apportes : c’est BEAUCOUP PLUS la pres­sion popu­laire que l’é­lec­tion qui emporte les réformes sociales. Ne pas faire cré­dit au gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif de ce qu’il ne mérite pas. ÉC.]

[RMJ : Et point n’est besoin de me rap­pe­ler que lorsque les démo­crates ne défendent plus la démo­cra­tie et se divisent, lorsque la gauche ne défend plus les classes popu­laires, le suf­frage uni­ver­sel amène Hit­ler ou Le Pen. ]

[ÉC (27) : Attends : tu dis qu’il n’est pas besoin de te le rap­pe­ler, mais tu n’en tires appa­rem­ment pas les consé­quences adap­tées… on a donc envie de te le rap­pe­ler quand même : par­tout sur terre et la plu­part du temps (oui, je connais les excep­tions ; mais la plu­part du temps), le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif conduit (encore aujourd’­hui) les pires cra­pules au pou­voir sans aucune pos­si­bi­li­té de résis­ter autre que la vio­lence de rue, et on devrait pas­ser à un autre sujet ?

Pour­quoi devrait-on évi­ter de le rap­pe­ler, puisque c’est pré­ci­sé­ment le cœur du pro­blème des peuples, par­tout sur terre ? ÉC.]

[RMJ : Mais lais­ser entendre qu’il n’y a jamais eu, dans les assem­blées élues, des déci­sions ame­nant des pro­grès dans les règles du droit pénal, du droit civil, du droit social, du droit du tra­vail, faire croire que le suf­frage uni­ver­sel n’a jamais débou­ché sur des amé­lio­ra­tions sen­sibles de la condi­tion humaine, c’est tout sim­ple­ment faux. ]

[ÉC (28) : Bien sûr, bien sûr… Mais si tu tires UN BILAN, sans atta­cher d’im­por­tance exa­gé­rée aux suc­cès iso­lés, tu obtiens… le capi­ta­lisme… car­ré­ment. Car LE CAPITALISME, POUR NAÎTRE MAIS AUSSI POUR SURVIVRE, A BESOIN DE CONTRÔLER LA PRODUCTION DU DROIT INJUSTE QUI LE REND POSSIBLE ; et le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif donne pré­ci­sé­ment aux plus riches la maî­trise de plus en plus par­faite de l’ou­til de pro­duc­tion du droit : par­le­ment, gou­ver­ne­ment, juges, médias, banques…

Beau résul­tat en vérité…

Ça auto­rise à être très sévère, je trouve.

Cette thèse est radi­cale, c’est vrai.

« Outran­cière » ? Ça dépend du point de vue où l’on se place : celui de l’é­lu ou celui de l’électeur.

Mais en tout état de cause, cette thèse devrait inté­res­ser la gauche (la vraie), je trouve. ÉC.]

[RMJ : Qu’on se sou­vienne, à titre d’exemples rela­ti­ve­ment récents, de toutes les lois ins­pi­rées du pro­gramme du Conseil Natio­nal de la Résis­tance, de la loi Veil de 1975 et de toutes les lois adop­tées en 1981–1982, en ce com­pris la loi Badin­ter abo­lis­sant la peine de mort. Même si, depuis un quart de siècle, le suf­frage uni­ver­sel a don­né le pou­voir aux néo­li­bé­raux de gauche et de droite, ce n’est pas le suf­frage uni­ver­sel qui est en cause, c’est l’usage qu’en font les citoyens. Je mets en garde : on ne peut pas, quand on se réclame de la démo­cra­tie, uti­li­ser les argu­ments des pires enne­mis de la démo­cra­tie. Tous les man­que­ments des par­le­men­taires, et je conviens qu’ils furent nom­breux, ne peuvent effa­cer le tra­vail sérieux qui a été réalisé.]

[ÉC (29) : Tu me dis : « on ne peut pas uti­li­ser les argu­ments des pires enne­mis de la démocratie. »

Tu ne dis pas pré­ci­sé­ment de qui tu parles en évo­quant « les pires enne­mis de la démo­cra­tie », mais je sup­pose que tu ne parles pas des élus pré­ten­du­ment répu­bli­cains et fac­tuel­le­ment anti­dé­mo­crates endur­cis : je sup­pose que tu parles des ligues d’ex­trême droite des années trente, comme tu me l’as sug­gé­ré ailleurs, dans d’autres récents messages.

Bon, il faut que nous ayons un échange sur ce point cen­tral : pas plus que toi, je ne veux être assi­mi­lé aux pires enne­mis de la démo­cra­tie sous pré­texte que cer­taines de mes ana­lyses convergent avec les leurs.

Je te rap­pelle que tu as toi-même écrit un brû­lot inti­tu­lé « Europe, la tra­hi­son des élites », repre­nant ain­si le voca­bu­laire outran­cier le plus clas­sique de l’ex­trême droite la plus anti­sys­tème… Ce pam­phlet brillant dénonce avec vigueur les innom­brables tur­pi­tudes de nos élus ; ce livre impor­tant sus­cite une révolte pro­fonde, un dégoût géné­ral pour ces pré­ten­dus repré­sen­tants qui nous tra­hissent à tout pro­pos au der­nier degré. Tes enne­mis, ceux dont tu dénonces pré­ci­sé­ment le détail des cra­pu­le­ries, condamnent ton « outrance », mais tes amis savent bien que ce n’est que de la radi­ca­li­té, une légi­time révolte contre l’injustice.

Vien­drait-il à l’i­dée de qui­conque de pré­tendre que Raoul Marc Jen­nar uti­lise « les argu­ments des pires enne­mis de la démo­cra­tie » en fai­sant ain­si glo­ba­le­ment le pro­cès de toute une caté­go­rie (« les élites ») ? Évi­dem­ment pas !

Et bien, c’est ce pro­cès injuste que tu me fais-là, Raoul : il ne faut pas confondre L’ANALYSE DES FAITS (consta­tables par tous, de gauche à droite, objec­ti­ve­ment) et LE PROJET. Les faits cri­ti­qués dans la socié­té peuvent être exac­te­ment les mêmes à gauche et à droite, et pour­tant les pro­jets peuvent être fon­da­men­ta­le­ment différents.

• L’ex­trême droite (si j’ai bien com­pris) rêve d’un Chef, d’un Sau­veur, d’un Füh­rer, d’un Duce, d’un Roi (d’un Dieu-sur-terre), qui va prendre le contrôle de l’É­tat (et du mono­pole de la force qui va avec) pour impo­ser l’o­béis­sance aux tra­vailleurs et détruire toute trace de communisme…

• Moi, je défends une socié­té sans chef, ou tout au moins une socié­té dont tous les chefs seraient jour et nuit sous le contrôle per­ma­nent des citoyens, et où les pou­voirs, y com­pris les pou­voirs moné­taires et média­tiques, seraient dura­ble­ment et réel­le­ment aux mains du plus grand nombre, c’est-à-dire des non-ultra-riches…

Il est facile de voir que ces PROJETS n’ont rigou­reu­se­ment rien à voir, et il est facile de com­prendre que c’est UNE INSULTE ABSURDE que de sug­gé­rer le contraire. Ça me blesse inuti­le­ment. Alors, bien sûr, je peux mettre ça sur le compte d’un mal­en­ten­du, et on peut pas­ser à autre chose, mais il ne fau­drait pas que ces calom­nies débiles deviennent une ren­gaine mécanique.

Il faut arrê­ter de rap­pro­cher les démo­crates radi­caux de l’ex­trême droite sous pré­texte que cer­tains à l’ex­trême droite se sont mis à défendre, eux aus­si, la démo­cra­tie directe : c’est idiot.

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1) À ce pro­pos impor­tant, je livre à ton ana­lyse le der­nier papier de Serge Ali­mi dans le Diplo de juin 2011, qui semble avoir été écrit pour toi (et pour André Bellon) :

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Un rai­son­ne­ment de fou

« Qui­conque vili­pende les pri­vi­lèges de l’oligarchie, la véna­li­té crois­sante des classes diri­geantes, les cadeaux faits aux banques, le libre-échange, le lami­nage des salaires au pré­texte de la concur­rence inter­na­tio­nale se voit taxer de « popu­lisme ». Il fait, ajoute-t-on, « le jeu de l’extrême droite ».

(…)

Pro­té­ger les « élites » et leurs poli­tiques face à une foule de gueux en colère est ain­si deve­nu une forme d’hygiène démo­cra­tique… (…) La même méca­nique men­tale pour­rait per­mettre qu’au nom de la peur (légi­time) du Front natio­nal toutes les poli­tiques aux­quelles celui-ci s’oppose deviennent ipso fac­to sacra­li­sées afin d’éviter « un nou­veau 21 avril ». Le peuple se rebiffe contre un jeu poli­tique ver­rouillé ? On lui réplique que les pro­tes­ta­taires sont des fas­cistes qui s’ignorent.

Lais­ser s’installer une telle cami­sole de force intel­lec­tuelle consti­tue­rait une folie poli­tique. Car l’extrême droite fran­çaise (…) n’hésite donc plus à récu­pé­rer des thèmes his­to­ri­que­ment asso­ciés à la gauche. (…)

La res­pon­sa­bi­li­té de cette cap­ta­tion d’héritage n’incombe pas seule­ment à la gauche ins­ti­tu­tion­nelle, embour­geoi­sée et acquise à la mon­dia­li­sa­tion libé­rale. La fai­blesse stra­té­gique de la « gauche de gauche », son inca­pa­ci­té à unir les cha­pelles qui la com­posent jouent aus­si un rôle dans cet engrenage.

Com­battre l’extrême droite, ce n’est assu­ré­ment pas prendre le contre-pied des thèmes pro­gres­sistes que celle-ci récu­père (et dévoie), mais offrir un débou­ché poli­tique à une popu­la­tion légi­ti­me­ment exaspérée. »

Serge Hali­mi.

Source : http://​www​.monde​-diplo​ma​tique​.fr/​2​0​1​1​/​0​6​/​H​A​L​I​M​I​/​2​0​653

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2) Je te sou­mets éga­le­ment ce bon texte de notre ami com­mun, Fré­dé­ric Lor­don, qui va dans le même sens : il faut arrê­ter de nous cou­per bras et jambes pour « ne res­sem­bler en rien à l’ex­trême droite », car c’est idiot :

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Dépol­luer du FN

« Du pro­blème en ques­tion, il est sans doute utile de com­men­cer par déblayer la situa­tion poli­tique – entendre la dépol­luer du Front natio­nal. Car l’on sent bien que la for­tune de l’extrême droite qui capi­ta­lise sur ce thème n’entre pas pour rien dans les inquié­tudes des signa­taires. Mais, par une contra­dic­tion per­for­ma­tive fatale, faire sans cesse réfé­rence au FN à pro­pos de tout débat est à coup sûr le meilleur moyen de l’installer dans la posi­tion de cen­tra­li­té dont par ailleurs on vou­drait l’écarter. Il ne faut se faire aucune illu­sion, spé­cia­le­ment quand la nou­velle diri­geante du FN s’avère plus futée que son pré­dé­ces­seur, et démontre déjà assez son talent de récu­pé­ra­tion : le FN man­ge­ra à tous les râte­liers, cap­te­ra tout ce qu’il peut cap­ter, si bien qu’installer le mythe de l’anti-Midas – « le FN trans­forme en plomb tout ce qu’il touche » – est le plus sûr moyen de contri­buer soi-même à la dégra­da­tion de ses propres débats. On n’abandonnera donc pas le débat de la démon­dia­li­sa­tion sous pré­texte que le FN qui a sen­ti la bonne affaire s’y vautre avec délice !

Avant de déser­ter le ter­rain, on pour­rait en effet au moins avoir le réflexe d’objecter que nul ne s’inquiétait dans les années 1980–1990 que le FN campe sur les idées éco­no­miques libé­rales du RPR-UDF, et nul n’allait sou­mettre la droite dite « répu­bli­caine » à la ques­tion de cette embar­ras­sante proxi­mi­té. Curieu­se­ment les proxi­mi­tés ne deviennent embar­ras­santes que lorsqu’il est ques­tion d’en finir avec la finance libé­ra­li­sée et le libre-échange – et les signa­taires d’Attac devraient « s’inquiéter » d’avoir ici beau­coup concé­dé aux schèmes réflexes de l’éditorialisme libé­ral. Ils pour­raient éga­le­ment sug­gé­rer qu’on ren­verse l’ordre de la ques­tion, et que « l’éditorialisme » se pré­oc­cupe d’aller inter­ro­ger sérieu­se­ment le FN sur ses virages doc­tri­naux à 180° et sur sa pro­pen­sion récente à aller piller (et défor­mer) des idées de gauche cri­tique – para­doxe tout de même éton­nant si l’on y pense, mais qui semble faire si peu pro­blème que tout le monde se pré­ci­pite plu­tôt pour deman­der à la gauche cri­tique com­ment elle peut vivre dans pareil voi­si­nage… Moyen­nant quoi, à force d’envahissements par l’extrême droite, qui ne manque pas de s’en don­ner à cœur joie avec au sur­plus le plai­sir com­plé­men­taire de créer la confu­sion, et le plai­sir sup­plé­men­taire de le faire avec la com­pli­ci­té active des vic­times de la confu­sion, il ne res­te­ra bien­tôt plus grand-chose en propre à la gauche en matière éco­no­mique s’il lui faut aban­don­ner dans l’instant tout ce que l’anti-Midas aura tou­ché. Car il ne faut pas s’y trom­per : l’anti-Midas a la paluche aux aguets et il va en tou­cher autant qu’il pour­ra. On pour­rait donc, par un préa­lable de bonne méthode, déci­der d’ignorer les ges­ti­cu­la­tions récu­pé­ra­trices du FN, de ces­ser d’en faire l’arbitre intem­pes­tif et pol­lueur de nos débats, et de conti­nuer de dis­cu­ter des sujets QUI NOUS INTÉRESSENT. »

Fré­dé­ric Lordon.

Source : http://blog.mondediplo.net/2011–06-13-Qui-a-peur-de-la-demondialisation

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Quand je lis ces deux papiers, il me semble qu’ils répondent bien aux objec­tions que j’ai lues sous ta plume, sous celle d’An­dré (Bel­lon) ou sous celle du « Canard répu­bli­cain », accu­sa­tions (vexantes) de proxi­mi­té avec les cri­tiques anti­sys­tème des ligues d’ex­trême droite des années trente. Je trouve ce reproche extra­va­gant (à mon endroit), et je trouve du ren­fort concep­tuel chez Ali­mi et chez Lor­don. Tant mieux.

Mais, est-ce que vous sau­rez entendre cet appel ? Je ne sais pas. ÉC.]

[RMJ :

« L’élection ne porte pas au pou­voir les meilleurs, mais très sou­vent les pires (du point de vue du peuple) » ai-je lu dans un com­men­taire. Encore un pro­pos qui rap­pelle le « tous pour­ris » des années trente et du FN. C’est faux, c’est injuste et c’est into­lé­rable. J’ai tra­vaillé comme conseiller pen­dant 8 ans au sein d’un par­le­ment, une assem­blée élue au scru­tin pro­por­tion­nel, je dois l’indiquer. J’y ai vu quoi ? Des porte-parole du patro­nat et des porte-parole des syn­di­cats, des affai­ristes dou­teux et des légis­la­teurs rigou­reux, des consciences libres y com­pris à l’égard de leur propre par­ti et des godillots, des idéa­listes por­teurs de pro­jets et des conser­va­teurs atta­chés au sta­tu­quo. Bref, j’ai vu une socié­té en réduc­tion, une repré­sen­ta­tion assez hon­nête du pays réel. Incon­tes­ta­ble­ment, dans une assem­blée élue au scru­tin majo­ri­taire, la dis­tor­sion entre pays légal et pays réel est beau­coup plus grande. Mais je connais assez l’Assemblée natio­nale fran­çaise pour savoir que même si des sen­si­bi­li­tés sont absentes de l’hémicycle ou insuf­fi­sam­ment repré­sen­tées, il y a aus­si des gens biens et d’autres qui le sont infi­ni­ment moins, à gauche, au centre et à droite.]

[ÉC (30) : Es-tu capable d’en­tendre si on te signale un déca­lage, un consi­dé­rable déca­lage entre tes per­cep­tions et celles des citoyens (non élus) ?

Une excep­tion ne fait pas une règle, un dépu­té hon­nête et tra­vailleur ne fait pas une assem­blée représentative.

Tu sembles nier l’é­vi­dence : tu mini­mises les catas­trophes poli­tiques (que tu dénonces pour­tant si vio­lem­ment par ailleurs : ce sont bien des élus qui nous imposent l’AGCS, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, n’est-ce pas ?), et tu montes en épingle les (incon­tes­tables mais déri­soires) suc­cès de trai­treuses institutions.

Tu es quelque peu contra­dic­toire : tu tentes ici, avec des accents de sévé­ri­té outra­gée, d’é­teindre des incen­dies que tu as toi-même allu­més en hur­lant ta rage (dans tes livres for­mi­dables) devant les hon­teuses tra­hi­sons répé­tées des pré­ten­dues élites.

Plus per­sonne ne se contente de quelques témoi­gnages de dévoue­ment (incon­tes­table et admi­rable) d’é­lus pour défendre un sys­tème aus­si oppres­sif, poli­ti­que­ment, globalement.

Et cette réfé­rence lan­ci­nante aux années trente et au FN aux­quels l’in­ter­lo­cu­teur (en l’oc­cur­rence, moi) est ren­voyé… C’est lamen­table : c’est une insulte, Raoul, t’en rends-tu compte ? Tu t’é­tais toi-même dra­pé au début de ce billet dans un habit de ver­tu en sou­li­gnant que (sic) « Le pro­cé­dé qui consiste à cari­ca­tu­rer voire à dis­cré­di­ter une per­sonne parce qu’on manque d’arguments pour contrer ses idées m’est odieux (resic). Il dis­qua­li­fie du débat celui qui l’utilise. (resic)».

Alors quand on pro­teste que nos élus semblent bel et bien tous pour­ris (à quelques excep­tions insi­gni­fiantes près), on est ipso fac­to d’ex­trême droite ? Mais qu’est-ce que c’est que cette calom­nie, qu’est-ce que c’est que cette inti­mi­da­tion ? Quelle est cette façon d’in­sul­ter les gens ?

À ce rythme et avec ces méthodes, la France entière (70% des gens n’ont plus confiance en leurs poli­ti­ciens) sera « fas­ciste » ? C’est ridi­cule : ça bana­lise le mot : à force de trai­ter n’im­porte qui de fas­ciste, même les plus à gauche, tout le monde va s’en foutre : trai­tez-moi donc de fas­ciste ; puisque vous trai­tez tout le monde de la sorte, c’est que ce ne doit pas être bien grave… Sur­tout si « fas­ciste » signi­fie « par­ti­san de la démo­cra­tie directe et oppo­sant à toute forme de repré­sen­ta­tion hors contrôle », tout le monde va bien­tôt vou­loir être « fas­ciste »… Beau résul­tat. Où est l’ou­trance, finalement ?

Il fau­drait que tu fasses un effort pour te mettre à la place de celui dont tu rap­proches les pro­pos de ceux des fas­cistes : aime­rais-tu être ain­si traité ?

Je pense que non.

Il me semble même que, à rai­son, tu serais furibard.

Bon, certes, j’ai désor­mais le cuir plus épais qu’en 2005 et on m’a déjà trai­té de nom­breuses fois de com­mu­niste, d’a­nar­chiste, de fas­ciste, n’im­porte quoi en fait ; on m’a même sus­pec­té d’être un « sous-marin trots­kyste »… c’est mar­rant. J’en ai vu, depuis 2005, et ma cui­rasse s’endurcit :

BIEN FAIRE ET LAISSER BRAIRE, c’est l’une de mes devises.

Mais c’est de la part d’un ami que, un peu comme Hali­mi et Lor­don, je trouve l’at­taque saumâtre.

Enfin, j’es­père que tout ça fini­ra par se régler. ÉC.]

[RMJ :

5. Je lis qu’on peut se pas­ser des par­tis poli­tiques. Le droit de s’associer est un droit fon­da­men­tal. S’associer pour défendre un pro­jet de socié­té ne peut être contes­té. Les par­tis poli­tiques sont des asso­cia­tions dont l’objet social est de pro­mou­voir un pro­jet de socié­té, quel qu’il soit.]

[ÉC (31) : Il faut abso­lu­ment que tu lises ce texte impor­tant de Simone Weil :

NOTE SUR LA SUPPRESSION GÉNÉRALE DES PARTIS POLITIQUES

http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​S​i​m​o​n​e​_​W​e​i​l​_​N​o​t​e​_​s​u​r​_​l​a​_​s​u​p​p​r​e​s​s​i​o​n​_​g​e​n​e​r​a​l​e​_​d​e​s​_​p​a​r​t​i​s​_​p​o​l​i​t​i​q​u​e​s​.​pdf

Tout y est très bien analysé.

Pour moi, les par­tis sont un mal néces­saire pour seule­ment gagner les élections.

on n’a pas besoin de par­tis pour faire de la poli­tique, au contraire : les par­tis, sim­ple­ment parce qu’ils existent, en acca­pa­rant tous les pou­voirs, privent tout le monde de la pos­si­bi­li­té d’une acti­vi­té poli­tique LIBRE : en régime de par­tis, l’embrigadement est for­cé, il faut choi­sir un CAMP, et c’est la guerre poli­tique assu­rée, forcée.

À Athènes, qui est sans doute le lieu où les humains ont exer­cé quo­ti­dien­ne­ment l’ac­ti­vi­té poli­tique la plus intense, la plus longue et la plus géné­ra­li­sée de toute l’His­toire des Hommes, il n’y avait pas de par­tis poli­tique : on n’en avait pas besoin puis­qu’il n’y avait pas d’é­lec­tions à gagner. D’ailleurs, ils y étaient car­ré­ment inter­dits, parce qu’ils étaient méca­ni­que­ment sources de discorde.

Il faut lire le texte de Simone Weil, c’est un texte admirable.

La mytho­lo­gie des par­tis-utiles-et-indis­pen­sables-à-la-poli­tique, c’est du bara­tin d’é­lu cher­chant à se faire élire. Ça ne m’ins­pire aucune confiance : je ne veux pas appar­te­nir à une armée, ni mili­taire ni poli­tique, je veux res­ter libre, soli­daire bien sûr mais libre ; je refuse la police de la pen­sée qui règne dans les par­tis, cette injonc­tion à suivre « la ligne du par­ti », cette inti­mi­da­tion qui pousse à être ami ou enne­mi, en bloc, cette inter­dic­tion lamen­table de ne sur­tout pas lire, appré­cier ou relayer même une ligne de pen­sée des camps dési­gnés comme « enne­mis » par les chefs adverses, sous peine d’ex­com­mu­ni­ca­tion, c’est à pleu­rer de bêtise : qua­si­ment tous les autres par­tis sont for­cé­ment, par construc­tion, les enne­mis du par­ti auquel on appar­tient… C’est débile, c’est une insulte à l’in­tel­li­gence libre qui bouillonne dans la tête de chaque humain.

Et je ne confonds pas du tout la très pré­cieuse liber­té d’as­so­cia­tion avec le lob­bying que consti­tue un par­ti poli­tique, lob­bying com­mu­nau­ta­riste qui sert à prendre le pou­voir (et le prendre aux autres, forcément).

Je ne confonds pas ; je dis­tingue. ÉC.]

[RMJ :

Je suis de ceux qui pensent qu’un débat sur la manière dont fonc­tionnent les par­tis poli­tiques s’impose. Je me suis fait agres­ser pour défendre cette thèse. Et pour­tant ! Dans la période his­to­rique qui est la nôtre, les par­tis poli­tiques, dans la forme qu’on leur connaît aujourd’hui, ont été conçus au XIXe siècle. À une époque où le niveau géné­ral d’éducation était faible, à une époque où n’existait pas le suf­frage uni­ver­sel. Mani­fes­te­ment, ils en portent encore la trace aujourd’hui quand on voit le cor­po­ra­tisme et l’élitisme qu’ils véhi­culent. Ils ont été conçus sur le modèle domi­nant issu de la période napo­léo­nienne qui a mar­qué et qui marque encore nos ins­ti­tu­tions : le modèle mili­taire, pyra­mi­dal où le com­man­de­ment – par­don, la déci­sion – pro­cède de l’état-major – par­don, du bureau politique.

Aujourd’hui, avec un niveau géné­ral d’éducation très éle­vé (moi qui ai ani­mé 136 réunions publiques des plus modestes aux plus nom­breuses, je peux por­ter témoi­gnage que le débat de 2005 a bien mon­tré que le peuple est capable de s’approprier les termes et la com­plexi­té d’un trai­té et je me refuse à le rame­ner au niveau CE1, comme je l’ai lu dans un com­men­taire), avec le suf­frage uni­ver­sel, avec une aspi­ra­tion crois­sante à la par­ti­ci­pa­tion aux déci­sions (même si l’inclination à la ser­vi­tude volon­taire est loin d’avoir dis­pa­ru), une réforme des par­tis poli­tiques s’impose.

Certes, les par­tis poli­tiques sont ce qu’en font leurs membres. Qui sont des citoyens à part entière. Si par conni­vence ou par lâche­té, ils acceptent en leur sein des pra­tiques contraires à la morale et au droit, c’est qu’ils placent plus haut les inté­rêts dont leur par­ti est por­teur. Mais les par­tis poli­tiques en tant qu’acteurs du sys­tème repré­sen­ta­tif sont aidés dans leur tâche par de l’argent public. Il convien­drait dés lors qu’ils soient sou­mis à des contraintes consti­tu­tion­nelles de démo­cra­tie active et de trans­pa­rence financière.]

[ÉC (32) : À mon avis, il n’y a pas de bons et de mau­vais par­tis : tous les par­tis conduisent méca­ni­que­ment au CULTE DU CHEF et à LA MISE SOUS TUTELLE POLITIQUE DES NON-CHEFS, et c’est une catas­trophe poli­tique pour tout le monde.

Lire à ce sujet le pas­sion­nant livre de Robert Michels, « Les Par­tis Poli­tiques. Essais sur les ten­dances oli­gar­chiques des démo­cra­ties » (1911) :

http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​f​o​r​u​m​/​i​n​d​e​x​.​p​h​p​?​2​0​1​1​/​0​7​/​0​1​/​1​3​1​-​p​o​u​r​q​u​o​i​-​d​e​s​-​c​h​e​f​s​-​p​r​o​f​e​s​s​i​o​n​n​e​l​s​-​d​e​v​i​e​n​d​r​o​n​t​-​t​o​u​j​o​u​r​s​-​d​e​s​-​t​y​r​a​n​s​-​f​o​n​d​e​m​e​n​t​-​r​a​t​i​o​n​n​e​l​-​d​u​-​t​i​r​a​g​e​-​a​u​-​s​o​r​t​-​g​e​n​e​r​a​l​i​s​e​-​e​n​-​p​o​l​i​t​i​que

MAIS, comme je le dis dans mon com­men­taire du billet ci-des­sus, cette dérive oli­gar­chique n’est impla­cable qu’en régime de gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif (elle ne s’im­pose que dans un contexte d’é­lec­tions géné­ra­li­sées et donc for­cées) : tous ces tra­vers seraient beau­coup moins encou­ra­gés dans une authen­tique démo­cra­tie, à mon avis.]

[RMJ :

6. « Le peuple n’a pas besoin d’élus », ai-je pu lire. Pour les rem­pla­cer, tan­tôt on pro­pose que des « hon­nêtes gens » choi­sis au hasard des affi­ni­tés personnelles, ]

[ÉC (33) : Que veux-tu dire ? Ce sont ces mêmes affi­ni­tés per­son­nelles qui servent à élire quel­qu’un… Oui, et alors ? Faut-il trai­ter dif­fé­rem­ment les « choix au hasard des affi­ni­tés per­son­nelles » qui seraient légi­times pour élire un can­di­dat dési­gné et impo­sé par un par­ti (ça, ce serait bien), mais qui seraient dif­fé­rents des « choix au hasard des affi­ni­tés per­son­nelles » pas légi­times pour choi­sir un autres can­di­dat (ça, ce serait mal) ? ÉC.]

[RMJ : …des rela­tions et du voi­si­nage, consti­tuent un élec­to­rat au sein duquel seraient tirés au sort ceux qui auraient à sié­ger dans une assem­blée consti­tuante ou légis­la­tive. Tan­tôt, on pro­pose le tirage au sort par­mi les per­sonnes ins­crites sur les listes élec­to­rales. Conve­nons que la for­mule du recours aux « hon­nêtes gens » ne four­nit pas un cri­tère conforme à l’idée qu’on se fait de la citoyenneté. ]

[ÉC (34) : Ah bon ? Pour­quoi ? Pré­fères-tu qu’on prenne le cri­tère « cra­pule confir­mée » à la place d’  »hon­nête gens » ? Quelle drôle de remarque… ÉC.]

[RMJ : Qui décide qui appar­tient à cette catégorie ? ]

[ÉC (35) : Et bien les citoyens, indi­vi­duel­le­ment, libre­ment… Où est le pro­blème ? Tu as peur que la dési­gna­tion des « valeu­reux » éli­gibles échappe à la « com­pé­tence » des « experts » pro­fes­sion­nels de la politique ?

Dis : ne défen­dais-tu pas le suf­frage uni­ver­sel, il y a un ins­tant à peine ? Et c’est pour fina­le­ment dou­ter de la com­pé­tence uni­ver­selle qu’au­rait cha­cun pour choi­sir libre­ment de « valeu­reux » représentants ?

On dirait que le « suf­frage uni­ver­sel » que tu défends comme une conquête sacrée n’a ton sou­tien que s’il est par­fai­te­ment enfer­mé, cor­se­té, dans les rets des pro­fes­sion­nels de la poli­tique. ÉC.]

[RMJ : Et puis, c’est qui ces « hon­nêtes gens » ? Ceux qui haïs­saient hier les Juifs et aujourd’hui les Arabes ? Ceux qui sont bien blancs, bien chré­tiens, bien coif­fés et bien habillés ? Ceux qui votaient Sar­ko­zy hier et une quel­conque copie de DSK demain ? On se noie dans la subjectivité. ]

[ÉC (36) : Ah oui ? Parce que les chefs de par­tis poli­tiques, eux, « ils ne se noient pas dans la sub­jec­ti­vi­té », peut-être, au moment d’ac­cor­der ou pas les inves­ti­tures, sésame indis­pen­sable pour l’é­lec­tion ? Tu as com­bien de poids pour deux mesures, là ?

Et puis, on dirait que tu dis­qua­li­fies le suf­frage quand tu fais de mau­vais pro­nos­tics à leur sujet. C’est bizarre.

On dirait que le pre­mier choix des can­di­dats est abso­lu­ment stra­té­gique à tes yeux, et qu’il doit échap­per aux citoyens eux-mêmes.

Je trouve tes remarques plus étranges les unes que les autres, dans ce pas­sage. ÉC.]

[RMJ : Exa­mi­nons donc l’hypothèse du tirage au sort au sein des listes électorales.

Il y a, dans le recours au tirage au sort, un double aban­don : celui du man­dat et celui du contrat. ]

[ÉC (37) : ABSOLUMENT, et c’est même exac­te­ment LE BUT : pour ins­ti­tuer une vraie démo­cra­tie, il faut aban­don­ner à la fois la renon­cia­tion à exer­cer le pou­voir et le contrat léo­nin (abu­sif) qui l’accompagnait.

Mais ce n’est nul­le­ment dra­ma­tique, puisque C’EST UNE ÉMANCIPATION : le citoyen cesse alors d’être UN MINEUR poli­tique, il devient UN ADULTE acteur et n’a plus besoin de la tutelle de ses élus. ÉC.]

[RMJ : Élire, c’est confier une mis­sion en fonc­tion d’orientations pré­cises. Être élu, c’est pas­ser un contrat moral avec l’électeur. Certes, j’en conviens, j’énonce la théo­rie telle qu’elle devrait s’appliquer. Et on est loin du compte. ]

[ÉC (38) : Tu me prends les mots de la bouche 😉 ÉC.]

[RMJ : Mais j’ai pro­po­sé des solu­tions dans ma pré­sen­ta­tion qui me paraissent infi­ni­ment meilleures que le saut dans l’inconnu que repré­sente le tirage au sort.]

[ÉC (39) : Tes solu­tions sont peut-être meilleures, admet­tons, si elles sont ins­ti­tuées ; mais tu refuses (pour l’ins­tant) de prendre en compte qu’une Assem­blée consti­tuante élue par­mi les can­di­dats impo­sés par les par­tis ne met­tra jamais en place ces mesures, à cause de l’in­té­rêt per­son­nel contraire à ces solu­tions qui condui­ra fata­le­ment cha­cun de ses membres.

Tes pro­po­si­tions perdent donc la plus grande par­tie de leur inté­rêt pra­tique — tant qu’on reste sur l’i­dée d’une Assem­blée consti­tuante par­ti­sane — puis­qu’elles sont ain­si condam­nées à res­ter pure­ment théo­riques. ÉC.]

[RMJ :

Comme citoyen, je réclame le droit, pour délé­guer la part de sou­ve­rai­ne­té qui est la mienne, de choi­sir une per­sonne dont je connais les valeurs, les prin­cipes, les orien­ta­tions poli­tiques. Le tirage au sort me prive de ce droit.]

[ÉC (40) : Et moi, comme citoyen, je réclame le droit à ne pas délé­guer ma sou­ve­rai­ne­té et à l’exer­cer moi-même, sans être obli­gé de choi­sir un maître poli­tique dont rien ne pour­ra jamais me garan­tir qu’il res­pec­te­ra l’in­té­rêt géné­ral. L’é­lec­tion de repré­sen­tants me prive de ma souveraineté.

Cha­cun son truc. ÉC.]

[RMJ :

On me dit : « les per­sonnes tirées au sort ne vont pas choi­sir, elles vont seule­ment admi­nis­trer, elles vont seule­ment exé­cu­ter ». Mais alors qui va choisir ? ]

[ÉC (41) : L’As­sem­blée du peuple. Tu trouves ça éton­nant, en démo­cra­tie ? ÉC.]

[RMJ : Et à quoi servent ceux dont la fonc­tion est d’administrer, c’est-à-dire d’exécuter ? ]

[ÉC (42) : à pré­pa­rer les déci­sions de l’As­sem­blée, à les exé­cu­ter, à faire la police, à contrô­ler tous les organes, à juger, etc. ÉC.]

[RMJ : Et on écrit : « le pou­voir doit res­ter dans les mains du peuple ». Sans jamais four­nir le mode d’emploi. ]

[ÉC (43) : Mais tu as le droit de nous aider à le pen­ser, ce mode d’emploi, au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues au pré­texte que tout n’est pas tout cuit prêt à consommer…

Il va fal­loir la mettre au point, cette démo­cra­tie moderne, ensemble, évi­de­ment. Et ce n’est pas parce que je n’ai pas de mode d’emploi tout prêt à l’a­vance que la démo­cra­tie véri­table n’est pas pos­sible… Non, je ne suis pas un sau­veur, pas un pro­phète, pas un élu, je n’ai pas de pro­jet à la place des autres, je ne me sou­cie pas de gou­ver­ner… 😉

Mais je pré­tends pour­tant que l’i­dée de bâtir ensemble un pro­jet plus éman­ci­pa­teur que l’ac­tuel régime éli­tiste n’est pas une uto­pie : c’est une vraie alter­na­tive, sérieuse, dont une vraie gauche, une gauche digne de ce nom, devrait s’emparer avec les citoyens qu’elle pré­tend défendre. ÉC.]

[RMJ : Va-t-on, chaque semaine, convo­quer un référendum ? ]

[ÉC (44) : Et pour­quoi pas (les pre­miers temps) ? Mais ce ne sera pas néces­saire puisque ce seront les Assem­blées qui déci­de­ront, direc­te­ment et loca­le­ment, quo­ti­dien­ne­ment. ÉC.]

[RMJ : Va-t-on consi­dé­rer, comme je l’ai lu, que le peuple déci­deur, ce sont ceux qui viennent à l’Assemblée natio­nale quand ils le peuvent ? ]

[ÉC (45) : Et alors ? Tout à l’heure, tu fai­sais mine de dénon­cer le pro­fes­sion­na­lisme en poli­tique. Est-ce pour main­te­nant railler l’a­ma­teu­risme, alors qu’on envi­sage quelques moda­li­tés pra­tiques ? ÉC.]

[RMJ : Il faut tout igno­rer des mil­liers de choix qui affectent l’intérêt géné­ral auquel un gou­ver­ne­ment est confron­té pour pro­po­ser sem­blables solutions. ]

[ÉC (46) : La com­plexi­té du droit moderne est pro­fon­dé­ment nui­sible et n’est pas néces­saire. L’INFLATION LÉGISLATIVE EST UNE PLAIE, UNE SOURCE MAJEURE D’INSÉCURITÉ JURIDIQUE ; ET ELLE EST UNE CONSÉQUENCE DIRECTE DU PROFESSIONNALISME des par­le­men­taires, des avo­cats, des juges et autres spé­cia­listes du droit.

Cette plaie civile n’est pas néces­saire : des ama­teurs à tous les niveaux — par force — sim­pli­fie­raient l’en­semble des règles, pour le plus grand bien de l’in­té­rêt général.

Invo­quer la com­plexi­té du droit pour nous condam­ner ad vitam aeter­nam au joug des spé­cia­listes du droit est une entour­loupe qui n’a rien à voir avec l’in­té­rêt géné­ral. ÉC.]

[RMJ : Il faut som­brer dans un angé­lisme conster­nant pour confé­rer un sou­ci spon­ta­né de l’intérêt géné­ral à ceux qui vien­draient, quand ils le peuvent, à l’Assemblée nationale. ]

[ÉC (47) : Tu me fais bien rire : de la même manière, il faut som­brer dans un angé­lisme conster­nant pour confé­rer un sou­ci spon­ta­né de l’intérêt géné­ral à ceux qui sont impo­sés à l’é­lec­tion par les chefs des par­tis politiques…

Tu dénon­çais le pro­fes­sion­na­lisme poli­tique il y a quelques pages. Et te voi­là main­te­nant à le défendre, en moquant les ama­teurs. Quel est le fond de ta pensée ?

Je signale qu’aux der­nières nou­velles, les dépu­tés suisses étaient des ama­teurs, qu’ils gar­daient leur métier d’o­ri­gine et qu’ils étaient payés peu de chose. Ce n’est pas le chaos pour autant.

Et bien oui, en démo­crate véri­table, je fais mille fois plus confiance au pre­mier venu qu’à un pro­fes­sion­nel de la poli­tique pour défendre l’in­té­rêt géné­ral ; sur­tout dans des ins­ti­tu­tions qui le sur­veillent comme le lait sur le feu. C’est l’es­sence même de la démo­cra­tie que d’im­po­ser l’a­ma­teu­risme poli­tique. ÉC.]

[RMJ : Quel serait le résul­tat des tra­vaux légis­la­tifs dans de telles conditions ? ]

[ÉC (48) : Que veux-tu dire ? Le méde­cin ou le pro­fes­seur qui viennent d’être élus ont-ils quelque com­pé­tence par­ti­cu­lière pour écrire les lois ? Mon œil. Il leur faut à tous des scribes pour écrire pro­pre­ment sous leur contrôle.

Comme le dit Alain, je n’ai pas besoin de savoir faire la cui­sine pour deman­der tel ou tel plat, ni pour appré­cier si le plat est bon ou pas : des non spé­cia­listes se débrouille­ront très bien pour écrire un droit tout à fait accep­table, acces­sible au plus grand nombre, simple et lisible de sur­croît, pour­vu qu’ils aient une idée non cor­rom­pue de l’in­té­rêt géné­ral, ce qui a bien plus de chances d’ad­ve­nir avec des ama­teurs qu’a­vec des pro­fes­sion­nels. ÉC.]

[RMJ : Jusqu’à quelles aber­ra­tions le refus de réfor­mer ce qui existe va-t-il conduire ?]

[ÉC (49) : C’est une blague ? Qui refuse de réfor­mer, en l’oc­cur­rence ? ÉC.]

[RMJ : Le suf­frage uni­ver­sel n’est cer­tai­ne­ment pas la pana­cée, mais dûment réfor­mé comme je l’ai sug­gé­ré dans ma pré­sen­ta­tion, il ren­dra toute sa valeur à la notion de man­dat qui est cen­trale dans l’acte de délé­ga­tion, une notion absente de la pra­tique du tirage au sort. Celui-ci, choix aveugle par défi­ni­tion, est la néga­tion même du choix. ]

[ÉC (50) : Exac­te­ment, et à des­sein ! Conscient que nos choix sont constam­ment trom­pés et qu’ils se résument tou­jours, fina­le­ment, à de FAUX CHOIX, nous déci­dons d’exer­cer enfin nous-mêmes le pou­voir, et nous ces­sons de choi­sir des indi­vi­dus, pre­nant acte qu’ils fini­ront tou­jours par nous trahir.

La démo­cra­tie est un régime RÉALISTE, qui prend acte de nos imper­fec­tions et de nos conflits, au lieu de les nier.

LE CHOIX de repré­sen­tants qui seraient meilleurs que nous pour éva­luer l’in­té­rêt géné­ral EST UN MYTHE. Un mythe fabri­qué par de futurs élus à la fin du XVIIIe siècle, et un mythe ensuite entre­te­nu par des géné­ra­tions d’é­lus et de can­di­dats à l’é­lec­tion. ÉC.]

[RMJ : On laisse au hasard la sélec­tion de celles et de ceux aux­quels on délègue la sou­ve­rai­ne­té populaire. ]

[ÉC (51) : Non, pas du tout : pré­ci­sé­ment, on ne délègue plus rien, ou presque.

Ah ! C’est qu’il faut un moment pour la com­prendre, la démo­cra­tie, tel­le­ment elle n’a rien à voir avec le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif… 😉 ÉC.]

[RMJ : Ici, je veux ren­con­trer un pro­pos inuti­le­ment polé­mique dans un débat de cette impor­tance : il n’y a aucun mépris à consi­dé­rer un incon­nu pour ce qu’il est : quelqu’un qu’on ne connaît pas, dont on ne sait rien des valeurs et des orien­ta­tions. Esti­mer que l’on consi­dère un incon­nu comme un « affreux », c’est abais­ser le débat à de l’affectif. Il n’a pas sa place ici.]

[ÉC (52) : Attends, attends ! Mais à qui le dis-tu ! Je te rap­pelle que je consi­dère tout étran­ger comme un ami que je ne connais pas (pas encore) ; je te rap­pelle que je fais confiance au pre­mier venu pour écrire une Consti­tu­tion mille fois meilleure que celle qui sera écrite par des pro­fes­sion­nels de la poli­tique ; je te rap­pelle que c’est toi encore, il y a quelques para­graphes à peine, qui te méfiais des incon­nus tirés au sort comme on se méfie du diable noir… Aucun mépris, dis-tu ; peut-être, mais forte crainte de « l’autre » quand même, apparemment.

C’est un mal­en­ten­du (tu m’as trop vite lu) : je parle d’  »affreux » dans un titre qui résume une peur (peur de nom­mer un idiot, peur de nom­mer un salaud… peur de don­ner le pou­voir à… un « affreux » quoi ; c’est une bou­tade pour cari­ca­tu­rer un peu notre peur de l’autre), une peur que je ren­contre sou­vent dans la bouche D’AUTRES QUE MOI, d’autres qui, comme toi, ont peur que « l’autre » ne prenne des déci­sions épou­van­tables, « l’autre » que beau­coup redoutent décou­vrir trop tard comme « des affreux », variables selon les camps poli­ti­ciens : les uns détestent Besan­ce­not et ses affi­dés, les autres détestent Le Pen et ses affi­dés (sui­vez mon regard), etc.

Mais ce n’est pas moi qui désigne des affreux en l’oc­cur­rence : je pré­tends au contraire (et c’est le for­mi­dable pari d’une démo­cra­tie véri­table) que cha­cun d’entre nous recèle à la fois le pire et le meilleur, et que de bonnes ins­ti­tu­tions, en nous sol­li­ci­tant sou­vent, tout en nous contrô­lant sou­vent, sau­ront tirer de cha­cun de nous le meilleur au lieu du pire comme le fait le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif qui nous entre­tient tous per­pé­tuel­le­ment dans un état pas­sif et végé­ta­tif, nous invi­tant à par­ti­ci­per bête­ment à des élec­tions fac­tices où sera imman­qua­ble­ment élu le pire men­teur, le plus grand voleur, ou le plus redou­table baratineur.

Je dis que de bonnes ins­ti­tu­tions forment de bons citoyens, et que, inver­se­ment, de mau­vaises ins­ti­tu­tions fabriquent de mau­vais citoyens. ÉC.]

[RMJ :

Avec le tirage au sort, on prive les citoyens non seule­ment du droit de choi­sir en connais­sance de cause, mais éga­le­ment du droit de récla­mer des comptes puisque, par défi­ni­tion, les incon­nus tirés au sort ne se sont enga­gés à rien. Je trouve para­doxal de pré­sen­ter comme un pro­grès démo­cra­tique un mode de sélec­tion des repré­sen­tants du peuple par lequel celui-ci aurait encore moins à dire que dans le sys­tème actuel. Le remède pro­po­sé est pire que le mal dénoncé.]

[ÉC (53) : Déci­dé­ment, il y a long­temps que tu n’as pas révi­sé les ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques : contrai­re­ment à ce que tu redoutes, des ins­ti­tu­tions réel­le­ment démo­cra­tiques com­portent for­cé­ment, par struc­ture —parce que la phi­lo­so­phie du régime démo­cra­tique (le vrai) assume l’im­per­fec­tion géné­rale des acteurs, et en déduit les consé­quences concrètes — DES INSTITUTIONS DE REDDITION DES COMPTES ET DE CONTRÔLES À TOUS LES ÉTAGES.

C’est pré­ci­sé­ment l’in­verse du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif : tu n’au­ras jamais eu autant de comptes ren­dus et de repré­sen­tants dévoués à l’in­té­rêt géné­ral qu’a­vec ce régime 😉 ÉC.]

[RMJ :

7. S’agissant de choi­sir les par­ti­ci­pants à une assem­blée consti­tuante, je conti­nue de faire mienne l’excellente for­mule d’Etienne Chouard : « ce n’est pas aux hommes de pou­voir d’écrire les règles du pouvoir. » ]

[ÉC (54) : Bon, voi­là donc une bonne base de tra­vail 😉 ÉC.]

[RMJ : Mais je n’ai jamais adhé­ré aux consé­quences qu’il tire de cette affir­ma­tion, à savoir le recours au tirage au sort pour choi­sir ceux qui vont éta­blir les règles fon­da­men­tales. Je lui pré­fère, et de loin, la for­mule suivante :

- les can­di­dats à la consti­tuante ne peuvent avoir été élus pré­cé­dem­ment à un man­dat natio­nal, ni avoir exer­cé une pré­si­dence de région ou de conseil général

- les consti­tuants, élus au scru­tin pro­por­tion­nel, ne sont pas rééligibles

- il doit y avoir un pro­ces­sus obli­ga­toire et régu­lier de consul­ta­tion de toutes les caté­go­ries de citoyens sur les pro­po­si­tions en débat au sein de la constituante

- le peuple doit être consul­té par réfé­ren­dum sur le texte rete­nu au terme des tra­vaux de la constituante.

Ain­si, les dan­gers que redoute Etienne Chouard (risque de conflit d’intérêts, risque de voir les élus écrire des règles pour eux-mêmes) sont écar­tés, le peuple est plei­ne­ment asso­cié au tra­vail de rédac­tion de la loi suprême et il en décide en der­nier ressort.]

[ÉC (55) : Excuse-moi, mais ce que tu pro­poses là ne suf­fit pas du tout :

- C’est bien d’a­voir pré­vu une consul­ta­tion popu­laire, pen­dant le pro­ces­sus ain­si qu’à l’is­sue du processus ;

- C’est bien d’a­voir écar­té les anciens élus ;

- C’est bien d’a­voir décla­ré les consti­tuants inéligibles ;

Mais en lais­sant les par­tis maîtres des inves­ti­tures, tu laisses le loup dans la ber­ge­rie, rien que ça (et per­mets aux bre­bis d’être inquiètes !) : si on laisse les par­tis nous impo­ser leurs can­di­dats, ce sont à nou­veau des hommes de pou­voir qui écri­ront les règles du pou­voir et on ne sor­ti­ra pas de notre impuis­sance chro­nique face aux élus : les mêmes causes pro­dui­ront logi­que­ment les mêmes effets.

=> Si tu ne t’en prends pas aux éter­nelles causes, tu nous condamnes aux éter­nelles consé­quences. ÉC.]

[RMJ :

Quant au conte­nu sou­hai­table d’une Consti­tu­tion nou­velle, je laisse à cha­cun le soin d’en débattre. Je me conten­te­rai de rap­pe­ler que toute Consti­tu­tion, pour répondre aux attentes com­munes, doit non seule­ment pré­voir mais garan­tir une véri­table sépa­ra­tion des pou­voirs ain­si que l’autonomie et l’autorité d’institutions comme le Conseil Consti­tu­tion­nel, le Conseil d’État, la Cour des Comptes, le Conseil Supé­rieur de la Magis­tra­ture, le Conseil Supé­rieur de l’Audiovisuel, etc.). J’ajoute deux idées qui me sont chères : à tous les niveaux, des assem­blées et des exé­cu­tifs consti­tués à la pro­por­tion­nelle ; à tous les niveaux des ins­tances citoyennes d’interpellation et de pro­po­si­tion où se pra­tique l’ysegoria (j’apprécie la luci­di­té du com­men­taire qui convient que « la capa­ci­té d’écouter les uns les autres n’est pas une spé­cia­li­té française« ).]

[ÉC (56) : tout ça est bel et bon, mais par­fai­te­ment théo­rique si on ne se pré­oc­cupe pas sérieu­se­ment des condi­tions de fai­sa­bi­li­té de l’é­cri­ture de telles règles.

L’im­por­tant, c’est qui écrit la Consti­tu­tion ; et pas du tout qui la vote.

PS : acces­soi­re­ment, tu as oublié de par­ler des sta­tis­tiques, des son­dages, de la mon­naie, du réfé­ren­dum d’i­ni­tia­tive popu­laire (en toutes matières) et du vote pré­fé­ren­tiel (droit de bar­rer des noms ou d’en ajou­ter d’im­pré­vus dans les listes élec­to­rales). ÉC.]

[RMJ :

8. Je rap­pelle briè­ve­ment les trois axes que j’ai pro­po­sés pour une réforme du suf­frage uni­ver­sel que j’estime indis­pen­sable : le pas­sage au mode de scru­tin pro­por­tion­nel avec les méca­nismes qui empêchent l’instabilité gou­ver­ne­men­tale, l’éradication de toutes les pra­tiques qui contri­buent à trans­for­mer le man­dat en métier, une réforme des ins­ti­tu­tions qui sup­prime le pré­si­den­tia­lisme natio­nal, régio­nal, dépar­te­men­tal et local et favo­rise la col­lé­gia­li­té des choix.

Je vou­drais ajou­ter que j’adhère au prin­cipe du vote obli­ga­toire avec prise en compte des votes blancs dans le cal­cul des résul­tats. On ne peut pas récla­mer la démo­cra­tie et s’en abs­te­nir. Mais il faut per­mettre l’expression de l’insatisfaction face aux choix pro­po­sés et sa prise en compte.]

[ÉC (57) : Tout à fait d’accord.

Mais jamais un homme de par­ti n’é­cri­ra lui-même la règle qui per­met­tra au peuple de l’é­li­mi­ner du jeu poli­tique. Le mépris du vote blanc (vote de pro­tes­ta­tion expli­cite, mélan­gé avec les nuls, même pas décomp­té !) est un aveu (un de plus) du mépris des élus pour le peuple qu’ils pré­tendent représenter.

Nous n’a­vons pas de Consti­tu­tion, Raoul : c’est une fausse consti­tu­tion, elle ne nous pro­tège aucunement.

L’ex­pli­ca­tion (et la solu­tion, en creux), c’est qu’il ne fal­lait pas que ce soit eux qui l’é­crivent. ÉC.]

[RMJ :

J’ai par­ti­ci­pé il y a quelques temps à des débats sur ces ques­tions. Outre les pro­po­si­tions que je reprends à mon compte, j’ai obser­vé de fortes attentes en ce qui concerne le man­dat impé­ra­tif et la révo­ca­bi­li­té des élus. Ce sont d’autres pistes qu’il faut explo­rer, dont il faut ana­ly­ser les avan­tages et les incon­vé­nients. Ce sont des pistes que le tirage au sort éli­mine d’emblée. Il y a inca­pa­ci­té abso­lue à don­ner man­dat à un incon­nu, comme à le révo­quer de manière moti­vée, c’est-à-dire en dehors de pra­tiques arbitraires.]

[ÉC (58) : Le tirage au sort, loin d’é­li­mi­ner d’emblée ces pistes, les rend pos­sibles en réa­li­té (pas en mythe). Revois les ins­ti­tu­tions athé­niennes : les repré­sen­tants tirés au sort ren­daient des comptes (la red­di­tion des comptes pou­vait durer un an !) et ils étaient révo­cables (et punis­sables) à tout moment.

L’in­ca­pa­ci­té abso­lue dont tu parles est dans ta tête, pas dans les faits.

Quant à l’ar­bi­traire, tou­jours haïs­sable, il est PARTOUT dans le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif : pour les riches (affaire TAPIE, niches fis­cales, non lieu…) ou contre les pauvres (Trai­té de Lis­bonne cra­chat au visage des élec­teurs du 29 mai 2005, trom­pés une fois de plus par le faux suf­frage universel).

Alors, en matière d’ar­bi­traire aus­si, bien que tout ne sera sûre­ment pas par­fait, évi­dem­ment, il sera dif­fi­cile pour une vraie démo­cra­tie de faire pire que le gou­ver­ne­ment représentatif.

Donc, oui : des citoyens de plus en plus nom­breux, assez indi­gnés des outrances de la caste poli­ti­cienne cor­rom­pue et gavée de pri­vi­lèges hon­teux, vou­draient bien essayer la démo­cra­tie, la vraie, pour voir.

On peut ?

Ou bien nous faut-il, pour essayer la vraie démo­cra­tie, l’au­to­ri­sa­tion des élus et des can­di­dats ? ÉC.]

[RMJ :

9. Pour ter­mi­ner, je vou­drais abor­der une ques­tion fon­da­men­tale à mes yeux : pour­quoi les démo­crates ont-ils lais­sé se dévoyer la démo­cra­tie et pour­quoi ceux de gauche y ont-ils mis la main eux-mêmes ? La démo­cra­tie n’est-elle pas d’abord et avant tout l’espace d’une confron­ta­tion, paci­fique mais réelle, entre des objec­tifs et des inté­rêts contraires ? Il y a une oppo­si­tion per­ma­nente entre ceux qui défendent les inté­rêts du plus grand nombre et ceux qui défendent ceux d’une mino­ri­té, entre ceux qui ne vivent que de leur tra­vail et ceux qui vivent du tra­vail des autres. Cette confron­ta­tion n’est ni ancienne, ni moderne. Elle est éternelle.]

[ÉC (59) : Est-ce que tu peux conce­voir, ne serait-ce qu’une minute, en essayant quelques ins­tants pour me faire plai­sir, est-ce que tu peux conce­voir que nous n’a­vons encore jamais connu de démo­cra­tie digne de ce nom ?

Alors, il fau­drait refor­mu­ler ta ques­tion, non ?

Je te laisse faire. ÉC.]

[RMJ :

La démo­cra­tie ne décline-t-elle pas dès lors que cette confron­ta­tion s’efface au nom d’un consen­sus invo­qué tan­tôt sous la pres­sion des cir­cons­tances, tan­tôt par aban­don et renie­ment ? Y aurait-il une union des contraires indis­pen­sable ? Ain­si, je par­tage cette idée que l’origine de l’effacement du mou­ve­ment socia­liste comme mou­ve­ment por­teur des inté­rêts du plus grand nombre remonte à 1914, quand, aus­si bien en France qu’en Alle­magne, refu­sant de suivre Jean Jau­rès et Rosa Luxem­burg, les socia­listes, Jules Guesde en tête, ont renon­cé à l’internationalisme pro­lé­ta­rien et, au nom de « l’union sacrée », ont pac­ti­sé avec la bour­geoi­sie pour entrer dans une guerre qu’elle a vou­lue. Depuis lors, les renie­ments ont suc­cé­dé aux renie­ments : refus d’appliquer la loi de 1905 en Alsace-Moselle, conces­sions du car­tel des gauches, puis du Front popu­laire à la banque de France et au Comi­té des Forges, aban­don de la Répu­blique espa­gnole, diplo­ma­tie de la patience à l’égard d’Hitler, vote par cer­tains à gauche des pleins pou­voirs à Pétain, sou­tien aux guerres colo­niales d’Indochine et d’Algérie, aban­don de la sou­ve­rai­ne­té popu­laire au pro­fit des oli­gar­chies euro­péennes et inter­na­tio­nales (Banque Mon­diale, FMI, OMC), aban­don du pro­jet de ser­vice public unique et laïc de l’éducation, pri­va­ti­sa­tion des ser­vices publics, adhé­sion à la déré­gu­la­tion finan­cière, à la dic­ta­ture des mar­chés et à la concur­rence de tous contre tous. Comme je l’écrivais dans ma pré­sen­ta­tion, lorsqu’il n’y a plus d’alternative, il n’y a plus de démocratie.]

[ÉC (60) : De mon point de vue, le tableau que tu dresses là, d’un siècle de tur­pi­tudes de plus en plus graves de la part des élus, montre bien que c’est le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif qui est le cœur nucléaire du capi­ta­lisme et des souf­frances popu­laires les plus enra­ci­nées. ÉC.]

[RMJ :

Je me sou­viens que pen­dant des années, après 1958, les médias au ser­vice de l’oligarchie mon­traient la France du doigt, comme le pays d’une guerre civile froide et per­ma­nente parce qu’il y avait une oppo­si­tion appa­rem­ment radi­cale entre la gauche dans l’opposition et la droite au pou­voir. Après, ce fut l’argument du déclin parce que des résis­tances se mani­fes­taient contre le déman­tè­le­ment des acquis démo­cra­tiques et sociaux. Aujourd’hui, le socia­lisme qui pré­tend gou­ver­ner est un socia­lisme d’accompagnement du sys­tème. Un can­di­dat aux pri­maires chez les Verts dit qu’il faut « arrê­ter d’opposer les riches et les pauvres » ; l’éternel dis­cours des pos­sé­dants ! Ce refus d’un choix clair, d’une vraie alter­na­tive, non seule­ment, ne fait pas rêver, mais pire, il fait fuir. Fuir la démocratie.]

[ÉC (61) : Tara­ta­ta : ce qu’on fuit, c’est le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, pas la démo­cra­tie. Tu mélanges tout.

Ce qu’on veut, et qu’on n’a jamais connu, de près ou de loin, c’est la démocratie.

En appe­lant démo­cra­tie son strict contraire, tu nous empêches (invo­lon­tai­re­ment bien sûr) d’i­den­ti­fier notre mal poli­tique, tu nous empêches de for­mu­ler des alter­na­tives, du fait de la confu­sion sur les termes.

Un pro­blème bien for­mu­lé est à moi­tié réglé ; je pro­pose donc de com­men­cer par le com­men­ce­ment et de défi­nir cor­rec­te­ment le mot démocratie.
Il faut appe­ler un chat un chat. ÉC.]

[RMJ :

Telles sont les réflexions que m’ont ins­pi­ré les nom­breux com­men­taires à un papier dont je ne m’attendais vrai­ment pas à ce qu’il sus­cite un tel débat.

Bien cor­dia­le­ment,]

[ÉC (62) : Il est par­fois rugueux, notre échange, mais je sais que tu es un homme géné­reux et intel­li­gent : je sais que tu sau­ras me convaincre patiem­ment, ou plu­tôt te ran­ger à mes argu­ments, selon le cas, ON VERRA : mais tout ça se fera dans le res­pect mutuel, j’en suis sûr.

Avec toute mon amitié.

Étienne. ÉC.]

http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​t​i​r​a​g​e​_​a​u​_​s​o​r​t​.​php
Source


Voi­ci main­te­nant mes réponses point par point à la TROISIÈME billet de Raoul (source) :

Bon­soir à tous,

Encore une tren­taine d’heures à bos­ser sur le choix de socié­té essentiel :
« gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif ou démo­cra­tie ? Qui peut choi­sir ? Les élus ? Ou le peuple lui-même ? »

Ce com­men­taire sera lisible sur le blog de Raoul, quand il aura pas­sé le cap de la modé­ra­tion, à cette adresse :
http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​1​9​7​5​&​c​p​a​g​e​=​1​#​c​o​m​m​e​n​t​-​3​120.

Bonne lec­ture.

Étienne.

 

Réponse au TROISIÈME article de Raoul Marc Jennar
sur le tirage au sort (23 juillet 2011) :
http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​2​042

(Je glisse mes com­men­taires en bleu dans le texte de Raoul cité en ita­liques pour mieux com­prendre leur contexte.)

[RMJ :
Le tirage au sort, une chi­mère : réponses ultimes :http://​www​.jen​nar​.fr/​?​p​=​2​042

Je dis­pose enfin d’un peu de temps pour four­nir mes com­men­taires aux mul­tiples opi­nions qui ont sui­vi mon texte de pré­sen­ta­tion. Je ne revien­drai pas sur la forme sen­ten­cieuse et par­fois gros­sière de cer­taines réac­tions. De tels échanges sont cepen­dant très révé­la­teurs des dif­fi­cul­tés qu’on ren­contre, en France, pour conduire un débat dans la séré­ni­té et le res­pect des inter­lo­cu­teurs. Le désir légi­time de convaincre ne peut faire oublier que nous ne sommes déten­teurs que d’opinions et non de véri­tés absolues.

Je ne pré­tends pas répondre à la cen­taine de pages que repré­sentent les com­men­taires à mon texte ini­tial. Je repren­drai ici quelques argu­ments qui m’ont été oppo­sés. Sans répé­ter ce que j’ai déjà écrit à la fois dans le texte de pré­sen­ta­tion et dans mes réponses pré­cé­dentes. Je pos­tule que l’honnêteté intel­lec­tuelle de mes contra­dic­teurs les condui­ra natu­rel­le­ment à se sou­ve­nir de mes objec­tions et de mes propositions.

Je vou­drais, avant toute chose, faire une mise au point. Samuel Schwei­kert m’a fait le reproche d’une « ana­lyse par­cel­laire »et « super­fi­cielle », « dog­ma­tique », et de « jeter en pâture des ques­tions à un lec­teur qui poten­tiel­le­ment n’est pas armé intel­lec­tuel­le­ment », allant jusqu’à me com­pa­rer à l’occupant de l’Élysée, ce qui, beau­coup en convien­dront, n’est pas un com­pli­ment. Mais c’est loin d’être le seul pro­pos déso­bli­geant dont son argu­men­ta­tion, appa­rem­ment rigou­reuse, est émaillée. A cha­cun sa manière de débattre. Comme je l’ai déjà indi­qué, André Bel­lon m’a deman­dé mon opi­nion sur la ques­tion du tirage au sort et je l’ai four­nie. Je n’ai pas eu le sen­ti­ment que j’avais à four­nir une étude exhaus­tive sur les moyens de rendre le pou­voir au peuple. J’étais en quelque sorte inter­ro­gé sur une ques­tion ; j’y ai répon­du. Je n’avais pas, de la sélec­tion que repré­sentent les abon­nés de ce site, l’image d’un lec­to­rat désar­mé intel­lec­tuel­le­ment, mais au contraire je me suis expri­mé avec le sen­ti­ment de m’adresser à des gens par­ta­geant plus ou moins les mêmes connais­sances, les mêmes valeurs et les mêmes objec­tifs, les diver­gences se situant au niveau des moyens à mettre en œuvre. Le débat que mon point de vue sus­cite a pris une telle ampleur que force m’est de pré­ci­ser ma pen­sée. Je veux quand même signa­ler, au pas­sage, que mon inter­lo­cu­teur, à plu­sieurs reprises, a indi­qué que « son but n’est pas de faire le tour du sujet » et « qu’il ne pré­tend pas, bien sûr, faire le tour de la ques­tion ». Il en allait de même pour moi, mais cela m’a valu de sa part un tom­be­reau de mises en accu­sa­tion. Passons.

Venons-en à l’accusation de dog­ma­tisme. Je serais dog­ma­tique parce que je pré­fère des réformes afin que le suf­frage uni­ver­sel ne soit plus dévoyé et que la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive rem­plisse sa fonc­tion : expri­mer la volon­té majo­ri­taire du peuple. Soit.

Mais que dire alors des for­mules sui­vantes que je lis chez mes contra­dic­teurs ? On lit une suc­ces­sion d’affirmations qui sans doute décrivent la situa­tion actuelle. Mais elles servent sur­tout à jus­ti­fier l’abandon du suf­frage uni­ver­sel et la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive (même si Etienne Chouard s’en défend, tout en fai­sant le pro­cès le plus outran­cier qui soit de l’un et de l’autre).]

[ÉC (1) :
• Sur la pré­ten­due « outrance », j’ai répon­du en détail  (cher­cher le mot outrance).

• Sur l’a­ban­don de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive, j’en ai par­lé par­tout : je vais for­te­ment tem­pé­rer mon pro­pos un peu plus loin, mais je veux dire d’a­bord que, EFFECTIVEMENT, je n’ai pas honte de cher­cher à m’é­man­ci­per d’une escro­que­rie poli­tique que je consi­dère comme majeure : « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive » est, selon la logique la plus élé­men­taire, un oxy­more gros­sier, une vio­lente contra­dic­tion dans les termes, une vieille mais vivante for­fai­ture d’une classe de pri­vi­lé­giés « élus » contre le peuple et l’in­té­rêt géné­ral, une tri­che­rie per­çue aujourd’­hui par presque tout le monde et dénon­cée par les plus cou­ra­geux depuis des décen­nies, sauf par la classe poli­tique elle-même, évidemment.

Je repro­dui­rai dans des com­men­taires ulté­rieurs un texte inté­res­sant de Ber­trand Car­ré de Mal­berg (qui est un exemple aca­dé­mique de modé­ra­tion et de rigueur intel­lec­tuelle) qui montre que la cri­tique acerbe et très puis­sam­ment docu­men­tée des mul­tiples et gra­vis­simes abus de pou­voir par­le­men­taires ne date pas d’hier.

Pour ma part, ce sont TOUS les abus de pou­voir que je dénonce et cherche à évi­ter : PAS SEULEMENT ceux des par­le­men­taires, MAIS AUSSI ceux des par­le­men­taires, évidemment.

Autre­ment dit, je ne suis pas du tout anti­par­le­men­taire : je suis « anti-abus-de-pou­voir ». Alors effec­ti­ve­ment, oui, s’il y en a, ici ou ailleurs, qui défendent les abus de pou­voir (fussent-il d’o­ri­gine par­le­men­taire), je leur résis­te­rai du mieux que je le peux ; mais ça ne fait pas de moi, que je sache, un délin­quant poli­tique (d’ex­trême-ceci ou d’extrême-cela)…

• Sur l’ac­cu­sa­tion répé­ti­tive —et men­son­gère— de pro­jet d’  »ABANDON DU SUFFRAGE UNIVERSEL » (accu­sa­tion qui est une véri­table calom­nie, à fronts ren­ver­sés même, quand elle pro­vient de par­ti­sans d’un droit de suf­frage muti­lé, atro­phié, ampu­té, rabou­gri, meur­tri, flé­tri), sur cette accu­sa­tion extra­va­gante, donc, j’ai expli­qué , et sur­tout , mais aus­si  et  et  (un cer­tain nombre de fois, donc), qu’en cher­chant à DESTITUER UN FAUX suf­frage uni­ver­sel pour INSTITUER UN VRAI suf­frage uni­ver­sel, je sou­tiens une thèse par­fai­te­ment défen­dable sans rou­gir, quelle que soit la vio­lence de l’a­na­thème qu’on lui oppose pour défendre le loup « gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif » mal dis­si­mu­lé sous une peau de mou­ton éti­que­tée « démo­cra­tie ». ÉC]

[RMJ :
Par contre, on ne trouve nulle part la démons­tra­tion que des réformes – dont j’ai indi­qué quelques pistes – ren­draient ces affir­ma­tions sans fon­de­ment. Où est le dogmatisme ?]

[ÉC (2) :
Cette démons­tra­tion — très étayée — est dis­po­nible  et . ÉC.]

[RMJ :
Repre­nons ces appré­cia­tions définitives.

a) Pre­mier dogme : l’expression « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive est un oxy­more ». Certes, en l’état actuel, dans la plu­part des pays qua­li­fiés de démo­cra­tiques, et je n’ai pas man­qué de le sou­li­gner (même si Samuel Schwei­kert « oublie » de le rele­ver), il y a une crise grave de la repré­sen­ta­tion, du prin­cipe même de la délé­ga­tion. Mais qua­li­fier cette expres­sion de la sorte signi­fie condam­ner toute forme de délé­ga­tion comme étant contraire à la démo­cra­tie. C’est consi­dé­rer que seule la démo­cra­tie directe répond à l’exigence démo­cra­tique. C’est éva­cuer les pro­blèmes concrets que pose­rait une telle concep­tion de la démo­cra­tie dès l’instant où les ques­tions à régler ou à gérer ne peuvent l’être qu’à des niveaux où la démo­cra­tie directe est impra­ti­cable.]

[ÉC (3) :
Effec­ti­ve­ment, après tant d’é­checs élec­to­raux et de tra­hi­sons par­le­men­taires, il est ten­tant de consi­dé­rer que seule la démo­cra­tie directe répond à l’exigence démo­cra­tique. C’est ten­tant et ce n’est pas absurde du tout. C’est même rigou­reu­se­ment LOGIQUE et LÉGITIME. À mon avis, il va être dif­fi­cile de cri­mi­na­li­ser la belle aspi­ra­tion citoyenne ADULTE à la démo­cra­tie directe, sans pas­ser soi-même pour un tyranneau.

On peut au moins en par­ler, non ?
Ou bien c’est car­ré­ment interdit ?

Cepen­dant, il est clair que, avant d’ins­ti­tuer une démo­cra­tie digne de ce nom, des tas de pistes res­tent à fouiller pour amé­lio­rer le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif (conçu à la base, dès l’o­ri­gine et de façon renou­ve­lée depuis, comme un régime anti­dé­mo­cra­tique, il est impor­tant de s’en souvenir).

On peut donc gran­de­ment AMÉLIORER LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF, je le sais bien, moi qui tra­vaille là-des­sus jour et nuit depuis des années ; il suf­fit de consul­ter mon FORUM pour s’en assu­rer : http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​f​o​r​um/ : des mil­liers et des mil­liers de pages de réflexions col­lec­tives intenses, point par point, ins­ti­tu­tion par ins­ti­tu­tion, organe par organe, contrôle par contrôle, pour amen­der le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, en pro­té­geant au mieux les citoyens, tous les citoyens, contre les abus de pou­voirs, tous les abus de pou­voirs… On aura du mal à me dire que je jette tout à la pou­belle de façon impul­sive et sans réflé­chir… Ce serait assu­ré­ment le plus mau­vais des procès.

Pour ceux que ça inté­resse, j’ai lis­té les points à véri­fier dans une Consti­tu­tion pour véri­fier qu’elle joue bien son rôle de pro­tec­tion des citoyens contre les abus de pou­voir, de mon point de vue. Cette liste est dis­po­nible ici (Grands prin­cipes d’une bonne consti­tu­tion, tableau réca­pi­tu­la­tif à la fin) et là (com­pa­rai­son de pro­jets consti­tuants) :

Pour que devienne ver­tueux le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif (très mal emman­ché mais amen­dable), voi­ci les points impor­tants que des citoyens actifs et vigi­lants, selon moi, feraient mieux de sur­veiller atten­ti­ve­ment, dans toute Constitution :

• Res­pect du vote blanc
• Réfé­ren­dum d’i­ni­tia­tive popu­laire législatif
• Réfé­ren­dum d’i­ni­tia­tive popu­laire abrogatoire
• Réfé­ren­dum d’i­ni­tia­tive popu­laire révocatoire
• Réfé­ren­dum d’i­ni­tia­tive popu­laire constituant
• Inter­dic­tion du cumul des mandats
• Limi­ta­tion du renou­vel­le­ment des mandats
• Res­pon­sa­bi­li­té des juges pour leurs fautes
• Res­pon­sa­bi­li­té des acteurs politiques
• Mode de scru­tin juste pour l’as­sem­blée nationale
• Orga­ni­sa­tion démo­cra­tique de la deuxième chambre
• « Consti­tu­tion­na­li­sa­tion du mode de scru­tin (pour le mettre hors de por­tée des par­le­men­taires, juges et parties) »
• Réfé­ren­dum obli­ga­toire pour toute révi­sion de la Constitution
• Contrôle public de la télévision
• Pro­tec­tion de la parole don­née aux mou­ve­ments sociaux dans les médias de masse
• « Contrôle public des oli­go­poles (éner­gie, com­mu­ni­ca­tion, san­té, transports…) »
• Pro­tec­tion et énu­mé­ra­tion des ser­vices publics
• Contrôle public de la créa­tion moné­taire et des banques
• Modes d’ex­pres­sion des ini­tia­tives populaires
• Force supé­rieure du Pré­am­bule sur toute autre règle
• Force supé­rieure de la Consti­tu­tion sur les traités
• Pas de Pré­sident de la Répu­blique « roi républicain »
• Indé­pen­dance et contrôle citoyen du Conseil Constitutionnel
• DÉSINTÉRESSEMENT des consti­tuants aux fonc­tions qu’ils ins­ti­tuent eux-mêmes (tirage au sort et inéligibilité)
• Contre pou­voir au Gouvernement
• Contre pou­voir au Parlement
• Contre pou­voir aux juges
• Contre pou­voir au CSA
• Pou­voirs impor­tants de la Cour des Comptes
• Arbi­trages popu­laires en cas de conflits entre organes
• Consti­tu­tion­na­li­sa­tion du droit à l’In­ter­net gra­tuit et de la consul­ta­tion sys­té­ma­tique des citoyens pour une réelle recherche de la volon­té générale
• Réfé­ren­dum avant toute natio­na­li­sa­tion ou pri­va­ti­sa­tion d’importance
• Par­ti­ci­pa­tion des sala­riés à la ges­tion des entre­prises et droit de veto contre les fusions et ventes inutiles.
• Laï­ci­té for­te­ment pro­cla­mée et concrè­te­ment défendue

Il y a même un pan entier de mon site qui nous per­met d’écrire ensemble, en tech­no­lo­gie col­la­bo­ra­tive wiki, un exemple de Consti­tu­tion d’o­ri­gine citoyenne : c’est là (pré­sen­ta­tion géné­rale), et notam­ment là (pro­po­si­tion de Consti­tu­tion natio­nale) et là (pro­po­si­tion de sta­tut pour un par­ti démo­cra­tique c’est-à-dire sans chefs et sans pro­gramme impo­sé à l’a­vance).

Comme cha­cun peut le consta­ter, je n’ai pas encore jeté aux orties notre gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, et je n’ai pas du tout « renon­cé à le réfor­mer sous pré­texte qu’il ne cor­res­pon­dait pas exac­te­ment à mes rêves » (sic).

Ceci dit, mal­gré tout ce maté­riel accu­mu­lé sur les réformes utiles et néces­saires du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif — où on retrou­ve­ra d’ailleurs presque toutes les pro­po­si­tions de réforme de Raoul (preuve que nous ne sommes pas aus­si éloi­gnés l’un de l’autre que ce que le début de cette contro­verse peut avoir lais­sé croire), mal­gré tout ce tra­vail de pro­po­si­tion construc­tive, donc, je suis convain­cu que RIEN DE TOUT CELA NE SERA JAMAIS INSTITUÉ TANT QUE CE SONT DES HOMMES DE PARTIS QUI ÉCRIRONT LA CONSTITUTION, du fait de leur INTÉRÊT PERSONNEL abso­lu­ment contraire aux limites, contrôles et sanc­tions utiles à l’in­té­rêt général.

D’où ma pro­po­si­tion qui fait grim­per aux rideaux les amis des élus du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif : TIRER AU SORT **AU MOINS** L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL qui ne doivent sur­tout pas être com­po­sés —ni l’un, ni l’autre— de membres en situa­tion de conflit d’intérêts.

Le reste (la part de démo­cra­tie directe que l’As­sem­blée consti­tuante met­tra ou pas dans les nou­velles ins­ti­tu­tions), ça me paraît secon­daire (ça n’est pas encore d’ac­tua­li­té) : on ver­ra bien ce qu’une chambre impar­tiale déci­de­ra après en avoir mûre­ment délibéré.

J’ai mon idée là-des­sus (selon moi, une chambre ain­si dési­gnée ins­ti­tue­ra à coup sûr —sim­ple­ment par le fait déci­sif qu’elle n’é­crit pas des règles pour elle-même— la pre­mière démo­cra­tie au monde, impar­faite bien sûr, mais cent fois meilleure que toutes les consti­tu­tions connues à ce jour), mais je peux me trom­per et il est pro­ba­ble­ment trop tôt pour s’empailler sur le conte­nu de notre pro­chaine Constitution.

L’URGENCE AUJOURD’HUI, C’EST DE DÉCIDER ENSEMBLE COMMENT ON VA COMPOSER L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE => ÉLUE —ET TOUT EST PERDU— OU TIRÉE AU SORT —ET ON S’EN SORT ?

Est-ce que les hommes poli­tiques de ce pays sont assez ver­tueux, est-ce qu’ils ont un sens de l’hon­neur suf­fi­sam­ment fort pour dire eux-mêmes : « OK, j’as­pire à exer­cer un jour le pou­voir et par consé­quent, je com­prends qu’il est essen­tiel que je n’é­crive pas moi-même la pro­chaine Consti­tu­tion, celle qui va pré­voir les limites de mon propre pou­voir : je com­prends que ce n’est sur­tout pas à moi d’é­crire la Consti­tu­tion parce que J’AURAIS ÉVIDEMMENT HONTE d’être en situa­tion aus­si criante de CONFLIT D’INTÉRÊTS » ?

Les hommes poli­tiques de ce pays seront-ils assez grands, assez hon­nêtes, assez sin­cè­re­ment sou­cieux du bien com­mun (comme l’au­rait été Robes­pierre), pour dire cela publi­que­ment, don­ner l’exemple, et s’y tenir ?

Je ne sais pas.

Mais en tout état de cause, qui peut sérieu­se­ment voir dans mes pro­jets une « menace d’un enne­mi de la démo­cra­tie » ? ÉC.]

[RMJ :
Je suis ori­gi­naire d’un pays où la démo­cra­tie com­mu­nale est bien plus avan­cée qu’en France, où l’équivalent du maire n’est pas le des­pote qu’on observe en France. Et je par­tage la convic­tion qu’on peut aller plus loin encore dans le sens indi­qué par la contri­bu­tion de Sitouaillain : « une réunion pérenne des citoyens d’un même ter­ri­toire en vue de pro­duire des choix col­lec­tifs les concer­nant ». Mais ce serait se voi­ler la face que de réduire les choix néces­saires à la dimen­sion communale.

J’ai cher­ché en vain, en dehors de for­mule géné­rales et vagues, les moda­li­tés pra­tiques d’une démo­cra­tie directe lorsqu’on se trouve confron­té à des ques­tions qui néces­sitent des réponses rapides ou un trai­te­ment constant, au niveau natio­nal ou au niveau inter­na­tio­nal. Dans le monde concret de 2011, où se posent de graves pro­blèmes liés à l’exploitation de ceux qui vivent de leur tra­vail par ceux qui vivent du tra­vail des autres, où les nui­sances qui affectent la bio­di­ver­si­té et la san­té de toutes les formes de vivant sont trai­tées comme négli­geables par un sys­tème gui­dé par la seule recherche du pro­fit, où les centres de déci­sions sont en capa­ci­té de se sous­traire à la sou­ve­rai­ne­té popu­laire, com­ment ins­tau­rer la démo­cra­tie directe aux niveaux pertinents ? ]

[ÉC (4) :
Dans le monde concret de 2011, OÙ LES PERSONNES PHYSIQUES ONT BESOIN D’UN DROIT PROTECTEUR CONTRE LES PERSONNES MORALES (ET PAS L’INVERSE !), aus­si bien en termes de droit social que de droit envi­ron­ne­men­tal ou com­mer­cial, une Assem­blée de simples citoyens — ama­teurs plus dif­fi­ciles à cor­rompre, faute de dette envers des Par­rains — écri­rait des règles bien plus conformes à l’in­té­rêt géné­ral qu’une Assem­blée de poli­ti­ciens pro­fes­sion­nels ayant vita­le­ment besoin pour être (ré)élus de l’argent des entre­prises qui exercent sur eux une pres­sion quo­ti­dienne pen­dant des années pour faire écrire le droit injuste dont elles ont besoin.

Par ailleurs, dans le monde concret de 2011, UNE ASSEMBLÉE COMPOSÉE —par le jeu incor­rup­tible de la loi des grands nombres (qui découle du hasard)— DE PLUS DE 90% DE SALARIÉS ne lais­se­rait jamais détruire un modèle social pro­tec­teur, comme le détruisent actuel­le­ment à tra­vers le monde entier toutes les Assem­blées de pro­fes­sion­nels poli­tiques au ser­vice des richis­simes RENTIERS qui ont favo­ri­sé leur élection.

Dans le monde concret de 2011, la DÉMOCRATIE DIRECTE per­met­trait de lut­ter enfin effi­ca­ce­ment CONTRE LA CORRUPTION, en pri­vant les plus riches de l’ou­til for­mi­dable d’as­ser­vis­se­ment poli­tique qu’est LA DETTE. Le résul­tat serait une légis­la­tion plus favo­rable au plus grand nombre, moins favo­rable aux quelques pri­vi­lé­giés déjà très bien lotis, dans tous les domaines.

Tu montes en épingle le besoin de « réponses rapides » (que serait inca­pable de don­ner une Assem­blée de citoyens) : on ne voit pas pour­quoi il fau­drait aller si vite qu’on devrait perdre le contrôle étroit sur les déci­sions com­munes. ÉC.]

[RMJ :
En par­ti­cu­lier quand les réponses aux défis qui nous assaillent ne peuvent plus être réglées aujourd’hui au seul niveau natio­nal. Un exemple : concrè­te­ment, com­ment régler par la démo­cra­tie directe des pro­blèmes qui affectent des peuples de natio­na­li­té dif­fé­rente ? Soyons plus pré­cis encore : com­ment régler le pro­blème qui oppose le peuple fran­çais sup­po­sé hos­tile aux para­dis fis­caux (une pra­tique qui faci­lite l’évasion des capi­taux lorsque des poli­tiques sociales se mettent en place dans un pays – ex 1981) aux peuples (à Andorre, au Lich­ten­stein, au Luxem­bourg, à Mona­co, voire en Bel­gique) qui tirent de ce sta­tut une par­tie de leur pros­pé­ri­té ? Com­ment, par la démo­cra­tie directe, conci­lier les droits légi­times des peuples lorsque leurs inté­rêts légi­times sont contradictoires ? ]

[ÉC (5) :
Quoi ? C’est ça, le pro­blème ? Tu es en train de nous api­toyer sur les pauvres peuples des para­dis fis­caux ? Je rêve, je me frotte les yeux… Je ne vois rien qui puisse jus­ti­fier la catas­trophe poli­tique que repré­sente la concur­rence fis­cale déloyale. Tu n’as pas d’autres idées, pour assu­rer la pros­pé­ri­té de ces peuples, que de pré­ser­ver leur sta­tut de para­dis fiscal ?…

Non, une Assem­blée de citoyens peut très bien, au niveau natio­nal, inter­dire pure­ment et sim­ple­ment toute tran­sac­tion com­mer­ciale ou finan­cière avec les pays tri­cheurs qui détruisent ain­si les modèles sociaux des autres pays par la fraude fis­cale. Ces lois pro­tec­trices élé­men­taires ne pré­sentent aucune espèce de dif­fi­cul­té dès lors que l’As­sem­blée est com­po­sée de membres qui ne doivent rien aux mil­liar­daires qui pro­fitent des para­dis fis­caux. Enfin ! On pour­ra prendre des déci­sions conformes à l’in­té­rêt géné­ral en la matière, ce qu’au­cune Assem­blée élue (donc ser­vile aux riches) n’est capable de faire aujourd’­hui. ÉC.]

[RMJ :
Com­ment, par la démo­cra­tie directe, régler des pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux – à moins de se voi­ler la face et de décré­ter qu’ils n’existent pas – qui sont par nature trans­na­tio­naux ?]

[ÉC (6) :
Tu exa­gères la dif­fi­cul­té : il y a mille mesures très utiles à prendre au niveau local et natio­nal pour pré­ser­ver l’environnement.
Encore faut-il que les dépu­tés et les ministres ne soient pas cul et che­mise avec les plus gros pollueurs.
TOUT EST LÀ
 (c’est bien la cause des causes). ÉC.]

[RMJ :
Le silence de ceux qui refusent de réfor­mer la démo­cra­tie représentative ]

[ÉC (7) :
De qui parles-tu, là ? ÉC.]

[RMJ :
… pour qu’elle puisse enfin être la voix du peuple est assour­dis­sant sur la stra­té­gie à adop­ter pour la mise en place d’une démo­cra­tie directe en capa­ci­té de résoudre des pro­blèmes qui ont une dimen­sion natio­nale, conti­nen­tale, voire inter­na­tio­nale. A moins qu’on se contente de faire rêver avec des « il n’y a qu’à ». ]

[ÉC (8) :
bla bla bla…

Cha­cun son « Il n’y a qu’à », si tu y prêtes attention… 😉

• « Il n’y a qu’à réfor­mer la démo­cra­tie représentative »

n’a rien à envier à

• « Il n’y a qu’à ins­ti­tuer une démo­cra­tie digne de ce nom ». ÉC.]

[RMJ :
b) Deuxième dogme : un régime fon­dé sur le suf­frage uni­ver­sel engendre un flux d’informations asy­mé­triques. Ici encore, il s’agit d’une affir­ma­tion qui se limite à un constat par­tiel et par­tial sans envi­sa­ger des remèdes pos­sibles dans le cadre du suf­frage uni­ver­sel. L’émergence de flux d’informations alter­na­tives four­nit d’ailleurs un démen­ti à cette affir­ma­tion. En quoi un régime fon­dé sur le tirage au sort garan­ti­rait-il des flux d’informations contra­dic­toires, des jour­naux dif­fé­rents, des manuels sco­laires dif­fé­rents ? Cela n’est démon­tré nulle part. ]

[ÉC (9) :
LE TIRAGE AU SORT ENTRAVE LA CORRUPTION,
ALORS QUE L’ÉLECTION STIMULE LA CORRUPTION,
MÉCANIQUEMENT.
Une myriade de consé­quences logiques s’en­suivent LOGIQUEMENT.

Pour­tant tu réclames quand même une démons­tra­tion (impos­sible sans essayer) avant même qu’on puisse essayer… ÉC.]

[RMJ :
Quelle garan­tie aurions-nous en tirant au sort les déci­deurs qu’ils échap­pe­raient aux tra­vers qui carac­té­risent aujourd’hui un cer­tain nombre d’élus ? Par quelle magie, dans l’exercice de la délé­ga­tion, des citoyens répu­tés cor­rup­tibles quand ils sont choi­sis par le suf­frage uni­ver­sel devien­draient-ils incor­rup­tibles quand ils sont choi­sis par le tirage au sort ? En quoi le mode de sélec­tion trans­for­me­rait-il la nature humaine et les inté­rêts qui opposent les uns aux autres ? Certes, on pour­rait tou­jours les récu­ser. Com­ment ? Com­bien de fois ? À quelle échelle ? Ne retrouve-t-on pas, avec des déci­deurs tirés au sort les mêmes ques­tions que posent aujourd’hui la repré­sen­ta­tion issue du suf­frage universel ?]

[ÉC (10) :
Tu veux DES GARANTIES ?
Je te pro­pose notre RAISONNEMENT ; la « magie » de la LOGIQUE, quand elle est rigoureuse :

A – D’a­bord, de quels VICES INTRINSÈQUES souffre L’ÉLECTION ?

• L’élection pousse au men­songe les repré­sen­tants : d’abord pour accé­der au pou­voir, puis pour le conser­ver, car les can­di­dats ne peuvent être élus, puis réélus, que si leur image est bonne : cela pousse méca­ni­que­ment à men­tir, sur le futur et sur le passé.

• L’élection pousse à la cor­rup­tion : les élus « spon­so­ri­sés » doivent fata­le­ment « ren­voyer l’ascenseur » à leurs spon­sors, ceux qui ont finan­cé leur cam­pagne élec­to­rale : la cor­rup­tion est donc inévi­table, par l’existence même de la cam­pagne élec­to­rale dont le coût est inac­ces­sible au can­di­dat seul. Le sys­tème de l’élection per­met donc, et même impose, la cor­rup­tion des élus (ce qui arrange sans doute quelques acteurs éco­no­miques fortunés).

Grâce au prin­cipe de la cam­pagne élec­to­rale rui­neuse, nos repré­sen­tants sont à vendre (et nos liber­tés avec).

• L’élection incite au regrou­pe­ment en ligues et sou­met l’action poli­tique à des clans et sur­tout à leurs chefs, avec son cor­tège de tur­pi­tudes liées aux logiques d’appareil et à la quête ultra prio­ri­taire (vitale) du pouvoir.

Les par­tis imposent leurs can­di­dats, ce qui rend nos choix fac­tices. Du fait de la par­ti­ci­pa­tion de groupes poli­tiques à la com­pé­ti­tion élec­to­rale (concur­rence déloyale), l’élection prive la plu­part des indi­vi­dus iso­lés de toute chance de par­ti­ci­per au gou­ver­ne­ment de la Cité et favo­rise donc le dés­in­té­rêt poli­tique (voire le rejet) des citoyens.

• L’élection délègue… et donc dis­pense (éloigne) les citoyens de l’activité poli­tique quo­ti­dienne et favo­rise la for­ma­tion de castes d’élus, pro­fes­sion­nels à vie de la poli­tique, qui s’éloignent de leurs élec­teurs pour fina­le­ment ne plus repré­sen­ter qu’eux-mêmes, trans­for­mant la pro­tec­tion pro­mise par l’élection en muse­lière politique.

• L’élection n’assure que la légi­ti­mi­té des élus, sans garan­tir la jus­tice dis­tri­bu­tive dans la répar­ti­tion des charges : une assem­blée de fonc­tion­naires et de méde­cins ne peut pas appré­hen­der l’intérêt géné­ral comme le ferait une assem­blée tirée au sort.

• Para­doxa­le­ment, l’élection étouffe les résis­tances contre les abus de pou­voir : elle réduit notre pré­cieuse liber­té de parole à un vote épi­so­dique tous les cinq ans, vote tour­men­té par un bipar­tisme de façade qui n’offre que des choix fac­tices. La consigne du « vote utile » est un bâillon poli­tique tout à fait emblématique.

• L’élection sélec­tionne par défi­ni­tion ceux qui semblent « les meilleurs », des citoyens supé­rieurs aux élec­teurs, et renonce ain­si au prin­cipe d’égalité (pour­tant affi­ché par­tout, hypo­cri­te­ment) : l’élection désigne davan­tage des chefs qui recherchent un pou­voir (domi­na­teurs) que des repré­sen­tants qui acceptent un pou­voir (média­teurs, à l’écoute et au ser­vice des citoyens).

Un incon­vé­nient impor­tant de cette élite qu’on laisse impru­dem­ment prendre racine, c’est ce sen­ti­ment de puis­sance qui se déve­loppe chez les élus au point qu’ils finissent par se per­mettre n’importe quoi, jusqu’à même impo­ser leur consti­tu­tion, c’est dire…

• Mal­gré tous ces défauts, —défauts qu’on pour­rait consi­dé­rer, avec beau­coup de bonne volon­té, comme une sorte de « prix à payer pour la com­pé­tence sélec­tion­née »—, l’élection ne donne même PAS les résul­tats escomp­tés et ne porte PAS au pou­voir que des hommes compétents…

• En tout cas, même si on admet que l’objectif de com­pé­tence est atteint, celui de l’honnêteté (res­pect des pro­messes, res­pect de la volon­té des élec­teurs…) semble tota­le­ment à l’abandon.

______________

Et on ne nous a pour­tant jamais offert de débattre et déci­der, direc­te­ment, ce à quoi nous tenons le plus chez nos repré­sen­tants : PRÉFÉRONS-NOUS LA COMPÉTENCE OU L’HONNÊTETÉ ? (En tout cas, on pour­rait nous deman­der notre avis.)

Il a donc un fort goût de super­che­rie dans ce choix de l’élection, choix effec­tué il y a deux cents ans par les élus eux-mêmes, en notre nom mais sans nous, et cen­sé nous garan­tir une for­mi­dable com­pé­tence poli­tique, si rare paraît-il. Si ce sys­tème est « le meilleur », on est fon­dé à se deman­der « pour qui ? »…

Et si on tire LE BILAN DES FAITS après 200 ans d’expérience concrète, avec l’élection, les riches ont TOUJOURS le pou­voir, et les pauvres JAMAIS. Ce sont des faits. Inté­res­sant, non ?

Quel inté­rêt avons-nous aujourd’hui à défendre ce sys­tème de l’élection (tel quel), oubliant que nos aïeux l’ont clai­re­ment repé­ré comme néfaste pour les liber­tés il y a déjà 2 500 ans ?

La démo­cra­tie ori­gi­nelle, il y a 2 500 ans, a été pen­sée, et sur­tout impo­sée direc­te­ment par les citoyens de base sans écrire de théo­rie, pour pro­té­ger le plus grand nombre contre les abus de pouvoir.

Et le tirage au sort maté­ria­lise par­fai­te­ment le pos­tu­lat démo­cra­tique de l’égalité poli­tique, l’isiocratie ; il est même le seul à rendre effec­tives les pro­tec­tions atten­dues des grands prin­cipes démocratiques :

______________

B – D’un autre côté, quelles sont les VERTUS INTRINSÈQUES du TIRAGE AU SORT ?

1. La pro­cé­dure du tirage au sort est IMPARTIALE ET ÉQUITABLE : elle garan­tit une jus­tice dis­tri­bu­tive (consé­quence logique du prin­cipe d’égalité poli­tique affir­mé comme objec­tif cen­tral de la démo­cra­tie), ce que ne fait pas l’é­lec­tion, au contraire.

2. Le tirage au sort EMPÊCHE LA CORRUPTION (il dis­suade même les cor­rup­teurs : il est impos­sible et donc inutile de tri­cher, on évite les intrigues) : ne lais­sant pas de place à la volon­té, ni des uns ni des autres, il n’accorde aucune chance à la trom­pe­rie, à la mani­pu­la­tion des volontés.

3. Le tirage au sort ne crée JAMAIS DE RANCUNES : pas de vani­té d’avoir été choi­si ; pas de res­sen­ti­ment à ne pas avoir été choi­si : il a des ver­tus paci­fiantes pour la Cité, de façon systémique.

4. Tous les par­ti­ci­pants, REPRÉSENTANTS ET REPRÉSENTÉS sont mis sur un réel PIED D’ÉGALITÉ, réel­le­ment et pas fictivement.

5. Le hasard, repro­dui­sant rare­ment deux fois le même choix, pousse natu­rel­le­ment à la ROTATION DES CHARGES et empêche méca­ni­que­ment la for­ma­tion d’une classe poli­ti­cienne tou­jours por­tée à tirer vani­té de sa condi­tion et cher­chant tou­jours à jouir de privilèges.

Le prin­cipe pro­tec­teur majeur est celui-ci : les gou­ver­nants sont plus res­pec­tueux des gou­ver­nés quand ils savent avec cer­ti­tude qu’ils revien­dront bien­tôt eux-mêmes à la condi­tion ordi­naire de gouvernés.

6. Le tirage au sort est facile, rapide et éco­no­mique.

7. Le hasard et les grands nombres com­posent natu­rel­le­ment, méca­ni­que­ment, un ÉCHANTILLON REPRÉSENTATIF (vrai­ment repré­sen­ta­tif). Rien de mieux que le tirage au sort pour com­po­ser une assem­blée qui res­semble trait pour trait au peuple à repré­sen­ter. Pas besoin de quo­tas, pas de risque d’intrigues.

8. Savoir qu’il peut être tiré au sort INCITE CHAQUE CITOYEN À S’INSTRUIRE ET À PARTICIPER aux contro­verses publiques : c’est un moyen péda­go­gique d’émancipation intellectuelle.

9. Avoir été tiré au sort pousse chaque citoyen à s’extraire de ses pré­oc­cu­pa­tions per­son­nelles et à se pré­oc­cu­per du monde com­mun ; sa dési­gna­tion et le regard public posé sur lui le poussent à s’instruire et à déve­lop­per ses com­pé­tences par son tra­vail, exac­te­ment comme cela se passe pour les élus : c’est un moyen péda­go­gique de res­pon­sa­bi­li­sa­tion des citoyens, de tous les citoyens.

10. PRÉFÉRER LE TIRAGE AU SORT, C’EST REFUSER D’ABANDONNER LE POUVOIR DU SUFFRAGE DIRECT À L’ASSEMBLÉE, ET C’EST TENIR À DES CONTRÔLES RÉELS DE TOUS LES REPRÉSENTANTS : donc, le tirage au sort por­tant avec lui des contrôles dras­tiques à tous les étages, il est mieux adap­té que l’élection (qui sup­pose que les élec­teurs connaissent bien les élus et leurs actes quo­ti­diens) pour les enti­tés de grande taille. (Alors qu’on entend géné­ra­le­ment dire le contraire.)

11. DE FAIT, pen­dant 200 ans de tirage au sort quo­ti­dien (au Ve et IVe siècle av. JC à Athènes), les riches n’ont JAMAIS gou­ver­né, et les pauvres tou­jours. (Les riches vivaient très confor­ta­ble­ment, ras­su­rez-vous, mais ils ne pou­vaient pas tout rafler sans limite, faute d’emprise poli­tique.) Ceci est essen­tiel : méca­ni­que­ment, infailli­ble­ment, irré­sis­ti­ble­ment, le tirage au sort DÉSYNCHRONISE le pou­voir poli­tique du pou­voir éco­no­mique. C’est une façon très astu­cieuse d’affaiblir les pou­voirs pour évi­ter qu’ils n’abusent.

On est donc ten­té de pen­ser que c’est l’élection des acteurs poli­tiques qui a ren­du pos­sible le capi­ta­lisme, et que le tirage au sort reti­re­rait aux capi­ta­listes leur prin­ci­pal moyen de domination.

Tu vois, AUCUN DOGME : juste un effort pour réflé­chir à d’u­tiles RÉFORMES (tu n’es pas hos­tile aux réformes, n’est-ce pas ?), réformes pos­sibles, réformes cré­dibles, réformes ori­gi­nales, réformes tes­tées et approu­vées pen­dant 200 ans…

Non, déci­dé­ment, aucun dogme, en l’oc­cur­rence. On cherche.

Quant aux MODALITÉS détaillées de la RÉCUSATION des tirés au sort (« Com­ment ? Com­bien de fois ? À quelle échelle ? » demandes-tu), je te pro­pose d’y réflé­chir ensemble, au lieu de res­ter dans une pos­ture de consom­ma­teur cri­tique (de réformes) : tu pour­rais très uti­le­ment nous aider à les mettre au point nous-mêmes, ces réformes, non ? 😉 ÉC.]

[RMJ :
c) Troi­sième dogme : un régime fon­dé sur le suf­frage uni­ver­sel est incon­ci­liable avec la néces­si­té d’assurer la red­di­tion des comptes, d’empêcher la pro­fes­sion­na­li­sa­tion, de per­mettre l’expression du plu­ra­lisme des opi­nons dans la déli­bé­ra­tion des assem­blées. Rien n’est plus dog­ma­tique qu’une telle affir­ma­tion. Mais elle est néces­saire si on veut exclure toute pos­si­bi­li­té de cor­ri­ger les dérives de l’usage du suf­frage uni­ver­sel et le rem­pla­cer par le tirage au sort. ]

[ÉC (11) :
Non, ce n’est pas cela que je dis : je ne dis pas que le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif est incon­ci­liable avec la red­di­tion des comptes, tu ne m’as pas bien lu. Au contraire, j’ap­pro­fon­dis depuis long­temps une réflexion spé­ci­fique sur cette réforme, notam­ment sur le fil « Les élus devraient rendre des comptes à la fin de leur man­dat (impé­ra­tif) » de mon forum.

Tu vois, ce n’est pas « ma-pen­sée » qui est dog­ma­tique : c’est « l’i­dée-que-tu-te-fais-de-ma-pen­sée-en-la-défor­mant-copieu­se­ment »… 😉

Ce que je dis (et que tu as du mal à com­prendre sans le défor­mer), c’est que AUCUNE ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ÉLUE PARMI DES CANDIDATS IMPOSÉE PAR DES PARTIS NE SERA JAMAIS CAPABLE D’INSTITUER UNE TELLE REDDITION DES COMPTES, PAS PLUS D’AILLEURS QU’AUCUNE AUTRE INSTITUTION RÉELLEMENT DÉMOCRATIQUE.

Et ça, en plus d’être une consta­ta­tion de fait en tous temps et en tous lieux, ça vient du prin­cipe expli­ca­tif, dont la logique est puis­sante, que « ce n’est pas au pou­voir d’é­crire les règles du pou­voir, sinon ils trichent, tout sim­ple­ment, et à nos dépens. »

Aucun dogme là-dedans : de la logique pour com­prendre la source com­mune d’une kyrielle de conflits d’in­té­rêts et de faits de tri­che­rie concor­dants, par­tout dans le monde et à toutes les époques.

Mais puis­qu’on a le droit de (gen­ti­ment) accu­ser l’autre de nour­rir une pen­sée pro­fon­dé­ment dog­ma­tique (sic) 😉 , je trouve de mon côté éton­nam­ment dog­ma­tique la thèse qui impose à tous l’i­dée qu’un dépu­té consti­tuant élu au sein d’un par­ti est MÉCANIQUEMENT LÉGITIME POUR ÉCRIRE LA CONSTITUTION PAR LE SEUL FAIT D’AVOIR ÉTÉ ÉLU, en refu­sant (dog­ma­ti­que­ment) de contrô­ler s’il n’est pas en conflit d’in­té­rêts majeur par rap­port à l’in­té­rêt géné­ral (ou en se conten­tant de contrôles insuf­fi­sants qui ne garan­tissent rien, ce qui revient au même, pra­ti­que­ment, que le refus de contrôle). ÉC.]

[RMJ :
La ques­tion de la red­di­tion des comptes est impor­tante. Elle peut être réglée par des méca­nismes de consul­ta­tion obli­ga­toire des man­dants pen­dant le man­dat. Elle est réglée par le scru­tin orga­ni­sé à l’issue du man­dat. Elle pour­rait trou­ver une concré­ti­sa­tion, pen­dant le man­dat, dans un méca­nisme de révo­ca­tion au terme d’un réfé­ren­dum révo­ca­toire, selon cer­taines moda­li­tés. Ces réformes sont tech­ni­que­ment pos­sibles. En écar­ter l’éventualité, c’est tout sim­ple­ment refu­ser le cadre du suf­frage universel. ]

[ÉC (12) :
OK, je suis d’ac­cord sur la théo­rie, évi­dem­ment (va voir mon site, tu y trou­ve­ras des dizaines et des dizaines de pages sur les moda­li­tés pra­tiques pos­sibles de la red­di­tion des comptesdes quatre réfé­ren­dums d’i­ni­tia­tive popu­laire, de la recherche sin­cère de la volon­té géné­rale en cours de man­dat, de la mise en cause réelle de la res­pon­sa­bi­li­té des acteurs publics, de l’é­va­lua­tion des acteurs publics par des jurys citoyens, de l’é­va­lua­tion des déci­sions publiques, etc. etc.) , c’est néces­saire mais pas suf­fi­sant : TOUT ÇA C’EST DU BLABLA SI, au moment d’é­crire le texte suprême, tu acceptes qu’il soit écrit par des gens qui ont UN INTÉRÊT PERSONNEL VITAL CONTRAIRE à tes théories.

On sait que, dans ces condi­tions de par­tia­li­té extrême, on aura réflé­chi pour rien : on peut pré­dire, sans aucun risque de se trom­per (les mêmes causes pro­dui­sant les mêmes effets), que LES ÉLUS DES PARTIS écri­vant la Consti­tu­tion pour eux-mêmes PROGRAMMERONT À NOUVEAU L’IMPUISSANCE DU PEUPLE, mal­gré toutes les belles théo­ries de droit public qui auront émaillé les débats préalables.

Tu m’ac­cuses (et je devrais me sen­tir cou­pable) de « refu­ser le cadre du suf­frage uni­ver­sel »… Effec­ti­ve­ment, je refuse tous les cadres mal­hon­nêtes ou idiots, et c’est bien natu­rel. Je ne vénère aucune vache sacrée. Je cherche, Raoul, je cherche. ÉC.]

[RMJ :
Mes contra­dic­teurs ont sys­té­ma­ti­que­ment refu­sé de dis­cu­ter d’autres réformes pos­sibles de la pra­tique de la délé­ga­tion basée sur le suf­frage uni­ver­sel. Mau­vaise foi, igno­rance ou par­ti pris, ils ont reje­té les solu­tions que j’ai esquis­sées. ]

[ÉC (13) :
Ah bon ? Moi, j’en suis à plus de 50 pages, plus de 100 heures, pour te répondre point par point, avec tout le res­pect que je te dois. Aucun refus de dis­cu­ter, donc, à l’é­vi­dence ! Va voir sur mon site les réformes du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif que je sug­gère de mon côté : il y en dix fois plus que ce que tu pro­poses toi-même ; alors bien sûr, ce n’est pas au kilo, je le sais bien, et une petite dizaine de réformes bien choi­sies fera bien l’af­faire pour com­men­cer, mais tu ne peux pas dire que je refuse de réfor­mer, ce n’est pas vrai. ÉC.]

[RMJ :
Trois exemples. 1) Le scru­tin pro­por­tion­nel. Samuel Schwei­kert l’a reje­té avec l’argumentation clas­sique des gens de droite et des par­ti­sans, à gauche, du bipar­tisme : l’instabilité et donc l’impuissance. Il a « oublié » les moda­li­tés que j’avais appor­tées dans mon pro­pos intro­duc­tif : enca­drer la pro­por­tion­nelle par des tech­niques qui ont fait leur preuve ailleurs : taux plan­cher requis pour accé­der à la repré­sen­ta­tion, motion de méfiance construc­tive indis­pen­sable au chan­ge­ment d’une coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale, etc. 2) De même, empê­cher la pro­fes­sion­na­li­sa­tion par l’interdiction des cumuls et la limi­ta­tion du nombre de man­dats est reje­té caté­go­ri­que­ment avec des exemples de contour­ne­ment, certes pos­sibles, mais qui pour­raient très bien être inter­dits par la loi. Com­ment encore faire de l’engagement poli­tique un métier si on ne peut pas cumu­ler plu­sieurs man­dats, si on ne peut exer­cer le même man­dat que deux ou trois fois dans sa vie et si l’exercice d’un man­dat don­né rend inéli­gible à d’autres man­dats ? Refu­ser un seul ins­tant d’imaginer l’impact d’une telle réforme sur le per­son­nel poli­tique actuel, c’est refu­ser de prendre en consi­dé­ra­tion une réforme non pas pour son conte­nu, mais parce qu’elle met par terre une argumentation. ]

[ÉC (14) :
Bon, j’ai relu ce résu­mé : je crois avoir répon­du en détail à tous ces points (dont aucun ne met par terre quelque argu­men­ta­tion que ce soit) 😉  Je ne vais pas recom­men­cer. Il faut main­te­nant me dire si tu trouves que je me trompe ici ou là. ÉC.]

[RMJ :
3) Quant à l’impossibilité qu’engendrerait le suf­frage uni­ver­sel de garan­tir le plu­ra­lisme des opi­nions dans la déli­bé­ra­tion des assem­blées, encore une fois, c’est refu­ser d’aller voir ailleurs. Il y a des assem­blées par­le­men­taires dont le règle­ment garan­tit ce plu­ra­lisme des opi­nions ; il y a des assem­blées par­le­men­taires où existe une réelle pos­si­bi­li­té de débat – la France pas­sée et pré­sente, à cet égard est loin, très loin, d’être la réfé­rence. Aller voir ailleurs, n’a jamais fait de mal. Le droit consti­tu­tion­nel com­pa­ré et le droit par­le­men­taire com­pa­ré ne sont pas des dis­ci­plines inutiles quand on pré­tend débattre des ins­ti­tu­tions. Et ce que cer­tains appellent une « fic­tion » ou « prendre ses rêves pour des réa­li­tés » devient alors une réfé­rence per­ti­nente. Sauf, bien enten­du, si le pro­pos est de décré­ter d’emblée que toute réforme est impuis­sante à remé­dier aux maux qu’on dénonce parce que le but véri­table n’est pas d’améliorer le sys­tème, mais de le rem­pla­cer par un autre paré de toutes les ver­tus. On connaît cette démarche. L’histoire nous a appris où elle finit par aboutir. ]

[ÉC (15) :
Je passe mon temps à faire du droit com­pa­ré… mais sans trou­ver à l’é­tran­ger (ou dans l’his­toire) autant de solu­tions satis­fai­santes que ce que tu nous annonces…

Au pas­sage, je te recom­mande la Consti­tu­tion du Vene­zue­la, loin d’être par­faite (!) mais inté­res­sante à bien des égards (écrite par le peuple, d’ailleurs, puis ensei­gnée au peuple et défen­due par chaque citoyen, paraît-il).

Je dois avoir là dix consti­tu­tions sous les lunettes, et encore une ving­taine en rayons, et j’ai­me­rais que tu m’en indiques UNE — ne serait-ce qu’une seule — où l’As­sem­blée Légis­la­tive com­porte EN JUSTE PROPORTION (par rap­port à la socié­té repré­sen­tée) des femmes, des chô­meurs, des tra­vailleurs pauvres, des jeunes et des noirs (et je ne parle même pas des étrangers).

J’at­tends avec impa­tience tes exemples de droit com­pa­ré qui mon­tre­raient la pos­si­bi­li­té qu’une Assem­blée consti­tuante élue par des par­tis soit capable d’ins­ti­tuer une Chambre par­le­men­taire authen­ti­que­ment démo­cra­tique. ÉC.]

[RMJ :
d) Qua­trième dogme : la réfé­rence à la démo­cra­tie athé­nienne du Ve siècle acn, pré­sen­tée comme la pana­cée et jamais rela­ti­vi­sée, en dépit du fait qu’elle se pra­ti­quait avec une assem­blée sélec­tion­née, excluant les femmes, les esclaves (fussent-ils Athé­niens – le prin­cipe même de l’esclavage quelle que soit la vic­time est incom­pa­tible avec toute idée de démo­cra­tie), les étran­gers, ces « bar­bares » qui res­semblent beau­coup à nos immi­grés d’aujourd’hui. Éri­ger en exemple de démo­cra­tie abou­tie, jusqu’à l’incantation, un sys­tème fon­dé sur la dis­cri­mi­na­tion est pour le moins para­doxal. Si j’ai par­lé de chi­mère, ce monstre de la mytho­lo­gie, c’est bien parce que la réfé­rence au mythe de la démo­cra­tie athé­nienne me semble dan­ge­reuse. On peut invo­quer l’Athènes de Péri­clès comme un début, pas comme un objec­tif. Sauf à consi­dé­rer que le peuple qui exerce sa sou­ve­rai­ne­té n’est qu’une par­tie de l’ensemble des habi­tants d’un territoire. ]

[ÉC (16) :
• « jamais rela­ti­vi­sée » : tu avais dit que tu trou­vais odieux (sic) le pro­cé­dé qui consiste à défor­mer la pen­sée de l’autre quand on est à court d’ar­gu­ment… Il fau­drait savoir : je passe mon temps à rela­ti­vi­ser les idées qu’on peut reprendre dans la seule démo­cra­tie que le monde ait connue à ce jour. Pour­tant tu mar­tèles « jamais rela­ti­vi­sée »… Est-ce bien loyal ?

• « Le prin­cipe de l’es­cla­vage est incom­pa­tible avec toute idée de démo­cra­tie »… Dis, est-ce que tu as com­pris le concept d’ana­chro­nisme ? Prends-tu tes inter­lo­cu­teurs pour des idiots ? Penses-tu vrai­ment qu’ils défendent l’es­cla­va­gisme ou la miso­gy­nie ? En cette matière, il est assez impor­tant de mon­trer un cer­tain dis­cer­ne­ment, c’est-à-dire une apti­tude à ne pas tout mélan­ger. Je l’ai déjà expli­qué en long et en large, je n’y reviens pas.

• « les étran­gers, ces « bar­bares » qui res­semblent beau­coup à nos immi­grés d’aujourd’hui » : quelle est ta logique ? Tu sembles tou­jours être sur le registre de l’a­mal­game salis­sant pour dis­cré­di­ter une réfé­rence qui te gêne : je te signale que la « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive » moderne, 2500 ans plus tard, n’est tou­jours pas fichue de don­ner des droits poli­tiques aux étran­gers : il est donc par­fai­te­ment injuste d’en faire le pro­cès sévère aux Athé­niens, du haut de notre moder­ni­té où nous n’a­vons tou­jours pas su faire mieux que nos aïeux.

• « sys­tème fon­dé sur la dis­cri­mi­na­tion » : non Raoul, je crois que tu te trompes com­plè­te­ment, c’est même un véri­table contre­sens, faute de bien défi­nir l’ob­jet de l’é­tude : le peuple (de l’é­poque, évi­dem­ment). La démo­cra­tie n’é­tait PAS FONDÉE SUR la dis­cri­mi­na­tion : elle PRATIQUAIT LA dis­cri­mi­na­tion POUR DÉSIGNER LES ACTEURS POLITIQUES, pour défi­nir « le peuple », ce qui est dif­fé­rent ; et elle le fai­sait d’ailleurs COMME TOUT LE MONDE À L’ÉPOQUE, ce qu’il est impor­tant de gar­der en tête pour ne pas com­mettre d’anachronisme.

Mais ensuite, une fois le peuple défi­ni, ce peuple pra­ti­quait EN SON SEIN L’ÉGALITÉ POLITIQUE RÉELLE, SANS AUCUNE DISCRIMINATION, JUSTEMENT.

Et ce peuple avait EN SON SEIN LES MÊMES PROBLÈMES QUE NOUS AVONS AUJOURD’HUI AVEC LE POUVOIR et sur­tout avec les voleurs de pou­voir : ET C’EST ÇA QUI INTÉRESSE CEUX QUI CHERCHENT À INSTITUER UNE VRAIE DÉMOCRATIE (pen­dant que tu fais tout pour détour­ner nos regards de ce qui est intéressant).

Je te fais remar­quer qu’au­jourd’­hui encore, au moment de « défi­nir le peuple », tous les peuples du monde (ou presque) excluent (dis­cri­minent) encore les étran­gers en ne leur don­nant pas la qua­li­té de citoyens. Mais ce n’est pas cet aspect de la poli­tique qui mérite notre atten­tion prio­ri­taire (on va tous être à peu près d’ac­cord pour défi­nir le peuple, ce n’est pas ça le pro­blème) : quand j’a­borde le sujet de la com­po­si­tion du peuple dans mes confé­rences, je dis chaque fois que une vraie démo­cra­tie fonc­tion­ne­rait très bien avec les femmes et sans esclaves, c’est É‑VI-DENT. Il faut arrê­ter de lais­ser pen­ser que nous défen­dons l’in­dé­fen­dable : c’est de la pure calomnie.

Enfin je n’ai JAMAIS dit, abso­lu­ment jamais, que le régime athé­nien était un objec­tif. En défor­mant ma pen­sée (ce que tu avais pour­tant pro­mis de ne jamais faire, cela t’é­tant « odieux » (sic)), tu t’in­ter­dis de me com­prendre et tu fabriques un dia­logue de sourds.

Non non, je ne prône pas la dis­cri­mi­na­tion, ni la phal­lo­cra­tie, ni l’es­cla­va­gisme… Le lais­ser entendre est un coup bas. ÉC.]

[RMJ :
Posi­tion de repli des par­ti­sans du tirage au sort : ]

[ÉC (17) :
D’un côté, tu te plains qu’on ne tient (soi-disant) aucun compte de tes pro­po­si­tions et qu’on est enfer­més dans des dogmes… ; Et d’un autre côté, tu qua­li­fies de « posi­tion de repli » les pro­po­si­tions de com­pro­mis construc­tif qui tentent de rap­pro­cher les points de vue, avec le voca­bu­laire mili­taire qui sert à dési­gner des actions de lutte contre l’en­ne­mi… Donc à tous les coups l’on perd, dans ta dis­cus­sion : ça ne va jamais… 😉

Ce que tu t’ap­prêtes à dis­cré­di­ter (voir ci-des­sous) est, à mon sens, une pro­po­si­tion modé­rée, réa­liste, pro­met­teuse et… démo­cra­tique. Ce serait bien que tu ne nous enfermes pas dans le caté­chisme du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif. Ouvre-toi à d’autres pos­sibles 🙂 ÉC.]

[RMJ :
Posi­tion de repli des par­ti­sans du tirage au sort : un Sénat élu issu de la sélec­tion par le sort qui exer­ce­rait un droit de contrôle sur les déci­sions prises par l’Assemblée natio­nale issue du suf­frage uni­ver­sel. Et sans doute aus­si sur les choix de l’Exécutif. Elle m’intéresse dans la mesure où m’intéresse la mise en place de tout contre-pou­voir. Mais il fau­drait démon­trer, autre­ment que par des affir­ma­tions gra­tuites, qu’un tel Sénat, dont les pou­voirs seraient consi­dé­rables, répon­drait mieux aux besoins et aux attentes du peuple, qu’il expri­me­rait le peuple mieux que ne le ferait une assem­blée issue d’un suf­frage uni­ver­sel enca­dré par les réformes déjà sug­gé­rées. Il fau­drait démon­trer qu’un Sénat issu du hasard serait insen­sible aux lob­bies, aux incli­na­tions pas tou­jours hono­rables qui emporte par­fois les peuples en recherche de boucs émis­saires, aux ten­ta­tions de solu­tions à court terme sans ména­ger l’avenir et les géné­ra­tions futures. Certes, des com­por­te­ments qu’on retrouve aujourd’hui dans des assem­blées issues du suf­frage uni­ver­sel. Mais en quoi une assem­blée issue du sort offre-t-elle une garan­tie qu’on échap­pe­rait à ces com­por­te­ments ? En quoi, par la magie du tirage au sort, ne trou­ve­rait-on plus, pour pro­cé­der aux choix qui ne peuvent être effec­tués direc­te­ment, que des huma­nistes com­pé­tents, dévoués, hon­nêtes ? Par quel miracle, le hasard per­met­trait-il une telle sélection ? ]

[ÉC (18) :
Juste après avoir don­né un sem­blant de signe de bonne volon­té (« votre idée m’in­té­resse car je suis un grand démo­crate… »), tu exiges aus­si­tôt l’im­pos­sible (et en te moquant : « affir­ma­tions gra­tuites, par quelle magie, par quel miracle… ») : tu sembles deman­der UNE DÉMONSTRATION COMPLÈTE ET PRÉALABLE (démons­tra­tion qui exi­ge­rait au moins d’es­sayer, pour voir ce que ça donne) d’une solu­tion qui n’a jamais été ten­tée nulle part…

Tu vou­drais sabo­ter l’i­dée que tu ne t’y pren­drais pas autrement… 🙂

Moi, je n’ai pas besoin de cette démons­tra­tion préa­lable : je réflé­chis (voir plus haut la liste inter­mi­nable des ver­tus intrin­sèques du tirage au sort, en regard de la liste inter­mi­nable des vices intrin­sèques de l’é­lec­tion : après exa­men atten­tif, mon cer­veau décide que l’ex­pé­rience vaut le coup d’être tentée.

Que risque-t-on (puisque tu gardes ton assem­blée d’é­lus chéris) ?

Et à quoi sert d’a­voir deux assem­blées de pro­fes­sion­nels élus ?

Qu’est-ce qui te fait peur ?

La situa­tion peut-elle être pire que la situa­tion actuelle ? (où les mul­ti­na­tio­nales pri­vées ont pris le contrôle des assem­blées élues et de la force publique, pré­ci­sé­ment grâce à la pro­cé­dure que tu défends bec et ongles, et qui per­met des rendre les acteurs poli­tiques dépen­dants, endet­tés par rap­port aux pri­vi­lé­giés du moment) ?

Je crois que, si tu reje­tais même ce com­pro­mis (une chambre élue, l’autre tirée au sort ; l’ac­cord des deux pour qu’une loi passe ; et le recours au réfé­ren­dum en cas de conflit), tu mon­tre­rais que tu ne jures QUE PAR les élus (comme si l’é­lec­tion de maîtres poli­tiques était un dogme intou­chable), ce qui peut se défendre sans rou­gir, mais ce qui n’a rien à voir avec la démo­cra­tie (si ce n’est pour l’in­ter­dire en fait).

J’es­père que tu ne feras pas cela. ÉC.]

[RMJ :
En fait, ce qui par­tage par­ti­sans d’un suf­frage uni­ver­sel réfor­mé et par­ti­sans du tirage au sort, c’est la dif­fé­rence qui sépare les réfor­ma­teurs des révo­lu­tion­naires, c’est la dif­fé­rence entre ceux qui pré­fèrent des chan­ge­ments conti­nus par des réformes et ceux qu’une réforme ne satis­fait jamais parce qu’elle ne réa­lise pas d’un seul coup la socié­té de leur rêve. ]

[ÉC (19) :
Pas du tout : le cli­vage est ailleurs : certes, les réformes que tu pro­poses sont néces­saires, mais pas du tout suf­fi­santes puisque tu leur refuses la condi­tion car­di­nale de leur propre fai­sa­bi­li­té (qui est de garan­tir l’im­par­tia­li­té VÉRITABLE des auteurs consti­tuants) ; ces réformes ne sont donc pas convain­cantes parce qu’elles sont impos­sibles dans la pra­tique (des membres de par­tis n’ins­ti­tue­ront jamais une vraie démo­cra­tie, avec un vrai contre pou­voir popu­laire pou­vant sur­gir à tout moment) : condam­nées à res­ter théo­riques, ces réformes-seule­ment-en-pen­sée sont, pour cette rai­son (facile à faire dis­pa­raître), une illu­sion (à mon avis).

Quant à « la socié­té de mes rêves », je parie­rais qu’elle est très proche de la tienne 🙂 Une socié­té juste et apai­sée, autant que pos­sible. ÉC.]

[RMJ :
Aucune stra­té­gie n’est pro­po­sée pour le pas­sage à cette socié­té idéale de gen­tils ayant uni­que­ment que le sou­ci de l’intérêt géné­ral pré­sent et futur, se res­pec­tant mutuel­le­ment (alors que, mani­fes­te­ment, plu­sieurs par­ti­sans du tirage au sort usent d’une vio­lence ver­bale qui fait bien dou­ter de leurs capa­ci­tés à faire vivre un tel consen­sus) , capables de déci­der direc­te­ment de toutes les ques­tions qui appellent des choix, depuis le niveau du vil­lage jusqu’à celui de la pla­nète entière. ]

[ÉC (20) :
1) As-tu vrai­ment l’im­pres­sion que ta propre « stra­té­gie » comme tu dis (encore avec un mot mili­taire) soit opé­ra­tion­nelle et pro­met­teuse ? Tu penses vrai­ment que la gauche (la vraie) peut gagner les pro­chaines élec­tions ? (Je rap­pelle que le PS est objec­ti­ve­ment, comme l’UMP, d’ex­trême droite (ven­du aux pri­vi­lé­giés) puis­qu’il nous condamne aux régres­sions poli­tiques, éco­no­miques et sociales de l’U­nion euro­péenne : donc, quand je dis la gauche, je ne parle pas des traîtres du « PS ».) Est-ce que ce sont les brillants suc­cès pas­sés de « la gauche » qui doivent nous convaincre que les pro­fes­sion­nels de « la gauche » détiennent la bonne stra­té­gie ? Je ne ferai pas plus de com­men­taires sur ton objec­tion « au niveau stratégique »…

2) Ensuite, tu inverses car­ré­ment les rôles, c’est gon­flé : c’est pré­ci­sé­ment le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif (et toi avec) qui pré­tend que nous vivons dans une socié­té idéale dans laquelle on peut faire confiance aux élus par le seul fait qu’ils sont élus ; élus qu’on ne puni­ra d’ailleurs jamais pour leurs erreurs ou leurs échecs, ni même pour la tra­hi­son de leurs pro­messes (man­dat impé­ra­tif = sacri­lège lèse-élu).

Au contraire, la démo­cra­tie, la vraie (celle que tu connais mani­fes­te­ment mal et dont tu ne veux appa­rem­ment pas entendre par­ler) est réa­liste et met des CONTRÔLES À TOUS LES NIVEAUX ET À TOUT MOMENT, pre­nant pré­ci­sé­ment acte de ce qu’il y a AUCUN GENTIL nulle part…

La réa­li­té est exac­te­ment LE CONTRAIRE de ce que tu prétends…

Quels sont les livres que tu aimes le plus à pro­pos de la démo­cra­tie athé­nienne ? Dis-moi ce que tu lis, ça m’ai­de­ra peut-être à te com­prendre. ÉC.]

[RMJ :
Ce à quoi nous assis­tons dans la plu­part des cas – je note bien les excep­tions – c’est au pro­cès, jusqu’à la cari­ca­ture gros­sière digne des slo­gans du 6 février 1934, d’un sys­tème à réformer. ]

[ÉC (21) :
« des slo­gans du 6 février 1934 » : Dis Raoul, si je dis que tu es un cryp­to-fas­ciste qui défend un sys­tème poli­tique qui rend pos­sible et durable le vrai fas­cisme (com­mer­cial et finan­cier) tout en pré­ten­dant le com­battre…, tu vas hur­ler en pro­tes­tant contre « ces insultes qui ne font pas avan­cer le débat et qui sont indignes d’in­ter­lo­cu­teurs civi­li­sés, bla bla bla… ».

Alors pour­quoi t’au­to­rises-tu toi- même à pro­fé­rer ces insultes ? « Digne des slo­gans du 6 février 1934 », ça veut dire digne des nazillons d’ex­trême droite qui nous ont conduits à la deuxième guerre mon­diale… On a le droit de dire ça de l’autre ? Je croyais que cela t’é­tait « odieux » (sic).

Mani­fes­te­ment, tu ne trouves ça odieux que quand c’est toi qui es visé.

Déso­lé de te répondre ain­si du tac au tac ; j’ai quand même le droit de me défendre quand, pour les salir, on rap­proche mes idées de celles de l’ex­trême droite ; même quand ces coups bas viennent de quel­qu’un que je consi­dère comme un ami. C’est toi qui me pousses à me défendre. ÉC.]

[RMJ :
Je par­tage avec Her­vé Kempf l’analyse qu’il fait de la démo­cra­tie aujourd’hui en France dans son der­nier livre (L’oligarchie, ça suf­fit, vive la démo­cra­tie, Le Seuil). Mais je par­tage aus­si son atta­che­ment à ce que signi­fie la liber­té de choi­sir. J’entends ici répé­ter, pour conclure, ce qui est mon choix : le droit que j’ai, comme citoyen, de confier, chaque fois que je n’ai pas la pos­si­bi­li­té de l’exercer moi-même direc­te­ment (dans une autre Répu­blique que cette Ve si peu démo­cra­tique), la part de sou­ve­rai­ne­té que je détiens comme com­po­sante du peuple tout entier, à une per­sonne dont je connais les valeurs, les prin­cipes, les orien­ta­tions et les pro­po­si­tions.]

[ÉC (22) :
Per­sonne ne te refuse LE DROIT DE DÉSIRER aban­don­ner ta sou­ve­rai­ne­té à quel­qu’un de ton choix.

Mais il n’y a pas de rai­son légi­time pour que tu puisses IMPOSER CE RENONCEMENT aux autres citoyens sans le leur demander.

LE CHOIX DE SOCIÉTÉ qui consiste à déci­der QUI VA PRENDRE LES DÉCISIONS PUBLIQUES (des élus ou le peuple lui-même ?) NE PEUT PAS ÊTRE PRIS PAR DES ÉLUS : ce choix de socié­té ne peut être fait légi­ti­me­ment que par le peuple lui-même.

LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF NE SERA LÉGITIME QUE QUAND IL AURA ÉTÉ VALIDÉ PAR RÉFÉRENDUM, SUR CETTE QUESTION PRÉCISE DÉCISIVE (vou­lez-vous aban­don­ner votre sou­ve­rai­ne­té à des élus, par périodes de cinq ans, ou pré­fé­rez-vous exer­cer vous-mêmes votre sou­ve­rai­ne­té, direc­te­ment, chaque fois que vous le dési­rez ?), ET APRÈS UN VASTE DÉBAT PUBLIC, CONTRADICTOIRE ET CIBLÉ, un peu comme notre actuelle contro­verse mais à plus grande échelle.

Que tu imposes ce sys­tème aux autres (ce sys­tème dans lequel cha­cun doit renon­cer à l’exer­cice de sa sou­ve­rai­ne­té pour dési­gner un maître qu’il ne peut même pas choi­sir), avec inter­dic­tion de résis­ter sous peine d’être calom­nié par com­pa­rai­son publique aux pires sym­boles, ça pose problème.

Tout ça ne te res­semble pas : tu m’as tant appris sur le détail des tur­pi­tudes de nos pré­ten­dues élites que je m’é­tonne du scan­dale que tu fais aujourd’­hui pour le crime de sim­ple­ment cher­cher un autre sys­tème de repré­sen­ta­tion… De ta part, je trouve tout ça incom­pré­hen­sible (d’un oli­garque ou d’un élu à sa botte, OK, mais de toi, je ne com­prends pas).

Avec mon ami­tié renouvelée.

Étienne.]

source


Voi­ci main­te­nant les DEUX textes de FRANÇOIS ASSELINEAU (UPR) contre le tirage au sort,
sui­vis de mes réponses point par point
au coeur même du texte :

FRANÇOIS ASSELINEAU (UPR) : OBJECTIONS AU TIRAGE AU SORT EN POLITIQUE,
ET PROPOSITIONS DE RÉFUTATIONS RATIONNELLES, 20 sept 2011 (source et source et source)

par Étienne Chouard, ven­dre­di 23 sep­tembre 2011, 23:02
http://​www​.face​book​.com/​n​o​t​e​.​p​h​p​?​n​o​t​e​_​i​d​=​1​0​1​5​0​3​9​8​3​5​8​0​6​7​317

Nou­velle contro­verse à pro­pos du tirage au sort en poli­tique (pre­mière vague) :

Fran­çois Asse­li­neau, comme Raoul Marc Jen­nar, est mon­té au cré­neau pour défendre le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif contre la démo­cra­tie (la fausse démo­cra­tie contre la vraie, selon moi), et la contro­verse qui s’en est sui­vie est riche en ensei­gne­ments, je trouve, comme l’a­vait été celle avec Raoul. Voi­ci donc, repro­duites en deux com­men­taires suc­ces­sifs, les deux phases récentes de la contro­verse récente entre Fran­çois Asse­li­neau et moi :

[Fran­çois Asse­li­neau]Les incon­vé­nients théo­riques, poli­tiques et pra­tiques que pré­sente la démo­cra­tie par tirage au sort.[/FA]

[ÉC : Pre­mières réponses d’É­tienne Chouard, en ita­liques, en bleu et entre cro­chets, aux objec­tions for­mu­lées par Fran­çois Asse­li­neau à l’u­ti­li­sa­tion du tirage au sort en poli­tique ( http://​www​.face​book​.com/​u​p​r​.​f​r​a​n​c​o​i​s​a​s​s​e​l​i​n​e​a​u​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​0​3​3​2​5​6​1​1​5​2​612 ) : ÉC.]

[FA]Cette idée de tirage au sort lan­cée par M. Chouard n’est pas ava­li­sée par l’U­PR car elle pré­sen­te­rait des incon­vé­nients consi­dé­rables, en termes théo­riques, poli­tiques et pratiques :

[ÉC : pour ne rien vous cacher, je ne m’at­ten­dais pas du tout à ce qu’un par­ti, quel qu’il soit, « ava­lise » telle quelle l’i­dée radi­cale de la démo­cra­tie 🙂 Mais cela ne nous empêche pas d’é­chan­ger quelques mots pour rap­pro­cher (au moins un peu) les points de vues ; sur­tout qu’il existe des voies de COMPROMIS intel­li­gent qui devraient rete­nir notre atten­tion à tous, dans le sou­ci de l’in­té­rêt géné­ral. ÉC.]

[FA]… 1- Sa pre­mière consé­quence serait de.… sup­pri­mer les élec­tions. Allez expli­quer aux Fran­çais que le retour de la démo­cra­tie se tra­duit d’a­bord par la sup­pres­sion des urnes ! Il est cer­tain qu’une très grande majo­ri­té de Fran­çais seraient abso­lu­ment oppo­sés à cette idée.[/FA]

[ÉC : Dès qu’on a réa­li­sé que les élec­tions n’ont jamais tenu leurs pro­messes, dès qu’on se rend à l’é­vi­dence qu’elles ont même, au contraire, ren­du pos­sible une orga­ni­sa­tion par­ti­cu­liè­re­ment injuste nom­mée « capi­ta­lisme », quand on prend conscience que le capi­ta­lisme est aujourd’­hui ver­rouillé, comme pro­té­gé, par cette pro­cé­dure aris­to­cra­tique, rapi­de­ment deve­nue oli­gar­chique, on est alors beau­coup moins pei­né de son recul, voire de sa disparition.

Mais c’est vrai qu’il faut avoir d’a­bord PRIS CONSCIENCE de l’es­cro­que­rie poli­tique conte­nue —depuis le début— dans le régime du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif : appe­ler « suf­frage uni­ver­sel » l’o­pé­ra­tion par laquelle le peuple est invi­té à dési­gner des MAÎTRES poli­tiques, par­mi des gens qu’il n’a même pas choi­sis, et pour qu’ils décident TOUT à sa place pen­dant cinq ans, c’est véri­ta­ble­ment une escro­que­rie monu­men­tale. Et appe­ler « démo­cra­tie » le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, c’est la cerise sur le gâteau de l’imposture.

Je suis d’ac­cord pour recon­naître que les humains (et pas seule­ment les Fran­çais) ne sont pas du tout prêts, pour l’ins­tant, à la géné­ra­li­sa­tion du tirage au sort en poli­tique, et ça se com­prend puis­qu’on ne rap­pelle abso­lu­ment pas à l’é­cole, ni dans les médias, la cen­tra­li­té (très logique) du tirage au sort dans une démo­cra­tie digne de ce nom.

Cette pre­mière objec­tion est vraie, donc, mais elle n’est pas une fata­li­té : ça peut chan­ger très vite.

Ça dépend de nous, à la base. ÉC.]

[FA]2- Sa deuxième consé­quence serait de rendre inutiles les par­tis poli­tiques et les cam­pagnes élec­to­rales. Pour­quoi les gens adhè­re­raient-ils et mili­te­raient-ils encore à un par­ti ?[/FA]

[ÉC : mais c’est une bonne nou­velle, ça, non ? Là aus­si, quand on réa­lise que les par­tis ne servent qu’à gagner les élec­tions, et que les élec­tions ont tou­jours pour résul­tat de don­ner 100% du pou­voir poli­tique aux plus riches, on n’a aucune peine à ima­gi­ner de s’en passer.

ON N’A ABSOLUMENT PAS BESOIN DE PARTIS POUR FAIRE DE LA POLITIQUE : les Athé­niens étaient le peuple le plus poli­ti­sé de toute l’his­toire des hommes alors que… les par­tis étaient interdits.

Et la dis­pa­ri­tion des par­tis n’empêcherait pas les réunions, les conver­sa­tions, les pro­jets poli­tiques et l’é­du­ca­tion popu­laire, me semble-t-il. ÉC.]

 

[FA]3- Ren­dant sans objet les par­tis poli­tiques et les cam­pagnes élec­to­rales, le tirage au sort lais­se­rait les citoyens encore plus esclaves des médias qu’ils ne le sont aujourd’­hui pour se faire une opi­nion. Ce qui n’est pas peu dire ! Ce serait la troi­sième consé­quence. Une majo­ri­té de « tirés au sort » auraient toute chance de res­sas­ser à l’As­sem­blée natio­nale ce qu’ils ont enten­du sur TF1 la veille au soir…[/FA]

[ÉC : Je ne vois pas en quoi la dis­pa­ri­tion des par­tis asser­vi­rait davan­tage les citoyens aux médias : d’ores et déjà, les par­tis prennent toute la place réser­vée à la poli­tique dans les médias, et leur dis­pa­ri­tion, au contraire, libè­re­rait de la place dans les pro­grammes, et ferait éga­le­ment ces­ser une influence cor­po­ra­tiste qui est chaque jour plus visible.

Par ailleurs, je n’en­vi­sage l’ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion du tirage au sort que dans le cadre d’une refonte GÉNÉRALE de la Consti­tu­tion, bien enten­du, ce qui per­met de pré­voir une orga­ni­sa­tion des médias bien plus res­pec­tueuse de l’in­té­rêt géné­ral, plus pro­tec­trice à l’en­contre des cupi­di­tés pri­vées, et bien moins dan­ge­reuse en termes de mani­pu­la­tions car fai­sant appel à un contrôle citoyen per­ma­nent (le Conseil Supé­rieur de l’Au­dio­vi­suel pour­rait être une Chambre tirée au sort, et les patrons de chaînes pour­raient être tirés au sort col­lé­gia­le­ment par­mi les per­son­nels, pour des man­dats courts et non renouvelables).

Les médias devraient ain­si deve­nir à DOUBLE SENS et ne plus seule­ment ser­vir d’ou­til de pro­pa­gande du haut vers le bas : des médias bien ins­ti­tués per­met­traient aux citoyens de faire remon­ter (et dif­fu­ser) les infor­ma­tions sociales utiles à tous, sans filtre oli­gar­chique, d’or­ga­ni­ser des for­ma­tions hori­zon­tales (type « Uni­ver­si­tés popu­laires » où les citoyens se forment entre eux selon leurs exper­tises mutuelles), etc.

La crainte de la mau­vaise influence des médias est, certes, fon­dée dans le régime actuel (qui est pro­fon­dé­ment vicié par 200 ans d’o­li­gar­chie élec­tive), je le com­prends, mais elle n’est pas si fon­dée dans le cadre d’un pro­jet consti­tuant glo­bal où les citoyens pren­draient réel­le­ment leurs affaires en main. ÉC.]

[FA]4- La qua­trième consé­quence serait d’an­non­cer sou­dain aux Fran­çais quels sont les repré­sen­tants que « le sort » a désignés.

Il en résul­te­rait évi­dem­ment un immense doute et les rumeurs de toute nature sur la sin­cé­ri­té de ce tirage au sort. Qui l’au­rait fait ? Le tirage n’a-t-il pas été tru­qué ?[/FA]

[ÉC : Com­ment cela ? D’où vien­drait que les opé­ra­tions seraient aus­si mal orga­ni­sées qu’elles ins­pi­re­raient la méfiance ? Il serait assez aisé, au contraire, d’or­ga­ni­ser des séances publiques hon­nêtes, simples et véri­fiables par tous, grâce à des machines méca­niques — des klé­ro­té­rions modernes (mais sur­tout pas électroniques !).

C’est jus­te­ment la condam­na­tion des élec­tions par 70% des citoyens (qui disent régu­liè­re­ment aux son­deurs ne plus faire confiance à aucun par­ti) qui conduit aux taux d’abs­ten­tion record (dont les poli­tiques de métier devraient avoir honte) (mais ils n’ont mani­fes­te­ment honte de pas grand chose).

Les élec­tions tru­quées sont mon­naie cou­rante, un peu par­tout sur terre, et je ne pré­vois pas que les citoyens soient cha­gri­nés d’es­sayer un autre sys­tème, après 200 ans de cruelles dés­illu­sions : quand nous en par­lons, cha­cun com­prend très vite que LE TIRAGE AU SORT EST À LA FOIS PARFAITEMENT ÉQUITABLE ET PARFAITEMENT INCORRUPTIBLE.

C’est même sa force majeure. ÉC.]

[FA]5- Même si le tirage au sort était hon­nête, les élec­tions seraient rem­pla­cées par une sorte de panel, comme pour un sondage.

Or les ins­ti­tuts d’o­pi­nion un tant soit peu sérieux savent que tout son­dage donne une pro­ba­bi­li­té de résul­tat à l’in­té­rieur d’une four­chette, et que cette pro­ba­bi­li­té aug­mente si l’é­chan­tillon augmente.

À peu près tous les ins­ti­tuts de son­dage font des enquêtes d’o­pi­nion por­tant sur au moins 1000 son­dés, et les enquêtes les plus fiables portent sur 3 à 5000 sondés.

Avec un tirage au sort de nos 577 dépu­tés, nous aurions un échan­tillon trop faible. Il encour­rait for­cé­ment le risque, à tel ou tel tirage, de ne pas être repré­sen­ta­tif des opi­nions de la population.

C’est la 5ème conséquence.[/FA]

[ÉC : ici, je devine un MALENTENDU : cette objec­tion exa­mine le tirage au sort d’une assem­blée légis­la­tive, ce qui n’est qu’une des pos­si­bi­li­tés d’u­ti­li­sa­tion du tirage au sort, une pos­si­bi­li­té envi­sa­gée comme un com­pro­mis, pour amen­der le gou­ver­ne­ment représentatif.

Je rap­pelle que la démo­cra­tie, la vraie (directe, donc), se sert du tirage au sort non pas pour délé­guer tout le pou­voir aux repré­sen­tants, mais pour pré­ci­sé­ment en délé­guer le moins pos­sible, le moins long­temps pos­sible, de façon à fra­gi­li­ser les repré­sen­tants pour qui res­tent les ser­vi­teurs du peuple et pas ses maîtres, et que l’As­sem­blée des citoyens garde l’es­sen­tiel du pou­voir politique.

Mais pour me mettre dans l’hy­po­thèse de l’ob­jec­tion (où on essaie de cor­ri­ger le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif en pré­voyant qu’une des deux chambres soit tirée au sort et l’autre élue), il me semble que l’é­chan­tillon repré­sen­ta­tif le plus cou­rant pour un pays de 40 mil­lions d’é­lec­teurs tourne autour de 1000 per­sonnes. Eh bien la Chambre des Citoyens (celle qui est conçue pour res­sem­bler un peu plus au pays réel) peut se com­po­ser de 1000 per­sonnes, non ?

Mais sur­tout, même si ce nombre de 1000 est insuf­fi­sant (ce dont je doute) et donne une Assem­blée qui n’est pas par­fai­te­ment repré­sen­ta­tive du pays réel, il est assez amu­sant de se voir oppo­ser cet argu­ment par les par­ti­sans d’as­sem­blées élues qui, au vu de 200 ans d’ex­pé­riences répé­tées et inva­riantes, ne sont JAMAIS repré­sen­ta­tives, d’aus­si loin que ce soit…

Tirer au sort une des deux chambres ne don­ne­ra sans doute pas par­fai­te­ment satis­fac­tion, c’est donc exact, mais ce sera pour­tant infi­ni­ment MIEUX que le sys­tème actuel qui, en termes de « repré­sen­ta­tion » est une authen­tique catastrophe.

Donc, cette objec­tion ne peut pas être rete­nue pour le tirage au sort, me semble-t-il, puis­qu’elle s’ap­plique encore plus gra­ve­ment pour l’é­lec­tion. ÉC.]

[FA]6- Si les dépu­tés res­taient repré­sen­ta­tifs d’une cir­cons­crip­tion, le tirage au sort pour­rait très bien avoir des consé­quences dan­ge­reuses pour l’ordre public : par exemple si une cir­cons­crip­tion ayant tou­jours voté à gauche se voyait sou­dain repré­sen­tée par un « tiré au sort » ultra-libé­ral. Ou réciproquement.

Dans ce cas, le fait qu’il n’y ait pas eu élec­tion sus­ci­te­rait toutes les rumeurs et pour­rait débou­cher sur des émeutes si le cas se pro­dui­sait ailleurs. C’est la sixième conséquence.[/FA]

[ÉC : je pense, tout au contraire, que LE TIRAGE AU SORT N’AFFLIGE PERSONNE (Mon­tes­quieu), qu’il ne crée pas de ran­cune pour avoir per­du, qu’il ne crée pas non plus de vani­té d’a­voir gagné. Une des grandes forces du tirage au sort est qu’il est INCONTESTABLE, et donc PACIFIANT pour la Cité. Mon­tes­quieu le sou­ligne bien dans l’Es­prit des lois (Livre II, Cha­pitre 2).

Là encore, il est amu­sant de voir les par­ti­sans de l’é­lec­tion — qui orga­nise une véri­table guerre de tran­chées entre les par­tis, qui inter­dit lit­té­ra­le­ment aux citoyens de fra­ter­ni­ser (voir les inter­mi­nables que­relles intes­tines, et les ran­cunes tenaces qui en découlent, pour dési­gner un can­di­dat com­mun, à gauche comme à droite) — redou­ter la dis­corde avec le tirage au sort, alors que celui-ci est intrin­sè­que­ment paci­fiant puis­qu’il écarte, par construc­tion, toute idée de compétition.

D’au­tant que, il ne faut pas l’ou­blier, en démo­cra­tie, le tirage au sort n’a­ban­donne le pou­voir à per­sonne, mais per­met pré­ci­sé­ment au peuple de le gar­der : ain­si, peu importe que le tiré au sort soit ultra-libé­ral » puisque ce n’est pas lui qui va prendre les déci­sions, mais la majo­ri­té des citoyens réunis en corps à l’As­sem­blée (si on parle bien de démocratie).

Et si l’on parle de gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif amen­dé, il ne faut pas oublier toutes les INSTITUTIONS CORRECTRICES qui seront pré­vues pour lais­ser au peuple L’INITIATIVE qui lui per­met de reprendre le contrôle d’une situa­tion qui lui déplai­rait à l’ex­pé­rience. ÉC.]

[FA]7 – [Ce § est un rajout ]: Et si les dépu­tés n’é­taient plus repré­sen­ta­tifs d’une cir­cons­crip­tion, la décon­nexion entre les citoyens et leurs repré­sen­tants serait totale.

Plus per­sonne ne sau­rait par qui il est repré­sen­té à l’As­sem­blée Natio­nale puis­qu’il n’y aurait même plus d’é­lec­tion. Le lien entre les citoyens et leurs « repré­sen­tants » devien­drait exac­te­ment com­pa­rable au lien entre les citoyens et les son­dés par un ins­ti­tut de son­dage : per­sonne ne sait qui a été son­dé et les résul­tats des son­dages sont de moins en moins crus. C’est la sep­tième conséquence.[/FA]

[ÉC : Si l’on parle de démo­cra­tie (donc for­cé­ment directe), le lien entre les citoyens et leurs repré­sen­tants n’a aucune impor­tance puisque ce sont les citoyens qui décident (à l’As­sem­blée) et pas les représentants.

Si l’on parle de gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif amen­dé (une des chambres légis­la­tives est tirée au sort et l’autre est élue), chaque citoyen va bien com­prendre qu’a­vec ce bica­mé­ra­lisme intel­li­gent (une chambre de pros élus et une chambre d’a­ma­teurs tirés au sort) il prend LE MEILLEUR DES DEUX SYSTÈMES et que si, par ailleurs et par sur­croît, il garde L’INITIATIVE à tout moment pour tran­cher lui-même en cas de litige (ins­ti­tu­tion d’i­ni­tia­tive popu­laire auto­nome à pré­voir abso­lu­ment si l’on veut bien amen­der le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif), cha­cun com­prend bien, donc, qu’un tel sys­tème le pro­tège beau­coup mieux que le sys­tème actuel, même s’il est (fata­le­ment) imparfait.

OBJECTIVEMENT le risque de dif­fé­rence radi­cale (évo­qué dans cette objec­tion anxio­gène) entre le peuple et l’as­sem­blée qui le repré­sente est MOINS GRAND avec une chambre tirée au sort qu’a­vec une chambre élue.

ÉC.]

[FA]8- le tirage au sort don­ne­rait for­cé­ment des résul­tats non viables s’il s’o­pé­rait sur la liste des électeurs.
En effet, que se pas­se­rait-il si le sort dési­gnait des électeurs :
– très malades et impotents ?
– ou gra­ve­ment han­di­ca­pés men­ta­le­ment ou céré­bra­le­ment (par exemple des per­sonnes très âgées frap­pées par la mala­die d’Alzheimer) ?
– ou incarcérés ?
– ou disparus ?
– ou n’ayant aucune envie de s’oc­cu­per de poli­tique ? (ce qui repré­sente au bas mot 15% du corps électoral)
etc.

Pour être viable, le tirage au sort devrait donc se faire sur des listes d’ap­ti­tude, les­quelles pose­raient des pro­blèmes très épi­neux de tenue à jour, de fia­bi­li­té, et plus encore de repré­sen­ta­ti­vi­té de l’en­semble de la population.

Qui dres­se­rait ces listes d’aptitude ?
Sur quelles bases ?
Com­ment s’as­su­rer que ces listes ne pro­cè­de­raient pas à une dis­tor­sion par rap­port à l’é­lec­to­rat, enta­chant ain­si sa repré­sen­ta­ti­vi­té d’emblée ?
etc.
C’est la hui­tième conséquence.[/FA]

[ÉC : tout ces pro­blèmes (bien réels) ont été par­fai­te­ment ana­ly­sés et réglés par les Athé­niens, qui avaient pré­ci­sé­ment les mêmes peurs et qui avaient ins­ti­tué tout ce qu’il fal­lait pour ne plus avoir peur : je décris dans mes confé­rences toutes les ins­ti­tu­tions com­plé­men­taires qui servent exac­te­ment à régler ces PROBLÈMES (RÉELS) QUI N’ONT RIEN D’INSURMONTABLES : volon­ta­riat, doci­ma­sie, ostra­cisme, révo­ca­bi­li­té, red­di­tion des comptes et puni­tions pos­sibles, graphe para nomon et esangelie.

Ce qui est très inté­res­sant, d’ailleurs, c’est que rien ne nous inter­dit de réflé­chir à notre tour et d’i­ma­gi­ner des amé­lio­ra­tions aux ins­ti­tu­tions athé­niennes, natu­rel­le­ment : ain­si la doci­ma­sie, exa­men d’ap­ti­tude pour pou­voir être tiré au sort, pour­rait avoir un conte­nu lon­gue­ment dis­cu­té entre nous et c’est très inté­res­sant : où vou­lons-nous pla­cer la barre ? La dis­cus­sion est ouverte. Et le fait que les réponses ne soient pas encore évi­dentes ne retire rien à l’in­té­rêt de l’ins­ti­tu­tion. ÉC.]

[FA]9- On ne s’im­pro­vise pas dépu­té, sur­tout si l’on n’a pas de struc­ture poli­tique pour épau­ler les travaux.
Les par­tis poli­tiques ont certes bien des défauts mais ils ont quand même le mérite de fixer un cadre de tra­vail, d’a­voir des méthodes, une expé­rience des rap­ports avec les admi­nis­tra­tions, etc.
Com­ment un « tiré au sort » n’ayant aucune expé­rience ferait-il pour ne pas se lais­ser embo­bi­ner par les admi­nis­tra­tions ou par les lob­bys en tout genre qui vien­draient l’assaillir ?
C’est la neu­vième consé­quence : le tirage au sort n’ap­porte aucune garan­tie de sérieux et d’indépendance.[/FA]

[ÉC : C’est vrai qu’on ne s’im­pro­vise pas dépu­té, mais cela vaut tout autant pour les élus que pour les tirés au sort ! TOUS devront tra­vailler en décou­vrant leur poste, et c’est leur TRAVAIL sur les dos­siers qui, prin­ci­pa­le­ment, fera leur compétence.

Cette objec­tion de la com­pé­tence est vieille comme le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, et il faut recon­naître que de nom­breux élus ont de fort belles méca­niques intel­lec­tuelles. Ce que dit Alain de ce sujet est abso­lu­ment lumi­neux : j’in­vite tout le monde à lire — et à tra­vailler même — les « Pro­pos sur le pou­voir », notamment.

Le pro­blème — et il est rédhi­bi­toire, il faut le com­prendre — c’est qu’une grande com­pé­tence, quand elle est au ser­vice d’une petite ver­tu est, du point de vue de l’in­té­rêt géné­ral, UNE DOUBLE CATASTROPHE ! À quoi nous sert d’a­voir mis des « poin­tures » au pou­voir si elles sont malhonnêtes ?

Il est donc impor­tant, pour tous ceux qui tiennent abso­lu­ment à évi­ter les abus de pou­voir, de pla­cer la ver­tu AVANT la compétence.

Et de ce point de vue, L’AMATEURISME POLITIQUE était la solu­tion démo­cra­tique que les Athé­niens avaient appor­tée (avec suc­cès pen­dant 200 ans) au fait (éter­nel) que LE POUVOIR CORROMPT. Le refus du pro­fes­sion­na­lisme poli­tique ne laisse jamais aux repré­sen­tants le temps de se cor­rompre. Et pour les démo­crates, c’est tout à fait prioritaire.

Par ailleurs, l’ex­pé­rience renou­ve­lée, dans les temps modernes, des « confé­rences de consen­sus », des « assem­blées de citoyens », des « son­dages déli­bé­ra­tifs », etc. montrent au contraire que la com­pé­tence des simples citoyens, déve­lop­pée à vitesse grand V au cours des tra­vaux col­lec­tifs de longue haleine, est tout à fait surprenante.

Je n’in­sis­te­rai pas, en regard, sur l’in­com­pé­tence notoire qu’on observe sou­vent chez cer­tains élus.

Donc, L’ÉLECTION NE GARANTIT NULLEMENT LA COMPÉTENCE, ET ENCORE MOINS L’HONNÊTETÉ, ALORS QUE LE TIRAGE AU SORT N’INTERDIT NI L’UN NI L’AUTRE.

Les simples citoyens, sou­cieux de don­ner au mot « démo­cra­tie » un sens réel et non dévoyé, aspirent natu­rel­le­ment à l’exer­cice du pou­voir. Les ren­voyer à leur « incom­pé­tence » sup­po­sée est un peu vexant. ÉC.]

[FA]9- Enfin, qu’est-ce qui assure qu’un citoyen « lamb­da » tiré au sort ne serait pas autant, sinon plus, cor­rup­tible qu’un res­pon­sable poli­tique traditionnel ?
Il n’y a aucun rap­port entre le tirage au sort et la ver­tu, l’é­thique et la mora­li­té de cha­cun. Croire l’in­verse, c’est ver­ser dans l’an­ti­par­le­men­ta­risme sys­té­ma­tique ou tom­ber dans la naï­ve­té romantique.
C’est la dixième consé­quence : le tirage au sort n’ap­porte aucune garan­tie de probité.[/FA]

[ÉC : là, je pense qu’il y a une vraie erreur — et je ne sombre dans rien du tout 😉

PARCE QUE L’ÉLECTION POUSSE AU MENSONGE ET À LA CORRUPTION, LE TIRAGE AU SORT, PAR COMPARAISON, EST INTRINSÈQUEMENT VERTUEUX.

Alors, qu’est-ce qui vicie donc ain­si l’élection ?

Je repro­duis ici une par­tie de la liste des reproches que je for­mule contre cette pro­cé­dure (voir http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​c​e​n​t​r​a​l​i​t​e​_​d​u​_​t​i​r​a​g​e​_​a​u​_​s​o​r​t​_​e​n​_​d​e​m​o​c​r​a​t​i​e​.​pdf ) :

a. L’élection pousse au men­songe les repré­sen­tants : d’abord avant, pour accé­der au pou­voir, puis pen­dant, pour le conser­ver, car les can­di­dats ne peuvent être élus, puis réélus, que si leur image est bonne : cela pousse méca­ni­que­ment à men­tir, aus­si bien sur le futur et sur le passé.

b. L’élection pousse à la cor­rup­tion : les élus « spon­so­ri­sés » doivent fata­le­ment « ren­voyer l’ascenseur » à leurs spon­sors, ceux qui ont finan­cé leur cam­pagne élec­to­rale : la cor­rup­tion est donc inévi­table, par l’existence même de la cam­pagne élec­to­rale dont le coût est inac­ces­sible au can­di­dat seul (au moins dans les élec­tions à grande échelle). Le sys­tème de l’élection per­met donc, et même impose, la cor­rup­tion des élus (ce qui arrange sans doute quelques acteurs éco­no­miques fortunés).

Grâce au prin­cipe de la cam­pagne élec­to­rale rui­neuse, nos repré­sen­tants sont à vendre (et nos liber­tés avec).

c. L’élection incite au regrou­pe­ment en ligues et sou­met l’action poli­tique à des clans et sur­tout à leurs chefs, avec son cor­tège de tur­pi­tudes liées aux logiques d’appareil et à la quête ultra prio­ri­taire (vitale) du pouvoir.

Les par­tis imposent leurs can­di­dats, ce qui rend nos choix fac­tices. Du fait de la par­ti­ci­pa­tion de groupes poli­tiques à la com­pé­ti­tion élec­to­rale (concur­rence déloyale), l’élection prive la plu­part des indi­vi­dus iso­lés de toute chance de par­ti­ci­per au gou­ver­ne­ment de la Cité et favo­rise donc le dés­in­té­rêt poli­tique (voire le rejet) des citoyens.

d. L’élection délègue… et donc dis­pense (éloigne) les citoyens de l’activité poli­tique quo­ti­dienne et favo­rise la for­ma­tion de castes d’élus, pro­fes­sion­nels à vie de la poli­tique, qui s’éloignent de leurs élec­teurs pour fina­le­ment ne plus repré­sen­ter qu’eux-mêmes, trans­for­mant la pro­tec­tion pro­mise par l’élection en muse­lière politique.

e. L’élection n’assure que la légi­ti­mi­té des élus, sans garan­tir du tout la jus­tice dis­tri­bu­tive dans la répar­ti­tion des charges : une assem­blée de fonc­tion­naires et de méde­cins ne peut pas appré­hen­der l’intérêt géné­ral comme le ferait une assem­blée tirée au sort.

Une assem­blée élue n’est jamais représentative.

f. Para­doxa­le­ment, l’élection étouffe les résis­tances contre les abus de pou­voir : elle réduit notre pré­cieuse liber­té de parole à un vote épi­so­dique tous les cinq ans, vote tour­men­té par un bipar­tisme de façade qui n’offre que des choix fac­tices. La consigne du « vote utile » est un bâillon politique.

L’élection sélec­tionne par défi­ni­tion ceux qui semblent « les meilleurs », des citoyens supé­rieurs aux élec­teurs, et renonce ain­si au prin­cipe d’égalité (pour­tant affi­ché par­tout, men­son­gè­re­ment) : l’élection désigne davan­tage des chefs qui recherchent un pou­voir (domi­na­teurs) que des repré­sen­tants qui acceptent un pou­voir (média­teurs, à l’écoute et au ser­vice des citoyens).

L’élection est pro­fon­dé­ment aris­to­cra­tique, pas du tout démo­cra­tique. L’expression « élec­tion démo­cra­tique » est un oxy­more (un assem­blage de mots contradictoires).

Un incon­vé­nient impor­tant de cette élite, c’est ce sen­ti­ment de puis­sance qui se déve­loppe chez les élus au point qu’ils finissent par se per­mettre n’importe quoi.

Donc, oui, a contra­rio, le tirage au sort, qui échappe à tous ces tra­vers, pousse davan­tage à la ver­tu, intrinsèquement :

a. La pro­cé­dure du tirage au sort est impar­tiale et équi­table : elle garan­tit une jus­tice dis­tri­bu­tive (consé­quence logique du prin­cipe d’égalité poli­tique affir­mé comme objec­tif cen­tral de la démocratie).

b. Le tirage au sort empêche la cor­rup­tion (il dis­suade même les cor­rup­teurs : il est impos­sible et donc inutile de tri­cher, on évite les intrigues) : ne lais­sant pas de place à la volon­té, ni des uns ni des autres, il n’accorde aucune chance à la trom­pe­rie, à la mani­pu­la­tion des volontés.

c. Le tirage au sort ne crée jamais de ran­cunes : pas de vani­té d’avoir été choi­si ; pas de res­sen­ti­ment à ne pas avoir été choi­si : il a des ver­tus paci­fiantes pour la Cité, de façon systémique.

d. Tous les par­ti­ci­pants, repré­sen­tants et repré­sen­tés sont mis sur un réel pied d’égalité.

e. Le hasard, repro­dui­sant rare­ment deux fois le même choix, pousse natu­rel­le­ment à la rota­tion des charges et empêche méca­ni­que­ment la for­ma­tion d’une classe poli­ti­cienne tou­jours por­tée à tirer vani­té de sa condi­tion et cher­chant tou­jours à jouir de privilèges.

Le prin­cipe pro­tec­teur majeur est celui-ci : les gou­ver­nants sont plus res­pec­tueux des gou­ver­nés quand ils savent avec cer­ti­tude qu’ils revien­dront bien­tôt eux-mêmes à la condi­tion ordi­naire de gouvernés.

f. Pré­fé­rer le tirage au sort, c’est refu­ser d’abandonner le pou­voir du suf­frage direct à l’Assemblée, et c’est tenir à des contrôles réels de tous les repré­sen­tants : donc, le tirage au sort por­tant avec lui des CONTRÔLES dras­tiques à tous les étages, il est mieux adap­té que l’élection (qui sup­pose que les élec­teurs connaissent bien les élus et leurs actes quo­ti­diens) pour les enti­tés de grande taille. (Alors qu’on entend géné­ra­le­ment pré­tendre le contraire.)

ÉC.]

[FA]CONCLUSION

—————-

L’i­dée de « tirer au sort » les repré­sen­tants des Fran­çais est une idée sédui­sante de prime abord mais qui ne résiste pas à l’examen.[/FA]

[ÉC : pour ma part, j’au­rais dit exac­te­ment la même chose… de l’é­lec­tion ! 🙂 ÉC]

[FA]L’invocation de la Grèce antique ne tient pas debout :

- D’une part parce qu’il s’a­gis­sait de cités de quelques mil­liers d’ha­bi­tants tout au plus, où tout le monde se connaissait,[/FA]

[ÉC : C’est vrai, et c’est aus­si le cas dans les COMMUNES, toutes de petite taille, où pour­rait par­fai­te­ment prendre place des ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques dignes de ce nom.

Donc, du point de vue de la TAILLE, la com­pa­rai­son entre com­munes et cité grecque tient par­fai­te­ment debout.

Et pour les pro­blèmes poli­tiques qui requièrent la grande échelle (et pour eux seuls), on peut faire tra­vailler ensemble les com­munes avec une tech­nique bien connue qui s’ap­pelle la FÉDÉRATION, lon­gue­ment tes­tée et rôdée : nous ne sommes pas du tout là en terres incon­nues. ÉC.]

[FA]- D’autre part parce que les pro­blèmes étaient d’une moindre com­plexi­té que dans le monde d’aujourd’hui,[/FA]

[ÉC : CE NE SONT PAS LES PROBLÈMES QUI SONT PLUS COMPLIQUÉS, CE SONT LES LOIS. Et il me semble que ce n’est pas une fata­li­té : c’est la spé­cia­li­sa­tion des légis­la­teurs, et des avo­cats, et des juges, et plus lar­ge­ment de tous les pro­fes­sion­nels du droit, qui a conduit pro­gres­si­ve­ment à une extra­va­gante com­plexi­té légis­la­tive, qui engendre elle-même une grande INSÉCURITÉ JURIDIQUE pour tout le monde.

Donc, non seule­ment cette com­plexi­té est non néces­saire, mais elle est nui­sible. Dépro­fes­sion­na­li­ser la pro­duc­tion du droit pour­rait heu­reu­se­ment conduire à sim­pli­fier le droit et je ne vois pas que ce soit une catas­trophe. ÉC.]

[FA]- Enfin parce que ce tirage au sort était loin d’être un modèle de démo­cra­tie (les femmes et les esclaves en étant écartés).[/FA]

[ÉC : j’ai répon­du à cette objec­tion pré­ci­sé­ment : le fait qu’à cette époque, il y avait effec­ti­ve­ment des esclaves et des femmes inca­pables poli­ti­que­ment 1) n’é­tait pas spé­ci­fique (tous les peuples vivaient comme ça à l’é­poque), et 2) n’é­tait pas consti­tu­tif de la démo­cra­tie (les ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques fonc­tion­ne­raient de la même façon en incor­po­rant les femmes et les esclaves dans le peuple moderne).

Il n’est donc pas per­ti­nent de mon­ter en épingle ces carac­tères — non spé­ci­fiques et non déci­sifs — comme s’ils ren­daient inac­cep­tables le pro­jet démo­cra­tique. ÉC.]

[FA]Les dif­fi­cul­tés recen­sées supra expliquent pour­quoi il n’existe de nos jours aucun État au monde qui pra­tique un tirage au sort pour choi­sir les repré­sen­tants du peuple.[/FA]

[ÉC : on pour­rait voir d’autres rai­sons, plus cré­dibles : les aspi­rants voleurs de pou­voir, ayant eu 200 ans pour consta­ter la cen­tra­li­té du tirage au sort dans une démo­cra­tie réelle, ont tou­jours fait bien atten­tion depuis à ne jamais lais­ser les peuples déci­der eux-mêmes de leurs ins­ti­tu­tions, et à ne jamais ensei­gner aux enfants les fon­de­ments les plus impor­tants d’une vraie démo­cra­tie : au contraire, on apprend aux enfants que démo­cra­tie = élec­tions, ce qui est un contre­sens abso­lu. ÉC.]

[FA]En dres­sant ce constat, nous ne disons évi­dem­ment pas que la situa­tion actuelle est par­faite, loin de là.

Nous disons que la démo­cra­tie doit être réno­vée par d’autres voies, qui devront res­ter opé­ra­tion­nelles, réa­listes, accep­tées par tous, et qui veille­ront à garan­tir aux citoyens une démo­cra­tie beau­coup plus réelle et repré­sen­ta­tive de l’o­pi­nion que ce n’est le cas actuellement.

Le pro­gramme com­plé­té que je pré­sen­te­rai cet automne veille­ra à appor­ter des solu­tions que j’es­père convaincantes.

Fran­çois Asselineau[/FA]

[ÉC : autant je com­prends que vous soyez hos­tile à la démo­cra­tie directe inté­grale (puis­qu’elle ren­drait impos­sible à qui­conque la direc­tion des affaires à la place du peuple), autant il me semble que vous n’au­riez pas grand-chose à perdre en pou­voir, et beau­coup à gagner en image, à pro­po­ser enfin au peuple de PARTAGER (un peu) du pou­voir auquel vous aspi­rez : pro­po­ser de COMBINER LES AVANTAGES de deux chambres, une élue et une tirée au sort, vous per­met­trait de conti­nuer à pour­suivre votre pro­jet de par­ti­ci­per vous-même à la défense de l’in­té­rêt géné­ral (grâce à l’é­lec­tion), tout en offrant au peuple une fenêtre jamais vue depuis 2500 ans, un espoir pour les élec­teurs d’être enfin trai­tés en adultes (grâce au tirage au sort) : vous mon­tre­riez que vous faites CONFIANCE aux citoyens (que vous ces­se­riez de rava­ler au rang dégra­dant d’é­lec­teurs), et je suis sûr qu’ils sau­raient le voir (d’au­tant plus que ce serait sacré­ment ori­gi­nal et prometteur).

J’es­père que vous n’a­vez pas fer­mé les écou­tilles et ver­rouillé votre juge­ment sur la ques­tion : plus j’y réflé­chis, plus je trouve que (au moins intro­duire par­tiel­le­ment) le tirage au sort en poli­tique est une idée astu­cieuse et équi­li­brée, du point de vue de l’in­té­rêt général.

Je pro­fite de cet échange pour vous remer­cier de la qua­li­té et de l’u­ti­li­té de votre résis­tance au pro­jet de domi­na­tion européen.

Étienne Chouard.]

_____________________

[ÉC : post scriptum :

IL EST DIFFICILE DE CORROMPRE QUELQU’UN QUI NE VOUS DOIT RIEN.

Voi­là une façon claire et forte de résu­mer LA RACINE de ce qui fait que, — SANS ÊTRE LUI-MÊME PARFAIT bien sûr, puisque rien n’est par­fait —, LE TIRAGE AU SORT EST PLUS PROPICE À LA VERTU QUE L’ÉLECTION.

Je ne dis PAS du tout que TOUTES LES PERSONNES —tous les élus et tous les can­di­dats à l’é­lec­tion— soient cor­rom­pus, car il y a des per­son­na­li­té plus fortes que les autres qui résistent bien aux forces cor­rup­trices en pré­sence (et c’est sans doute plus fré­quent à l’é­chelle locale), mais je dis que LA PROCÉDURE de l’é­lec­tion est méca­ni­que­ment cor­rup­trice, quand celle du tirage au sort ne n’est pas.

Le FAIT de rendre l’é­lu DÉBITEUR (de ceux qui financent sa cam­pagne élec­to­rale) est au cœur de la méca­nique qui conduit à la situa­tion actuelle : je pense que cette pro­cé­dure oli­gar­chique est LA CAUSE DES CAUSES de la crise actuelle (et de celles qui l’ont précédée).

Et j’en déduis logi­que­ment que, sans être par­faite, la DÉMOCRATIE — la vraie — est une solu­tion cré­dible et durable à la catas­trophe actuelle.

Étienne Chouard.]

 

Deuxième texte de Fran­çois Asse­li­neau et mes réponses point par point :

OBJECTIONS (2) AU TIRAGE AU SORT EN POLITIQUE,
ET PROPOSITIONS (2) DE RÉFUTATIONS RATIONNELLES, 2 octobre 2011 (source)

http://​www​.face​book​.com/​n​o​t​e​.​p​h​p​?​n​o​t​e​_​i​d​=​1​0​1​5​0​4​1​1​0​6​0​2​6​2​317

Rap­pel des épi­sodes pré­cé­dents : une inté­res­sante contro­verse a com­men­cé quand Mon­sieur Asse­li­neau a publié (http://​www​.face​book​.com/​u​p​r​.​f​r​a​n​c​o​i​s​a​s​s​e​l​i​n​e​a​u​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​0​3​3​2​5​6​1​1​5​2​612) une pre­mière série de reproches à l’i­dée d’u­ti­li­ser le tirage au sort en poli­tique pour fon­der et pro­té­ger une démo­cra­tie digne de ce nom.

Rapi­de­ment, j’ai répon­du point par point à cet argu­men­taire : http://www.facebook.com/notes/etienne-chouard/objections-au-tirage-au-sort-en-politique-et-propositions-de‑r%C3%A9futations-rationn/10150398358067317

Hier, Fran­çois Asse­li­neau a réagi à son tour en étu­diant point par point mes réponses : http://​fr​-fr​.face​book​.com/​u​p​r​.​f​r​a​n​c​o​i​s​a​s​s​e​l​i​n​e​a​u​/​p​o​s​t​s​/​2​5​4​1​3​2​7​9​7​9​5​7​858

C’est à ce der­nier mes­sage public que je réponds à mon tour, en glis­sant dans le texte de Fran­çois Asse­li­neau mes propres objec­tions, entre cro­chets et en bleu comme précédemment.

—–

[ÉC : DEUXIÈME SÉRIE DE RÉPONSES D’ÉTIENNE CHOUARD, en bleu et entre crochets,
AUX RÉACTIONS DE FRANÇOIS ASSELINEAU
à pro­pos de l’u­ti­li­sa­tion du tirage au sort en politique

(http://​fr​-fr​.face​book​.com/​u​p​r​.​f​r​a​n​c​o​i​s​a​s​s​e​l​i​n​e​a​u​/​p​o​s​t​s​/​2​5​4​1​3​2​7​9​7​9​5​7​858) : ÉC.]

[FA : J’ai hési­té à répondre aux argu­ments avan­cés par une tierce per­sonne en lieu et place de M. Chouard sur Ago­ra­vox car je n’ai pas envie de don­ner du relief à cette idée de tirage au sort. FA]

[ÉC : Avant de répondre point par point à Fran­çois Asse­li­neau —dont je res­pecte le tra­vail admi­rable de dénon­cia­tion méti­cu­leuse et puis­sante du pro­jet de domi­na­tion euro­péen, et la pré­sente contro­verse ne chan­ge­ra rien à ce res­pect—, je vou­drais for­mu­ler quelques remarques préliminaires :

• D’a­bord, un incon­vé­nient des contro­verses est que nous sommes par­fois conduits à radi­ca­li­ser nos posi­tions par le jeu même des argu­ments adverses, et nous pou­vons sou­vent — l’un et l’autre — être conduits insen­si­ble­ment à défendre (tem­po­rai­re­ment) des posi­tions plus radi­cales que celles qui sont pro­fon­dé­ment les nôtres.

Ain­si, après avoir tra­vaillé six ans à amen­der (sans pen­ser les abo­lir !) les ins­ti­tu­tions du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif (voir notam­ment mon forum : http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​f​o​rum ), les récentes dis­cus­sions (pas­sion­nées) sur la démo­cra­tie athé­nienne m’ont pro­gres­si­ve­ment conduit à me faire le défen­seur opi­niâtre de cette démo­cra­tie directe antique dont les germes essen­tiels me semblent effec­ti­ve­ment très inté­res­sants pour nous autres, modernes, et au sujet de laquelle les calom­nies (sou­vent d’o­ri­gine par­le­men­taire), res­sas­sées ad nau­seam depuis deux cents ans, me semblent par­fai­te­ment injustes et infondées.

Et me voi­ci donc deve­nu, par le jeu des polé­miques suc­ces­sives (pas­sion­nantes au demeu­rant), le défen­seur appa­rem­ment incon­di­tion­nel de la seule démo­cra­tie directe à l’a­thé­nienne, comme si je n’a­vais pas d’autres pro­jets, plus modé­rés et plus rai­son­nables : je rap­pelle donc que l’es­sen­tiel de mon tra­vail depuis six ans consiste à amé­lio­rer la repré­sen­ta­tion du peuple dans le cadre du gou­ver­ne­ment représentatif.

Je rap­pelle que ce gros tra­vail me per­met d’af­fir­mer qu’il y a au moins un tirage au sort qui est abso­lu­ment NON NÉGOCIABLE, et c’est LE TIRAGE AU SORT DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE, sans lequel aucune démo­cra­tie digne de ce nom, ni gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif res­pec­table, ne sera jamais ins­ti­tuée. Je ne déve­loppe pas ici, j’en parle partout.

Au-delà de cet usage mini­mum (à mon avis, incon­tour­nable) du tirage au sort, toutes les réflexions sont inté­res­santes, mais plus option­nelles : démo­cra­tie directe sous forme de fédé­ra­tion de com­munes libres ; ou gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif pro­fon­dé­ment amé­lio­ré, par des CONTRÔLES des élus et des organes (légis­la­tifs, exé­cu­tifs, judi­ciaires, média­tiques et moné­taires) à tous les étages, par la puis­sance auto­nome recon­nue aux INITIATIVES POPULAIRES, par une chambre tirée au sort en com­plé­ment de celle élue, etc.

• Ensuite, il semble que les authen­tiques démo­crates soient appe­lés à se faire salir par ceux qui appellent « démo­cra­tie » son strict contraire : les noms d’oi­seau ‘fas­ciste’ ou ‘d’ex­trême droite’ ou ‘tota­li­taire’ volent bas, ces temps-ci.

Il me semble donc utile de sou­li­gner ce qu’est, à mon sens, la dif­fé­rence entre la droite et la gauche : his­to­ri­que­ment (et à juste rai­son pour la défense de l’in­té­rêt géné­ral), le mot DROITE dési­gnait pen­dant la Révo­lu­tion fran­çaise la posi­tion dans l’hé­mi­cycle des défen­seurs des PRIVILÉGIÉS de l’An­cien régime. Cette ligne de cli­vage me paraît par­fai­te­ment per­ti­nente et adap­tée à l’é­poque moderne, époque où la mul­ti­tude des (rela­ti­ve­ment) pauvres a tou­jours beau­coup à craindre des intrigues et des abus de pou­voir des grands pri­vi­lé­giés du moment.

LE VRAI MARQUEUR GAUCHE/DROITE, À MON SENS,
C’EST : « POUR OU CONTRE LES PRIVILÈGES ET LES PRIVILÉGIÉS ».

Or, il se trouve que, depuis que les socia­listes ont eu le pou­voir en 1981, et plus pré­ci­sé­ment depuis le début, en 1983, de leurs hon­teuses et inter­mi­nables tra­hi­sons, une cer­taine « gauche » (celle qui est en fait deve­nue d’ex­trême droite sans l’a­vouer, c’est-à-dire au ser­vice ser­vile des pri­vi­lé­giés, de façon lit­té­ra­le­ment scan­da­leuse), comme pour faire oublier ses félo­nies, s’est for­gée une ver­tu fac­tice en défen­dant (d’une façon presque hys­té­rique, sans doute à la mesure des men­songes que nous sommes priés de pas­ser par pertes et pro­fits) de nou­velles « valeurs de gauche » (à mon avis tota­le­ment étran­gères aux vraies causes des mul­tiples injus­tices sociales) comme l’in­ter­dic­tion de la peine de mort, l’au­to­ri­sa­tion de l’a­vor­te­ment, la lutte contre le racisme et l’an­ti­sé­mi­tisme (comme s’ils n’é­taient pas une seule et même plaie), la lutte contre les dis­cri­mi­na­tions (accom­pa­gnée du com­mu­nau­ta­risme affé­rent, pro­fon­dé­ment anti­ré­pu­bli­cain), la lutte contre le ‘natio­na­lisme’ et contre le ‘sou­ve­rai­nisme’ dénon­cés comme source des guerres entre les peuples (alors que la vraie cause des causes des guerres, ce sont bien plu­tôt les car­tels et les banques, c’est-à-dire les grands pri­vi­lé­giés, qui ins­tru­men­ta­lisent le natio­na­lisme et le racisme), etc. Toutes sortes de sujets de socié­tés IMPORTANTS MAIS SECONDAIRES, toutes CONSÉQUENCES ET PAS CAUSES de nos maux, par rap­port aux vrais méfaits du capi­ta­lisme débou­ton­né : libre-échange, déré­gle­men­ta­tion finan­cière, délo­ca­li­sa­tions, para­dis fis­caux, réduc­tion des impôts des riches, Union euro­péenne struc­tu­rel­le­ment anti­dé­mo­cra­tique et anti­so­ciale, déman­tè­le­ment des ser­vices publics, pri­va­ti­sa­tions, recul des pro­tec­tions sociales, cor­rup­tion des pou­voirs, etc.

Je recom­mande à ce sujet l’ex­cellent live de Jean-Luc Mélen­chon, « En quête de gauche », qui dresse un réca­pi­tu­la­tif pla­né­taire de toutes les tra­hi­sons des par­tis socio-démo­crates du monde : une inter­mi­nable lita­nie de salo­pe­ries, qui évoquent évi­dem­ment celles de notre PS natio­nal, véri­table catas­trophe antisociale.

C’est bien la tra­hi­son des élus de gauche qui nous conduit tous à l’ab­sence d’al­ter­na­tive et à la catas­trophe actuelle, depuis 1983, et qui nous y enferme encore.

La lutte contre les méfaits de la CLASSE DES GRANDS PRIVILÉGIÉS ayant donc dis­pa­ru des objec­tifs de la soi-disant « gauche socia­liste », nous autres (citoyens rava­lés à la condi­tion humi­liante d’é­lec­teurs) sommes donc condam­nés par le régime du soi-disant « gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif » (qui ose s’au­to­pro­cla­mer « démo­cra­tie », il y en a qui ne manquent pas d’air), CONDAMNÉS À SUBIR LES MALTRAITANCES DE DEUX PARTIS DE DROITE : L’UMP et le PS, qui sont de droite en ceci qu’ils défendent tous les deux, à toute force, les inté­rêts des grands pri­vi­lé­giés ; ceux qui ne le voient pas en ce moment ne ver­ront jamais rien.

Pour ma part, jus­qu’à nou­vel ordre, je classe donc Mon­sieur Asse­li­neau à gauche, parce qu’il résiste vaillam­ment aux pro­jets de domi­na­tion totale des grands pri­vi­lé­giés, et le PS à l’ex­trême droite, parce qu’il orga­nise et nous impose depuis trente ans le piège anti­dé­mo­cra­tique et anti­so­cial de l’U­nion euro­péenne et parce qu’il défend tou­jours ser­vi­le­ment les inté­rêts des ultras riches en France.

• Der­nier point : j’ob­serve que ma pro­po­si­tion médiane — un régime mixte où vote­raient les lois deux chambres, une chambre de pro­fes­sion­nels élus et une chambre d’a­ma­teurs tirés au sort — n’a pas été com­men­tée par Mon­sieur Asse­li­neau. C’est dom­mage, car c’est une idée qui per­met­trait à un élu, sou­cieux d’as­so­cier les gou­ver­nés à son action, de par­ta­ger avec le peuple un peu du pou­voir qu’il brigue : je n’ar­rive pas à croire que Mon­sieur Asse­li­neau tienne abso­lu­ment à gar­der le peuple tota­le­ment à l’é­cart de toute action poli­tique une fois qu’on lui aura don­né le pou­voir en l’élisant.

ÉC]

[FA : Mais ce fil de dis­cus­sion (http://​fr​-fr​.face​book​.com/​u​p​r​.​f​r​a​n​c​o​i​s​a​s​s​e​l​i​n​e​a​u​/​p​o​s​t​s​/​2​5​4​1​3​2​7​9​7​9​5​7​858) me pousse quand même à réagir.

—–

Comme le dit très jus­te­ment Aarav at Vaji, les réponses de M. Chouard à mes objec­tions à son idée de tirage au sort, telles qu’elles sont appa­rues sur Ago­ra­vox, n’é­taient pas sérieuses. Elles étaient même par­fois assez inquié­tantes. Elles repo­saient sur­tout sur un art de l’es­quive et sur des affir­ma­tions péremp­toires et extrê­me­ment dis­cu­tables. FA]

[ÉC : Ces pre­mières affir­ma­tions revien­dront peut-être comme un boo­me­rang, cha­cun juge­ra sur pièces. Venons-en aux arguments.
ÉC]

[FA : Tout cela est assez inat­ten­du de la part de quel­qu’un qui entend d’al­ler au fond des choses. FA]

[ÉC : Même remarque.
ÉC]

[FA : J’en pren­drais pour preuve 3 exemples par­mi mes 10 objections :

=====================================

1) – mon objec­tion n°1 était que le tirage au sort pro­po­sé par M. Chouard consiste tout bon­ne­ment à sup­pri­mer les urnes, les scru­tins, le suf­frage uni­ver­sel et les par­tis poli­tiques, le tout sous cou­vert de démo­cra­tie. FA]

[ÉC : Vous n’in­sis­tez que sur la sup­pres­sion (d’un men­songe poli­tique — ce n’est pas un détail) sans voir ce qui est pro­po­sé à la place (le vrai demos cra­tos, hon­nê­te­ment). Pour ne pas la lais­ser défor­mer, je vais recons­ti­tuer ci-des­sous l’in­té­gra­li­té de l’i­dée que je défends :

• Je pro­pose effec­ti­ve­ment de sup­pri­mer les URNES (où les élec­teurs sont invi­tés à se conten­ter de dépo­ser le nom d’un MAÎTRE poli­tique qui déci­de­ra de tout à leur place pen­dant cinq ans), et de les rem­pla­cer par le VOTE DIRECT sur chaque loi de tous les citoyens (qui le dési­rent) à l’Assemblée.

C’est-à-dire que je pro­pose UN SYSTÈME QUI CESSE D’EXCLURE les citoyens de l’ac­tion poli­tique (parce que l’ex­clu­sion du peuple de tout pou­voir au quo­ti­dien est bien le résul­tat évident de l’é­lec­tion, il n’y a que les élus pour ne pas le voir), et qui asso­cie au contraire plei­ne­ment tous ceux qui le sou­haitent à cette action poli­tique, quotidiennement.

• En d’autres termes (parce que c’est la même chose dit autre­ment), je pro­pose effec­ti­ve­ment de SUPPRIMER LE FAUX « suf­frage uni­ver­sel » (impo­sé par les élus et qui consiste à seule­ment choi­sir son maître poli­tique et à renon­cer à toute puis­sance poli­tique) et LE REMPLACER PAR LE VRAI suf­frage uni­ver­sel qui est le vrai vote de vraies lois par de vrais citoyens dans une vraie assem­blée démo­cra­tique au ser­vice du vrai inté­rêt général.

Si vous ne rete­nez que le pre­mier terme du para­graphe pré­cé­dent, et en reti­rant le mot FAUX par sur­croît, vous avez suf­fi­sam­ment défor­mé ma pen­sée pour la réfu­ter faci­le­ment. Mais cette réfu­ta­tion serait sans doute plus dif­fi­cile en la respectant.

• Et enfin, comme une consé­quence logique de la dis­pa­ri­tion des élec­tions de nos maîtres, effec­ti­ve­ment, je pré­vois la dis­pa­ri­tion des par­tis, puis­qu’ils ne ser­vaient qu’à gagner les élections.

Nota : tout cela n’est pas pré­sen­té « sous cou­vert de » démo­cra­tie : tout cela est « la sub­stance même » de toute démo­cra­tie digne de ce nom.

Mais il est vrai que cela n’ap­pa­raît qu’à ceux qui ne croient plus aux bobards parlementaires :

DEMOS CRATOS, CE N’EST PAS PARLEMENTAROS CRATOS…

ÉC]

[FA : J’es­time qu’une écra­sante majo­ri­té de Fran­çais rejet­te­rait cette idée (et j’es­time aus­si qu’ils auraient rai­son de la rejeter).

Objec­tion à laquelle M. Chouard a répon­du en sub­stance trois choses :

1.1.)- tout pour­rait chan­ger très vite

——————————————-

Je suis déso­lé mais ce n’est pas une réponse, c’est une simple affir­ma­tion, une péti­tion de prin­cipe. M. Chouard n’a aucune preuve, aucun indice de ce qu’il affirme, il n’ex­plique nul­le­ment com­ment il va faire pour convaincre les Fran­çais d’a­ban­don­ner le suf­frage uni­ver­sel, qui est l’une des plus grandes conquêtes de la Répu­blique [ÉC : Je le conteste. ÉC] et qui est le seul moment où ils ont un rôle actif [ÉC : JE NE VOUS LE FAIS PAS DIRE ! ÉC] ; il n’ex­plique pas davan­tage com­ment il va par­ve­nir concrè­te­ment à modi­fier la Consti­tu­tion fran­çaise sur ce point (car il le fau­drait). FA]

[ÉC : Là encore, je ne vous le fais pas dire : cette situa­tion véri­ta­ble­ment scan­da­leuse, où seuls les par­le­men­taires, à l’i­ni­tia­tive du gou­ver­ne­ment, peuvent MODIFIER EUX-MÊMES LA CONSTITUTION QU’ILS DEVRAIENT CRAINDRE ET QUI DEVRAIT LEUR ÊTRE PARFAITEMENT INACCESSIBLE, cette situa­tion pro­fon­dé­ment anti­dé­mo­cra­tique est un piège poli­tique conçu et impo­sé par… les élus eux-mêmes. Je vous prie de noter ce fait.

Depuis la nuit des temps, les pou­voirs ont une ten­dance natu­relle et puis­sante à S’AUTONOMISER, c’est-à-dire à s’af­fran­chir pro­gres­si­ve­ment de tous les contrôles.

Et le fait que nous soyons effec­ti­ve­ment enfer­més dans un piège ins­ti­tu­tion­nel ne doit pas nous inter­dire de le cri­ti­quer et de réflé­chir aux moyens réa­listes d’en sor­tir. C’est pour­quoi j’in­vite mes conci­toyens (ceux qui ne briguent aucun pou­voir — mais qui redoutent natu­rel­le­ment les abus de pou­voir) à se réap­pro­prier le pro­ces­sus constituant :

LA MAUVAISE QUALITÉ DU PROCESSUS CONSTITUANT EST, SELON MOI, LA CAUSE DES CAUSES DE TOUTES LES INJUSTICES SOCIALES.

Il est abso­lu­ment essen­tiel, pour toute socié­té orga­ni­sée autour d’un état de droit, que les membres de l’As­sem­blée consti­tuante (et ceux du Conseil consti­tu­tion­nel) soient DÉSINTÉRESSÉS, c’est-à-dire qu’ils n’é­crivent pas des règles pour eux-mêmes.

Et nous ne sor­ti­rons évi­dem­ment pas du piège par­le­men­taire en deman­dant la per­mis­sion aux par­le­men­taires ou aux divers pro­fes­sion­nels de la politique.

ÉC]

[FA : 1.2.)- de toute façon les élec­tions auraient tou­jours été sans effet et leurs résul­tats trahis.

————————

Je suis déso­lé mais cette affir­ma­tion de M. Chouard est une énor­mi­té d’un point de vue his­to­rique ! FA]

[ÉC : L’é­nor­mi­té est peut-être du côté du fait de mon­ter en épingle quelques suc­cès (effec­tifs, mais rela­tifs) pour mas­quer la foul­ti­tude des échecs, des tra­hi­sons et des reculs.

Je renou­velle mon invi­ta­tion à lire le réca­pi­tu­la­tif pas­sion­nant (et révol­tant) de toutes les tra­hi­sons des élus socio-démo­crates, pour­tant « de gauche », à tra­vers le monde (Jean-Luc Mélen­chon, « En quête de gauche », 2007).

ÉC]

[FA : Sans remon­ter avant 1914, les élec­tions légis­la­tives du Car­tel des Gauches de 1924, plus encore du Front Popu­laire de 1936, celles de 1945, 1946, 1958, 1962, 1968, 1981, 1986 ou 1993 pro­vo­quèrent des chan­ge­ments poli­tiques signi­fi­ca­tifs, par­fois majeurs et même his­to­riques. FA]

[ÉC :

- Vous les trou­vez « signi­fi­ca­tifs », « majeurs » et « historiques » ;

- Je les trouve « déri­soires » au regard de l’in­jus­tice sociale géné­ra­li­sée et du cynisme triom­phant de notre époque.

C’est clai­re­ment une diver­gence d’appréciation.
On ne peut pas être d’ac­cord sur tout 😉

Par ailleurs, je rap­pelle que les avan­cées du front popu­laire ne doivent rien à l’é­lec­tion de can­di­dats « de gauche » (qui avaient, comme les autres, PROMIS EN COULISSE au patro­nat et aux banques de ne pas mon­ter les salaires !), mais bien à la mobi­li­sa­tion mas­sive et déter­mi­née (des mil­lions de per­sonnes dans les rues).

Ne pas mettre au cré­dit de l’é­lec­tion ce qu’elle ne mérite pas.

Quant à 1981, je n’ou­blie pas que cette élec­tion a ren­du pos­sible (après quelques mois de chan­ge­ments effec­ti­ve­ment enthou­sias­mants) la pire régres­sion anti­so­ciale et anti­dé­mo­cra­tique qui soit.

ÉC]

[FA : Si les élec­tions en France ne pro­duisent plus, DE NOS JOURS, de chan­ge­ments poli­tiques et tra­hissent toutes les pro­messes faites aux élec­teurs, [ÉC : Eh bien vous voyez que nous sommes d’ac­cord… 🙂  ÉC] ce n’est donc pas parce que le prin­cipe même de l’é­lec­tion est vicié ; c’est parce que tous les pou­voirs essen­tiels ont été volés aux Fran­çais et trans­fé­rés à Washing­ton, Bruxelles et Franc­fort ! FA]

[ÉC : Ah oui ? Et volés par qui, s’il vous plaît, si ce n’est pas par les ÉLUS ?

ÉC]

[FA : Cela fait d’ailleurs 4 ans et demi que je par­cours les routes de France pour en infor­mer mes conci­toyens. FA]

[ÉC : Et je vous en féli­cite, sincèrement.

ÉC]

[FA : De fait, le trai­té de Maas­tricht de 1992 a pro­duit ses effets mor­tels pour la démo­cra­tie puisque les der­nières élec­tions légis­la­tives ayant eu un impact réel sur la situa­tion sont sans doute celles de mars 1993. Toutes les autres ont été sui­vies de nul effet puisque les dépu­tés n’ont plus de pou­voir réel autre que la trans­po­si­tion obli­ga­toire « du droit com­mu­nau­taire ». FA]

[ÉC : Effec­ti­ve­ment : la sou­ve­rai­ne­té natio­nale a été sabo­tée par… nos ÉLUS.

Le trai­té de Maas­tricht ne tombe pas du ciel, et la tra­hi­son de nos élus a une cause pre­mière, struc­tu­relle : tout le monde voit bien (à part les élus, peut-être) que C’EST LA DETTE DES ÉLUS ENVERS CEUX QUI LES ONT FAIT (ET QUI LES FERONT) ÉLIRE QUI EST LE VICE CENTRAL PERMANENT DE TOUTES LES ÉLECTIONS À GRANDE ÉCHELLE.

ÉC]

[FA : 1.3.)- on pour­rait très bien « faire de la poli­tique sans par­ti poli­tique » et ceux-ci seraient en gros inutiles, sinon nuisibles.

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Je suis déso­lé mais cette posi­tion de M. Chouard, qui veut donc sup­pri­mer les élec­tions, le suf­frage uni­ver­sel et les par­tis poli­tiques, res­semble comme deux gouttes d’eau à tous les régimes tota­li­taires qui ont ensan­glan­té l’é­poque contem­po­raine et qui ont tous pré­ten­du fon­der leur pou­voir sur le peuple, contre les corps inter­mé­diaires. FA]

[ÉC : Dites-moi : est-ce que les régimes tota­li­taires en ques­tion ne pra­ti­quaient pas, comme nous,… l’élection ?

Ah bon ?

Et si vous trou­vez que ces régimes —effec­ti­ve­ment san­glants— res­semblent « comme deux gouttes d’eau » à la démo­cra­tie athé­nienne, il faut chan­ger de lunettes :

- dans un cas, le peuple asser­vi par des maîtres (pro­fes­sion­nels de la poli­tique dési­gnés par des élec­tions tru­quées, comme chez nous) tra­vaille comme un bœuf, doit souf­frir en silence et ne compte pour rien en politique ;

- dans l’autre, le peuple défend vic­to­rieu­se­ment son droit de parole publique et son droit de vote per­son­nel sur toutes les lois (en ne délé­guant que très peu de pou­voir, et par tirage au sort pour impo­ser à tout prix un ama­teu­risme poli­tique fon­da­men­tal) pen­dant deux cents ans contre les oli­garques et aspi­rants-chefs de tout poil.

« Comme deux gouttes d’eau »… Vous me faites rire.

ÉC]

[FA : Je ne sais pas très bien si M. Chouard se rend compte des consé­quences ultimes de ce qu’il pro­pose. Son uto­pie n’est réa­li­sable que dans le cadre d’une huma­ni­té mythique, peu­plée d’êtres humains tous ver­tueux et péné­trés du bien public. FA]

[ÉC : C’est jus­te­ment le contraire :

- le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif est pré­ci­sé­ment bâti sur le mythe de la com­pé­tence et des ver­tus sup­po­sées des élus, comme si l’é­lec­tion suf­fi­sait à garan­tir la ver­tu des élus (on croi­rait entendre une blague…),

- alors que la démo­cra­tie PREND ACTE des IMPERFECTIONS de TOUS les citoyens et ne leur donne que très peu de pou­voir (et sur­tout pas celui de voter les lois !), et qu’elle assor­tit donc logi­que­ment le tirage au sort d’in­nom­brables CONTRÔLES qui POUSSENT RÉELLEMENT les repré­sen­tants à la vertu.

Où sont les contrôles (popu­laires) dans notre gou­ver­ne­ment représentatif ?
Répon­dez-moi, s’il vous plaît, éclairez-moi.
Alors ?
Qui est uto­pique ? Qui est réaliste ?

ÉC]

[FA : Dans la pra­tique, ce n’est pas du tout comme ça que les choses se passent. Et toute l’His­toire uni­ver­selle nous a prou­vé la jus­tesse de ce pro­verbe fran­çais qui dit que « Qui veut faire l’ange fait la Bête ». FA]

[ÉC : Déso­lé, je ne com­prends pas.

ÉC]

[FA : Toute l’His­toire a en effet mon­tré que la sup­pres­sion des élec­tions, du suf­frage uni­ver­sel et des par­tis poli­tiques entraînent des consé­quences qui échappent à la volon­té des hommes et qu’au lieu de pro­duire la concorde et l’har­mo­nie, elles se sont révé­lées dra­ma­tiques et cri­mi­nelles, PARTOUT et TOUJOURS. FA]

[ÉC : Si c’est « par­tout et tou­jours », vous n’au­rez donc aucun mal à me don­ner UN exemple : don­nez-moi un exemple —un seul me suf­fi­ra— où une démo­cra­tie réelle ait été ins­ti­tuée sur terre et qui nous per­met­trait d’en éva­luer les résultats.

Alors ?

Quelles sont donc ces expé­riences démo­cra­tiques où les par­tis auraient dis­pa­ru ? Dans tous les régimes tota­li­taires qui me viennent à l’es­prit, je vois au contraire UN PARTI UNIQUE (soit fran­che­ment unique, soit fal­la­cieu­se­ment dual avec deux grands par­tis qui pour­suivent en fait un seul et même pro­jet de domi­na­tion) écra­ser lit­té­ra­le­ment les humains hors parti.

ous pou­vez prendre « toute l’his­toire » à témoin, il n’y a PAS, à ce jour, d’autre expé­rience démo­cra­tique DIGNE DE CE NOM que celle d’Athènes.

ÉC]

[FA : C’est pour­quoi je pense que M. Chouard serait bien avi­sé de médi­ter cette célèbre parole de Chur­chill : « la démo­cra­tie est le pire des sys­tèmes… excep­té tous les autres ». Et lorsque Chur­chill par­lait de démo­cra­tie, il par­lait bien de démo­cra­tie par­le­men­taire, avec des élec­tions et des par­tis poli­tiques. FA]

[ÉC : Pour ma part, je ne prends pas pour parole d’é­van­gile les blagues de salon d’un homme capable de bom­bar­der sciem­ment des cen­taines de mil­liers de civils. Je trouve ce jeu de mot (rabâ­ché comme un man­tra par les pri­vi­lé­giés) pri­vé de toute per­ti­nence démons­tra­tive. Qu’a-t-on PROUVÉ avec une telle asser­tion ? Rien du tout. C’est une péti­tion de prin­cipe : « cir­cu­lez, y a rien à voir (du côté de la démo­cra­tie) », nous assène l’oligarque.

Chur­chill n’est pas, pour moi, une réfé­rence démocratique.

ÉC]

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[FA : 2°) Une autre de mes objec­tions était que la fia­bi­li­té du résul­tat du tirage au sort serait impos­sible à prou­ver et que cela pro­vo­que­rait énor­mé­ment de rumeurs et pour­rait créer des troubles à l’ordre public.

Objec­tion à laquelle M. Chouard a répon­du en affir­mant que les élec­tions étaient sou­vent tru­quées aus­si et qu’il se fai­sait fort d’as­su­rer la sin­cé­ri­té du tirage au sort (en égre­nant quelques mots grecs pour don­ner dans le jar­gon tech­nique). FA]

[ÉC : Les détails pra­tiques du tirage au sort quo­ti­dien à Athènes, et le sou­ci per­ma­nent de contrôle des Athé­niens, sont bien décrits par Yves Sin­to­mer dans son livre (enthou­sias­mant) : « Le pou­voir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive » (La Décou­verte, 2007). Je vous invite à les décou­vrir, vous ver­rez que, effec­ti­ve­ment, la triche était par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile avec ces machines, très simples.

Voyez http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​R​e​s​s​o​u​r​c​e​s​_​U​P​C​P​A​/​U​P​_​d​_​A​i​x​_​s​u​r​_​l​e​_​t​i​r​a​g​e​_​a​u​_​s​o​r​t​_​k​l​e​r​o​t​e​r​i​o​n​_​S​i​n​t​o​m​e​r​_​M​o​n​t​e​s​q​u​i​e​u​_​T​o​c​q​u​e​v​i​l​l​e​.​pdf.

Par ailleurs et sur­tout, je sou­ligne qu’IL Y AVAIT MILLE FOIS MOINS DE RAISONS DE TRICHER QU’AUJOURD’HUI : si nos élus se battent aujourd’­hui au point de par­fois tri­cher, c’est parce que le poste d’é­lu est deve­nu « un fro­mage », une rente très confor­table, et par­fai­te­ment à l’a­bri de tous les contrôles citoyens : c’est donc une véri­table aubaine. Alors que les repré­sen­tants tirés au sort à Athènes pre­naient une charge, une vraie, avec plus de devoirs que de droits, et le risque redou­table de la red­di­tion des comptes et de la puni­tion sévère tou­jours possible.

L’ab­sence de mobiles pour tri­cher ne doit pas être per­due de vue, notam­ment dans les réflexions qui suivent, où vous trans­po­sez le tirage au sort tout seul dans nos ins­ti­tu­tions actuelles, ce qui donne des résul­tats aber­rants, bien sûr, mais ce qui n’est abso­lu­ment pas le pro­jet démo­cra­tique : pour réfu­ter cor­rec­te­ment la pen­sée de l’autre, il faut la res­pec­ter, la com­prendre ; si on est obli­gé de la défor­mer, c’est que les argu­ments pour la réfu­ter ne sont pas si forts.

ÉC]

[FA : Je suis déso­lé mais cette réponse est non seule­ment une pirouette, mais elle est sur­tout fac­tuel­le­ment extrê­me­ment fausse. FA]

[ÉC : C’est joli, les pirouettes, et vous n’êtes pas mal­adroit non plus 😉
ÉC]

[FA : Il suf­fit de réflé­chir un instant :

== 2‑A == dans le sys­tème d’é­lec­tions, un nombre très impor­tant d’é­lec­teurs doit faire son choix entre un tout petit nombre de bul­le­tins de vote : en géné­ral moins de 10 bul­le­tins au 1er tour de chaque élec­tion, et en géné­ral 2 bul­le­tins (par­fois 3 ou 4 excep­tion­nel­le­ment) au second tour de scrutin.

Pour­quoi les élec­tions pro­curent-elles un sen­ti­ment de grande fia­bi­li­té aux élec­teurs ? FA]

[ÉC : Vous faites bien de par­ler de « sen­ti­ment », car il repose sur une réa­li­té bien fra­gile. ÉC]

[FA : Pour 3 rai­sons essentielles :

1- CHAQUE ÉLECTEUR EST UN ACTEUR DU SCRUTIN Il se déplace, il prend les bul­le­tins en main lui-même, il va dans l’i­so­loir, puis il vote dans l’urne. FA]

[ÉC : Un acteur ? On se fiche de qui ?
Vous pen­sez vrai­ment ce que vous dites ?

70 % des citoyens qui se méfient de TOUS les par­tis poli­tiques dans les son­dages répé­tés ont com­pris l’ar­naque qui consiste à mon­ter en épingle (tou­jours le même talent de came­lot qui sait vendre du vent à prix d’or) le faux choix qui est impo­sé par les élus aux électeurs.

Figu­rez-vous, vous qui êtes can­di­dat, qu’il existe de nom­breux humains, aus­si res­pec­tables que les autres, qui aspirent à une puis­sance poli­tique supé­rieure aux (faux) choix de TUTEURS qui sont la sub­stance véri­table du pré­ten­du « suf­frage uni­ver­sel » du pré­ten­du « gou­ver­ne­ment représentatif ».

Avez-vous bien com­pris que, dans l’al­ter­na­tive démo­cra­tique que je défends, cha­cun des ÉLECTEURS —que vous appe­lez « acteur » au seul motif qu’il consent à faire de vous son maître et puis c’est tout—, cha­cun de ces élec­teurs devient (en vraie démo­cra­tie) un CITOYEN, c’est-à-dire un humain qui va VOTER LUI-MÊME CHACUNE DES LOIS aux­quelles il sera soumis.

Ça, Mon­sieur, c’est un acteur.

C’est toute la dif­fé­rence entre un ÉLECTEUR-ENFANT et un CITOYEN-ADULTE.

C’est toute la dif­fé­rence entre une fausse « démo­cra­tie » et la vraie démocratie.

La dif­fé­rence entre un faux « suf­frage uni­ver­sel » et le vrai suf­frage universel.

LES ÉLUS NOUS FONT PRENDRE DES VESSIES POUR DES LANTERNES.

ÉC]

[FA : 2- CHAQUE ÉLECTEUR PEUT VÉRIFIER DE BOUT EN BOUT LA FIABILITÉ DU SCRUTIN

Il peut lui suf­fire de bien voir que son bul­le­tin tombe dans l’urne trans­pa­rente. Mais les plus méfiants peuvent res­ter à regar­der l’urne (c’est notam­ment l’un des rôles des asses­seurs pen­dant tout le vote) pour voir que per­sonne n’in­tro­duit de bul­le­tin frau­du­leu­se­ment. Ils peuvent assis­ter à l’ou­ver­ture de l’urne et par­ti­ci­per per­son­nel­le­ment aux opé­ra­tions de dépouille­ment (il peut ouvrir les enve­loppes, comp­ter les bul­le­tins, les énon­cer à haute voix, le public est là pour véri­fier, etc.) FA]

[ÉC : Quelle impor­tance cela a‑t-il, fina­le­ment, de véri­fier la fia­bi­li­té d’un faux choix, qui abou­tit, de toutes façons, à notre ser­vi­tude poli­tique absolue ?

Par ailleurs, le contrôle du Klé­ro­té­rion —ça va ? ce n’est pas trop tech­nique, mon jar­gon ? 😉 — était facile et efficace.

ÉC]

[FA : 3- UNE FRAUDE PONCTUELLE NE PEUT PRESQUE JAMAIS MODIFIER LE SENS DU SCRUTIN

Contrai­re­ment à ce qu’af­firme M. Chouard, les conten­tieux élec­to­raux en France sont très peu nom­breux en pour­cen­tage. Et les cas où une élec­tion est annu­lée, même si ils font la Une des médias, res­tent extrê­me­ment mar­gi­naux en nombre.
Pourquoi ?
Tout sim­ple­ment parce que la fraude est très dif­fi­cile maté­riel­le­ment et sta­tis­ti­que­ment. FA]

[ÉC : Cha­cun appré­cie­ra cette phrase à sa juste valeur dans les jours qui viennent, quand les ordi­na­teurs de vote vont défer­ler en 2012.

Ren­dez-vous dans quelques mois et on réexa­mi­ne­ra ensemble cette assertion.

Mais en tout état de cause, même en prou­vant la fia­bi­li­té des scru­tins des faux choix du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, vous ne prou­vez nul­le­ment la non fia­bi­li­té des scru­tins des tirages au sort démocratiques.

ÉC]

[FA : Pre­nons un exemple extrême, celui du second tour de l’é­lec­tion pré­si­den­tielle de 2007. Il y avait 44 472 733 élec­teurs ins­crits, il y a eu 37 342 004 votants, dont 35 773 578 expri­més. M. Sar­ko­zy a été élu avec 18 983 138 voix, et a bat­tu Mme Royal de 1 096 349 suffrages.

Ima­gi­nons que des par­ti­sans de Mme Royal aient vou­lu tru­quer les élec­tions, donc la faire élire. Il eût fal­lu qu’ils s’ar­rangent pour intro­duire frau­du­leu­se­ment au moins 1 200 000 faux bul­le­tins de vote sur toute la France !

Une telle fraude est impos­sible à réa­li­ser maté­riel­le­ment, et cela d’au­tant qu’une fraude élec­to­rale ne peut avoir des chances de suc­cès sans être démas­quée que si elle est faite par un nombre extrê­me­ment réduit de per­sonnes et dans un nombre extrê­me­ment faible d’endroits.

Même dans une élec­tion légis­la­tive, le nombre de bul­le­tins reste encore très impor­tant (il se compte en dizaines, voire cen­taines de mil­liers) et c’est cela qui garan­tit une iner­tie sta­tis­tique. Ce n’est pas parce qu’il y a eu un paquet de 100 faux bul­le­tins ajou­tés dans un bureau de vote que cela entraîne obli­ga­toi­re­ment la nul­li­té du scru­tin : le Conseil Consti­tu­tion­nel, seul juge en la matière, exa­mine tou­jours si le nombre des bul­le­tins contes­tés a pu ou non chan­ger le résul­tat final de l’é­lec­tion. FA]

[ÉC : Et alors ?

Ça ne trans­forme pas un faux choix en vrai choix, digne de ce nom.

ÉC]

[FA : == 2‑B == Dans le sys­tème du tirage au sort, les trois avan­tages déci­sifs que je viens d’a­na­ly­ser n’existent plus !

1)- IL N’Y A PLUS D’ÉLECTEUR, DONC PLUS AUCUN CITOYEN N’EST ACTEUR DU CHOIX. TOUT LE MONDE DEVIENT PASSIF ET ATTEND QUE LES RÉSULTATS SOIENT ANNONCÉS. FA]

[ÉC : C’est un pro­fond mal­en­ten­du, vous n’a­vez pas com­pris l’or­ga­ni­sa­tion d’une vraie démo­cra­tie (c’est moi qui ai dû mal m’exprimer) :

Le tirage au sort ne dis­tri­bue que de petites par­celles de pou­voir POUR LAISSER AUX CITOYENS TOUT LE POUVOIR DE VOTER EUX-MÊMES, OU PAS, TOUTES LES LOIS.

Ce que vous n’a­vez pas (encore) com­pris, c’est qu’EN DÉMOCRATIE, CE NE SONT PAS LES REPRÉSENTANTS QUI VOTENT LES LOIS, CE SONT LES CITOYENS EUX-MÊMES (ceux qui le dési­rent), réunis en corps à l’As­sem­blée (com­mu­nale).

Ah ! Vous qui me repro­chiez à l’ins­tant de rendre les citoyens pas­sifs (avec le tirage au sort), et qui vous van­tiez de les rendre plus actifs (avec le faux « suf­frage uni­ver­sel »), je suis sûr que vous allez être content de ce que je vous apprends là, n’est-ce pas ? Car c’est bien clair : si les citoyens peuvent voter eux-mêmes toutes les lois (au cours d’un vrai suf­frage uni­ver­sel), ils ne seront plus pas­sifs du tout, et c’est bien ce que vous vou­liez, n’est-ce pas ?

🙂

ÉC]

[FA : 2)- ABSOLUMENT PERSONNE NE PEUT VÉRIFIER DE BOUT EN BOUT LA FIABILITÉ DU TIRAGE AU SORT. M. Chouard assure du contraire mais son assu­rance ne vaut rien. Car dans le tirage au sort, la situa­tion change du tout au tout par rap­port au cas pré­cé­dent (ce que ne semble pas voir M. Chouard) : FA]

[ÉC : Vous avez bien rai­son : mon assu­rance ne vaut rien du tout, pas plus que celle de qui­conque, d’ailleurs ; nous devons tous recou­per nos infos et exer­cer notre juge­ment cri­tique, je vous l’accorde.

Quand à la véri­fi­ca­tion du klé­ro­té­rion, je vous ren­voie aux livres de Sin­to­mer et de Han­sen : il est assez facile pour cha­cun de se faire une idée personnelle.

(Et n’ou­bliez pas qu’il n’y a presque plus de MOBILE pour tri­cher dans une vraie démocratie.)

ÉC]

[FA : – dans l’é­lec­tion, un nombre très impor­tant d’é­lec­teurs doit faire son choix entre un tout petit nombre de bul­le­tins de vote : en géné­ral moins de 10 bul­le­tins au 1er tour de chaque élec­tion, et en géné­ral 2 bul­le­tins au second tour.

- dans le tirage au sort, c’est exac­te­ment l’in­verse : c’est un tout petit nombre de per­sonnes (une seule, ou quelques per­sonnes, ou plus sûre­ment un ordi­na­teur) qui doit faire son choix entre.… 44 472 733 élec­teurs !! FA]

[ÉC : Pas du tout : le tirage au sort n’est pas effec­tué au niveau natio­nal, mais au niveau local, évi­dem­ment, et par­mi les seules « boules » des volontaires.

C’est simple, peu coû­teux et facile à vérifier.

Vous pla­quez le tirage au sort sur nos ins­ti­tu­tions sans réflé­chir, comme si vous aviez envie qu’il ne soit pas possible… 😉

ÉC]

[FA : Dans ces condi­tions, je mets au défi M. Chouard de trou­ver un sys­tème de tirage au sort qui donne à cha­cun le même sen­ti­ment de fia­bi­li­té et d’hon­nê­te­té que celui pro­cu­ré par une élec­tion. FA]

[ÉC : Ce défi m’in­té­resse. C’est tout mon tra­vail actuel.

Et je pro­gresse vite.

ÉC]

[FA : En effet peut-on ima­gi­ner une urne avec 44 mil­lions de bul­le­tins dif­fé­rents ? FA]

[ÉC : On n’est pas obli­gé de faire les choses bête­ment… On a le droit de réflé­chir et d’or­ga­ni­ser la vie poli­tique autour de PETITES cel­lules poli­tiques de base (les COMMUNES) et d’or­ga­ni­ser le tra­vail com­mun en uti­li­sant les rouages bien connus de la FÉDÉRATION.

Pour­quoi fau­drait-il tou­jours tout orga­ni­ser de haut en bas ?

ÉC]

[FA : Même si l’on divi­sait le tirage au sort en 577 tirages, un dans cha­cune des cir­cons­crip­tions, il fau­drait encore une urne qui contienne 77.076 bul­le­tins dif­fé­rents en moyenne (un par élec­teur). Ce n’est pas gérable. C’est d’au­tant moins gérable que nul ne pour­rait avoir la cer­ti­tude que son nom figure bien dans l’urne (c’est-à-dire que per­sonne ne l’a reti­ré sciem­ment ou oublié invo­lon­tai­re­ment). FA]

[ÉC : Ce qui vous rend la com­pré­hen­sion dif­fi­cile, c’est que vous essayez de rem­pla­cer l’é­lec­tion par le tirage au sort dans nos ins­ti­tu­tions (qui sont pro­fon­dé­ment anti­dé­mo­cra­tiques), ce qui n’a aucun sens, effectivement.

Pour com­prendre l’al­ter­na­tive pro­met­teuse que consti­tue une vraie démo­cra­tie, il faut quand même y mettre un peu de bonne volonté 😉

ÉC]

[FA : 3- UNE FRAUDE PONCTUELLE MODIFIE TOTALEMENT LE SENS DU TIRAGE AU SORT FA]

[ÉC : Vous conti­nuez à faire comme s’il y avait encore des mobiles de tri­cher quand les charges des repré­sen­tants deviennent, en démo­cra­tie, des devoirs ris­qués, au lieu d’être des rentes confor­tables comme le sont celles de nos élus.

ÉC]

[FA : À la dif­fé­rence de l’é­lec­tion, le tirage au sort ne béné­fi­cie pas de l’i­ner­tie sta­tis­tique des grands nombres.
=>Tru­quer une élec­tion est très dif­fi­cile, je l’ai dit.
=> Mais tru­quer un tirage au sort est un jeu d’en­fant puisque le tirage se fait en un coup.

Pour illus­trer mon ana­lyse, il suf­fit de rependre l’exemple du 2ème tour de 2007. FA]

[ÉC : Ce qui suit n’a pas de sens : per­sonne n’a par­lé de tirer au sort le Pré­sident de la cin­quième Répu­blique, évidemment…

C’est un dia­logue de sourd.

ÉC]

[FA : Comme je l’ai dit, le sys­tème de l’é­lec­tion contrai­gnait les par­ti­sans de Mme Royal à intro­duire frau­du­leu­se­ment au moins 1 200 000 faux bul­le­tins de vote sur toute la France pour qu’elle soit élue.

Mais en revanche, avec un simple tirage au sort entre M. Sar­ko­zy et Mme Royal, les par­ti­sans de Mme Royal n’au­raient eu qu’une seule chose à faire : tirer le bon bul­le­tin une seule fois.

Il leur aurait donc suf­fi, soit d’a­che­ter la per­sonne tirée au sort, soit de mettre 2 bul­le­tins Royal dans l’urne en sub­ti­li­sant le bul­le­tin Sar­ko­zy, soit tout sim­ple­ment de tru­quer le logi­ciels informatique.

Cette com­pa­rai­son entre la fia­bi­li­té intrin­sèque de l’é­lec­tion au suf­frage uni­ver­sel et l’ex­trême faci­li­té de tru­cage du tirage au sort suf­fit à mon sens à rui­ner l’i­dée de M. Chouard. FA]

[ÉC : Ruine vir­tuelle d’une idée qui n’existe pas : per­sonne n’a défen­du l’i­dée que vous avez ruinée…

ÉC]

[FA : Cette dif­fé­rence essen­tielle de fia­bi­li­té – due aux dif­fé­rences de pro­cé­dure – explique d’ailleurs pour­quoi les Fran­çais croient dans les résul­tats des élec­tions mais ne croient plus dans les résul­tats des son­dages. FA]

[ÉC : Les son­dages d’o­pi­nion sont aux mains d’ins­ti­tuts pri­vés dont l’hon­nê­te­té est plus que dou­teuse : ce sont des outils de mani­pu­la­tion de l’o­pi­nion qui VONT AVEC l’é­lec­tion et qui rendent le faux « suf­frage uni­ver­sel » du gou­ver­ne­ment pré­ten­du­ment repré­sen­ta­tif plus faux que jamais.

Rien à voir avec la démocratie.

ÉC]

[FA : Elle explique aus­si l’é­moi sus­ci­té par la sup­pres­sion des urnes et leur rem­pla­ce­ment par des machines à voter électroniques.

=====================================

3°) Une autre encore de mes objec­tions consis­tait à faire valoir qu’un tirage au sort sur l’en­semble des élec­teurs n’é­tait sim­ple­ment pas possible.

Je citais les malades, les malades men­taux, les per­sonnes dis­pa­rues, les per­sonnes incar­cé­rées et le très grand nombre de per­sonnes qui ne seraient pas inté­res­sées par rem­plir des fonc­tions poli­tiques (le tout repré­sen­tant au bas mot 30 à 40% de la population).

Du coup, je fai­sais valoir qu’il fau­drait dres­ser des listes de per­sonnes pou­vant faire l’ob­jet de ce tirage au sort, et je sou­li­gnais que l’é­ta­blis­se­ment de telles listes posait aus­si­tôt des pro­blèmes insolubles :

- qui déci­de­rait ou non d’ins­crire un élec­teur sur cette liste ? FA]

[ÉC : un jury de citoyens tiré au sort ? ÉC]

[FA : – qui paie­rait le tra­vail colos­sal ain­si occa­sion­né ? FA]

[ÉC : L’État, sans difficulté.
« Colos­sal »… vous êtes amu­sant. ÉC]

[FA : – en ver­tu de quels cri­tères ? FA]

[ÉC : Les citoyens adultes aime­raient peut-être bien en dis­cu­ter, jus­te­ment, au lieu de se voir jeter la dif­fi­cul­té à la figure comme si c’é­tait une apo­rie. Ce n’est évi­dem­ment pas si com­pli­qué à déci­der. ÉC]

[FA : – com­ment la tien­drait-on à jour ? FA]

[ÉC : Est-ce si dif­fi­cile ? ÉC]

[FA : – com­ment pour­rait-on être sûr que cette liste ne com­porte pas un biais métho­do­lo­gique et poli­tique ?? FA]

[ÉC : Ce n’est pas parce que rien n’est par­fait (et ceci est indu­bi­table) qu’il faut renon­cer à chan­ger quoi que ce soit. ÉC]

[FA : – etc.

À cette objec­tion très puis­sante [ÉC : hum… ÉC], M. Chouard a répon­du en sub­stance qu’il fal­lait faire… des listes d’aptitude !

Cette réponse n’en est jus­te­ment pas une car elle élude tout bon­ne­ment l’ob­jec­tion. M. Chouard ne répond ni au pro­blème du coût, ni à celui de l’ob­jec­ti­vi­té des cri­tères, ni à celle des sélec­tion­neurs, ni à la tenue à jour, ni sur­tout à l’ar­gu­ment cen­tral du biais intro­duit quant à la repré­sen­ta­ti­vi­té de cette liste par rap­port à l’é­tat d’es­prit de l’en­semble des citoyens.

======================================

CONCLUSION —————-

Je pour­rais ain­si répondre sans dif­fi­cul­tés aux autres « réponses » de M. Chouard à mes autres objec­tions. FA]

[ÉC : Je vous en prie.

ÉC]

[FA : Je confirme donc plei­ne­ment mes objec­tions et j’es­time – je ne suis pas le seul – que M. Chouard n’a pas su ni pu y répondre, mal­gré son habi­le­té dia­lec­tique et ses affir­ma­tions non étayées. FA]

[ÉC : Cha­cun juge­ra, idée par idée.
ÉC]

[FA : Même si j’ai bien conscience que cer­tains de nos sym­pa­thi­sants sont déçus par mes ana­lyses qui les rap­pellent à la réa­li­té, je per­siste donc à trou­ver cette idée de tirage au sort à la fois :

a)- erro­née, uto­pique, et extrê­me­ment dan­ge­reuse dans le prin­cipe, FA]

[ÉC : L’i­dée du tirage au sort en poli­tique est dan­ge­reuse pour les élus, pour les can­di­dats et pour ceux qui les font élire, ça c’est sûr.

Mais PAS dan­ge­reuse pour les ÉLECTEURS qui aspirent à deve­nir des CITOYENS.
ÉC]

[FA : b)- abso­lu­ment impra­ti­cable maté­riel­le­ment, FA]

[ÉC : Deux cents ans de pra­tique quo­ti­dienne prouvent le contraire.
ÉC]

[FA : c)- et très inop­por­tune poli­ti­que­ment, car elle dis­trait l’at­ten­tion des citoyens sur ce que doit être le com­bat essen­tiel. FA]

[ÉC : Je suis vrai­ment navré de dis­traire l’at­ten­tion de vos élec­teurs pen­dant votre tra­vail de conquête du pou­voir, mais, pour moi qui n’as­pire à rigou­reu­se­ment aucun pou­voir, c’est bien ma liber­té de pen­ser la plus élé­men­taire que d’a­na­ly­ser l’es­cro­que­rie par­le­men­taire et de conce­voir des alter­na­tives, non ?
ÉC]

[FA : À ce pro­pos, j’ai­me­rais que les lec­teurs s’in­ter­rogent en conscience sur ce qu’il aurait fal­lu pen­ser de quel­qu’un qui aurait dit à Charles de Gaulle, le 19 juin 1940 : « Votre appel d’hier était très bien ; mais je ne m’y join­drai pas car, plu­tôt que de se ras­sem­bler dans la Résis­tance, je sug­gère que nous ouvrions un grand débat sur le tirage au sort des par­le­men­taires. En effet, s’ils avaient été tirés au sort plu­tôt que d’être élus, la situa­tion serait réglée et nous n’au­rions pas connu la débâcle et la IIIe Répu­blique serait encore là ». FA]

[ÉC : Le com­bat poli­tique des uns n’est pas for­cé­ment incom­pa­tible avec le com­bat poli­tique des autres : le pro­blème des par­tis, c’est qu’ils nous forcent à nous oppo­ser, ils nous jettent les uns contre les autres, en bloc. Vous et moi ne devrions pas nous oppo­ser puisque nous résis­tons (par des voies dif­fé­rentes) au même pro­jet de domi­na­tion antirépublicain.

Par ailleurs, vous devriez consi­dé­rer ce que je sou­li­gnais en intro­duc­tion : je ne défends PAS QUE la démo­cra­tie athé­nienne : l’autre idée, d’un BICAMÉRALISME ASTUCIEUX, par­ta­geant le pou­voir légis­la­tif entre des pro­fes­sion­nels de la poli­tique et des ama­teurs, devrait vous paraître com­pa­tible avec vos pro­jets d’é­man­ci­pa­tion populaire.
ÉC]

[FA : [ce qui, soit dit en pas­sant, est faux compte tenu de ce qu’é­tait l’é­tat de l’o­pi­nion en 1939–1940]

Si De Gaulle avait écou­té sem­blable conseil et s’é­tait mis à col­lo­quer sur cette idée sau­gre­nue plu­tôt que de ras­sem­bler les Fran­çais dans un objec­tif immé­diat de libé­ra­tion natio­nale, cela n’au­rait ser­vi qu’à une chose : dis­traire l’ef­fort de la Résis­tance dans des débats aca­dé­miques et vains, et cela pour le plus grand pro­fit des Alle­mands d’un côté, des Amé­ri­cains et des Bri­tan­niques de l’autre. FA]

[ÉC : « Débats aca­dé­miques et vains », on n’est pas plus aimable. Les yeux qui pétillent dans mes confé­rences me font pen­ser le contraire. Mais je ne vous en veux pas : il faut un peu de temps pour pas­ser la pre­mière phase d’in­com­pré­hen­sion. Je pense que vous êtes homme à savoir chan­ger d’a­vis si la rai­son le sug­gère, finalement.
ÉC]

[FA : Je ne me com­pare certes pas à de Gaulle. Mais je note que M. Chouard n’a pas adhé­ré à l’U­PR. Il juge donc plus urgent de dis­traire les Fran­çais sur son idée de tirage au sort dont tout le monde sait bien, au fond, qu’elle ne ver­ra jamais le jour, plu­tôt que de les ras­sem­bler pour sor­tir de l’UE. FA]

[ÉC : Ah, c’est donc ça qui fait mal : je n’ai pas adhé­ré au parti…
Je n’adhère à AUCUN par­ti, et ça ne devrait pas suf­fire à faire de moi un ennemi.
Je trouve attris­tante la tour­nure cari­ca­tu­rale que donnent les par­tis à notre liber­té de pen­ser : l’es­prit de par­ti est une des formes de L’ESPRIT D’ORTHODOXIE, bien ana­ly­sé par Jean Gre­nier (Essai sur l’es­prit d’or­tho­doxie : http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​J​e​a​n​_​G​r​e​n​i​e​r​_​E​s​s​a​i​_​s​u​r​_​l​_​e​s​p​r​i​t​_​d​_​o​r​t​h​o​d​o​x​i​e​.​pdf ) et Simone Weil (Note sur la sup­pres­sion géné­rale des par­tis poli­tiques : http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​S​i​m​o​n​e​_​W​e​i​l​_​N​o​t​e​_​s​u​r​_​l​a​_​s​u​p​p​r​e​s​s​i​o​n​_​g​e​n​e​r​a​l​e​_​d​e​s​_​p​a​r​t​i​s​_​p​o​l​i​t​i​q​u​e​s​.​pdf ).

Je cherche à res­ter libre de mes pen­sées, libre de mes paroles, libre de vous lire et de lire aus­si ceux que vous consi­dé­rez comme vos enne­mis ; et cette liber­té me per­met d’ap­pré­cier votre tra­vail de résis­tance et de le relayer un peu par­tout mal­gré le fait qu’on vous éti­quette sou­vent « à droite » et qu’on m’é­ti­quette sou­vent « à gauche ». Hors par­ti et can­di­dat à rien, je fais ce que je veux, jugeant à ma manière l’in­té­rêt général.

Donc, je ne suis pas un bon sol­dat pour un par­ti, c’est vrai, mais je peux quand même —peut-être— ser­vir un peu le bien commun.
ÉC]

[FA : On me per­met­tra de trou­ver cela dom­mage et contre-pro­duc­tif. FA]

[ÉC : Ça dépend pour qui.
ÉC]

[FA : Fran­çois Asse­li­neau FA]

[ÉC : Étienne Chouard
ÉC]

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post scrip­tum :

À titre d’in­for­ma­tion com­plé­men­taire, pour illus­trer que je ne suis pas le seul à cri­ti­quer l’es­cro­que­rie par­le­men­taire, je vou­drais citer ici l’a­na­lyse ultra-rigou­reuse for­mu­lée par l’un de nos plus grands pro­fes­seurs de droit public, Ray­mond Car­ré de Mal­berg, dans la conclu­sion d’un livre remar­quable intitulé :
« La Loi, expres­sion de la volon­té géné­rale »(1931) :
http://​etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​p​e​/​C​a​r​r​e​_​d​e​_​M​a​l​b​e​r​g​_​L​a​_​l​o​i​_​e​x​p​r​e​s​s​i​o​n​_​d​e​_​l​a​_​v​o​l​o​n​t​e​_​g​e​n​e​r​a​l​e​_​C​o​n​c​l​u​s​i​o​n​.​pdf :

Car­ré de Mal­berg : LA LOI, expres­sion de la volon­té géné­rale (1931). Conclusion :

Au début de cet ouvrage, nous nous sommes défen­du de vou­loir faire œuvre de dis­cus­sion cri­tique. Mais, au terme de notre étude, il semble que la cri­tique sur­gisse et s’im­pose d’elle-même, tant est mani­feste la contra­dic­tion qui s’é­ta­blit entre l’i­dée pre­mière d’où pro­cède la théo­rie de la loi expres­sion de la volon­té géné­rale et les résul­tats posi­tifs aux­quels cette théo­rie a fina­le­ment abou­ti. Ces résul­tats peuvent se résu­mer d’un mot : l’i­dée de sou­ve­rai­ne­té de la volon­té géné­rale a été exploi­tée en vue de fon­der la puis­sance sou­ve­raine du Par­le­ment lui-même. Une telle contra­dic­tion paraî­tra dif­fi­ci­le­ment accep­table à tout homme qui n’est pas rési­gné à se payer de mots. Com­ment admettre que, dans notre droit public, les déci­sions éma­nées du Par­le­ment aient pu être pré­sen­tées comme des pro­duc­tions de la volon­té popu­laire, alors que la Consti­tu­tion tient sys­té­ma­ti­que­ment les citoyens à l’é­cart de leur formation ?

Il n’y a eu, en France, qu’une seule Consti­tu­tion qui ait échap­pé à cette contra­dic­tion. C’est celle de 1793, qui, ne se conten­tant pas de poser en prin­cipe, dans l’ar­ticle 4 de sa Décla­ra­tion des Droits, que « la loi est l’ex­pres­sion libre et solen­nelle de la volon­té géné­rale », avait orga­ni­sé un régime légis­la­tif dans lequel la confec­tion de la loi dépen­dait, en der­nier lieu, de son adop­tion par les assem­blées pri­maires com­pre­nant la tota­li­té des citoyens. Sur ce point, les conven­tion­nels de 1793 ont eu, tout au moins, le mérite de mettre leur œuvre consti­tu­tion­nelle en accord logique avec leurs prin­cipes. On ne sau­rait en dire autant des consti­tuants de 1789–91. De même que Louis XIV avait fon­dé son abso­lu­tisme sur sa pré­ten­tion d’in­car­ner l’É­tat en sa per­sonne royale, de même l’As­sem­blée natio­nale de 1789, pour par­ve­nir à son but qui était de com­muer la sou­ve­rai­ne­té de la nation en sou­ve­rai­ne­té par­le­men­taire, affirme que le col­lège des dépu­tés élus résume en lui l’in­té­gra­li­té du peuple, et elle va même jus­qu’à pré­sen­ter ce col­lège comme une for­ma­tion par l’in­ter­mé­diaire de laquelle tous les citoyens se trouvent mis en état de concou­rir à l’a­dop­tion des déci­sions sou­ve­raines. Cette fic­tion, qui a ser­vi ori­gi­nai­re­ment de base au régime repré­sen­ta­tif, est l’une de celles à pro­pos des­quelles on a par­lé du mys­ti­cisme révo­lu­tion­naire : ne serait-il pas plus exact ici de par­ler de mys­ti­fi­ca­tion ? Il fau­drait être bien cré­dule pour se lais­ser per­sua­der que les volon­tés énon­cées par une oli­gar­chie sont l’ex­pres­sion de la volon­té géné­rale de la com­mu­nau­té, alors sur­tout que les soi-disant repré­sen­tés sont exclus de la pos­si­bi­li­té d’op­po­ser une volon­té contraire à celle qui passe pour repré­sen­ter la leur.

Certes, il ne peut être ques­tion de contes­ter ni l’in­fluence que par le choix de ses dépu­tés le corps élec­to­ral est capable d’exer­cer indi­rec­te­ment sur l’o­rien­ta­tion géné­rale de la poli­tique natio­nale, ni davan­tage celle que les élec­teurs pos­sèdent, d’une façon plus directe, sur la per­sonne et l’ac­ti­vi­té de leurs élus : cette der­nière, en par­ti­cu­lier, n’a fait que s’ac­croître depuis l’in­tro­duc­tion du suf­frage uni­ver­sel. On est donc fon­dé poli­ti­que­ment à qua­li­fier le Par­le­ment de repré­sen­tant, si par là on veut mar­quer sim­ple­ment qu’il est, notam­ment sous la Consti­tu­tion de 1875, celle des auto­ri­tés consti­tuées dont les déci­sions appa­raissent nor­ma­le­ment comme cor­res­pon­dant le plus sen­si­ble­ment aux aspi­ra­tions de la com­mu­nau­té popu­laire et, par consé­quent aus­si, comme étant le plus proches de celles que pour­rait prendre cette com­mu­nau­té elle-même, à sup­po­ser qu’elle fût admise à sta­tuer par ses propres moyens. Et cette sorte de légi­ti­ma­tion poli­tique de la notion de repré­sen­ta­tion est même de nature à engen­drer des consé­quences d’ordre juri­dique : on com­prend, par exemple, qu’en rai­son des attaches spé­ciales qui relient le Par­le­ment au corps popu­laire, la règle adop­tée par les Chambres prenne, sous le nom de loi, une force tout autre que celle édic­tée par un décret de l’Exé­cu­tif. Tou­te­fois, et quelque com­plai­sance que l’on veuille mettre à accep­ter ou à accen­tuer l’i­dée d’in­ter­dé­pen­dance, de soli­da­ri­té et d’u­nion, entre les élec­teurs et les élus, il vient tou­jours un moment où la thèse de l’i­den­ti­fi­ca­tion entre la volon­té par­le­men­taire et la volon­té géné­rale se heurte à une objec­tion insur­mon­table : l’ob­jec­tion, c’est que le régime repré­sen­ta­tif a été créé tout exprès — Sieyès le pré­ci­sait devant l’As­sem­blée natio­nale, dans la séance du 7 sep­tembre 1789, avec une cru­di­té qui dépasse encore celle de Mon­tes­quieu — pour limi­ter l’in­fluence popu­laire au pou­voir de choi­sir les per­sonnes qui sta­tue­ront repré­sen­ta­ti­ve­ment et pour inter­dire au peuple toute par­ti­ci­pa­tion effec­tive à la puis­sance même de sta­tuer. Dans ces condi­tions, le mot repré­sen­ta­tion, appli­qué au Par­le­ment, ne pos­sède, même en son sens poli­tique, que la valeur d’une image plus ou moins vague, ou d’une approxi­ma­tion plus ou moins loin­taine ; il demeure, en tout cas, impos­sible de par­ler de repré­sen­ta­tion au sens juri­dique du terme, et sur­tout au sens d’une iden­ti­té entre la volon­té du peuple et celle du Par­le­ment, atten­du que cette iden­ti­té, même si elle devait être tenue pour habi­tuelle, n’est point constante et qu’au sur­plus sa constance n’est nul­le­ment assu­rée par le droit en vigueur.

On voit par là quelle doit être la conclu­sion de cette étude. De deux choses l’une :

Ou bien l’on entend main­te­nir le concept, venu de Rous­seau et trans­mis par la Révo­lu­tion, sui­vant lequel la loi a pour fon­de­ment la volon­té géné­rale et pour objet la mani­fes­ta­tion de cette volon­té. En ce cas, il n’est plus pos­sible de se conten­ter de l’ar­gu­ment qui consiste à pré­tendre que tous les citoyens sont pré­sents dans le Par­le­ment à l’ins­tant de la créa­tion de la loi : car un tel argu­ment est emprun­té à un genre de vision mys­tique qui manque mani­fes­te­ment de toute base réelle. Si donc on veut que la loi soit vrai­ment une expres­sion de volon­té géné­rale, et si c’est aus­si à sa qua­li­té de volon­té géné­rale que l’on fait remon­ter sa ver­tu obli­ga­toire, il faut inévi­ta­ble­ment en venir à confé­rer au corps popu­laire un cer­tain rôle actif dans l’œuvre de la légis­la­tion. L’on est ain­si conduit à reven­di­quer, comme mini­mum de facul­tés légis­la­tives popu­laires, le droit pour les citoyens d’é­le­ver une récla­ma­tion contre la loi adop­tée par les Chambres et, au cas où cette récla­ma­tion réunit un nombre suf­fi­sant d’op­po­sants, le droit pour ceux-ci de pro­vo­quer, sur la loi ain­si frap­pée d’op­po­si­tion, une vota­tion popu­laire qui en pro­non­ce­ra défi­ni­ti­ve­ment l’a­dop­tion ou le rejet.

De même, il est plei­ne­ment logique, dans un concept qui fonde la notion de loi sur la supré­ma­tie de la volon­té géné­rale, que L’INITIATIVE LÉGISLATIVE, au sens démo­cra­tique du terme, soit recon­nue au peuple : car la supré­ma­tie de la volon­té géné­rale demeu­re­rait incom­plète, si le peuple ne pos­sé­dait pas, de son côté et en dehors de la Légis­la­ture, le moyen d’in­tro­duire dans la légis­la­tion les réformes ou les nou­veau­tés à l’a­dop­tion des­quelles le Par­le­ment se refuse et qui sont vou­lues cepen­dant par la majo­ri­té des citoyens.

Ce n’est pas tout encore : le concept démo­cra­tique de la loi expres­sion de la volon­té géné­rale implique que cette volon­té est la plus haute dans l’É­tat et qu’elle pos­sède de ce chef le carac­tère sou­ve­rain ; cette sou­ve­rai­ne­té de la puis­sance popu­laire ne pro­dui­ra pas seule­ment ses effets dans le domaine de la légis­la­tion ; les mêmes rai­sons qui font du peuple l’or­gane légis­la­tif suprême, appellent sa supré­ma­tie dans l’ordre de l’ac­tion GOUVERNEMENTALE. Une Consti­tu­tion démo­cra­tique qui ne réunit pas le gou­ver­ne­ment et la légis­la­tion dans les attri­bu­tions du Par­le­ment et qui ins­ti­tue, en face de celui-ci, un Exé­cu­tif pour­vu de quelque indé­pen­dance, sera donc ame­née, pour la régle­men­ta­tion des rap­ports entre les deux auto­ri­tés, à pla­cer au-des­sus d’elles, comme supé­rieur com­mun, le sou­ve­rain popu­laire : de là, des ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques telles que l’é­lec­tion du chef de l’Exé­cu­tif par le peuple et le pou­voir pour cha­cune des deux auto­ri­tés, par­le­men­taire et gou­ver­ne­men­tale, de faire appel au peuple en cas de désac­cord entre elles.

Tout ceci fait, il sera super­flu, du moins en ce qui concerne les satis­fac­tions à don­ner à la sou­ve­rai­ne­té de la volon­té géné­rale, de main­te­nir une dis­tinc­tion rigide entre la Consti­tu­tion et les lois ordi­naires : car, en tant que cette dis­tinc­tion ne vise­rait qu’à sau­ve­gar­der les droits inhé­rents à la supré­ma­tie popu­laire, son inuti­li­té res­sor­ti­rait du fait que les droits supé­rieurs du peuple se trouvent déjà assu­rés par les pou­voirs dont il dis­pose à titre légis­la­tif. Sans doute, il est par­ti­cu­liè­re­ment utile et dési­rable, dans une démo­cra­tie, que le sta­tut juri­dique indi­vi­duel des citoyens soit garan­ti par des dis­po­si­tions consti­tu­tion­nelles contre la toute puis­sance légis­la­tive propre à la volon­té géné­rale. Mais il est à remar­quer que la dis­tinc­tion entre règles consti­tu­tion­nelles et règles légis­la­tives, ain­si moti­vée, ne se fonde plus sur une exi­gence décou­lant de la sou­ve­rai­ne­té de la volon­té géné­rale : elle répond uni­que­ment à la pré­oc­cu­pa­tion de pro­té­ger la liber­té individuelle.

Telles seraient les consé­quences que devrait néces­sai­re­ment pro­duire le concept qui défi­nit la puis­sance de l’É­tat, et notam­ment sa puis­sance légis­la­tive, par les droits appar­te­nant à la volon­té géné­rale. Que si ces consé­quences démo­cra­tiques sont répu­diées par la Consti­tu­tion en vigueur, soit parce que celle-ci ne se fie pas suf­fi­sam­ment à l’é­du­ca­tion poli­tique du peuple, soit par des rai­sons de sécu­ri­té natio­nale tirées de la posi­tion plus ou moins dif­fi­cile dans laquelle le pays peut se trou­ver pla­cé au regard de l’é­tran­ger, soit pour tout autre motif quel­conque, en ce cas il n’est plus per­mis de par­ler d’ex­pres­sion ni de repré­sen­ta­tion de la volon­té géné­rale à l’ef­fet de fon­der la maî­trise du Par­le­ment. Car il serait incom­pré­hen­sible qu’a­près avoir dénié au peuple le droit de faire entendre la volon­té géné­rale, l’on pré­tende invo­quer la supré­ma­tie de cette volon­té popu­laire pour accroître les pou­voirs du Par­le­ment, sous pré­texte qu’il la représente.

La véri­té est donc que, dans une Consti­tu­tion qui n’ad­met point les ins­ti­tu­tions d’in­ter­ven­tion directe popu­laire, les pou­voirs recon­nus au Par­le­ment ne sont sus­cep­tibles d’être jus­ti­fiés que par un concept d’AU­TO­RI­TA­RISME, c’est-à-dire par L’IDÉE QUE LE PARLEMENT EST INVESTI D’UNE PUISSANCE QUI NE CONSISTE PLUS SEULEMENT À ÉNONCER LA VOLONTÉ DU PEUPLE, MAIS QUI LUI PERMET D’IMPOSER AU PEUPLE SA PROPRE VOLONTÉ : en sorte que, pour les lois en par­ti­cu­lier, on ne peut plus dire qu’elles sont sim­ple­ment déli­bé­rées par le Par­le­ment, mais il faut dire qu’elles sont décré­tées par lui. Ce concept auto­ri­taire est, il est vrai, tem­pé­ré par le régime des élec­tions et réélec­tions pério­diques, qui condi­tionne le recru­te­ment du per­son­nel par­le­men­taire : tou­te­fois, sous les Consti­tu­tions qui n’ac­cordent aux citoyens QUE LE DROIT D’ÉLIRE, l’é­lec­tion ne peut pos­sé­der que la signi­fi­ca­tion d’un pro­cé­dé de dési­gna­tion, et la volon­té géné­rale ne garde la pos­si­bi­li­té de faire sen­tir sa puis­sance que dans la mesure par­tielle où ce pro­cé­dé de dési­gna­tion lui per­met d’in­fluer média­te­ment sur les direc­tions poli­tiques que pren­dra l’ac­ti­vi­té des élus.

Dès lors, et par cela seul que le Par­le­ment ne tire plus ses pou­voirs d’une repré­sen­ta­tion effec­tive du sou­ve­rain, il appa­raît que ceux-ci ne peuvent avoir d’autre source que l’oc­troi qui lui en a été fait par la Consti­tu­tion : ils ne s’a­na­lysent plus en une puis­sance de sou­ve­rai­ne­té, mais seule­ment en une com­pé­tence consti­tu­tion­nelle. Et par suite, la puis­sance par­le­men­taire perd ins­tan­ta­né­ment l’ap­ti­tude à s’é­ri­ger en une maî­trise abso­lue : car, même si le Par­le­ment est, d’a­près la Consti­tu­tion, la plus haute des auto­ri­tés consti­tuées, la puis­sance dont il dis­pose, comme auto­ri­té de cette sorte, ne peut être, à la dif­fé­rence de celle du sou­ve­rain, qu’une puis­sance DÉRIVÉE et, par consé­quent, essen­tiel­le­ment SUJETTE À LIMITATION.

On en arrive ain­si à une série de consé­quences inverses de celles qu’a engen­drées la théo­rie de la repré­sen­ta­tion par le Par­le­ment de la volon­té géné­rale. Une pre­mière limi­ta­tion fon­da­men­tale découle de ce que la puis­sance par­le­men­taire, étant une créa­tion de la Consti­tu­tion, ne sau­rait être maî­tresse, à elle seule, du sort de la loi consti­tu­tion­nelle en vigueur. Déjà, il est dif­fi­cile d’ad­mettre que l’ou­ver­ture de la révi­sion dépende exclu­si­ve­ment de la per­mis­sion de l’une quel­conque des auto­ri­tés consti­tuées, fût-ce le Par­le­ment : car l’é­ta­blis­se­ment d’un tel mono­pole revient à rendre la Consti­tu­tion incom­mu­table au regard de cette auto­ri­té, qui cepen­dant n’existe que par elle ; et notam­ment, il équi­vaut, en faveur de cette auto­ri­té, à une intan­gi­bi­li­té de ses pou­voirs, qui ne peut se conce­voir que chez le sou­ve­rain et qui est incon­ci­liable avec la notion de pou­voir consti­tué.

Mais sur­tout, on n’a­per­çoit pas com­ment l’ac­com­plis­se­ment de la révi­sion et sa per­fec­tion même pour­raient être lais­sés à la libre puis­sance du Par­le­ment ; celui-ci, pro­cé­dant de la Consti­tu­tion, ne peut pas pos­sé­der sur elle des pou­voirs qui impli­que­raient que c’est elle qui pro­cède de lui. Ain­si, dès que la Consti­tu­tion ne consacre pas effec­ti­ve­ment les droits sou­ve­rains de la volon­té géné­rale, en fai­sant du peuple lui-même l’or­gane suprême, aus­si bien dans l’ordre consti­tuant que dans l’ordre légis­la­tif, la dis­tinc­tion des lois consti­tu­tion­nelles et des lois ordi­naires, ain­si que la sépa­ra­tion orga­nique des deux pou­voirs consti­tuant et légis­la­tif, s’im­pose en ver­tu d’une néces­si­té qui pro­vient de l’im­pos­si­bi­li­té de conci­lier dans le même organe les qua­li­tés anti­no­miques de fon­da­teur de la Consti­tu­tion et d’au­to­ri­té fon­dée par elle. En ce qui concerne le Par­le­ment, ces prin­cipes ont pour effet, en le main­te­nant au rang d’au­to­ri­té consti­tuée, d’ex­clure, entre sa puis­sance et celle des autres auto­ri­tés éta­blies par la Consti­tu­tion, la dif­fé­rence radi­cale qui est née chez nous de l’i­dée qu’en lui seul réside le droit d’é­mettre la volon­té géné­rale. Par­le­ment, Exé­cu­tif et auto­ri­té juri­dic­tion­nelle, sont de même essence, en ce sens tout au moins que ces trois auto­ri­tés sont égales devant la Consti­tu­tion qui est la source com­mune de leurs pou­voirs. De cette égale subor­di­na­tion à la Consti­tu­tion découlent alors deux nou­velles sortes de limi­ta­tions sus­cep­tibles d’être appor­tées à la puis­sance parlementaire.

D’une part, lorsque la Consti­tu­tion s’est affran­chie du dogme de la repré­sen­ta­tion par le Par­le­ment de la volon­té géné­rale, il lui devient pos­sible d’at­té­nuer les supé­rio­ri­tés qui appar­tiennent aux assem­blées par­le­men­taires vis-à-vis de l’Exé­cu­tif. Assu­ré­ment, il y a pour le Par­le­ment une cause de pri­mau­té qui sub­sis­te­ra tou­jours : c’est celle qu’il tire de son pou­voir de faire les lois et, par là, de créer l’ordre juri­dique à l’ob­ser­va­tion duquel l’Exé­cu­tif est sou­mis. D’ailleurs, il demeure inévi­table que, par­mi les auto­ri­tés consti­tuées, il y en ait une qui soit pour­vue d’une pré­pon­dé­rance grâce à laquelle puisse se trou­ver assu­rée, d’une façon constante, l’u­ni­té de puis­sance et d’ac­tion néces­saire à l’É­tat ; or, il a déjà été noté (p. 202), comme une chose évi­dente, qu’une Consti­tu­tion telle que celle de 1875 ne pou­vait pas son­ger à pla­cer cette pré­pon­dé­rance ailleurs que dans le Par­le­ment. Mais la légi­ti­mi­té de la pri­mau­té par­le­men­taire ne signi­fie pas que l’Exé­cu­tif doive être réduit à une condi­tion de vas­sa­li­té com­plète envers les Chambres. Dans un régime orga­nique qui ne serait plus fon­dé sur la confu­sion du Par­le­ment avec le sou­ve­rain, il serait fort conce­vable que, tout en main­te­nant la supé­rio­ri­té du Par­le­ment, la Consti­tu­tion ait réser­vé à l’Exé­cu­tif une cer­taine part d’in­dé­pen­dance, celle-là même dont il a besoin pour rem­plir uti­le­ment ses fonc­tions agis­santes. Et par exemple, on com­pren­drait que la Consti­tu­tion ait pris soin de dic­ter elle-même au Par­le­ment, par des dis­po­si­tions for­melles, ces res­tric­tions et ces ména­ge­ments envers l’au­to­ri­té gou­ver­ne­men­tale que maints auteurs ou hommes poli­tiques exhortent pré­sen­te­ment nos Chambres à s’im­po­ser volon­tai­re­ment dans leurs rap­ports avec cette autorité.

D’autre part, une fois écar­tée l’i­den­ti­fi­ca­tion de la loi avec la volon­té géné­rale, il n’existe plus de rai­son qui mette obs­tacle à l’é­ta­blis­se­ment d’un contrôle juri­dic­tion­nel s’exer­çant sur les lois en vue de véri­fier leur confor­mi­té à la Consti­tu­tion ; mais il y a, au contraire, de fortes rai­sons qui appellent la consé­cra­tion par la Consti­tu­tion de ce contrôle des­ti­né à empê­cher la toute puis­sance légis­la­tive du Par­le­ment. Par­mi ces rai­sons, la pre­mière de toutes, c’est la subor­di­na­tion du Par­le­ment à l’ordre consti­tu­tion­nel en vigueur, subor­di­na­tion qui, comme on vient de le voir, entraîne à sa suite la dis­tinc­tion entre lois consti­tu­tion­nelles et lois ordi­naires, ou plus exac­te­ment qui réclame l’in­tro­duc­tion dans la Consti­tu­tion des moyens propres à assu­rer cette dis­tinc­tion. Or, le moyen par excel­lence de main­te­nir le légis­la­teur dans le res­pect par lui dû aux règles conte­nues dans la Consti­tu­tion, c’est l’ou­ver­ture d’une voie de recours contre les lois inconstitutionnelles.

On peut hési­ter sur les condi­tions dans les­quelles ce recours doit être orga­ni­sé. Nous ne serions guère por­té, pour notre part, à sou­hai­ter l’a­dop­tion du sys­tème qui irait jus­qu’à per­mettre à tout tri­bu­nal sai­si d’un litige de com­men­cer par dis­cu­ter la vali­di­té de la loi appli­cable à l’es­pèce avant que d’en faire appli­ca­tion. La gra­vi­té d’une ques­tion conten­tieuse de cette sorte exige que l’exa­men en soit réser­vé à une ins­tance d’une qua­li­té très haute, et sur­tout à une ins­tance unique qui sta­tue­rait erga omnes [à l’é­gard de tous]. Du moins, si les lois ces­saient d’être cou­vertes du masque de la volon­té géné­rale, il devien­drait indis­pen­sable que la ques­tion de leur consti­tu­tion­na­li­té trou­vât, lors­qu’elle est sou­le­vée par une par­tie inté­res­sée, une ins­tance juri­dic­tion­nelle devant laquelle elle pût être portée.

Toutes ces réflexions se résument dans l’al­ter­na­tive qui a été posée plus haut. Ou bien la puis­sance par­le­men­taire se réclame de la sou­ve­rai­ne­té de la volon­té géné­rale : et alors, celle-ci devrait être admise à exer­cer démo­cra­ti­que­ment ses droits sou­ve­rains au-des­sus de toutes auto­ri­tés, Par­le­ment y com­pris. Ou, au contraire, les condi­tions dans les­quelles la Consti­tu­tion a confé­ré au Par­le­ment le pou­voir de créer par lui-même et sous sa libre appré­cia­tion la volon­té natio­nale, excluent l’i­dée démo­cra­tique d’une sou­ve­rai­ne­té de la volon­té géné­rale et d’une repré­sen­ta­tion par­le­men­taire de cette volon­té : mais alors, le Par­le­ment ne peut plus se récla­mer des droits de la volon­té géné­rale pour pré­tendre à une puis­sance abso­lue. D’une façon comme de l’autre, on constate qu’il est de l’es­sence de la puis­sance par­le­men­taire de com­por­ter des limi­ta­tions. Cette puis­sance est néces­sai­re­ment limi­tée par celle du peuple, si elle est fon­dée sur la repré­sen­ta­tion de la volon­té popu­laire. Elle est essen­tiel­le­ment sus­cep­tible d’être limi­tée, si le Par­le­ment la détient comme puis­sance propre, qui lui vient de l’or­ga­ni­sa­tion consti­tu­tion­nelle : car la Consti­tu­tion doit indu­bi­ta­ble­ment être maî­tresse de régler ori­gi­nai­re­ment, et aus­si de modi­fier éven­tuel­le­ment, l’é­ten­due des pou­voirs de toute auto­ri­té qui, consti­tuée par elle, ne tient que d’elle ses compétences.

Source :
Ber­trand Car­ré de Malberg :
LA LOI, expres­sion de la volon­té géné­rale (1931) (Conclu­sion du livre).
http://www.amazon.fr/loi-expression-volont%C3%A9‑g%C3%A9n%C3%A9rale/dp/2717808116

ÉC]

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