Jacques Testart : « Le Sénat devrait être remplacé par une assemblée citoyenne tirée au sort »

27/01/2017 | 10 commentaires

Ça germe un peu par­tout, c’est chouette 🙂

Jacques Testart : « Le Sénat devrait être remplacé par une assemblée citoyenne tirée au sort »

La science, comme l’économie, serait por­teuse de véri­té parce que neutre. Pour­tant, entres autres exemples, l’axiome fon­da­teur de la loi Tra­vail pas­sée en force, contre l’avis des mil­lions de tra­vailleurs qu’elle affecte déjà, dépend d’une cer­taine concep­tion “scien­ti­fique” de l’économie et nous prouve bien que cette neu­tra­li­té sup­po­sée n’en a bien que le nom et que la véri­té qu’elle porte ne l’est que pour la mino­ri­té au pou­voir. Quand le contrat social est à ce point mis à mal, quand les déci­deurs favo­risent le Capi­tal plu­tôt que le peuple, peut-être faut-il essayer de réflé­chir à ce(ux) qui le constitue(nt) et com­ment, pour pou­voir rendre la démo­cra­tie meilleure. C’est ce à quoi Jacques Tes­tart, ancien cher­cheur en bio­lo­gie et “père” du pre­mier bébé-éprou­vette fran­çais, consacre aujourd’hui son temps, notam­ment à tra­vers l’association Sciences citoyennes.À des­sein, il a récem­ment publié « Rêve­ries d’un cher­cheur soli­daire », « L’humanitude au pou­voir – Com­ment les citoyens peuvent déci­der du bien com­mun » et« Faire des enfants demain ». Nous sommes allés le ren­con­trer. La pre­mière par­tie de notre dis­cus­sion porte sur la faillite de la démo­cra­tie, à laquelle les tenants de la véri­té par­ti­cipent ardem­ment. Les moyens pour la rendre effec­tive sont prin­ci­pa­le­ment conte­nus dans cette seconde partie.

« La sou­ve­rai­ne­té natio­nale appar­tient au peuple qui l’exerce par ses repré­sen­tants et par la voie du réfé­ren­dum. Aucune sec­tion du peuple ni aucun indi­vi­du ne peut s’en attri­buer l’exercice. »
Article 3 de la Consti­tu­tion fran­çaise actuelle

Le Comptoir : « Pour nourrir le processus politique dans des domaines d’incertitude scientifique » (Des Conférences de citoyens en droit français, Collectif, 2007) et pour trouver quelles solutions sont les plus adaptées pour l’ensemble de la société, les conférences et jurys de citoyens ont jusqu’à présent été utilisés à titre consultatif. Pouvez-vous expliquer en quoi ces procédures consistent et dans quels cadres elles s’expriment ?

Jacques Tes­tart : Les pro­cé­dures démo­cra­tiques des jurys ou confé­rences de citoyens sont très vagues. Le prin­cipe est tou­jours de mettre un groupe de per­sonnes tirées au sort devant un pro­blème et de lui deman­der de don­ner un avis. His­to­ri­que­ment, les confé­rences de citoyens, qui consti­tuent le modèle le plus éla­bo­ré, ont été inven­tées par le par­le­ment danois à la fin des années 1980, peut-être parce que les par­le­men­taires danois sont moins pré­ten­tieux que les nôtres. Ils se sont ren­du compte qu’ils étaient incom­pé­tents pour don­ner une direc­tive poli­tique sur des pro­blèmes tech­no­lo­giques et médi­cales en particulier.

Au par­le­ment en France, il doit y avoir un ancien pro­fes­seur de sciences natu­relles, plu­sieurs méde­cins mais ce n’est pas parce qu’on a été méde­cin ou pro­fes­seur un jour qu’on com­prend quelque chose à la bio­lo­gie molé­cu­laire d’aujourd’hui, c’est une illu­sion. Ces gens-là on les retrouve quand même dans l’Office par­le­men­taire d’évaluation des choix scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques. Ce sont des séna­teurs et dépu­tés qui se sont por­tés volon­taires, ils sont une qua­ran­taine. Ils tra­vaillent sur tous les sujets liés aux tech­no­lo­gies et leurs avis sont ensuite sui­vis par les “inno­cents”, les élus qui, eux, se savent incom­pé­tents. Cet Office est une cible rêvée pour les lobbys.

Le par­le­ment danois a inven­té un sys­tème déri­vé des confé­rences de consen­sus de la méde­cine amé­ri­caine. Le prin­cipe est de tirer au sort des gens pour évi­ter que les lob­bys ne s’infiltrent dans les déci­sions poli­tiques à ce niveau-là. On leur donne éga­le­ment une for­ma­tion pour qu’ils puissent émettre un avis. À par­tir de cette expé­rience danoise, plu­sieurs mil­liers de pro­cé­dures se sont déve­lop­pées et se sont récla­mées de ce prin­cipe-là : confé­rences de citoyens, jurys de citoyens, assem­blées citoyennes.

À Sciences citoyennes, on tra­vaille là-des­sus depuis 2006 et on a éla­bo­ré, en fai­sant une ana­lyse préa­lable des expé­riences mon­diales, un pro­to­cole qui nous paraît le plus per­ti­nent et ration­nel. On a appe­lé ça des conven­tions de citoyens et on en a don­né une défi­ni­tion très pré­cise, ce qui n’avait pas été fait jusqu’à pré­sent. Ça a abou­ti à un pro­jet de loi qu’on a fait connaître en 2007 et qui n’a évi­dem­ment jamais été ana­ly­sé à l’assemblée. Qu’est-ce que c’est, pour nous, une conven­tion de citoyens ? Ce sont effec­ti­ve­ment des gens tirés au sort dont on s’arrange pour qu’en plus, ils ne soient pas por­teurs d’intérêts. Si, par exemple, on fait une confé­rence sur les déchets nucléaires et que le sort désigne un ingé­nieur du CEA, on va dire « non, vous retour­nez chez vous et on va prendre le sui­vant dans le tirage au sort parce que vous êtes déjà par­tie pre­nante. » Ce serait vrai aus­si pour un mili­tant de Green­peace. On prend donc volon­tai­re­ment des gens inno­cents, igno­rants et puis on leur donne une for­ma­tion. C’est le point clé.

La for­ma­tion peut orien­ter com­plè­te­ment l’avis des citoyens. Pour qu’elle soit objec­tive, on a ima­gi­né que l’organisateur désigne un groupe, le comi­té de pilo­tage, qui aura pour tâche essen­tielle de défi­nir la for­ma­tion qu’on va don­ner aux citoyens. Ce comi­té est com­po­sé de gens qui sont recon­nus comme étant com­pé­tents sur le pro­blème et comme ayant des avis dif­fé­rents : ils ont écrit un article dans un jour­nal, mon­té une asso­cia­tion, tra­vaillent pour un indus­triel… C’est fina­le­ment un groupe d’une dizaine de per­sonnes, dans lequel il y a aus­si deux uni­ver­si­taires, spé­cia­listes de la pro­cé­dure, qui peuvent rap­pe­ler sans arrêt ce qu’est une conven­tion de citoyens et ce qu’est l’objectivité. Ces gens qui ne sont pas d’accord entre eux vont devoir se mettre d’accord sur le choix des for­ma­teurs, des thèmes à trai­ter et de la durée consa­crée à chaque thème. L’objectivité de la for­ma­tion en dépen­dra. Ils défi­nissent éga­le­ment des cahiers d’acteurs, des docu­ments à lire ou vision­ner, qui réunissent des prises de posi­tion diverses sur le thème, et qui sont pro­po­sés depuis tout le pays. Ce comi­té de pilo­tage ne ren­con­tre­ra jamais les citoyens. Il faut tou­jours un déca­lage pour évi­ter jus­te­ment les mani­pu­la­tions et les pressions.

« Dans les conven­tions de citoyens, il y a une impli­ca­tion des gens comme membres de l’espèce humaine. »

Les citoyens ont cette for­ma­tion pen­dant deux week-ends pas for­cé­ment conti­nus – par­fois ils sont même orga­ni­sés à plu­sieurs semaines, voire mois d’intervalle parce qu’il faut qu’ils aient le temps de dis­cu­ter entre eux, de réflé­chir. Ensuite, ils éla­borent eux-mêmes un troi­sième week-end qui sera ouvert au public et lors duquel ils feront com­pa­raître devant eux des experts que le comi­té de pilo­tage n’avait pas dési­gné. Des conven­tions de citoyens orga­ni­sées de cette manière-là n’ont encore jamais eu lieu. Il y a eu des choses qui s’en rap­pro­chaient plus ou moins, une quin­zaine en France depuis 1998, avec des variantes. En géné­ral, pour ce troi­sième week-end, ils ont des idées géniales et sélec­tionnent des gens qui n’appartiennent par­fois pas direc­te­ment au champ de la pro­blé­ma­tique. Par exemple, ils vont faire com­pa­raître un géo­graphe pour par­ler d’OGM, ou un psy­cho­logue, ou un ambassadeur.

Pour­quoi c’est en public ? Parce que c’est un moment un peu solen­nel où on découvre pour la pre­mière fois ces citoyens, puisque jusque-là tout était caché pour évi­ter que les lob­bys ne mettent la main des­sus. La salle n’a pas le droit d’intervenir, elle est spec­ta­trice. On peut voir com­pa­raître des mecs qui d’habitude passent à la télé et racontent n’importe quoi devant des jour­na­listes qui n’y connaissent rien et là, devant les citoyens qui ont bos­sé sur le sujet pen­dant déjà deux week-ends, ils se font char­cu­ter. C’est très émou­vant de voir com­ment ces gens-là ont fini par acqué­rir une com­pé­tence là où eux-mêmes se croyaient incapables.

Quand c’est fini, les citoyens se retirent dans une arrière-salle et rédigent leur avis, à huis-clos, sou­vent toute la nuit. On ne peut pas faire pres­sion sur eux. Le len­de­main matin, ils font une confé­rence de presse pour rendre leur avis, qui peut-être plus ou moins long, et indiquent « on est tous d’accord, ou bien seule­ment 4 sur 15 pensent ça, il y en a 3 qui pensent ça », etc.

Dans mon bou­quin L’humanitude au pou­voir, j’appelle « huma­ni­tude » cette capa­ci­té de l’humain à déve­lop­per, dans cer­taines condi­tions, l’intelligence col­lec­tive mais aus­si l’altruisme et l’empathie. Je ne l’ai pas inven­té, tous les socio­logues qui tra­vaillent là-des­sus l’avaient déjà remar­qué. C’est-à-dire que les gens qui sont tirés au sort et qui ont accep­té de jouer le jeu – ce n’est pas obli­ga­toire contrai­re­ment aux membres d’un jury d’assise –, ne vont pas pen­ser à leur famille, à leur petit inté­rêt per­son­nel, ils vont pen­ser au tiers-monde et aux géné­ra­tions futures. Cette huma­ni­tude se déve­loppe parce qu’ils prennent très au sérieux leur rôle d’apporter un avis sur un pro­blème grave – les OGM, le nucléaire, les nano­tech­no­lo­gies. Ils sont impres­sion­nés d’ailleurs par la manière dont ils ont réus­si à deve­nir compétents.

Tout ça ne se mani­feste pas dans le débat public ou dans le réfé­ren­dum. Dans les conven­tions de citoyens, il y a une impli­ca­tion des gens comme membres de l’espèce humaine. Cette facul­té doit exis­ter chez tout le monde mais elle appa­raît seule­ment dans des cir­cons­tances excep­tion­nelles : peut-être des jurys d’assises, des conven­tions de citoyens, mais aus­si dans des grandes grèves où d’un seul coup les types qui, avant, ne se regar­daient pas trop, tra­vaillent pour la même chose et ont des idées géniales. C’est rare mais on peut donc pro­vo­quer des situa­tions où cette huma­ni­tude va appa­raître : on peut ame­ner l’espèce humaine à don­ner le meilleur d’elle-même. Est-ce que le but du poli­tique ne devrait pas être de créer les condi­tions pour que ça s’exprime ?

Peut-être que son but est justement que ça ne s’exprime pas.

Évi­dem­ment. D’une part, peut-être parce que les poli­tiques ont peur de perdre leurs pré­ro­ga­tives. Ils ne croient pas du tout que le peuple soit com­pé­tent autant qu’ils le sont. Ceci étant, ils sont quand même élus par le peuple, tout ça est donc absurde.

Quelles sont, pour nous donner une idée, les propositions issues de conférences de citoyens qui vous ont le plus marqué ?

Les confé­rences de citoyens ont sur­tout été uti­li­sées pour bou­cher les trous, pour dire « voyez, on fait de la démo­cra­tie ». Un peu comme les débats publics dont je par­lais au début. Les résul­tats n’ont pas été beau­coup pris en compte. La pre­mière qui a eu lieu en France, c’était en 1998 sur les OGM. C’est grâce à elle que l’étiquetage des pro­duits OGM a été ren­du obli­ga­toire, sauf pour les ani­maux nour­ris aux OGM qui ne sont tou­jours pas éti­que­tés. Dans un autre ordre d’idée, les citoyens de cette confé­rence-là avaient don­né un avis sur l’expertise. Ils avaient dit qu’il n’était pas nor­mal que dans les com­mis­sions d’évaluation natio­nales – il s’agissait en l’occurrence de la Com­mis­sion de génie bio-molé­cu­laire qui s’occupait des OGM – il n’y ait que des scien­ti­fiques. Selon eux, il devrait y avoir deux groupes de per­sonnes : d’une part, les scien­ti­fiques ; d’autre part, un comi­té éco­no­mique et social dans lequel il y aurait des asso­cia­tions par exemple, qui inter­vien­draient et don­ne­raient leur avis. L’avis final serait ain­si le pro­duit des deux. Il y a une dizaine d’années, cette com­mis­sion de génie bio-molé­cu­laire s’est effec­ti­ve­ment trans­for­mée en Haut Conseil des bio­tech­no­lo­gies avec deux groupes d’expertise. Sa pre­mière mou­ture a un peu pris du plomb dans l’aile mais il n’en est pas moins que c’était un des résul­tats de la confé­rence de citoyens sur les OGM. Com­ment une quin­zaine de per­sonnes qui ne connaissent rien des OGM, ni de la démo­cra­tie en sont venues en quelques mois à pro­po­ser des choses pareilles ? C’est fas­ci­nant. À la fin des débats, j’avais aus­si enten­du « La nature ne peut pas être une paillasse de labo­ra­toire. » Ce que ce citoyen vou­lait dire c’est qu’il faut mener les expé­riences jusqu’au bout dans les labo­ra­toires, en milieu fer­mé mais ne pas faire d’essais dans les champs parce qu’ils peuvent être conta­mi­nants. On ne devrait pou­voir mettre dans les champs que des pro­duits dont on a com­plè­te­ment fini l’expérimentation, ce qui est rare­ment le cas.

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Les citoyens deman­daient aus­si une assu­rance spé­ci­fique pour les gens qui cultivent des OGM, étant don­né que les catas­trophes qui pour­raient sur­ve­nir ne sont pas pré­vi­sibles et pour­raient être d’ampleur énorme. À cette confé­rence, il y avait notam­ment un expert qui était assu­reur et pro-OGM. Il est venu expli­quer qu’en tant qu’assureur il ne pou­vait pas assu­rer les OGM puisque le risque n’est pas connu. La salle pouf­fait évi­dem­ment. On voit la contradiction…

Je pour­rais éga­le­ment citer la confé­rence de citoyens orga­ni­sée par la ville de Paris sur les ondes élec­tro­ma­gné­tiques (wifi, antennes-relais). Les citoyens ont dit qu’il fal­lait limi­ter le nombre d’antennes-relais et codi­fier l’emploi du télé­phone por­table dans les trans­ports en com­mun alors que tous avaient évi­dem­ment des télé­phones por­tables. Ça montre que les gens sont capables d’aller à l’encontre de leurs propres intérêts.

À l’issue d’une autre confé­rence de citoyens en 2002 qui s’appelait « Chan­ge­ment cli­ma­tique et citoyen­ne­té », et dont j’étais co-orga­ni­sa­teur, une des pro­po­si­tions a été de mettre un impôt sur le kéro­sène des avions. Ça a vague­ment été repris après mais ça n’existe tou­jours pas. Pour­tant, il n’y a pas de rai­son à ce qu’il y ait un impôt sur l’essence des voi­tures mais pas sur le kéro­sène des avions.

brave-new-worldEn bioé­thique, il y a eu deux confé­rences de citoyens : une sur la fin de vie et une sur les lois autour de la PMA. Pour la pre­mière, un des avis était d’autoriser le sui­cide volon­taire sans néces­sai­re­ment pas­ser par un comi­té d’expertise. Le prin­cipe était celui de la liber­té de cha­cun de dis­po­ser de sa durée de vie. Dans des pays comme la Suisse ou la Hol­lande où c’est deve­nu assez cou­rant, il y a jus­te­ment une exper­tise médi­cale pour juger de la gra­vi­té de la situa­tion et don­ner l’autorisation à mou­rir. Après tout, les gens pour­raient dire « J’ai un can­cer, on va me trai­ter, j’ai une chance sur dix d’en sor­tir, j’ai pas envie de cou­rir ça et je pré­fère mou­rir tout de suite. » C’est une idée qui avait été émise dans cette confé­rence de citoyens. Quant à celle sur la PMA, j’avais été appe­lé en tant qu’expert dans la der­nière jour­née, celle qui se déroule en public. J’avais été appe­lé parce que dans mes bagarres, il y a celle contre le tri des embryons humains et la renais­sance de l’eugénisme. Les citoyens m’ont dit « Qu’est-ce que vous pro­po­sez ? » et j’ai répon­du qu’à mon avis la recherche de patho­lo­gies géné­tiques sur l’ensemble des embryons pro­duits par un même couple ne devrait être faite que pour une seule patho­lo­gie pour évi­ter le “bébé à la carte” et se limi­ter aux mala­dies très graves. Il y a un article qui est sor­ti dans Nature en novembre 2016 qui montre que, sur la sou­ris, on peut main­te­nant faire des mil­liers d’embryons à par­tir de cel­lules de peau. Dans dix ans, on pour­ra le faire chez l’homme. Si on peut pro­duire beau­coup d’embryons, il y a donc la pos­si­bi­li­té de faire un tri de tous les enfants en recher­chant de très nom­breux traits géné­tiques. Tous les citoyens ont été d’accord avec mon idée mais le Par­le­ment l’a snobée.

Pour faire en sorte que la démocratie soit enfin le porte-drapeau du bien commun, vous proposez avec l’association Sciences citoyennes d’encadrer les conférences et jurys de citoyens en les mettant sous la dénomination de “conventions de citoyens” et surtout d’en étendre le rayon d’action. Pourquoi et comment les encadrer ? Comment en imaginez-vous l’extension ?

Pour arri­ver à leur don­ner une valo­ri­sa­tion poli­tique, il faut effec­ti­ve­ment que ces conven­tions de citoyens soient ins­crites dans la loi ou même dans la Consti­tu­tion. Pour le moment, on ne peut pas obli­ger les élus à suivre l’avis des citoyens parce que dans notre sys­tème par­le­men­taire, ils sont ceux qui décident et sont res­pon­sables. Si la pro­cé­dure est léga­li­sée, il devraient prendre posi­tion indi­vi­duel­le­ment et c’est jus­te­ment ce qu’on demande : pour chaque conven­tion de citoyen au niveau natio­nal, l’avis devrait être exa­mi­né au Par­le­ment et chaque par­le­men­taire devrait avoir l’obligation d’exprimer son avis en don­nant son nom, pour prendre une res­pon­sa­bi­li­té devant l’avenir. S’il s’oppose, il se sera oppo­sé, fina­le­ment, à lavox popu­li. Ça chan­ge­rait pas mal, à mon avis, les réac­tions des parlementaires.

Ensuite, il faut se mettre d’accord sur les normes. Pour que ça fonc­tionne, il faut savoir à quel moment on fait des conven­tions de citoyens et pour­quoi. Per­son­nel­le­ment, là je ne parle plus pour Sciences citoyennes, je suis pour la sup­pres­sion du Sénat et son rem­pla­ce­ment par une assem­blée citoyenne tirée au sort et renou­ve­lée régu­liè­re­ment, qui n’ait pas les pri­vi­lèges des élus actuels. Il y aurait quelques cen­taines de citoyens, comme c’est actuel­le­ment le cas pour les séna­teurs. Ils auraient un rôle effec­tif qui devrait être celui du Sénat : de contre­ba­lan­cer les choix des dépu­tés qui, eux, conti­nue­raient d’être élus. Ce Sénat aurait un rôle de garant de repré­sen­ta­tion de la socié­té et de démo­cra­tie per­ma­nente. Pour tous les pro­blèmes liti­gieux, à chaque fois qu’il y a contro­verse, on réuni­rait une conven­tion de citoyens, voire plu­sieurs. Leur rôle irait au-delà des tech­no­lo­gies, qui jusque-là ont prin­ci­pa­le­ment été les thèmes des confé­rences de citoyens. Moi, je les vois appli­quées à tous les pro­blèmes de la vie poli­tique. Je pense qu’il fau­drait qu’on en réunisse tou­jours trois à chaque fois. Et si elles don­naient toutes le même avis, cet avis devien­drait qua­si­ment immé­dia­te­ment léga­li­sé. Ça aurait du sens. C’est comme une expé­rience scien­ti­fique : si on arrive à trou­ver le même résul­tat dans plu­sieurs groupes, c’est là que ça prend du sens. Ce n’est pas un détail. Il fau­drait que ce soit un mode nou­veau de faire de la poli­tique. C’est ce que j’appelle la démo­cra­tie per­ma­nente. Il y aurait sans arrêt quelque part, des gens qui seraient réunis et tirés au sort, qui dis­cu­te­raient d’un pro­blème et qui, au bout de quelques mois, ren­draient un avis à cette chambre de citoyens que serait le nou­veau Sénat. Ce der­nier défen­drait cette pro­po­si­tion auprès de la chambre des dépu­tés. Ce serait quelque chose de com­plè­te­ment nou­veau dans la démo­cra­tie. Je regrette d’ailleurs que même les can­di­dats les plus enga­gés et qui parlent de démo­cra­tie sont tou­jours timides pour ce qui est du tirage au sort et du rôle des élus. Je crois qu’il faut être radi­cal. Dans mon groupe local d’insoumis, j’ai réus­si à faire pas­ser cette pro­po­si­tion-là : tirage au sort d’un nou­veau Sénat et conven­tions de citoyens pour tous les problèmes.

Ça s’inscrit dans la volonté de Mélenchon d’une VIe République ?

Je me bats pour qu’il le dise. Il faut chan­ger les règles du jeu.

https://​you​tu​.be/​E​O​T​8​Z​3​t​7​stQ

Quand je fais des confé­rences où j’explique les conven­tions de citoyens, les gens sont tous d’accord. Ce n’est peut-être pas n’importe qui qui vient m’écouter mais quand même. Ils sont éton­nés qu’on ne parle jamais de ça à la radio ou à la télé et ils disent « Mais c’est ça qu’il nous faut ! » Il y a quelque chose là à pros­pec­ter qui ren­con­tre­rait très vite, à mon avis, une adhé­sion. Il pour­rait y avoir à par­tir de là un véri­table bou­le­ver­se­ment, un chan­ge­ment radi­cal de la vie poli­tique, comme ce qu’a enclen­ché Pode­mos en Espagne par exemple, mais en allant plus loin. Je crois que si on ne va pas plus loin, on n’ira nulle part.

Cet entretien a été rondement mené par Sylvain Métafiot, suivant des questions d’Alizé Lacoste Jeanson

Nos Desserts :

  • Retrou­vez le site per­son­nel de Jacques Tes­tart et celui de la fon­da­tion Sciences citoyennes
  • Le blog d’Her­vé Mai­son­neuve est une mine d’or d’informations sans œillères sur le monde de la recherche
  • Au Comp­toir, nous avons déjà inter­viewé Eva Bel­li­na­to et Didier Lam­bert qui nous par­laient tous les deux des dan­gers bien réels de l’incursion des lois du mar­ché dans la méde­cine (au niveau de l’accouchement et des adju­vants vac­ci­naux, respectivement)
  • On par­lait du non-sens et de l’instrumentalisation de l’expertise en pre­nant l’exemple des tests osseux
  • Récem­ment, nous ren­con­trions Auré­lien Ber­nier avec qui nous dis­cu­tions aus­si des pro­po­si­tions qu’une gauche vrai­ment radi­cale pour­rait défendre
  • Pour se don­ner du grain à moudre, on vous pro­po­sait des cri­tiques fron­tales la notion de Pro­grès avec Pierre Thies­set etGalaad Wil­gos

 

Source : Le Comp­toir, https://​comp​toir​.org/​2​0​1​7​/​0​1​/​1​3​/​j​a​c​q​u​e​s​-​t​e​s​t​a​r​t​-​l​e​-​s​e​n​a​t​-​d​e​v​r​a​i​t​-​e​t​r​e​-​r​e​m​p​l​a​c​e​-​p​a​r​-​u​n​e​-​a​s​s​e​m​b​l​e​e​-​c​i​t​o​y​e​n​n​e​-​t​i​r​e​e​-​a​u​-​s​o​rt/https://​comp​toir​.org/​2​0​1​7​/​0​1​/​1​3​/​j​a​c​q​u​e​s​-​t​e​s​t​a​r​t​-​l​e​-​s​e​n​a​t​-​d​e​v​r​a​i​t​-​e​t​r​e​-​r​e​m​p​l​a​c​e​-​p​a​r​-​u​n​e​-​a​s​s​e​m​b​l​e​e​-​c​i​t​o​y​e​n​n​e​-​t​i​r​e​e​-​a​u​-​s​o​rt/

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Étienne

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10 Commentaires

  1. etienne

    « Notre ennemi, le capital »

    Jean-Claude Michéa (1÷4) : Qu’est-ce que la gauche ? 

    Jean-Claude Michéa (2÷4) : Comment être pour le progrès mais contre la révolution ?

    Jean-Claude Michéa (3÷4) : Comment défendre les minorités mais contre le peuple ?

    Jean-Claude Michéa (4÷4) : Comment être socialiste et critiquer la gauche ?

    Notre enne­mi, le capital
    Cli­mats, 2017
    Jean-Claude Michéa

    https://​www​.fran​ce​cul​ture​.fr/​o​e​u​v​r​e​/​n​o​t​r​e​-​e​n​n​e​m​i​-​l​e​-​c​a​p​i​tal

    Réponse
  2. etienne

    Des millions d’euros ont été siphonnés par des sénateurs UMP

    par MATHILDE MATHIEU, Média­part :

    Confron­tée depuis deux ans à une affaire de détour­ne­ments de fonds publics, la droite séna­to­riale tente de la cir­cons­crire à une poi­gnée de cas indi­vi­duels. En réa­li­té, le scan­dale est systémique.

    Il n’y a pas que les dea­lers de shit qui créent un argot ima­gé pour trom­per la police et euphé­mi­ser leurs délits. Pen­dant des années, au sein du groupe UMP du Sénat, on s’est aus­si inven­té des noms de code en pagaille, entre soi, pour évo­quer l’indicible. Entre 2003 et 2014, sous les dorures de la Répu­blique, on par­lait ain­si de « ris­tournes »(ou « piz­zas »), de la tra­di­tion des « étrennes » ou des « bouilleurs de cru ». Der­rière ces mots désuets, presque gen­tillets, se cachaient des ral­longes son­nantes et trébuchantes.

    Cha­cun de ces termes dési­gnait en fait un dis­po­si­tif mis en place au sein du groupe UMP pour détour­ner des mil­lions d’euros de sub­ven­tions publiques de leur objet ini­tial, au pro­fit d’élus qui les encais­saient en plus de leurs indem­ni­tés légales.

     © Reuters© Reuters

    Jusqu’ici, seul le rituel des « étrennes » (8 000 euros par tête à Noël, soit 15 mil­lions d’euros sur douze ans) avait été détaillé par Media­part (lire ici). Ce n’était pas le plus scan­da­leux. D’après nos infor­ma­tions, une par­tie des séna­teurs UMP a béné­fi­cié en paral­lèle du sys­tème des « ris­tournes » et de celui des « bouilleurs de cru », qui ont per­mis à des dizaines de par­le­men­taires d’empocher des chèques à répé­ti­tion (sou­vent des mil­liers d’euros par tri­mestre) pour un usage tota­le­ment dis­cré­tion­naire, y com­pris leur train de vie per­son­nel. D’après nos esti­ma­tions, les fonds publics ain­si redis­tri­bués ont sans doute dépas­sé les 10 mil­lions d’euros sur douze ans, au bas mot.

    Pour recons­ti­tuer cet alam­bic à plu­sieurs branches, ce goutte-à-goutte clan­des­tin, il nous aura fal­lu des mois d’une enquête fon­dée sur des témoi­gnages et des liasses de docu­ments comp­tables (rele­vés ban­caires, pho­to­co­pies de chèques, cour­riers, etc.). Le cal­cul s’avère d’autant plus dif­fi­cile que les « règles » appli­quées au sein du groupe UMP ont varié au fil des ans et des humeurs des chefs, au gré des chan­tages poli­tiques aus­si. Quel que soit le butin exact, ce casse « tran­quille » a été ren­du pos­sible par l’absence totale de garde-fou au sein du palais du Luxembourg.

    Jusqu’en 2015, le Sénat a en effet pro­di­gué quelque 10 mil­lions d’euros par an à ses « groupes poli­tiques » (struc­tures char­gées d’organiser le tra­vail col­lec­tif entre élus d’une même éti­quette, de sala­rier des col­la­bo­ra­teurs, d’acheter des conseils exté­rieurs, etc.), sans qu’aucun contrôle sur leurs dépenses ne soit esquis­sé, ni leurs comptes publiés.

    Aujourd’hui, seule une par­tie des faits se retrouve dans le viseur des juges d’instruction René Cros et Emma­nuelle Legrand, char­gés d’enquêter sur des soup­çons de« détour­ne­ments de fonds publics » et de « recel », à cause des délais de pres­crip­tion et des dif­fi­cul­tés à sai­sir cer­tains abus péna­le­ment. Mal­gré tout, les convo­ca­tions ne cessent de pleu­voir. Alors que cinq per­sonnes sont déjà mises en exa­men (deux par­le­men­taires en poste et un ex-séna­teur, ain­si que deux anciens col­la­bo­ra­teurs du groupe UMP), d’autres élus devraient être inter­ro­gés dans les pro­chaines semaines, dont plu­sieurs ténors de droite.

    Au-delà du scan­dale finan­cier, cette affaire révèle, comme aucune autre, la médio­cri­té d’un per­son­nel poli­tique qui a cou­ru après les « petits » arran­ge­ments de cou­lisse pour arron­dir ses fins de mois, si enkys­té dans ses man­dats qu’il a per­du de vue la fron­tière entre argent public et pri­vé. Pire : la plu­part des béné­fi­ciaires n’ont jamais com­pris que loin de contrô­ler ce sys­tème, ce sys­tème les tenait.

    • Le pri­vi­lège des « bouilleurs de cru » :

    Toute l’affaire com­mence en novembre 2002, lorsque Alain Jup­pé et Jacques Chi­rac créent l’UMP pour ras­sem­bler « toutes les droites ». Au Sénat, il s’agit de fusion­ner trois groupes rivaux : celui du RPR (gaul­liste), celui des « Répu­bli­cains et indé­pen­dants » (gis­car­dien libé­ral) et l’« Union cen­triste ». Sur le plan finan­cier, les négo­cia­tions sont tendues.

    Pour per­mettre au groupe UMP de démar­rer, cha­cun daigne ver­ser une par­tie de son tré­sor de guerre au pot com­mun. Mais les anciens RPR et RI (Répu­bli­cains indé­pen­dants), pilo­tés res­pec­ti­ve­ment par un duc et un mar­quis, Jos­se­lin de Rohan et Hen­ri de Rain­court, dis­posent encore de mil­lions d’euros de réserves. Qu’en faire ? Le bon sens vou­drait, s’agissant de fonds publics, qu’ils soient remis à la tré­so­re­rie du Sénat. Au contraire, un pacte est conclu pour taire l’existence de ces cagnottes, pla­cées sur des comptes ad hoc. Dès lors, cer­tains ténors de la droite séna­to­riale pour­ront y pio­cher sans avoir de comptes à rendre à per­sonne, ni à l’institution, ni à la base du groupe UMP d’ailleurs – nous y reviendrons.

    Mais en ce mois de décembre 2002, les trac­ta­tions ne s’arrêtent pas là. Des séna­teurs « non gaul­listes », inquiets à l’idée de perdre leur iden­ti­té, d’être englou­tis par la machine RPR, rechignent et posent leurs condi­tions. Ils savent que l’État finance les par­tis poli­tiques en fonc­tion du nombre de par­le­men­taires qui s’y rat­tachent – plus de 30 000 euros par signa­ture. Contre leur adhé­sion à l’UMP, alors pré­si­dée par le gaul­liste Alain Jup­pé, les séna­teurs RI et cen­tristes exigent qu’une par­tie des fonds publics alloués au par­ti leur revienne chaque année dans les poches, offi­ciel­le­ment pour des acti­vi­tés poli­tiques de ter­rain. Le « deal » est immo­ral ? Il est pour­tant scellé.

    Entre 2003 et 2008, le tré­so­rier de l’UMP, Éric Woerth, va ain­si rétro­cé­der une somme astro­no­mique de 4 à 5 mil­lions d’euros aux séna­teurs issus des rangs RI et cen­tristes (ain­si que quelques autres cha­pelles). Dans un cour­rier de sep­tembre 2007 en pos­ses­sion de Media­part, Éric Woerth évoque noir sur blanc un « sou­tien finan­cier »ver­sé « à hau­teur de 13 720 euros par an et par séna­teur ». Sol­li­ci­té par Media­part, il n’a pas répon­du à nos questions.

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    L’argent ne leur est pas viré direc­te­ment mais tran­site par le groupe UMP du Sénat, puis une asso­cia­tion créée pour l’occasion : l’URS (Union répu­bli­caine du Sénat), une sorte d’amicale pré­si­dée par le chef de file des RI (Hen­ri de Rain­court), avec un cen­triste pour tré­so­rier (André Dulait).

    Ci-des­sous, la liste des séna­teurs RI ral­liés à l’UMP en 2002 :

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    Par excep­tion, quelques « ayants droit » refusent-ils d’entrer dans la danse ? Pos­sible. Que fait la grande majo­ri­té de son argent ? Ce que bon lui semble. Rapi­de­ment, ces dizaines de béné­fi­ciaires acquièrent le sur­nom de « bouilleurs de cru », en réfé­rence aux cam­pa­gnards ayant obte­nu le droit de dis­til­ler de l’alcool sans payer de taxes – un pri­vi­lège attri­bué une fois pour toutes et appe­lé à s’éteindre avec eux. Ici, c’est la même chose : seuls les séna­teurs RI et cen­tristes élus avant 2002 seront ser­vis. D’après nos infor­ma­tions, les ver­se­ments ont fina­le­ment ces­sé en 2009.

    Aujourd’hui, les uns et les autres vou­draient faire croire que cet argent a finan­cé exclu­si­ve­ment « des acti­vi­tés locales », « des jour­naux », « des repas de maires », sans comp­ter « des asso­cia­tions » dont per­sonne ne veut livrer le nom – des pra­tiques sou­vent clien­té­listes, des­ti­nées à faire bouillir la mar­mite des « grands élec­teurs »… En réa­li­té, en l’absence de sur­veillance et de la moindre consigne, ce tré­sor a aus­si cou­vert moult dépenses à carac­tère pri­vé. « Je vois bien, peut-être, qu’il y a eu des excès, admet un ponte du cen­trisme. Mais je n’étais pas contrô­leur, je n’ai pas de juge­ment à por­ter sur ce que des col­lègues ont pu faire. »

    Inter­ro­gé par Media­part, l’ancien patron du groupe UMP de 2002 à 2008 Jos­se­lin de Rohan, issu des rangs RPR donc plus loquace, recon­naît que ce sys­tème « n’était pas nor­mal ». « Mes amis [gaul­listes – ndlr] et moi ne tou­chions pas cet argent, jamais, j’y ai veillé, clame-t-il auprès de Media­part. Avec Woerth, nous avions deman­dé que ça cesse. » « Ça » a pour­tant duré six ans.

    • Les « ris­tournes » ou « pizzas » :

    À l’époque, la gour­man­dise de cer­tains va plus loin. Une fois l’URS créée et domi­ci­liée dans le châ­teau du mar­quis de Rain­court, autant qu’elle serve à d’autres faims ! L’amicale des anciens RI se lance donc dans « les ris­tournes », une acti­vi­té qui ces­se­ra en 2014 seule­ment, après l’intervention de la jus­tice. Le prin­cipe est astucieux.

    Jean-Claude Gaudin, sénateur et maire de Marseille, président du groupe UMP de 2011 à 2014 © ReutersJean-Claude Gaudin, sénateur et maire de Marseille, président du groupe UMP de 2011 à 2014 © Reuters

    Il suf­fit de savoir que le Sénat met 7 500 euros par mois à dis­po­si­tion de tout séna­teur pour qu’il sala­rie des assis­tants per­son­nels – c’est le « cré­dit col­la­bo­ra­teurs ». Quand il n’épuise pas son enve­loppe, l’élu peut délé­guer ses restes à son groupe poli­tique, plu­tôt que de les « perdre » (dans la limite de 4 000 euros par mois). Si l’institution tolère ce trans­fert, c’est qu’il per­met aux groupes d’embaucher des conseillers sup­plé­men­taires, donc d’améliorer le tra­vail par­le­men­taire. En théorie.

    Car à droite, le sys­tème est per­ver­ti : gros­so modo, seul un tiers du mon­tant reste dans les caisses du groupe UMP, tan­dis que le reste fuite secrè­te­ment vers l’URS, qui en conserve un tiers pour elle-même et reverse un tiers au séna­teur en per­sonne. C’est la « ris­tourne », sorte de com­mis­sion qui per­met aux élus de récu­pé­rer jusqu’à 16 000 euros par an sous forme de chèques. Dans les cou­loirs, on parle aus­si de « piz­zas », cha­cun gri­gno­tant sa part au détri­ment du Sénat, c’est-à-dire des contribuables.

    Évi­dem­ment, des dizaines de séna­teurs « adhèrent », non seule­ment issus des rangs RI et cen­tristes, mais aus­si d’anciens RPR peu regar­dants, au point que l’URS opère ses livrai­sons tri­mestre par tri­mestre pour limi­ter la paperasse.

    Au sein du groupe UMP, c’est un simple sala­rié, Michel Tal­gorn, ex-secré­taire géné­ral du groupe RI, aujourd’hui mis en exa­men, qui se charge de raf­fi­ner le sys­tème. Une comp­ta­bi­li­té spé­ciale est ain­si mise en place, avec des tableaux pour lis­ter les élus et les mon­tants, tenue au cen­time près.

    À titre d’exemple, le docu­ment ci-des­sous montre qu’en avril 2012, 52 806 euros de « cré­dits col­la­bo­ra­teurs » ont été délé­gués par des séna­teurs RI ou cen­tristes au groupe UMP, qui a ensuite rever­sé la baga­telle de 32 273 euros dans les caisses de l’URS, en douce.

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    D’après les pièces consul­tées par Media­part et recou­pées par des témoi­gnages, il est pos­sible d’affirmer qu’au moins 4 ou 5 mil­lions d’euros ont ain­si été détour­nés de la tré­so­re­rie du Sénat en douze ans.

    Au bout d’un cer­tain temps, il semble par ailleurs que le groupe UMP ait pro­po­sé un sys­tème de « ris­tournes » alter­na­tif pour ceux qui ne vou­laient pas s’acoquiner avec l’URS (car issus du RPR ou fraî­che­ment arri­vés). Pour tou­cher « son tiers », il suf­fi­sait de four­nir des « notes de frais » d’un mon­tant équi­valent et le groupe rem­bour­sait direc­te­ment, qu’il s’a­gisse de fac­tures de fleurs ou de dîners. Plus sophis­ti­qué ? Plus pru­dent, surtout.

    Inter­ro­gé par Media­part, l’ancien patron du groupe UMP Jos­se­lin de Rohan recon­naît la pra­tique des « ris­tournes », tout en affir­mant qu’elle se serait ins­tal­lée « dans [son]dos ». « Au début, en ma naï­ve­té, j’ai cru que les “cré­dits assis­tants” res­taient inté­gra­le­ment au groupe, j’ignorais que cer­tains se fai­saient ris­tour­ner », déclare le duc.« C’est Tal­gorn qui don­nait les ins­truc­tions. Quand j’ai eu connais­sance du méca­nisme, plus que cri­ti­quable, je l’ai viré mais il est res­té [dans les parages]. » Confirme-t-il que d’anciens RPR ont tou­ché ? « Il y en a cer­tai­ne­ment qui ont cédé aux avances de Tal­gorn… » Un col­la­bo­ra­teur aux épaules déci­dé­ment bien larges.

    « J’ai la cer­ti­tude que [les ris­tournes ont] exis­té, et c’est par­fai­te­ment scan­da­leux », déclare aus­si Gérard Lon­guet, pré­sident du groupe de 2009 à 2011. À l’entendre, elles étaient par­ti­cu­liè­re­ment appré­ciées de ses col­lègues en fin de car­rière, moins tra­vailleurs, qui pou­vaient allè­gre­ment se pas­ser d’assistants et délé­guer un maxi­mum de « cré­dits col­la­bo­ra­teurs » au groupe. « J’ai obser­vé que les séna­teurs en fin de man­dat avaient ten­dance à éco­no­mi­ser sur tout, pour affron­ter les âges avec un peu d’argent », lâche cet ancien ministre du gou­ver­ne­ment Fillon.

    Gérard Longuet, patron des sénateurs UMP de 2009 à 2011, puis ministre du gouvernement Fillon © ReutersGérard Longuet, patron des sénateurs UMP de 2009 à 2011, puis ministre du gouvernement Fillon © Reuters

    Relan­cé sur sa res­pon­sa­bi­li­té, Gérard Lon­guet s’agace : « Je ne suis concer­né en rien, ça n’était pas sous la res­pon­sa­bi­li­té du groupe. » D’ailleurs, cet ancien RI jure n’avoir jamais béné­fi­cié de la moindre « ris­tourne ». S’il concède avoir tou­ché 2 000 euros de l’URS, ça n’était « pas à titre indi­vi­duel » mais pour les élec­tions, « au moment de [son]renou­vel­le­ment » en 2011 – le légis­la­teur a en effet atten­du 2014 pour enca­drer le finan­ce­ment des séna­to­riales et impo­ser un compte de campagne.

    Ces 2 000 euros viennent en tout cas rap­pe­ler que l’URS a dis­tri­bué, à côté des « ris­tournes », bien d’autres faveurs en pagaille, grâce au troi­sième tiers des « cré­dits col­la­bo­ra­teurs » qu’elle pom­pait en toute tran­quilli­té. À qui a béné­fi­cié ce magot ? Dif­fi­cile à retra­cer. Non seule­ment l’argent s’est éva­po­ré pour par­tie sous forme d’espèces (lire ici), mais l’URS a jon­glé entre des comptes à la Socié­té géné­rale et chez HSBC (où la cagnotte his­to­rique du groupe RI était en plus héber­gée…). Bref, plus per­sonne ne s’y retrouve. Littéralement.

    Au point qu’il fau­dra des mois encore à la jus­tice et aux poli­ciers de la Bri­gade de répres­sion de la délin­quance astu­cieuse (BRDA) pour ter­mi­ner la car­to­gra­phie de cette gigan­tesque tuyau­te­rie et cer­ner les prin­ci­paux béné­fi­ciaires, aux côtés de Jean-Claude Gau­din (le séna­teur et maire de Mar­seille) ou Hubert Fal­co (le séna­teur et maire de Tou­lon). À ce stade, le sys­tème des « ris­tournes » vaut en tout cas des mises en exa­men pour « détour­ne­ment de fonds publics » et/ou « recel » à Jean-Claude Carle (l’ancien tré­so­rier du groupe UMP), André Dulait (son homo­logue de l’URS) et Hen­ri de Rain­court (son fon­da­teur).

     © Donatien Huet© Donatien Huet

    Tous contestent fer­me­ment, avec le même argu­men­taire juri­dique : la Consti­tu­tion pré­voit que les groupes poli­tiques « exercent leur acti­vi­té libre­ment » (article 4), de façon auto­nome et sou­ve­raine. Autre­ment dit : les groupes dis­posent des fonds publics à leur guise dès lors que ces der­niers tombent dans leurs tiroirs-caisses.

    Les plus gros béné­fi­ciaires de « ris­tournes », s’ils sont inter­ro­gés, ne man­que­ront pas d’asséner par ailleurs qu’elles ont ali­men­té des acti­vi­tés poli­tiques, jamais leur train de vie per­son­nel. Mais com­ment les croire ? Sous cou­vert d’a­no­ny­mat, un séna­teur confie par exemple à Media­part que ses chèques ont contri­bué à l’achat d’une voi­ture en 2012 ou 2013 – lui a d’ailleurs renon­cé aux « ris­tournes » au bout de quelques tri­mestres, crai­gnant « qu’on essaye de [le] coin­cer avec ce truc pas clair ». Ou alors, les citoyens sont-ils priés de consi­dé­rer que la vie d’un par­le­men­taire est inté­gra­le­ment politique ?

    En réa­li­té, les séna­teurs touchent déjà, en plus de leur trai­te­ment de base, une « indem­ni­té de frais de man­dat » de 6 000 euros net par mois (l’IRFM) cen­sée cou­vrir leurs repas de tra­vail, dépla­ce­ments, impres­sions, etc. Sans comp­ter le train gra­tuit en pre­mière classe, les voyages en avion, un cré­dit infor­ma­tique, des « bonus » pour les digni­taires (pré­si­dents de groupe, etc.). Alors certes, jus­qu’en 2014, aucune règle écrite n’interdisait aux groupes poli­tiques de ral­lon­ger la sauce, à base de fonds publics.

    Il a fal­lu l’ou­ver­ture d’une enquête judi­ciaire (et sur­tout sa révé­la­tion par la presse en 2014) pour que le Sénat signe la fin des « ris­tournes » et impose que « les aides consen­ties aux groupes soient [désor­mais] exclu­si­ve­ment des­ti­nées aux dépenses néces­saires à leurs acti­vi­tés ain­si qu’à la rému­né­ra­tion de leurs col­la­bo­ra­teurs ». C’é­tait une évi­dence. Mais illi­co, le mon­tant des cré­dits délé­gués au groupe UMP par les séna­teurs a chu­té. À quoi bon désormais ?

    • Le céré­mo­nial des « étrennes » :

    Là encore, le secret a été bien gar­dé. La scène vaut pour­tant son pesant d’or. Chaque veille de Noël, entre 2003 et 2014, les séna­teurs ont défi­lé dans le bureau de la comp­table du groupe UMP pour récu­pé­rer leurs « étrennes », un chèque d’environ 8 000 euros par per­sonne, soit 15 mil­lions d’euros en tout. Dévoi­lé par Media­part en juin 2015, sup­pri­mé dans la fou­lée, ce rituel sus­cite aujourd’­hui la curio­si­té des juges.

    En face, les élus dégainent un argu­ment qui se veut « impa­rable » : ces 8 000 euros cor­res­pon­daient, à peu de chose près, aux coti­sa­tions que chaque membre ver­sait au groupe UMP au fil de l’année (720 euros tous les mois). En clair, les « étrennes » per­met­taient juste aux séna­teurs de récu­pé­rer leur propre mon­naie, dans un jeu à somme nulle. Mais alors, pour­quoi avoir coti­sé ? « Parce que le groupe avait besoin d’unfonds de rou­le­ment », répondent en chœur les inté­res­sés, qui ban­nissent sou­dain le mot « coti­sa­tion » de leur voca­bu­laire, pré­fé­rant par­ler d’« avances de tré­so­re­rie ». Quand on connaît les réserves finan­cières du groupe UMP (plus de 6 mil­lions d’euros cumu­lés à la fin 2015), on com­prend tou­te­fois mal où était le besoin de liquidités.

    Dès lors, les rai­sons de cette tam­bouille sont peut-être à cher­cher ailleurs : d’un côté, les 720 euros men­suels étaient pré­le­vés sur l’IRFM des séna­teurs (des­ti­née aux frais de man­dat) ; de l’autre, ils consom­maient les « étrennes » à leur guise, y com­pris pour des dépenses pri­vées. Autre­ment dit : 8 000 euros d’IRFM blanchis ?

    « Fausse route ! », nous rétorquent encore les élus : pour­quoi se seraient-ils com­pli­qué la vie ain­si, alors que le Sénat ne s’est jamais don­né la peine de contrô­ler l’usage réel de l’IRFM ? On se pince. Mais de fait, l’ins­ti­tu­tion a atten­du 2015 pour cadrer l’utilisation de cette enve­loppe et lis­ter les dépenses autorisées.

    L’as­so­cia­tion anti­cor­rup­tion Anti­cor a en tout cas dépo­sé plainte pour « détour­ne­ment de fonds publics » à l’encontre de « tous les séna­teurs en ayant béné­fi­cié ». Et la liste est longue. « Bouilleurs », « ris­tournes », « étrennes » : il y a sur­tout beau­coup de listes, avec des cumu­lards pré­sents sur cha­cune d’entre elles, pour ne pas dire des assistés.

    Mathilde Mathieu, Mediapart.
    https://​www​.media​part​.fr/​j​o​u​r​n​a​l​/​f​r​a​n​c​e​/​2​4​0​1​1​7​/​d​e​s​-​m​i​l​l​i​o​n​s​-​d​-​e​u​r​o​s​-​o​n​t​-​e​t​e​-​s​i​p​h​o​n​n​e​s​-​p​a​r​-​d​e​s​-​s​e​n​a​t​e​u​r​s​-​ump

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  3. etienne

    #Pas­De­Dé­mo­cra­tie­Sans­Ci­toyens­Cons­ti­tuants

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  4. etienne

    JLM 2017 : Charlotte Girard, « La Constituante : mode d’emploi »

    Avec un idée inté­res­sante (ori­gi­nale, pour moi) : déter­mi­ner le pour­cen­tage des Dépu­tés Consti­tuants tirés au sort en lais­sant les élec­teurs voter pour le TAS (ou pas).

    … où Mabrou­ka Mba­rek peut consta­ter qu’elle a bien semé de très belles graines (en terre fertile) 🙂 

    Mer­ci, chère Mabrou­ka.

    #Pas­De­Dé­mo­cra­tie­Sans­Ci­toyens­Cons­ti­tuants

    Réponse
    • Ronald

      Que le pour­cen­tage de tirés au sort soit déter­mi­né par les élec­teurs qui choi­sissent ce mode de sélec­tion est une consé­quence logique des pro­blèmes sur­ve­nus à l’As­sem­blée du M6R. Il y a eu un énorme débat pour savoir si l’as­sem­blée devait être tirée au sort ou élues, ou à 14 tirée au sort, ou 12, etc … Et fina­le­ment le vote sur le sujet n’a rien réso­lu, les opi­nions res­tant très divi­sées. Le plus « ration­nel » est donc de lais­ser le peuple déci­der de cette proportion.

      Mais il faut bien remar­quer deux choses :
      -A l’heure actuelle, le nombre de per­sonnes au cou­rant des méthodes de tirage au sort est très mino­ri­taire, et ceux qui y sont favo­rable encore plus. Quand on voit qu’un pro­jet fina­le­ment aus­si peu révo­lu­tion­naire que le reve­nu uni­ver­sel n’ob­tient la faveur dans les son­dages que d’un tiers de la popu­la­tion, on peut se dire qu’une inno­va­tion telle qu’une liste de tirés au sort n’au­ra fina­le­ment qu’un faible nombre de voix, trop peu pour avoir une influence signi­fi­ca­tive dans le processus.

      - Même en ima­gi­nant qu’une mino­ri­té impor­tante de l’é­lec­to­rat choi­sisse la liste tirée au sort, que se pas­se­ra-t-il ? On le voit déjà quand un mou­ve­ment « popu­liste » entre de manière impor­tante dans un par­le­ment. Les for­ma­tions de gauche et droite oublient leurs pré­ten­dues oppo­si­tions et se liguent en une Grande Coa­li­tion. A for­tio­ri, si dans une assem­blée, on a deux groupes aus­si dif­fé­rents que des membres de par­tis et des citoyens ama­teurs, on ver­ra se ras­sem­bler tous les par­tis contre les ama­teurs. Les inté­rêts qui ras­semblent Eric Coque­rel et Gil­bert Col­lard sont bien plus impor­tants que ce qui les divise, en face de non-pro­fes­sion­nels de la poli­tique (j’ai bien enten­du Char­lotte Girard dire que le fait d’a­voir eu un man­dat poli­tique est un motif d’ex­clu­sion de la Consti­tuante, mais je serais curieux de voir si ce genre de prin­cipe sera tou­jours pré­sents dans le pro­jet définitif …)

      PS : la ques­tion de l’in­ter­ve­nant de 24:44, c’est juste pas pos­sible o_O Il y en a tou­jours un de ce genre dans ce type de conférence …

      Réponse
  5. etienne

    Demos Kratos : L’élection est-elle démocratique ?

    Réponse
  6. etienne

    Demos Kratos : 7 ÉTAPES POUR QUE LE PEUPLE ÉCRIVE SA CONSTITUTION :

    Je trouve les délais assez opti­mistes 🙂 mais bon, on réfléchit…

    Réponse

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