Encore une remarquable synthèse de John Pilger, intitulée « Une guerre mondiale a commencé – Brisez le silence » (voir plus bas).
Mon commentaire : j’aime lire John Pilger. Mais, je désespère de ne trouver, même chez lui, toujours pas un mot sur la cause première de toutes ces grandes misères : notre consentement au faux « suffrage universel » (élire des maîtres au lieu de voter les lois), procédure ploutocratique qui donne (toujours) le pouvoir de décider aux ultras-riches et qui conduit donc – mécaniquement, depuis 200 ans – au capitalisme, et à la guerre.
Nous aurons la guerre tant que nous adorerons (idiotement) l’élection comme une vache sacrée.
La seule procédure qui retire toute prise aux escrocs politiciens est aussi la seule procédure authentiquement démocratique, c’est le tirage au sort.
Pas de paix sans démocratie et pas de démocratie sans tirage au sort.
Mais pas de tirage au sort sans processus constituant populaire => Vous n’y couperez pas, il va falloir travailler : si vous voulez une vraie constitution, il faudra apprendre à l’écrire vous-même.
Sinon, comme toujours, les pires gouverneront.
Une guerre mondiale a commencé – Brisez le silence (par John Pilger)
John Pilger est un journaliste de nationalité Australienne, né à Sydney le 9 Octobre 1939, parti vivre au Royaume-Uni depuis 1962. Il est aujourd’hui basé à Londres et travaille comme correspondant pour nombre de journaux, comme The Guardian ou le New Statesman.
Il a reçu deux fois le prix de meilleur journaliste de l’année au Royaume-Uni (Britain’s Journalist of the Year Award). Ses documentaires, diffusés dans le monde entier, ont reçu de multiples récompenses au Royaume-Uni et dans d’autres pays.
John Pilger est membre, à l’instar de Vandana Shiva et de Noam Chomsky, de l’IOPS (International Organization for a Participatory Society), une organisation internationale et non-gouvernementale créée (mais encore en phase de création) dans le but de soutenir l’activisme en faveur d’un monde meilleur, prônant des valeurs ou des principes comme l’autogestion, l’équité et la justice, la solidarité, l’anarchie et l’écologie.
Article initialement publié le 20 mars 2016 en anglais, sur le site officiel de John Pilger, à cette adresse.
Je suis allé filmer aux îles Marshall, qui se situent au Nord de l’Australie, au milieu de l’océan Pacifique. A chaque fois que je raconte cela à des gens, ils demandent, « Où est-ce ? ». Si je leur donne comme indice « Bikini », ils répliquent, « vous parlez du maillot de bain ».
Bien peu semblent savoir que le maillot de bain bikini a été ainsi nommé pour commémorer les explosions nucléaires qui ont détruit l’île de Bikini. Les États-Unis ont fait exploser 66 engins nucléaires aux îles Marshall entre 1946 et 1958 – l’équivalent de 1,6 bombe d’Hiroshima chaque jour, pendant 12 ans.
Bikini est silencieuse aujourd’hui, mutante et contaminée. Des palmiers y poussent sous une étrange forme de grille. Rien ne bouge. Il n’y a pas d’oiseaux. Les stèles du vieux cimetière sont vibrantes de radiations. Mes chaussures ont été déclarées “dangereuses” sur un compteur Geiger.
Debout sur la plage, j’ai regardé le vert émeraude du Pacifique disparaître dans un vaste trou noir. Il s’agissait du cratère laissé là par la bombe à hydrogène qu’ils avaient appelée « Bravo ». L’explosion a empoisonné les gens et leur environnement sur des centaines de kilomètres, peut-être pour toujours.
Lors de mon voyage de retour, je me suis arrêté à l’aéroport d’Honolulu, et j’ai remarqué un magazine états-unien intitulé « Women’s Health » (la Santé des Femmes) . Sur la couverture, une femme souriante dans un maillot de bain bikini, et comme titre : « Vous aussi, vous pouvez avoir un corps bikini ». Quelques jours auparavant, aux îles Marshall, j’avais interviewé des femmes qui avaient des« corps bikini » très différents ; elles souffraient toutes de cancer de la thyroïde ou d’autres cancers mortels.
Contrairement à la femme souriante du magazine, elles étaient toutes pauvres, victimes et cobayes d’un superpouvoir vorace, aujourd’hui plus dangereux que jamais.
Je relate cette expérience en guise d’avertissement et pour mettre un terme à une distraction qui a consumé beaucoup d’entre nous. Le fondateur de la propagande moderne, Edward Bernays, a décrit ce phénomène comme « la manipulation consciente et intelligente des habitudes et des opinions » des sociétés démocratiques. Il l’a appelé le « gouvernement invisible ».
Combien sont au courant qu’une guerre mondiale a commencé ? En ce moment, il s’agit d’une guerre de propagande, de mensonges et de distraction, mais cela peut changer instantanément au moindre ordre mal interprété, avec le premier missile.
En 2009, le président Obama se tint devant une foule en liesse au centre de Prague, au cœur de l’Europe. Il s’engagea à « libérer le monde des armes nucléaires ». Les gens applaudirent et certains pleurèrent. Un torrent de platitudes jaillit des médias. Par la suite, Obama reçut le prix Nobel de la paix.
Un tissu de mensonge. Il mentait.
L’administration Obama a fabriqué plus d’armes nucléaires, plus de têtes nucléaires, plus de systèmes de vecteurs nucléaires, plus de centrales nucléaires. Les dépenses en têtes nucléaires à elles seules ont plus augmenté sous Obama que sous n’importe quel autre président. Le coût sur 3 ans s’élève à plus d’1 billion de dollars.
Une mini- bombe nucléaire est prévue. Elle est connue sous le nom de B61-12. C’est sans précédent. Le Général James Cartwright, ancien vice-président de l’état-major interarmées, a expliqué que :« Miniaturiser [rend l’utilisation de cette bombe] nucléaire plus concevable ».
Au cours des dix-huit derniers mois, la plus grande concentration de forces militaires depuis la seconde Guerre Mondiale — opérée par les USA — a lieu le long de la frontière occidentale de la Russie. Il faut remonter à l’invasion de l’Union Soviétique par Hitler pour trouver une telle menace envers la Russie par des troupes étrangères.
L’Ukraine — autrefois membre de l’Union Soviétique — est devenue un parc d’attraction pour la CIA. Ayant orchestré un coup d’état à Kiev, Washington contrôle efficacement un régime frontalier et hostile envers la Russie, un régime littéralement infesté de Nazis. D’importantes personnalités du parlement Ukrainien sont les héritiers politiques des partis fascistes OUN et UPA. Ils font ouvertement l’apologie d’Hitler et appellent à la persécution et à l’expulsion de la minorité russophone.
Tout cela est rarement rapporté en Occident, quand ce n’est pas inversé pour travestir la vérité.
En Lettonie, Lituanie et en Estonie — à côté de la Russie — l’armée US déploie des troupes de combat, des tanks, des armes lourdes. Cette provocation extrême de la seconde puissance nucléaire du monde est passée sous silence en Occident.
La perspective d’une guerre nucléaire est d’autant plus dangereuse qu’une campagne parallèle a été lancée contre la Chine.
Il est rare qu’un jour passe sans qu’on parle de la Chine comme d’une « menace ». Selon l’Amiral Harry Harris, le commandant en chef US du Pacifique, la Chine « construit un grand mur de sable dans le Sud de la Mer de Chine ».
Il fait référence à la construction par la Chine de pistes d’atterrissage dans les îles Spratly, qui font l’objet d’un conflit avec les Philippines — un conflit sans importance avant que Washington ne mette la pression sur le gouvernement de Manille et ne tente de le soudoyer, et que le Pentagone ne lance une campagne de propagande appelée « liberté de navigation ».
Qu’est-ce que cela veut vraiment dire ? Cela signifie la liberté pour les navires de guerre états-uniens de patrouiller et de dominer les eaux côtières de la Chine. Essayez d’imaginer la réaction états-unienne si les navires de guerre chinois faisaient la même chose au large de la Californie.
J’ai réalisé un film appelé « La guerre invisible », dans lequel j’ai interviewé d’éminents journalistes aux USA et au Royaume-Uni : des reporters comme Dan Rather de CBS, Rageh Omar de la BBC, et David Rose de The Observer.
httpv://youtu.be/hJh_7Xjq1ek
Tous déclarèrent que si journalistes et radiodiffuseurs avaient joué leur rôle en remettant en question la propagande selon laquelle Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, que si les mensonges de George W. Bush et de Tony Blair n’avaient pas été amplifiés et colportés par les journalistes, l’invasion de l’Irak de 2003 aurait pu ne pas avoir eu lieu, et des centaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants seraient encore en vie aujourd’hui.
La propagande préparant actuellement le terrain pour une guerre contre la Russie et/ou la Chine n’est en principe pas différente. A ma connaissance, aucun journaliste du « mainstream » Occidental — un équivalent de Dan Rather, disons — ne pose la question de savoir pourquoi la Chine construit des pistes d’atterrissage dans le Sud de la mer de Chine.
La réponse devrait être flagrante. Les USA encerclent la Chine d’un réseau de bases militaires, de missiles balistiques, de groupes de combat, de bombardiers nucléaires.
Cet arc létal s’étend de l’Australie aux îles du Pacifique, les Mariannes, les îles Marshall et Guam, les Philippines, la Thaïlande, Okinawa et la Corée, et à travers l’Eurasie, jusqu’à l’Afghanistan et l’Inde. Les USA ont passé la corde autour du cou de la Chine. Cela ne fait pas l’objet d’un scoop. Silence médiatique. Guerre médiatique.
En 2015, dans le plus grand secret, les USA et l’Australie ont effectué le plus important exercice militaire air-mer de l’histoire contemporaine, sous le nom de Talisman Sabre. Il visait à répéter un plan de bataille Air-Mer, bloquant les voies maritimes, comme les détroits de Malacca et de Lombok, ce qui couperait l’accès de la Chine au pétrole, au gaz et à d’autres matières premières vitales provenant du Moyen-Orient et de l’Afrique.
Dans le cirque que constitue la campagne présidentielle états-unienne, Donald Trump est présenté comme un fou, un fasciste. Il est certainement odieux ; mais il est aussi un pantin de haine médiatique. Ce simple fait devrait suffire à éveiller notre scepticisme.
Les idées de Trump sur l’immigration sont grotesques, mais pas plus que celles de David Cameron. Ce n’est pas Trump le Grand Déportateur des USA, mais le prix Nobel de la Paix, Barack Obama.
Selon un prodigieux commentateur libéral, Trump « déchaîne les forces obscures de la violence » aux USA. Il les déchaîne ?
Ce pays est celui où des bambins tirent sur leur mère et où la police mène une guerre meurtrière contre les noirs américains. Ce pays est celui qui a attaqué et tenté de renverser plus de 50 gouvernements, dont de nombreuses démocraties, qui a bombardé de l’Asie au Moyen-Orient, entraînant la mort et le déplacement de millions de gens.
Aucun pays n’atteint ce niveau record de violence systémique. La plupart des guerres états-uniennes (presque toutes contre des pays sans défense) n’ont pas été déclarées par des présidents républicains mais par des libéraux démocrates : Truman, Kennedy, Johnson, Carter, Clinton, Obama.
En 1947, une série de directives du conseil de sécurité national illustrent l’objectif primordial de la politique étrangère états-unienne : « un monde considérablement fait à l’image [de l’Amérique] ». L’idéologie de l’américanisme messianique. Nous étions tous américains. Ou autres. Les hérétiques seraient convertis, subvertis, soudoyés, calomniés ou broyés.
Donald Trump est un symptôme de tout cela, mais c’est aussi un anticonformiste. ll dit que l’invasion de l’Irak était un crime ; il ne veut pas de guerre contre la Russie et la Chine. Le danger pour nous n’est pas Trump, mais Hillary Clinton. Elle n’a rien d’une anticonformiste. Elle incarne la résilience et la violence d’un système dont « l’exceptionnalisme » tant vanté n’est qu’un totalitarisme au visage occasionnellement libéral.
À mesure que se rapproche l’élection présidentielle, Clinton sera saluée comme la première femme présidente, sans considération aucune de ses crimes et de ses mensonges — tout comme Obama fut acclamé en tant que premier président noir, et que les libéraux gobaient ses propos absurdes sur« l’espoir ». Et l’illusion se perpétue.
Dépeint par le chroniqueur du Guardian Owen Jones comme « drôle, charmant, tellement cool qu’il éclipse pratiquement tous les autres politiciens », Obama a récemment envoyé des drones massacrer 150 personnes en Somalie. Il tue habituellement des gens le mardi, selon le New York Times, lorsqu’on lui remet une liste de personnes à tuer par drone. Tellement cool.
Lors de la campagne présidentielle de 2008, Hillary Clinton a menacé de « totalement oblitérer » l’Iran par voie d’armes nucléaires. En tant que secrétaire d’état sous Obama, elle a participé au renversement du gouvernement démocratique du Honduras. Sa contribution à la destruction de la Libye en 2011 fut une quasi-jubilation. Lorsque le leader Libyen, le colonel Kadhafi, fut publiquement sodomisé avec un couteau — un meurtre rendu possible par la logistique états-unienne — Clinton se réjouit de sa mort : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort ».
L’une des plus proches alliés de Clinton est Madeleine Albright, l’ancienne secrétaire d’état, qui s’en est pris à des jeunes filles parce qu’elles ne soutenaient pas « Hillary ». La tristement célèbre Madeleine Albright qui célébra à la télévision la mort d’un demi- million d’enfants irakiens comme« valant le coup ».
Parmi les plus importants soutiens de Clinton, on retrouve le lobby Israélien et les compagnies d’armement qui ont alimenté la violence au Moyen-Orient. Elle et son mari ont reçu une fortune de la part de Wall Street. Et pourtant, elle s’apprête à se voir affublée du titre de candidate des femmes, à même de triompher du diabolique Trump, le démon officiel. On dénombre également de nombreux féministes parmi ses supporters : ceux de la trempe de Gloria Steinem aux USA et d’Anne Summers en Australie.
Une génération auparavant, un culte post-moderne que l’on appelle aujourd’hui « la politique identitaire » a bloqué de nombreux esprits libéraux intelligents dans leur examen des causes et des individus qu’ils soutenaient — comme les fraudes que sont Obama et Clinton ; comme le mouvement progressiste bidon Syriza en Grèce, qui a trahi son peuple en s’alliant avec ses ennemis.
L’auto-absorption [le narcissisme, NdT], une forme « d’égocentrisme », devint le nouvel esprit du temps dans les sociétés occidentales privilégiées et signala la défaite des grands mouvements collectifs contre la guerre, l’injustice sociale, l’inégalité, le racisme et le sexisme.
Aujourd’hui, ce long sommeil prend peut-être fin. Les jeunes s’agitent à nouveau. Progressivement. Les milliers de britanniques qui ont soutenu Jeremy Corbyn comme leader du parti travailliste font partie de cette agitation — ainsi que ceux qui se sont ralliés au sénateur Bernie Sanders.
Au Royaume-Uni, la semaine dernière, le plus proche allié de Jeremy Corbyn, le trésorier de l’opposition John McDonnell, a engagé le gouvernement travailliste au paiement des dettes frauduleuses des banques, et, dans les faits, à continuer sa politique de soi-disant austérité.
Aux USA, Bernie Sanders a promis de soutenir Clinton si ou lorsqu’elle sera nominée. Lui aussi a voté pour l’utilisation de la violence par les USA contre d’autres pays lorsqu’il jugeait cela « juste ». Il dit qu’Obama a « fait un excellent travail ».
En Australie, il règne une sorte de politique mortuaire, dans laquelle des jeux parlementaires assommants sont diffusés dans les médias tandis que les réfugiés et les peuples indigènes sont persécutés et que croissent les inégalités, ainsi que la menace d’une guerre. Le gouvernement de Malcolm Turnbull vient d’annoncer un budget de la soi-disant défense de 195 milliards de dollars, véritable incitation à la guerre. Il n’y eut aucun débat. Silence.
Qu’est devenue la grande tradition populaire d’action directe, libre de tout parti ? Où sont le courage, l’imagination et l’engagement qu’exige la lutte pour un monde meilleur, juste et paisible ? Où sont les dissidents de l’art, du cinéma, du théâtre, de la littérature ?
Où sont ceux qui oseront briser le silence ? Devons-nous attendre que le premier missile nucléaire soit tiré ?
John Pilger
Traduction : Nicolas Casaux
Édition & Révision : Héléna Delaunay
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Fil Facebook correspondant à ce billet :
https://www.facebook.com/etienne.chouard/posts/10154101988737317?pnref=story
Exclusif. Emmanuel Todd : “la France n’est plus dans l’histoire”
« Etre jeune en France, ce n’est pas juste siroter un demi en terrasse. Cette vision-là, c’est typiquement celle d’une société âgée qui a des problèmes de prostate. Dans notre prostate civilization, c’est juste trop génial d’être jeune. Le problème fondamental de la France, ce n’est pas seulement la déviance atroce de certains parmi les plus largués de la société, c’est notre capacité à inclure les jeunes, tous les jeunes, qui ne cesse de faiblir. A nouveau, nous sommes devant ce choix que je pointais dans « Qui est Charlie ? », ce livre qui a fait de moi l’ennemi public numéro un. Ou bien rester la tête dans le sac avec de pseudoproblèmes religieux, et se chauffer sur l’islam, la laïcité, etc. Ou bien affronter nos vrais problèmes économiques et sociaux, et le blocage général de la machine.
Vous n’aviez pas repris jusqu’à ce jour la parole en France depuis la violente polémique consécutive à la parution de « Qui est Charlie ? » au printemps 2015. Pourquoi un si long silence ?
Avec ce livre, j’ai voulu défendre le droit à la paix de l’âme pour nos concitoyens musulmans. Il restera comme l’un des gestes dont je suis le plus fier dans ma vie, peut-être ma justification en tant qu’être humain.
Mais dès que j’ouvre la télé ou la radio, je ne peux ignorer que les intellectuels comme moi font partie des vaincus de l’histoire. Partout, des obsédés de la religion, des identitaires hystériques, des types complètement méprisables intellectuellement, et qui ne travaillent pas.
Je tiens toutefois à profiter de votre question pour présenter solennellement mes remerciements à François Hollande et à Manuel Valls qui, en lançant leur projet de loi sur la déchéance de nationalité, ont validé à 100% la thèse la plus discutée de « Qui est Charlie ? »: l’identification du néorépublicanisme comme pétainiste et vichyste. Je considère désormais que j’ai une dette personnelle envers le président de la République, et c’est d’avoir validé mon livre jusqu’à la dernière virgule.
Qu’est-ce qui selon vous a à ce point heurté dans ce livre ? Quel a été le cœur du différend ?
C’est assez simple. Je ne me suis pas contenté de pointer la responsabilité de notre classe politique, de dire qu’Hollande était nul, de suggérer que le projet socialiste n’était plus qu’un banal cas d’escroquerie en bande organisée, etc., ce que tout le monde sait désormais. Ce que j’ai dit, c’est : les classes moyennes françaises sont nulles. J’ai mis en accusation tout un monde, le mien, et ça c’est beaucoup plus grave. J’ai acté le fait que les classes moyennes françaises d’aujourd’hui ne sont plus les héritières de la Révolution. Qu’elles ne sont plus ce peuple qui croit en la liberté, en l’égalité, que tout ça c’est désormais du pipeau. Et, bien entendu, ça a énormément choqué, parce que c’est vrai.
Tout le monde s’abrite derrière le paravent d’élites politiques stupides. Mais Hollande, quelque part, est une fiction. Quand on l’entend, avec sa petite voix, quand on le voit ne prendre aucune décision… Il n’existe pas, Hollande. C’est un mythe, un fantasme collectif. Et les gens se planquent derrière leur mépris d’Hollande pour ne pas se juger eux-mêmes. Cela leur permet de ne pas se dire : eh bien voilà, je suis un Français vieillissant des classes moyennes, j’ai encore quelques super privilèges économiques, j’ai pu élever tranquillement mes enfants aux frais de l’Etat, mais maintenant, que les jeunes se démerdent, qu’ils croupissent dans les banlieues, dans les prisons, ou, s’ils sont sages, qu’ils se défoncent dans des boulots pourris. C’est là qu’était la violence du livre, et le problème qu’il pose demeure entier. »
Source : http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20160323.OBS7006/exclusif-emmanuel-todd-la-france-n-est-plus-dans-l-histoire.html
… « Qu’une association d’hommes d’affaires, une foule des émigrés de tous les pays… jetés éperdument dans la lutte pour le dollar, se sentent tout à coup transportées du désir de lancer des torpilles aux flancs des cuirassés et de faire éclater des mines sur les colonnes ennemies, c’est une preuve que la lutte désordonnée pour la production et l’exploitation des richesses entretient l’usage et le goût de la force brutale, la violence industrielle engendre la violence militaire et que les rivalités marchandes allument entre les peuples des haines qui ne peuvent s’éteindre que dans le sang.
La fureur coloniale n’est qu’une des mille formes de cette concurrence tant vantée par nos économistes…
L’ère est ouverte des grandes guerres pour la souveraineté industrielle… »
Anatole France, « Sur la pierre blanche » (1903),
cité dans « L’idéologie européenne » de Landais, Monville et Yaghlekdjian (2008), p 199..
Bonjour Etienne,
lit ce texte qui pour moi est excellent et de haute importance :
https://lundi.am/CECI-N-EST-PAS-UN-MOUVEMENT
Bonjour binnemaya,
Je n’arrive pas à lire ce site…
Pourrais-tu copier/coller ici le texte, s’il te plaît ?
le voilà :
Ceci n’est pas un mouvement
« Le niveau de discrédit de l’appareil gouvernemental est tel qu’il trouvera désormais sur son chemin, à chacune de ses manifestations, une détermination constante, provenant de toutes parts, à l’abattre. »
La nouvelle structure étatique est caractérisée par le fait que l’unité politique du peuple, et par là le système général de sa vie publique, se reflète dans trois séries qui sont d’un ordre distinct. Les trois séries ne se situent pas de front, sur le même rang, mais l’une d’elles, à savoir le Mouvement qui est en charge de l’État et du Peuple, pénètre et conduit les deux autres.
Carl Schmitt, État, Mouvement, Peuple (1933)
Comme chaque fin de semaine depuis bientôt un mois, on spécule sur l’état du « mouvement contre la loi El Khomri » – médias, syndicalistes, militants et espéreurs de toute espèce veulent croire que cette fois on y est : après les manifestations « historiques » du 31 mars qui auraient vu un doublement des effectifs des cortèges du 9 mars et maintenant les assemblées de « Nuit debout », le mouvement que l’on appelait de ses vœux, mais qui n’en finissait plus de commencer, est enfin né. Peut-être que si l’on s’acharne tant à apposer sur ce qui se passe en France en ce moment le nom de « mouvement », c’est qu’il s’agit là, en réalité, de quelque chose de tout autre, de quelque chose d’inédit. Car un « mouvement », voilà très exactement, en France, ce que l’on sait gérer, c’est-à-dire vaincre. Les organisations, les gouvernements, les médias, depuis des lustres que des mouvements ne mènent à aucun bouleversement d’ampleur, sont passés maîtres dans l’art de conjurer la menace que tout événement de rue porte en lui : que la situation devienne ingouvernable. Il ne faut jamais oublier que l’actuel Premier Ministre ne l’est pas en vertu de la licence d’histoire qu’il a obtenue dans les années 1980 à Tolbiac, mais parce qu’il y a fait ses armes en tant que syndicaliste à l’UNEF. À l’époque, il était avec Alain Bauer ou Stéphane Fouks, une des bêtes noires du Collectif Autonome de Tolbiac (le CAT), et inversement.
Un « mouvement », pour tout le personnel d’encadrement à quoi se réduit cette société, est une chose rassurante. Il a un objet, des revendications, un cadre, donc des porte-parole patentés et des négociations possibles. Il n’est ainsi jamais difficile, sur cette base, de faire le partage entre le « mouvement » et ceux qui en « débordent » le cadre, de rappeler à l’ordre ses éléments les plus déterminés, sa fraction la plus conséquente. On les qualifiera opportunément de « casseurs », d’« autonomes », de « nihilistes », quand il est si patent que ceux qui sont là pour casser les dynamiques, ce sont justement les nihilistes qui n’y voient qu’un tremplin pour leurs futurs postes ministériels – tous les Valls, Dray et autres Julliards. Couper un « mouvement » de sa pointe la plus « violente », c’est toujours une façon de l’émasculer, de le rendre inoffensif et pour finir de le tenir sous contrôle. Les mouvements sont effectivement faits pour mourir, même victorieux. La lutte contre le CPE en est un cas d’école. Il suffit au gouvernement d’un recul tactique, et le sol se dérobe sous les pieds de ceux qui se sont mis en marche. Quelques articles de presse et quelques JT contre les « jusqu’auboutistes » suffisent amplement à retirer à ce qui, hier encore, pouvait tout la légitimation sociale sur laquelle s’étaient jusque-là appuyées les menées les plus audacieuses. Une fois ceux-ci isolés, les procédures policières puis judiciaires plus ou moins immédiates viennent opportunément assécher la mer du « mouvement ». La forme-mouvement est un instrument aux mains de ceux qui entendent gouverner le social, et rien d’autre. L’extrême nervosité des services d’ordre, en particulier de la CGT, de la BAC et des flics lors des manifestations des dernières semaines est le signe qui trahit leur volonté désespérée de faire entrer dans la forme-mouvement ce qui s’est mis en marche, et qui leur échappe de toutes parts.
Tout le monde s’accorde à le dire désormais : la loi Travail n’est que « la goutte d’eau qui fait déborder le vase », ce qui s’exprime dans la rue, en slogans ou en affrontements, est un « ras-le-bol général », etc. Ce qui se passe, c’est que nous ne supportons plus d’être gouvernés par ces gens-là ni de cette manière ; peut-être même, face à la si flagrante faillite de cette société en tous domaines, ne supportons-nous plus d’être gouvernés du tout. C’est devenu épidermique et épidémique, parce que c’est de plus en plus nettement une question de vie ou de mort. Nous n’en pouvons plus de la politique ; chacune de ses manifestations nous est devenue obscène parce qu’est obscène cette façon de s’agiter de manière si impuissante dans une situation à tous égards si extrême.
Cela dit, nous manquons de mots pour désigner ce qui se réveille en France en ce moment. Si ce n’est pas un « mouvement », alors qu’est-ce ? Nous dirons qu’il s’agit d’un « plateau ». Avant que Deleuze et Guattari ne la reprennent pour en faire le titre de leur meilleur livre, Mille plateaux, cette notion a été élaborée par l’anthropologue et cybernéticien Gregory Bateson. En étudiant dans les années 1930 l’ethos balinais, il est frappé par cette singularité : alors que les Occidentaux, que ce soit dans la guerre ou en amour, prisent les intensités exponentielles, les interactions cumulatives, les excitations croissantes qui aboutissent à un point culminant – orgasme ou guerre totale – suivi d’une décharge de tension, sociale, sexuelle ou affective, les Balinais, eux, que ce soit dans la musique, le théâtre, les discussions, l’amour ou le conflit, fuient cette course au paroxysme ; ils privilégient des régimes d’intensités continues, variables, qui durent, se métamorphosent, évoluent, bref : deviennent. Bateson lie cela à une singulière pratique qu’ont les mères balinaises : « la mère entame une sorte de flirt avec son enfant, en jouant avec son pénis, ou bien en le stimulant de quelque autre façon à une activité d’interaction. L’enfant, donc, est excité par ce jeu et, pendant, quelques instants, il s’y produit une interaction cumulative. Mais juste au moment où l’enfant, approchant une sorte d’orgasme, se jette au cou de sa mère, celle-ci se détourne. À ce point, l’enfant entame comme alternative une interaction cumulative qui se traduit par un accès de colère. La mère joue désormais le rôle du spectateur qui prend plaisir à la colère de l’enfant ; ou s’il l’attaque, elle le repousse sans montrer de courroux. » (Vers une écologie de l’esprit) Ainsi la mère balinaise enseigne-t-elle à sa progéniture la fuite des intensités paroxystiques. La phase dans laquelle nous sommes en train d’entrer politiquement en France en ce moment est, au moins jusqu’aux ridicules élections présidentielles dont il n’est pas si sûr que l’on parvienne, cette fois, à nous les imposer, non pas une phase orgasmique de « mouvement » que suit la nécessaire débandade, mais une phase de plateau : « une région continue d’intensités, vibrant sur elle-même, et qui se développe en évitant toute orientation sur un point culminant ou vers une fin extérieure. » (Deleuze-Guattari, Mille plateaux) Le niveau de discrédit de l’appareil gouvernemental est tel qu’il trouvera désormais sur son chemin, à chacune de ses manifestations, une détermination constante, provenant de toutes parts, à l’abattre. La question n’est donc pas la vieille rengaine trotskyste de la « convergence des luttes » – luttes qui sont d’ailleurs présentement si faibles que même en les faisant converger on n’arriverait à rien de sérieux, en plus de perdre, dans l’habituelle réduction politique, la richesse propre à chacune d’elles –, mais bien celle de l’actualisation pratique du discrédit général de la politique en toute occasion, c’est-à-dire des libertés toujours plus osées que nous allons prendre à l’endroit de l’appareil gouvernemental démocratique. Ce qui est en jeu, ce n’est donc en aucun cas une unification du mouvement, fût-ce par une assemblée générale du genre humain, mais le passage de seuils, des déplacements, des agencements, des métamorphoses, des mises en contact entre points d’intensité politique distants. Évidemment que la proximité de la ZAD produit ses effets sur le « mouvement » à Nantes. Quand 3000 lycéens scandent « tout le monde déteste la police », huent le service d’ordre de la CGT, commencent à manifester masqués, ne reculent plus face aux provocations policières et s’échangent du sérum physiologique après avoir été gazés, on peut dire qu’en un mois de blocages un certain nombre de seuils ont été passés, un certain nombre de libertés ont été prises. L’enjeu n’est pas de canaliser l’ensemble des devenirs, des bouleversements existentiels, des rencontres qui font la texture du « mouvement » en un seul fleuve puissant et majestueux, mais bien de laisser vivre la nouvelle topologie de ce plateau, et de le parcourir. La phase de plateau dans laquelle nous sommes entrés ne vise rien d’extérieur à elle-même : « c’est un trait fâcheux de l’esprit occidental, de rapporter les expressions et les actions à des fins extérieures ou transcendantes, au lieu de les estimer sur un plan d’immanence d’après leur valeur en soi. » (Deleuze-Guattari, Mille plateaux) L’important est ce qui se fait déjà, et ne va cesser de se faire de plus en plus : empêcher pas à pas le gouvernement de gouverner – et par « gouvernement », il ne faut pas entendre le seul régime politique, mais tout l’appareil technocratique public et privé dont les gouvernants offrent l’expression guignolesque. Il ne s’agit donc pas de savoir si ce « mouvement » va ou non parvenir à venir à bout de la « loi El Khomri », mais ce qui est déjà en cours : la destitution de ce qui nous gouverne.
Je trouve ce texte merveilleux tu aurais pu l’écrire ou nous tous il est en adéquation parfaite avec nos réflexions non ?
LE MÉPRIS DE CLASSE DANS TOUS SES ÉTATS
Hausse de 80 centimes du minimum vieillesse : Même pas une baguette par mois !
http://www.revolutionpermanente.fr/Hausse-de-80-centimes-du-minimum-vieillesse-Meme-pas-une-baguette-par-mois
VOLEURS DE POUVOIR
Les confortables revenus des parlementaires qui exercent aussi dans le privé
http://www.capital.fr/a‑la-une/politique-economique/les-confortables-revenus-des-parlementaires-qui-exercent-aussi-dans-le-prive-1092294
Bonjour à vous tous plus je lis lundi.am plus je pense qu’il (le site) a raison dans ses textes inspirés et souvent poétiques ci-dessous un ex :
https://lundi.am/VIVRE-OU-RIEN
Le monde, ou rien.Voilà quelques semaines que nous sommes plongés dans l’ébullition de la lutte, ses coups de folies et son euphorie. Qu’importe qu’elle triomphe de cette loi. Elle n’est qu’un déclencheur, qu’une occasion, rien de plus. Le statu quo est tout aussi immonde. Ce qui se passe un peu partout est plutôt une manifestation d’une rage diffuse, d’une colère montante, d’un dégoût qui se généralise vis-à-vis de ce mondeet ses avocats qui nous martèlent sans cesse, que non, vraiment, il n’y a pas d’alternative.
Lois sécuritaires, renforcement du pouvoir (et de l’armement) de la police, arrestations arbitraires et matraquage aveugle, la vieille logique du gouvernement par la peurest reprise avec un certain brio par ce gouvernement « socialiste ». Et les médias jouent parfaitement leur rôle, faisant planer une menace diffuse, pluridirectionnelle et omniprésente, implantant jour après jour la peur dans chaque conscience, avec une abnégation remarquable.
L’État s’appuie en effet sur un arsenal législatif dit « antiterroriste » toujours plus important, toujours plus total, censé nous « protéger » de la « menace djihadiste ». Mais qui peut se faire des illusions sur l’efficacité de mesures judiciaires sur un individu déterminé à mourir pour mener son action à terme ? En tout cas ceux qui nous gouvernent ne s’en font pas. L’antiterrorisme est un voile. La constitutionnalisation de mesures d’exception comme l’État d’urgence ou le renforcement des pouvoirs de la police a un but tout autre. Il s’agit bien, en réalité, de contenir, de contrôler, de maîtriser ceux qui refusent cet état de fait et font de ce refus un principe d’action en vue de faire émerger un autre monde. Ce sont bien ceux qui ont choisi de lutter contre le travail et contre l’État, contre le capitalisme et la pauvreté des existences qu’il génère qui sont in fine visés par ces dispositifs.
Si nous ne sommes pas organisés, si nos volontés ne se rejoignent pas toujours, ou pas au même moment, ce qui les terrifie est que la convergence se fasse soudainement, à la suite d’un évènement quelconque. Non pas la convergence des luttes comme on peut l’entendre dans les cortèges syndicaux qui n’est qu’un simple agrégat de composantes disparates et conservatrices et qui est vouée à s’effondrer avec le mouvement, mais la convergence des désirs. Du désir de vivre un monde que l’on construira, que nous construisons déjà. Que dans ces moments de lutte se tissent des liens, naissent des amours, émergent des projets communs, se créent des communautés de résistance. Que ces désirs diffus, éparpillés, divers, se rencontrent au gré d’une assemblée étudiante un peu laborieuse, d’une occupation, d’une garde-à-vue ou d’un repas partagé et que ce désir d’être ensemble, d’imaginer ensemble, de faire ensemble devienne de plus en plus pressant. Voilà ce qu’ils craignent.
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Nous qui désirons sans fin, nous voulons vivre pleinement, nous voulons vivre érotiquement. Nous sommes Eros, parce qu’il est comme nous pulsion de vie en même temps qu’amour, parce qu’il est comme nous révolte contre un monde de mort.
Nous voulons être amour, vivre l’amour, faire l’amour. Nous voulons jouir d’être la vie : fêter, imaginer, créer, rêver, voir, faire, être ensemble, vivre ensemble.
La vie est un flux, celui de se sentir soi-même, de sentir l’Autre et de sentir notre monde, s’éprouvant, s’épanouissant, s’accomplissant dans cette sensualité. Ce monde actuel, lui, pétrifie ce flux sous forme de marchandise-travail, il nous en dépossède au profit de choses mortes(marchandises, argent, capital) et d’une vie fausse, il réprime ce flux avec l’État, il manipule médiatiquement celui-ci, il est une réification, une aliénation, une mortification, une répression, une manipulation, une négation de la vie.
Nous n’en voulons plus, de ce monde, de son travail, de ses relations, de ses destructions, de sa misère existentielle. La vie aujourd’hui n’est rien dans ce monde de mort, demain elle sera tout – et ce monde, mort.
Nous voulons construire autre chose qu’une cage. Nous voulons faire autre chose que travailler. Nous voulons vivre autre chose que cette survie, cette sous-vie. Nous voulons habiter autre chose que ce taudis. Nous voulons aimer autrement que dans l’industrie pornographique. Nous voulons nous imaginer autrement qu’au travers de l’idéologie. Nous voulons être ensemble plutôt qu’être en guerre. Nous voulons créer autre chose que cette destruction. Nous voulons rêver d’autre chose que de ce cauchemar. Nous voulons échanger autre chose que de l’argent et des marchandises. Nous voulons faire croître autre chose que l’économie. Nous voulons faire société autrement qu’au travers du capitalisme. Nous voulons autre chose que ce monde, c’est-à-dire que de ce monde, d’aucune chose, nous voulons.
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L’économie c’est la guerre, la guerre de tous contre tous. Dès tout petit, on nous pousse à suivre nos propres intérêts, dans le cadre posé par la société de marché, on nous fait croire que l’égoïsme est une catégorie ontologique, que la « nature humaine » est ainsi et que pour ne pas perdre il faut donc gagner. Dominer, écraser, maximiser, voilà les maîtres mots de l’entrepreneur de soi, de l’individu d’aujourd’hui qui veut survivre dans cette jungle concurrentielle. À travers le capitalisme, véritable société de l’économie, nos subjectivités se formatent dans un devenir-marchandise de la vie. Le capitalisme façonne des subjectivités à son image et selon sa logique : prédatrices, impitoyables, séparées-isolées l’une de l’autre, égoïstes, machiniques, calculatrices. Même si notre subjectivité vivante résiste tendanciellement à ce formatage, il n’en reste pas moins que notre subjectivité est un champ de bataille – et son résultat – entre une rationalité capitaliste et notre pulsion de vie. Pour que celle-ci triomphe, et elle est une condition préalable à une société vivante-émancipée, sachons que c’est uniquement dans une révolte de la viequ’une telle subjectivité peut advenir. Les révoltes{}de la vieont transformé, transforment, transformeront nos subjectivités, avant même que dans une société nouvelle, de nouvelles vies émergent de nouvelles subjectivités.
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Notre vie ne tolère d’autre limite que celle de sa perpétuation comme Jouirpersonnel et collectif, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de limite au Jouirde nos vies que celle où notre pulsion de vie se transforme en pulsion de mort, et où notre Jouirse renverse en Souffrir. La vie n’est pas une débauche, une barbarie, une folie ; c’est au contraire un équilibre entre une vie sur-réprimée, donc mortifiée, et une vie déchaînée, donc (auto)destructrice. La société dans laquelle nous vivons, au contraire, est une barbarie au sens où elle nous sur-réprime d’un côté tandis qu’elle nous pousse de l’autre à un déchaînement destructeur de soi et des Autres. Or notre société est justement une immense accumulation de surrépressions, souvent présentées de manière mensongère comme « naturelles » (travail), voire comme des « libérations » (guerre sportive, pornographie, Spectacle médiatique). La révolte de la vie, sans mortification ni pulsion de mort, est donc une révolte de l’énergie érotique, de la pulsion de vie, trop longtemps sur-réprimée, contre cette sur-répression, et sans devenir pulsion de mort.
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Ne travaillez jamais
L’aggravation continuelle de la crise structurelle du capitalisme (en plus de sa financiarisation et sa gestion en faveur des actionnaires et du patronat), entraîne depuis plus de 40 ans une intensification et une précarisation continue du travail, avec d’un côté une masse croissante de chômeurs brisés par une société du travail sans travail, et de l’autre une organisation néocapitaliste du travail continuellement restructurée, exerçant une pression énorme sur ses salariés (jusqu’au harcèlement), organisant une guerre de tous contre tous au sein même de l’entreprise, et démultipliant ainsi isolement, haines, humiliations, stress, déformations physiques, accidents de travail, licenciements brutaux, dépression, burn-out, suicides. Le travail est d’ores et déjà une souffrance intolérable – mais ne l’est-il pas structurellement ? Nous souffrons de devoir quotidiennement nous vendre comme marchandise pour survivre, ou d’être dépréciés de ne pas être un esclave « rentable » du capitalisme. Nous souffrons de devoir obéir à des impératifs absurdes, avilissants, destructeurs. Nous souffrons de devoir exécuter ces impératifs dans des conditions éprouvantes, voire dangereuses. Nous souffrons de cette activité indifférenciée, absurde, destructrice. Nous souffrons d’être réduits à des robots, des machines, des esclaves. Nous souffrons d’être humiliés faute d’être des esclaves suffisamment « performants ». Nous souffrons de rentrer vidés, de ne pas pouvoir vivre. Nous souffrons d’être en guerre de tous contre tous avec nos semblables, d’être objet d’une haine envieuse ou d’envier haineusement quelqu’un d’autre. Nous souffrons d’être menacés d’élimination économique chaque seconde. Nous souffrons d’être dans une précarité permanente. Nous souffrons d’être traités de « capital humain », de « mauvaise graisse », de « facteur humain », de « bras cassés », d’ « assistés », de « fainéants ». Nous souffrons d’être des soldats d’une guerre économique permanente, sacrifiés sur l’autel de la compétitivité, de la productivité et de la croissance, bref du capitalisme. Nous souffrons de souffrir seul, de devoir nous cacher notre souffrance, de nous mentir, de ne pas pouvoir parler de notre souffrance, de devoir cacher celle-ci aux autres. Nous souffrons qu’on nous mente, et qu’on se propose d’approfondir encore notre souffrance et notre servitude avec cette nouvelle réforme du travail. Nous souffrons de travailler, il n’y a pas de « souffrance au travail », travailler au sein du capitalisme c’est souffrir, il n’y a pas « le travail et ses souffrances », le travail,{}c’estsouffrance. Cette loi n’est donc qu’un ultime approfondissement du travail comme souffrance et comme servitude.
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Ne travaillez jamaissignifie : ne vendez jamais votre vie, votre temps, votre activité, votre faire, comme marchandise, comme marchandise produisant d’autres marchandises et de l’argent, comme marchandise produisant un mondede mort.
Le travail est en effet, de par son essence même, l’activité non-libre, inhumaine, asociale. Le travail, c’est une dépossession de sa vie au profit d’une fonction machinique de production de marchandises et de valeur, c’est une vente de soi, de son existence, de son temps de vie, de son activité, de son faire, comme marchandise. C’est un esclavage libre, libre au sens où on l’on peut refuser de travailler contrairement aux esclaves, mais comme on a été dépossédé de toute possibilité d’existence en-dehors du Marché, pour survivre, on doit travailler. Comme des esclaves, nous avons une compensation, eux en nature, nous en argent. Comme des esclaves, on nous envoie des forces de répression lorsqu’on se révolte. Qu’on vende des heures d’activité ou notre production soi-disant ’autonome’, qu’on soit salarié.e ou ubérisé.e, nous sommes réduits à des marchandises productrices de marchandises (qu’importe quelles marchandises, qu’importe comment, tant qu’elles rapportent). Notre labeur n’est pas une réponse qualitative à nos besoins particuliers (y compris collectifs), mais une production machinique de marchandises et d’argent, ou (auparavant) une acquisition machinique de savoirs formatés que l’on soit lycéen.ne ou étudiant.e. Avec ou sans proxénète, nous sommes tous des prostitué.e.s, nous vendons notre cerveau, nos muscles, notre sexe, qu’importe. Nous sommes des robots(travailleurs, en tchèque), des individus réduits à des machines productrices. Nous sommes soumis au capitalisme, ce Moloch insatiable, ce train aveugle écrasant tout sur son passage. La pulsion de vie doit se défaire du travail, du capitalisme et de l’État, c’est d’une abolition et non d’une réforme qu’il s’agit.
Nous n’avons pas peur de cette société de travail sans travail, c’est cette société de travail sans travail qui a peur de nous.
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Nous n’avons de toute façon pas d’autre choix que d’en finir avec le capitalisme et son travail, en raison même de la dynamique du capitalisme en crise. Chaque entreprise doit, en raison d’une saturation tendancielle des marchés et d’une compétition généralisée pour vendre ses marchandises, réduire ses coûts, donc substituer du « travail vivant » (des travailleurs) par des machines-robots. Cette élimination de « travail vivant » fait qu’il y a, par conséquent, une baisse tendancielle de la demande (hors-crédit) puisque ceux qui ne travaillent plus ont moins de revenus (comme ceux qui restent d’ailleurs). Depuis 40 ans de troisième révolution industrielle, avec l’introduction de l’informatique, de l’automatisation et de la robotique dans le processus productif, cette substitution structurelle et tendancielle du « travail vivant » (des travailleurs) par des machines-robots a pris une nouvelle dimension. La possibilité d’une substitution complètede certains pans du « travail vivant » par des machines-robots (caisses automatiques, robots-ouvriers, chaînes de montage entièrement automatisées…) provoque ainsi l’explosion du chômage technologique. Et ce chômage technologique, alimentant une baisse de demande solvable, donc une baisse tendancielle de la consommation, entraîne une saturation d’autant plus rapide des marchés, des crises de surproduction toujours plus fréquentes donc de nouvelles substitutions de « travail vivant » par des machines/robots, entraînant une nouvelle baisse de demande solvable, une nouvelle phase de crise, etc., et cela ad nauseam. La dynamique du capitalisme conduit donc à une éviction progressive du « travail vivant » du procès capitaliste : 10–15% de chômage aujourd’hui, plus de 47% en 2030 selon certaines projections. Et cette augmentation structurelle du « chômage technologique » s’effectue en parallèle, comme on le voit depuis plus de 50 ans, d’une intensification et d’une précarisation du « travail vivant » restant. Le devenir structurel du capitalisme, c’est donc une multiplication des phases de crise, une augmentation progressive du chômage technologique et une intensification-précarisation du travail restant,jusqu’au chômage quasi-total, l’esclavage des derniers travailleurs et l’effondrement du capitalisme.
L’économie ne veut plus de nous, nous ne voulons plus d’elle. L’économie veut se débarrasser de nous, débarrassons-nous d’elle !
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La vie libérée
Le mouvement actuel d’opposition au projet de loi-travail a réveillé nos vies et nos rêves au nom d’un mauvais rêve de certains, il faut maintenant qu’elle s’attaque au cauchemar réalisé du travailet de sa crise. Il ne s’agit plus de lutter défensivement contre une loi en attendant qu’une prochaine phase de crise nous l’impose au nom du « réalisme économique », il faut combattre offensivementcette réalité économique de crise et en crise. Il ne faut plus mendier l’ajournement de l’inévitable au sein du capitalisme en crise, mais abolir celui-ci aujourd’hui. Le réformisme « progressiste » est mort, il n’y a plus qu’un sous-réformisme de cogestion de crise, seule une optique résolument révolutionnaireest désormais réaliste.
Nous savons toutes et tous que nos « mouvements sont faits pour mourir », et ce n’est pas grave. Si c’est en général un projet de loi rétrograde ou un évènement particulier comme une immolation ou une « bavure » policière qui vont servir de déclencheur à un mouvement de protestation et créer des communautés d’acteurs près à se battre contre un objet commun, le mouvement dépasse toujours son objet et c’est ce dépassement qu’il nous faut chercher.
Nous nous intéressons peu à la massification, les pétitions sont signées puis oubliées, les cortèges défilent et rentrent chez eux, les vitrines sont brisées puis réparées, les murs tagués puis nettoyés. Si la manifestation peut faire infléchir, si les grèves peuvent faire peur, si les émeutes peuvent être salutaires il nous faut nous saisir de ces moments particuliers que sont les situations insurrectionnelles pour nous rencontrer, nous constituer en communautés, en communautés de lutte, en communautés d’ami.e.s. Il nous faut créer. Il nous faut nous créer.
Un mouvement ouvre une brèche, crée une coupure temporelle, une rupture dans le déroulement linéaire de nos vies. Ces moments de « pause » nous conduisent à reconsidérer nos vies, à les saisir telles qu’elles sont et à les imaginer telles qu’on voudrait qu’elles soient. Ces brèches sont souvent l’occasion de rencontres, de densification des liens, de création de relations qui dépassent le seul intérêt stratégique. C’est sur la durabilité et la qualité de ces relations qu’il nous faut nous appuyer maintenant pour qu’émergent des communes, partout, tout le temps. Plus que des simples communautés de lutte ou de résistance qui, par définition n’existent que le temps de la lutte, bâtissons de véritables foyers d’insoumission, des points de fixation des colères et des désirs. Saisissons-nous d’appartements, de friches, de bocages, saisissons-nous d’entrepôts, d’universités, de châteaux, transformons des sols bétonnés en jardins d’approvisionnement des luttes. Etablissons-nous sur les territoires et habitons-les et vivons‑y le monde que l’on veut vivre.
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Omnia sunt communia. Nous formerons ensemble des communes, comme celle de Paris de 1871, d’Aragon de 1936 et de Notre-Dame-des-Landes, des communes associées entre elles, des communes où nous ferons ensemble ce que nous voulons et personnellementce que nous voulons, des communes où il y aura de commun ce qui aura été décidé comme tel et ce qu’il y aura de personnel aura été décidé comme tel, des communes où nous pourrons faire autre chose de nos vies que nous vendre comme marchandise, produire des marchandises et consommer des marchandises. Les habitant.e.s des communes plutôt ’communisantes’ feront ensemble ce qu’ils auront librement choisi de faire – en accord avec les possibilités du monde-de-la-vie{}-, et partagerons en fonction des besoinsde leurs membres leurs activités comme leurs produits (avec, en cas d’abondance insuffisante, une auto-régulation collective). Les communes plutôt ’personnalisantes’ seront peuplées de personnes faisant séparément ce qu’ils ont envie-besoin de faire, et partageront après coupsous forme d’une chaîne de dons libres. Désormais, dans l’une comme dans l’autre, nul.le ne sera obligé de vendre son cerveau, ses muscles ou son sexe. Les communes formeront entre elles une chaîne de dons, permettant une satisfaction de l’ensemble de leurs besoins tout en entretenant des relations d’amitié.
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La vie s’épanouira dans une vita contemplativa, mais aussi dans une vita activa, où, au lieu de s’asservir au travail et au capitalisme, nous cultiverons des légumes et des fruits, nous construirons des maisons, tracerons des chemins, écrirons des histoires et des chansons, nous ferons ce qu’il nous plaira en même temps que ce qu’il nous faudra dans l’optique d’une poursuite de notre vie s’épanouissant, et non ce qu’une ’demande’ abstraite de marchandises exige. De nouvelles subjectivités émergeront de ces nouvelles vies, épanouies dans une diversité non-finie du faire.
Il n’y aura plus de gens seulement artistes au détriment de l’épanouissement artistique des autres et de leur propre épanouissement dans d’autres domaines, mais des gens qui, entre autres choses, feront de l’art. Nous ne voulons pas simplement rendre l’art commun à tous mais intégrer l’art à notre faire, à nos vies. Il n’y aura plus de sphère séparée du travail, mais une vie mêlant vita activaet vita contemplativa. Le temps sera celui de notre vie et de ses activités, non celui des montres et du travail. Il n’y aura pas de comptabilité, de mesure, de pointage, de productivité, de rendement, d’évaluation individuelle des performances.
Nous ré-apprendrons des savoirs-faire dont nous avons été dépossédés (et ce, à chaque génération, avec l’école comme enseignement de l’ignorance), nous saurons tout faire nous-mêmes (collectivement), après des siècles de prolétarisation réduisant l’activité productive à un nombre limités de gestes répétés ad nauseam.
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Les communes formeront leurs propres ’institutions’, lesquelles seront ’instituées’ selon notre volonté collective et ’désinstituées’ lorsqu’elles ne nous conviendront plus. Les habitants des communes décideront collectivement, en assemblée, ce qu’il faut faire s’agissant des affaires de tous. Et s’il y a des décisions qu’il faut prendre au niveau d’une{{}}fédération (plus ou moins grande) de communes, c’est du basque devra venir toute décision finale. Les communes aboliront donc immédiatement l’État, ce frère jumeau du capitalisme, cette structure de domination bureaucratico-militaro-policière, ce système d’extorsion. Il ne s’agit pas de réhabiliter la politiquecomme sphère séparée du reste de la société, puisque l’auto-organisation et l’auto-détermination sont le contraire même de l’État et de la politique. Il s’agit plutôt de redonner au politique sa temporalité originaire, celle de la quotidienneté.
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Il est évident que nos communesdevront être au-delà des ’genres’ et des ’races’ constituées capitalistiquement. Les communes seront, ainsi, sans masculinité viriliste, celle du sujet capitaliste, insensible, impitoyable, suprémaciste, et sans féminité soumise, subordonnée, dissociée. Elles seront, de même, sans sujet ’colonial’, raciste, dominateur, exploiteur, et sans sujet ’indigène’, racisé, dominé, exploité. Les communes abolissent d’une seule traite prolétaires et capitalistes, sujet masculins et sujets féminins, (post)coloniaux et indigènes, loin de se contenter de l’affirmation du pôle dominé, lequel fut constitué au moment de l’émergence du capitalisme comme système d’exploitation, patriarcal et colonial.
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Le monde, oui, mais pas ce monde de mort. Au niveau des infrastructures, nous détournerons ce qui est détournable pour en faire ce que nous aurons décidé d’en faire, nous détruirons ce qui n’est pas détournable (gigantesques usines, systèmes aéroportuaires et autres infrastructures de mort) dans une logique non-capitaliste (puisqu’une infrastructure résulte d’une logique matérielle découlant elle-même d’une logique sociale – et lorsque cette logique sociale est capitaliste, il en résulte une logique matérielle et donc une infrastructure intrinsèquement capitaliste). Au niveau des techniques, nous détournerons des techniques détournables, nous ’détruirons’ des techniques indétournables (bombes nucléaires, centrales nucléaires, etc.), nous re-découvrirons des techniques et des savoirs-faire, nous développerons des techniques et des savoirs-faire développés aux marges du capitalisme (permaculture), nous inventerons des techniques nouvelles découlant d’une forme de vie et de société nouvelles. Nous établirons un équilibre entre de gigantesques villes invivables, bétonnées et polluées, et des déserts ruraux, en transformant celles-ci en communes urbaines de taille humaine sans rupture avec une ’campagne’ environnante, et celles-là en communes ’rurales’ de centaines ou de milliers d’habitants. Il en résultera un univers matériel de techniques et d’infrastructures conviviales, autonomisantes, non-destructrices, et de communes de taille humaine. On ne s’en remettra donc pas à des méga-usines automatisées, où ce qu’on avait voulu abolir (travail, hiérarchie, spécialisation des activités, pollutions) se reconstituera.
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Il est temps d’en finir avec le travail, avec l’économie, avec l’État, avant qu’ils en finissent avec nous. Ce sera notre monde, ou rien. Ce ne sera pas ce monde de mort, mais lamort de ce monde. Crevons cette société morbide, moderne, capitaliste, colonialiste-raciste, patriarcale, étatiste, hétéronome, hiérarchique, totalitaire. Créons une société vivante, nouvelle, non-marchande, égalitaire, libertaire, autonome, horizontale, plurielle. Créons une vie de désir, cette vie que nous désirons, que nous décidons. Créons des espaces-temps d’intersubjectivité, d’auto-organisation, d’insoumission.
Soyons résolus à ne pas mourir, et nous voilà vivre. L’histoire ne se fera pas sans nous, une fois encore. Ce sera notre histoire, cette fois.
Comité érotique révolutionnaire
Le nouveau Moyen Âge
http://lesakerfrancophone.fr/le-nouveau-moyen-age
[Remarque : le texte est très intéressant, mais le titre n’est pas juste pour « le Moyen-Âge » 🙂
Lire « Le Moyen-âge, une imposture », de Jacques Heers :
http://www.editions-perrin.fr/livre/le-moyen-age-une-imposture/9782262029432 ]